Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, était l'invité du Face à Face ce vendredi 21 mars sur BFMTV et RMC. Il est notamment revenu sur la guerre en Ukraine, la défense européenne et Boualem Sansal, l'écrivain franco-algérien accusé d'atteinte à l'intégrité territoriale de l'Algérie.
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00:008h32 sur BFMTV et RMC. Bruno Tertrais, bonjour.
00:04Bonjour.
00:05Directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique et conseiller géopolitique à l'Institut Montaigne.
00:10Merci d'être mon invité ce matin au lendemain de ce Conseil Européen consacré notamment à l'Ukraine,
00:15et alors que l'on a appris cette nuit par la voix d'Emmanuel Macron que Volodymyr Zelensky sera à Paris jeudi
00:21pour s'assurer du nouveau du soutien des Européens, enfin d'une partie des Européens, Bruno Tertrais.
00:27Emmanuel Macron appelle à une coalition de pays volontaires pour assurer la paix en Ukraine,
00:33c'est ce qui va se jouer dans les prochains jours ?
00:35Très concrètement, la question de l'envoi de troupes à Kiev et aux alentours ?
00:39Pas encore, on n'en est pas encore là.
00:41Ce dont il s'agit c'est de préparer le moment où, s'il arrive, les Européens pourraient aller sur place pour garantir la paix.
00:50On n'y est pas du tout, mais il faut être prêt pour le moment où ça se ferait.
00:54Moi je ne crois pas du tout qu'on aura un accord de cessez-le-feu durable,
00:58il peut y avoir un cessez-le-feu partiel, mais un cessez-le-feu durable dans les semaines qui viennent.
01:02Mais toutes ces choses-là, l'envoi de forces, que ce soit à l'ouest du territoire ukrainien, à l'est,
01:08ce n'est pas encore très clair, ça se prépare très longtemps en avance,
01:11donc c'est normal que les Européens se préparent pour cet éventuel accord de paix, mais qui n'est pas encore là.
01:17Et c'est pour ça que vous êtes prudent ce matin Bruno Tertrais,
01:19que vous dites, si cela arrive, coalition des volontaires, concrètement, qu'est-ce que cela veut dire ?
01:25C'est-à-dire qu'il n'y aura pas 27 pays autour de la table, c'est qu'il y a des volontaires.
01:28Non, la coalition des volontaires, c'est une expression qu'on emploie dans ce type de cas,
01:33pour dire que ce n'est pas l'OTAN, ce n'est pas l'Union Européenne,
01:36mais c'est tout simplement les pays qui ont envie de participer à garantir la sécurité de l'Ukraine.
01:42Donc c'est très informel.
01:43Évidemment, il y a des choses qui se passent dans le cadre de l'Union Européenne,
01:46ce qui concerne les sanctions, l'assistance à l'Ukraine, les budgets de défense, etc.
01:51Mais là, c'est tout simplement les pays intéressés.
01:53Il y a un leadership très clairement franco-britannique.
01:56Ce n'est pas extraordinaire, c'est souvent comme ça.
01:58La France et la Grande-Bretagne sont les deux grands pays européens
02:00qui ont la capacité et la volonté d'agir militairement loin de leurs frontières.
02:05Keir Starmer et Emmanuel Macron s'entendent bien,
02:07donc c'est normal que ce soit un leadership franco-britannique.
02:10Mais les Britanniques et les Français n'ont pas envie d'y aller tout seuls.
02:12Il faut qu'il y ait d'autres États.
02:14Ceux qui sont intéressés, moins intéressés.
02:16Ceux qui disent merci mais sans nous.
02:18Mais ça se fait sans drame pour l'instant.
02:20C'est-à-dire que ce sont uniquement les pays volontaires
02:22qui amèneront des forces s'il y a un accord de paix.
02:25Et on verra jeudi combien de ces pays volontaires sont là.
02:27On se souvient du mot d'Emmanuel Macron
02:29qui avait mis en garde contre la vassalisation heureuse.
02:31Donc j'imagine que ceux qui seront là
02:33seront ceux qui partagent ce type de propos,
02:36qui partagent ce constat posé par Emmanuel Macron.
