Rim Battal poétesse et romancière, pour son premier roman "Je me regarderai dans les yeux" (Bayard, 8 janvier) est l'invitée ce mardi 25 mars
Retrouvez « Nouvelles têtes » présenté par Mathilde Serrell sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes
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00:00Place aux nouvelles têtes, Mathilde Serrell, ce matin, votre invitée à 38 ans, et retrouve
00:05la langue de ses 17 ans pour son premier roman, la poétesse Rimba Tal est dans notre studio.
00:11Bonjour Rimba Tal ! Bonjour Mathilde ! Est-ce que vous vous êtes regardée dans les yeux
00:25ce matin ? Toujours ! C'est la première chose que je fais en me réveillant.
00:29Qu'est-ce que ça veut dire pour vous ? Ça veut dire être en adéquation avec soi-même,
00:34ça veut dire être alignée avec son centre tout en gardant un œil sur le monde et sur
00:42les autres.
00:43C'est bien, je le recommande à tous.
00:44On vient d'écouter 50 Cent, c'est plus de 2 milliards d'écoutes maintenant ce titre-là
00:48et c'est l'ambiance un peu de ce premier roman.
00:51Je me regarderai dans les yeux l'ambiance de cette clope qui sera une étincelle qui
00:55va déclencher tout le reste.
00:57On est au Maroc, la narratrice a 17 ans, elle est avec sa sœur, elle fume une clope
01:00au bord de la fenêtre puisqu'elles n'ont pas le droit de sortir en écoutant 50 Cent.
01:04Elles se font une petite ambiance soirée à la maison et c'est d'abord par la langue
01:09que vous avez pu raconter cette histoire puisque vous avez retrouvé, dites-vous, celle de
01:12vos 17 ans où l'on bricole avec son cadre pour essayer d'en sortir ou de l'élargir.
01:17Comment vous l'avez retrouvée cette langue et qu'est-ce qu'elle vous a appris de vous ?
01:20Je pense que c'est une langue qui est toujours tapie au fond de chacun, chacune, notre adolescence
01:25est toujours là comme notre enfance et je pense que c'est important d'aller l'explorer,
01:31la dénouer de temps en temps pour retrouver ce qu'on a été, retrouver nos premières
01:37intuitions qui ont fait les adultes que nous sommes aujourd'hui et aussi pour ne pas totalement
01:43couper les ponts avec la jeunesse et garder ce lien entre les générations qui fait qu'on
01:51peut se parler, s'entendre et construire le monde dans lequel nous vivons.
01:55Donc deuxième conseil, se regarder dans les yeux, vous avez bien aligné, deuxièmement
01:59vous essayez d'écrire dans la langue de vos 17 ans de temps en temps pour vous reconnecter.
02:03Vous vous êtes poétesse, au départ vous êtes arrivée à Paris en 2013, Cécile Coulon
02:08adore ce que vous produisez, Rime Batale, depuis 10 ans personne en France n'a écrit
02:11de poème aussi sensuel, aiguisé et fort, c'est posé ?
02:15C'est vrai, c'est vrai, à part Bruno Le Maire, bien sûr.
02:19Ça c'est les petites scènes de masturbation dans la vie noire vous voulez dire ?
02:22J'aimerais vraiment faire un battle avec lui de poésie, je pense que je vais gagner
02:27parce que c'est beaucoup plus fin et aussi trash peut-être.
02:30Il est peut-être plus trash que vous, vous serez surprise Rime Batale.
02:34En tout cas, ça vous est aussi arrivé d'explorer cette zone du roman là parce que vous avez
02:39eu envie d'avoir de l'espace, c'est souvent resserré la poésie, il fallait raconter
02:43une forme d'errance parce que cette clope elle va faire que la narratrice est rouée
02:46de coups par sa mère, traitée de tous les noms évidemment, elle a l'impression d'avoir
02:50failli la nation et puis elle va avoir un envol effaré, elle décide de faire une fugue.
02:55C'est donc l'écriture du roman qui s'imposait pour ça ?
02:57Oui, exactement, alors pour plusieurs raisons, la première c'est justement ce besoin d'espace
03:02pour installer le contexte et mener un peu la lectrice par la main pour qu'il et elle
03:10puissent ressentir vraiment toute cette violence, tout cet enfermement parce que le livre en
03:14fait c'est un peu un enchaînement de huis clos, la première scène justement de la
03:19clope, la violence se passe dans la chambre, ensuite c'est l'examen médical dans un
03:24cabinet.