02:40Quoi qu'il en soit,
02:42on a à peu près la certitude de Bruno Tertrais
02:45que cette coalition des volontaires,
02:47ce n'est pas l'intégralité de l'Union européenne.
02:49Notamment ce qui s'est passé hier au Conseil européen.
02:52L'Europe semble assez désunie.
02:55D'accord sur le principe de soutien à l'Ukraine,
02:58mais désunie sur ses modalités.
03:00C'est quand même pas extraordinaire.
03:02Je ne sais pas s'il faut parler de manque d'unité
03:04quand il faut envoyer des troupes quelque part.
03:06C'est normal que le Portugal ou l'Espagne, par exemple,
03:09disent non, pas forcément.
03:11L'Irlande, c'est un pays neutre.
03:13Pourquoi c'est normal Bruno Tertrais ?
03:14Ce n'est pas extraordinaire que tous les 27 pays de l'Union européenne
03:17ne partagent pas exactement la même culture
03:19dans le domaine de la défense.
03:20La géographie, l'histoire, la politique, les priorités budgétaires,
03:23tout ceci explique qu'à 27,
03:25on ne peut pas être totalement unis
03:27sur toutes les questions de défense.
03:28Ce n'est pas grave, dites-vous ?
03:29Non, ce n'est pas grave.
03:30L'essentiel, c'est qu'on arrive à s'entendre,
03:32comme ça a été fait dans les jours et les semaines qui précèdent,
03:35sur la possibilité de dégager ensemble des budgets
03:38pour que l'Europe se réarme.
03:41Après, le fait que tout le monde n'envoie pas les trop en Ukraine,
03:44non, je ne vois pas pourquoi ce serait grave.
03:46Que l'Europe se réarme, Bruno Tertrais,
03:48je rappelle que vous êtes conseiller géopolitique à l'Institut Montaigne
03:50et directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique,
03:52c'est-à-dire que pour nos auditeurs,
03:53vous êtes l'un des experts de ces choses-là,
03:57de la guerre, de la paix, des discussions à plusieurs.
04:00Quand on parle d'achat d'armement commun,
04:03est-ce que ça compte que ce soit de l'armement européen ?
04:07Je lisais ce matin que deux tiers des achats d'armement en Europe,
04:11ce sont des importations de pays en dehors de l'Union Européenne.
04:15Oui, alors les deux tiers, 60%, 70%,
04:18ça dépend comment on compte exactement en volume, en valeur, etc.
04:20Peu importe, il y a les faits.
04:22L'effet, c'est que l'Europe est droguée depuis 1949 à l'armement américain.
04:27Pourquoi ? Parce que c'est facile, c'est moderne,
04:30les Américains font tout pour vendre en Europe
04:32et que nous, Européens, pas nous Français,
04:34mais nous, Européens, on a cru acheter notre sécurité
04:37en achetant des matériels américains.
04:39Et on entend certains dire que c'est aussi moins cher.
04:41Et c'est souvent moins cher.
04:42Alors, ce dont il s'agit, c'est de réduire la dépendance de l'Europe
04:45progressivement aux matériels américains
04:48et de manière générale, à acheter encore plus européens.
04:51Mais ça mettra énormément de temps.
04:53Vous pensez bien que les matériels de guerre,
04:55ça ne se remplace pas comme vous remplacez le micro qui est sur cette table.
05:00Énormément de temps, c'est 10 ans, 15 ans, 20 ans, 30 ans ?
05:03On peut dire 20 ans.
05:04Allez, on va dire 20 ans.
05:05Et de même que le renforcement de la capacité de l'industrie européenne
05:11à fournir plus vite et mieux aux pays qui sont demandeurs,
05:14là aussi, ça ne se fait pas tout seul.
05:16La défense, c'est des affaires compliquées, c'est des matériels lourds.
05:19Si vous prenez l'exemple d'un avion de combat ou d'un sous-marin,
05:24c'est des dizaines d'années entre la conception,
05:26la mise en service, les opérations.
05:29Voilà, donc tout ça sur les phénomènes de fond.
05:31On va dire qu'il y a un tournant qui a été pris,
05:33mais qu'on mettra des dizaines d'années avant de concrétiser vraiment le changement de cas.