03:25Alors là il faut le dire, on lui demande de produire un certificat de virginité et
03:30parce que justement elle s'est échappée, sa mère estime qu'il faut qu'elle revienne
03:34avec ce certificat, donc la narratrice s'échappe chez sa tante et elle va se retrouver dans,
03:39vous dites le huis clos en effet, dans un cabinet de gynécologie où on ne prend aucune
03:42précaution avec elle alors que ça devient sa première fois.
03:45Exactement, parce qu'elle n'a rien fait, on peut le comprendre en lisant le livre,
03:50elle est encore dans cette candeur de l'enfance, elle a un rapport au corps et à la sexualité
03:57qui est vraiment très naïf, très innocent et puis soudain elle se retrouve à devoir
04:03justifier de sa virginité, elle subit cet examen qui est très intrusif alors qu'on
04:10n'a jamais touché à son corps et c'est la première fois qu'on l'explore de manière
04:15très froide, très brutale et accusatoire aussi, c'est-à-dire qu'elle est présumée
04:21coupable et ce qui légitime cette violence-là, après avoir subi de la violence, les coups
04:29etc.
04:30Et donc, je ne veux pas trop spoiler mais elle accepte de produire ce certificat-là
04:35justement pour démontrer aux adultes qu'ils sont imbéciles des fois avec les jeunes.
04:40Elle prononce cette phrase, la narratrice, à un moment « je veux hacker la vie ».
04:44Ah oui, c'est ça, parce qu'elle raconte aussi ses rêves de liberté, ses désirs,
04:52comment elle se projette adulte, comment elle imagine peut-être son couple, ses amours
04:57etc.
04:58Et puis, ça se passe dans la classe moyenne marocaine, ce qui est assez rare, même une
05:04journaliste marocaine m'a dit, une journaliste littéraire m'a dit que c'était le premier
05:08livre pour elle qui se passait dans la classe moyenne au Maroc.
05:11Oui, souvent les classes aisées formées dans les lycées français, écrivent, arrivent
05:15à Paris.
05:16Ou soit, c'est vraiment la misère et les bafouons comme le pendu de Mohamed Choukri.
05:22Là non, ça se passe dans la classe moyenne et elle, elle rêve un peu de… Elle a des
05:27désirs de transfuge de classe, elle rêve de transcender sa condition, d'aller plus
05:32loin et voilà, c'est un peu ça qu'elle a vu.
05:36Aussi, le fait de vouloir justement, c'est ce qui commence avec cette cigarette-là.
05:41Elle rêve de liberté, elle a envie de sortir et d'explorer le monde.
05:47Et vous, vous avez été une grande lectrice pendant ces années-là, j'imagine, comme
05:51la narratrice des classiques.
05:52Vous étiez dans Dostoïevski, vous étiez dans Anna Karenine quand vous grandissiez
05:57au Maroc et puis aussi dans Voltaire.
05:59Il me semble qu'il y a cette dimension voltairienne dans le livre, c'est qu'au fond, la question
06:03de l'inégalité n'est pas un fait.
06:05On va questionner, comme chez Voltaire, ça ne va pas de soi en fait et c'est ça finalement
06:11que va démontrer le livre et la narratrice au fond, c'est qu'elle veut un rapport
06:16égalitaire au monde, c'est ça qui dirige son geste.
06:19Exactement, c'était ça sa première intuition en fait et puis qui est confirmée par justement
06:24cette violence que déclenche cette cigarette fumée.
06:28En fait, finalement, la petite cigarette fumée, c'est juste un petit acte de transgression
06:33somme toute commune chez les adolescents et adolescentes et ça peut se manifester
06:37par d'autres petits gestes du même akabie, sauf que là justement, cette violence qui
06:43est déclenchée va lui permettre de déconstruire de manière hyper enaccélérée, hyper rapide
06:50et la mener justement vers ce chemin d'émancipation et elle finit par se retrouver, par se construire
06:57autrement et décider de ce qu'elle veut faire de son corps et de sa sexualité.
07:02Elle est sûre de ce qu'elle vaut également et ça c'est très important, vous vous êtes
07:05devenu poétesse, un métier de droguée selon la mère de la narratrice, de dépravée de
07:12clodo alors qu'ils n'ont même pas de thunes en fait les poètes pour s'acheter leur cam
07:16et vous avez fait un recueil de vos errances sur les sites porno, vous avez l'impression
07:23que vous êtes fidèle à cette rime de 17 ans.
07:26On est toujours fidèle à ça, j'espère en tout cas que c'est le cas pour les autres
07:30personnes mais oui, moi je suis fidèle à moi-même et je continuerai à l'être, je l'espère.
07:36Vous pouvez bien vous regarder dans les yeux je pense.
07:38Je me regarderai dans les yeux chez Bayard à lire absolument Signe Rimbattal, bonne
07:42route à vous.
07:43Merci Mathilde.