05:39En parallèle de ce Conseil européen, en parallèle du rendez-vous de jeudi,
05:45je rappelle Volodymyr Zelensky qui sera à Paris pour un sommet
05:48avec plusieurs pays sous l'égide de la France et de la Grande-Bretagne,
05:52il y a des discussions diplomatiques, celles-là,
05:55qui se déroulent assez éloignées des caméras, c'est l'usage à huis clos,
05:59en Arabie saoudite, qui reprennent lundi avec des négociateurs ukrainiens
06:03et des négociateurs russes.
06:05À ce stade, les Ukrainiens acceptent une trêve de 30 jours,
06:09mais pas les Russes.
06:11Est-ce que c'est eux qui mènent la danse aujourd'hui ?
06:13Alors, écoutez, aujourd'hui, la balle dans le camp des Russes.
06:16Pourquoi ? Parce que Volodymyr Zelensky, il y a une dizaine de jours,
06:20a accepté le principe d'un cessez-le-feu total, terre-air-mer, sur 30 jours.
06:24Qui est-ce qui fait les difficultés ? C'est Vladimir Poutine.
06:27Pourquoi ?
06:29C'est une posture de négociation ?
06:31Ou, tout simplement, les termes ne lui conviennent pas ?
06:33Parce que Vladimir Poutine ne veut pas la paix.
06:35C'est aussi simple que cela.
06:36Pour lui, la paix n'est concevable que si l'Ukraine est totalement
06:40neutralisée, démilitarisée et dénazifiée.
06:43Il faut le dire encore et encore.
06:45Il y a une raison supplémentaire.
06:47Depuis trois ans, la Russie est devenue une machine de guerre.
06:51La Russie d'aujourd'hui n'est plus celle d'il y a trois ans.
06:54Celle d'il y a trois ans n'était déjà plus celle d'il y a dix ans.
06:57Je dis souvent avec d'autres que la Russie est en train de se transformer
07:00en une gigantesque Corée du Nord.
07:02Vladimir Poutine ne vit que par la guerre.
07:04Aujourd'hui, il a créé un monstre qu'il contrôle encore,
07:09mais qui ne peut pas arrêter comme cela.
07:11À mon sens, il n'est pas possible aujourd'hui pour Vladimir Poutine
07:15d'envisager une paix stable et satisfaisante pour tout le monde
07:19avec l'Ukraine.
07:20La seule chose qui est concevable, c'est un cessez-le-feu temporaire.
07:23Ce qui est intéressant, c'est que vous avez ce décalage
07:25entre les Européens qui se préparent...
07:27On se dit que 30 jours, c'est temporaire Bruno Tertrais, pardon,
07:29mais pour ceux qui nous écoutent, pourquoi y compris ce délai ne lui convient pas ?
07:35Encore une fois, parce qu'il faut toujours donner une chance à la paix.
07:38Simplement, je ne pense pas qu'il y aura d'accord de paix dans les mois qui viennent,
07:42mais il faut toujours donner une chance à la paix.
07:44C'est pour ça que d'un côté, vous avez les négociateurs en Arabie saoudite
07:47et de l'autre, les Européens qui se préparent à mettre en œuvre
07:50un éventuel accord de paix après un cessez-le-feu durable.
07:55Mais encore une fois, je pense que ça peut arranger à un moment à la Russie
07:58de faire un accord de cessez-le-feu complet.
08:00Mais c'est pour mieux souffler, c'est pour mieux se réarmer.
08:03Parce que l'on voit qu'en parallèle des discussions, les frappes se poursuivent
08:08et on est d'ailleurs assez frappés d'entendre autant parler de la paix.
08:12Encore Emmanuel Macron hier à Bruxelles qui dit qu'il faut protéger la paix,
08:14protéger la paix, protéger la paix.
08:16En attendant, c'est la guerre qui se poursuit, la guerre qui fait des victimes.
08:19Ce qui est frappant surtout, il y a eu notamment ces dernières 24 heures,
08:23énormément de frappes russes sur la ville d'Odessa
08:27et pas seulement sur les infrastructures énergétiques.
08:29Mais vraiment, on a l'impression que la Russie donne tout ce qu'elle peut,
08:32si j'ose dire, avant qu'il y ait un éventuel cessez-le-feu.
08:36Il y a un accord, en principe, entre Russes et Ukrainiens
08:39sur l'idée de, au moins, avoir un cessez-le-feu sur les infrastructures énergétiques.
08:44C'est-à-dire, du côté ukrainien, on ne tape pas les centrales électriques
08:49et du côté russe, l'Ukraine ne tape pas la raffinerie de pétrole.
08:53Donald Trump a même proposé de prendre le contrôle de certaines centrales en Ukraine.
08:56Ça, c'est un truc encore formidable.
08:58C'est Donald Trump, dans son logiciel un peu fantasmagorique,
09:03il imagine que l'Amérique pourrait racheter et opérer les centrales nucléaires
09:09et les centrales électriques de l'Ukraine.
09:11En disant que c'est la meilleure garantie de sécurité
09:14si les États-Unis récupèrent les centrales, les minerais.
09:17Au fond, si les États-Unis ont des intérêts économiques en Ukraine.
09:20Oui, ce n'est pas complètement idiot sous le principe.
09:23L'idée de dire, après tout, plus les Américains seraient présents
09:26physiquement, économiquement, sur le territoire,
09:29moins la Russie serait tentée de reprendre la guerre contre l'Ukraine.
09:35Sauf qu'en fait, quand vous regardez ce qui s'est passé en 2014 et en 2022,
09:39surtout en 2022, il y avait énormément d'Américains en Ukraine.
09:42Est-ce que ça a empêché Vladimir Poutine d'envahir l'Ukraine ?
09:44L'idée de Trump, c'est que s'il y avait des Américains,
09:46il n'osera pas, Poutine, prendre le risque de faire des morts américains.
09:49Sauf que ça n'a pas marché, puisqu'en 2022, il y avait énormément d'Américains en Ukraine.
09:53Bruno Tertrais, je rappelle que vous êtes un grand témoin du monde,
09:58conseiller géopolitique notamment à l'Institut Montaigne.
10:01Trois ans après le début de la guerre, dans quel État est l'Ukraine ?
10:04Est-ce que l'Ukraine a besoin aujourd'hui de cette trêve que l'on évoque
10:07avec ces discussions qui reprennent lundi en Arabie saoudite ?
10:10Ou est-ce qu'au fond, Vladimir Poutine en a davantage besoin
10:13que son adversaire ou son ennemi ukrainien ?
10:17Pourquoi est-ce qu'on parle de trêve ou de cesser le feu aujourd'hui ?
10:19Ce n'est pas seulement parce que Donald Trump est arrivé
10:22et a la capacité, c'est vrai, de parler à la fois à Poutine et à Zelensky.
10:26Mais on en parle aussi parce qu'après trois ans de guerre,
10:28les deux armées, les deux pays sont épuisés.
10:30Épuisés, pas seulement fatigués, mais épuisés.
10:32Je ne parle pas seulement du nombre de morts et de blessés,
10:35mais les économies des deux pays ont énormément souffert.
10:37Et quelque part, les deux ont besoin de souffler, si j'ose dire,
10:41quelles que soient leurs intentions futures.
10:43L'Ukraine ne demande que la paix, c'est-à-dire que les Russes partent
10:47et qu'ils puissent retrouver leur pays en intégralité et en paix.
10:50La Russie a moins besoin de la paix, comme je l'ai dit tout à l'heure,
10:53à mon sens, la Russie de Poutine ne peut pas faire la paix avec l'Ukraine.
10:57C'est aussi simple que cela.
10:58En revanche, du point de vue tactique, elle a besoin de souffler, de se reposer.
11:02Il y a notamment un problème de plus en plus important de matériel de défense.
11:06Les Russes, on va dire, ont toujours autant d'hommes à envoyer au front,
11:10mais ont de moins en moins de matériel pour que ces soldats soient équipés.
11:14Une question de curiosité personnelle, Bruno Tertrais.
11:17J'ai le souvenir qu'il y a quelques mois, on disait
11:20« la paix ne pourra pas se faire avec Vladimir Poutine, il faudra qu'il parte ».
11:23Cette question de la paix avec les acteurs de la guerre, on ne la pose plus aujourd'hui.
11:27C'est-à-dire qu'il y a une forme de statu quo qui voudrait que,
11:30quelle que soit l'issue, Volodymyr Zelensky resterait président de l'Ukraine
11:33et Vladimir Poutine grand tsar de la Russie ?
11:36La grande différence entre les deux, c'est que ce sont les Ukrainiens qui décideront
11:39si Volodymyr Zelensky reste ou pas président,
11:42alors que ce ne sont pas les Russes qui décideront si Vladimir Poutine reste président
11:45puisqu'il peut être président jusqu'en 2036.
11:47Vous avez compris que ma question n'est pas que triviale.
11:49Est-ce qu'en général, on peut faire la paix avec les acteurs de la guerre ?
11:52Oui, c'est tout à fait possible.
11:54Simplement, Poutine ne peut pas faire la paix avec l'Ukraine d'aujourd'hui,
11:58que ce soit avec Zelensky ou avec un autre.
12:00Oui, la question, c'est plutôt savoir si les acteurs de la guerre
12:03peuvent être des bons dirigeants après la guerre.
12:05L'exemple classique étant Churchill, qui très vite a été évincé du pouvoir en Grande-Bretagne.
12:12Mais je le répète, il est impossible pour Vladimir Poutine de faire la paix
12:16aujourd'hui avec l'Ukraine, avec une Ukraine souveraine,
12:19que ce soit avec Zelensky ou pas.
12:21De toute façon, si je comprends bien ce que vous nous dites ce matin, Bruno Tertrais,
12:23cette perspective et de la trêve et de la paix sont encore assez éloignées
12:26en dépit des réunions qui se rapprochent.
12:29Mais pas dans les prochains jours, on est sur un horizon plus éloigné.
12:33Une trêve limitée est possible dans les prochains jours.
12:35Un cessez-le-feu total pour quelques temps, quelques semaines
12:38est concevable dans les semaines qui viennent.
12:40La paix dans les mois qui viennent, honnêtement, je n'y crois pas.
12:43J'en viens, Bruno Tertrais, à un autre dossier à l'international
12:46qui, en réalité, agite beaucoup en France.
12:49Pas en Europe, mais en France.
12:51La pire crise depuis 1962 avec l'Algérie, d'après l'historien Benjamin Stora,
12:551962 étant l'année de l'indépendance algérienne.
12:58Je reviendrai sur les reproches de part et d'autre,
13:00mais il y a avant tout le cas de Boalem Sansal,
13:02écrivain franco-algérien qui risque dix ans de prison
13:06pour avoir dit, entre autres, qu'une partie du territoire algérien
13:09devait historiquement revenir au Maroc.
13:12Emmanuel Macron évoque des échanges avec le président algérien
13:15pour libérer Boalem Sansal.
13:17C'est la seule chance aujourd'hui des échanges de chef d'État.
13:21À chef d'État, ça se résoudra entre présidents.
13:24On ne peut pas croire un instant que ça se résolve autrement,
13:27vu la sensibilité de ce dossier à la fois à Paris et à Alger,
13:31que par un dialogue, une discussion, peut-être une négociation
13:34entre le président algérien et le président français.
13:37Aujourd'hui, cette affaire a pris une telle place dans le débat public
13:41et elle est liée, qu'on le veuille ou non,
13:43elle est devenue liée au reste des contentieux
13:45et des différentes franco-algériens.
13:47C'est une bonne stratégie de joindre le cas de Boalem Sansal
13:49à celui des occultaires ?
13:50C'est une bonne question.
13:51Là, il y a un vrai sujet de stratégie diplomatique.
13:53C'est-à-dire de dissocier ou, au contraire, de joindre.
13:55Je ne sais pas quel est le bon choix pour la France et pour l'Algérie.
13:58Ce qui est certain, c'est que du côté algérien,
14:02je pense qu'on voit les débats français, quelque part,
14:05avec un mélange de perplexité et de délectation.
14:08Perplexité parce que je ne sais pas si, à Alger,
14:10on comprend exactement les agendas des uns et des autres
14:13dans le débat public parisien,
14:14mais probablement délectation aussi
14:16parce qu'on se rend compte, j'imagine,
14:18que s'il y a des acteurs politiques majeurs
14:21qui ne sont pas du même avis sur comment gérer
14:23la crise franco-algérienne à Paris...
14:25Vous ne le dites pas, mais on pense à Bruno Retailleau,
14:28ministre de l'Intérieur et, par exemple,
14:29à Jean-Claude Elbarro, ministre des Affaires étrangères ?
14:31Absolument.
14:32Et si on voit que c'est un sujet de débat politique majeur
14:36et public, voire de désaccord au sein du gouvernement,
14:39moi, si j'étais Alger, je serais tenté de jouer
14:41sur ces désaccords et de continuer à voir
14:43comment la crise peut bénéficier à mes intérêts.
14:46Sur le fond, je le disais, il y a des reproches mutuelles
14:49puisqu'il y a le cas de Boalem Sansal,
14:51qui est un Cassius Belli côté français.
14:54Il y a aussi le cas de la réadmission
14:56ou de la mauvaise foi d'Alger, dixi de Paris,
14:59dans la gestion des réadmissions de ressortissants sous OQTF.
15:01Hier, le ministère algérien des Affaires étrangères
15:03a fait un communiqué en disant
15:04« Oui, mais d'accord, mais la France refuse aussi
15:07d'extrader l'ancien ministre d'Abdelaziz Bouteflika
15:09et ne nous aide pas sur le dossier des biens mal acquis. »
15:13Sans rentrer sur le fond des dossiers,
15:15on voit que tout est tellement imbriqué
15:17et un tel maelstrom.
15:18Est-ce que vous, l'expert des relations internationales,
15:21voyez une voie de passage pour sortir de la crise actuelle
15:24ou est-ce que l'on va vers la rupture des relations diplomatiques ?
15:27Première chose, je pense qu'il n'est pas malsain
15:30qu'enfin on mette tout sur la table avec l'Algérie
15:33car les sujets de contentieux sont connus,
15:35ils sont sensibles,
15:37mais longtemps ça a été...
15:39Vous savez, il y a une expression aux Etats-Unis
15:41quand on parle des débats très sensibles
15:42auxquels on ne veut pas toucher,
15:43c'est le troisième rail.
15:44Le troisième rail, c'est celui du métro ou du train
15:46sur lequel il ne faut surtout pas toucher.
15:48Finalement, je crois que trop longtemps,
15:50entre la France et l'Algérie,
15:51nous avons glissé la poussière sous le tapis,
15:55si j'ose dire,
15:56et refusé d'avoir des débats publics
15:58sur ces sujets extrêmement importants et sensibles.
16:00Le problème, c'est qu'ils sont instrumentalisés politiquement,
16:03pas seulement à Alger mais aussi à Paris.
16:05Moi, ce que je recommanderais, puisque vous me le demandez,
16:07c'est d'abord qu'il n'y ait qu'une seule voix française qui parle,
16:10à savoir le président de la République et le Premier ministre.
16:13Ça serait déjà important.
16:16Pour ne pas que Alger puisse jouer justement
16:19sur nos débats et sur nos différents.
16:21Vous dites que Bruno Retailleau doit se taire, si je résume.
16:23Je pense que les ministres concernés
16:25devraient rester dans leur couloir de nage,
16:28si j'ose dire,
16:29et surtout ne pas évoquer ces sujets
16:31avec une passion qui s'y est mal
16:33à un bon règlement des questions diplomatiques.
16:35Après, les meilleures choses en franco-algérien,
16:38comme avec d'autres pays d'ailleurs,
16:39la meilleure manière de procéder,
16:41c'est généralement en dehors de la scène publique,
16:44c'est-à-dire discrètement,
16:45comme on gère, par exemple,
16:47les questions de renseignements et de contre-terrorisme
16:49entre les services algériens et les services français.
16:52Après, apaiser un débat franco-algérien,
16:54c'est presque une contradiction dans les termes.
16:56La sensibilité du sujet franco-algérien,
16:58les deux côtés de la Méditerranée,
17:00de façon par nature,
17:01fait que ce sera toujours des débats enflammés.
17:04La première chose,
17:05c'est que je pense qu'il faut que tout le monde se calme.
17:07Un dernier mot, Bruno Tertrais,
17:08de ce qui se passe au Proche-Orient
17:09avec l'armée israélienne,
17:10qui poursuit son opération au sol
17:12dans le sud de la bande de Gaza
17:13après deux mois d'une trêve fragile.
17:15Les bombardements s'intensifient depuis mardi.
17:18Le président israélien se dit troublé
17:21par la reprise des combats.
17:23Pourquoi le gouvernement de Benjamin Netanyahou
17:25a rompu la trêve ?
17:27Il a, semble-t-il, rompu la trêve
17:29pour des raisons qui tiennent à la fois
17:31à la manière dont le cessez-le-feu
17:34a été géré par les deux partis,
17:36mais aussi pour des raisons,
17:37me semble-t-il, politiques.
17:39Je suis prudent,
17:40parce que je ne veux pas faire de procès à intention.
17:41Ça veut dire de politique intérieure ?
17:42Oui, de politique intérieure.
17:43La manière dont le président Herzog
17:45est sorti publiquement pour critiquer ouvertement...
17:48Ce qui est rare.
17:49Ce qui est rare.
17:50Moi, je le connais, le président Herzog,
17:51c'est un type modèle.
17:52C'est l'anti-Netanyahou, si vous voulez.
17:54C'est quelqu'un de très modéré,
17:55c'est un intellectuel.
17:56Pour qu'il se permette, quelque part,
17:58de rompre le consensus qui existe quand même
18:00depuis le 7 octobre sur la question de Gaza,
18:04c'est que, franchement, ça veut dire
18:06qu'il en a assez de Netanyahou
18:07et que la manière dont Netanyahou
18:09joue son jeu personnel, aujourd'hui,
18:11reste malheureusement indissociable
18:13de la manière dont l'armée gère
18:15la question du cessez-le-feu à Gaza.
18:17Autrement dit, il n'est plus possible
18:21de dire que quand il y a une rupture
18:24du cessez-le-feu par Israël, par exemple,
18:27c'est forcément aussi politique, malheureusement.
18:31Et là, je crois que Netanyahou
18:34est en train de reprendre sa stratégie personnelle,
18:37y compris pour essayer de récupérer
18:39le registre d'extrême droite qui est parti
18:41et pour lequel il revient.
18:42Malheureusement, je pense qu'il y a peut-être
18:45de très bonnes raisons de continuer à bombarder
18:47certains endroits à Gaza.
18:48Ce n'est pas le sujet.
18:49Mais je crains que la population gazaouie
18:51soit aussi l'otage, quelque part,
18:53des différents intrats israéliens.
18:56Et en très bref, Bruno Tertrais,
18:58puisque vous connaissez parfaitement ces dossiers,
19:00l'invitation dans ce contexte
19:02de Jordan Bardella, président du RN
19:05et de Marion Maréchal,
19:06par les autorités israéliennes,
19:08est-ce que vous l'interprétez ?
19:09Ce que l'on entend dire, c'est qu'au fond,
19:11Israël ne croit plus qu'un autre parti
19:14que le RN défendra les intérêts
19:16des Français de confession juive.
19:18Ça ne m'étonnerait que ce soit aussi simple.
19:20En revanche, c'est l'achèvement
19:22de la stratégie de dédiabolisation.
19:24C'est la consécration du fait que,
19:26pour un certain nombre de Français juifs,
19:28le RN est un parti désormais tout à fait fréquentable.
19:33Mais ça ne peut arriver, quelque part,
19:35qu'au moment où il y a une coalition
19:37extrêmement radicale au pouvoir en Israël,
19:40à savoir Benjamin Netanyahou et ses alliés.
19:43Cette convergence entre le RN
19:45et la coalition d'aujourd'hui
19:47n'est pas totalement artificielle.
19:50Merci Bruno Tertrais de vos lumières.
19:52Directeur adjoint de la Fondation
19:53pour la Recherche Stratégique
19:54et conseiller géopolitique à l'Institut Montaigne.
19:56Il est 8h52 sur RMC et BFM TV.