UKRAINE - Le président Vladimir Poutine accuse l'Ukraine de vouloir "semer la discorde" au sein de la société russe. Guillaume Ancel, ancien officier et écrivain français est l'invité de RTL Matin.

  • il y a 3 semaines
Quelque 121.000 personnes ont été évacuées de la région russe de Koursk, frontalière de l'Ukraine, en raison d'une incursion ukrainienne armée en cours depuis environ une semaine. Le président Vladimir Poutine a accusé lundi l'Ukraine, de vouloir "semer la discorde" au sein de la société russe. Guillaume Ancel, ancien officier et écrivain français est l'invité de RTL Matin.
Regardez L'invité de RTL avec Stéphane Boudsocq du 13 août 2024.
Transcript
00:00RTL Matin
00:04Depuis une semaine, l'armée ukrainienne est entrée en Russie dans la région de Kursk
00:08et revendique la prise de 1000 km² de territoire, soit une trentaine de localités.
00:13120 000 habitants de Kursk, mais aussi de la région de Belgorod ont été évacués.
00:18Pour en parler avec nous, ce matin, j'accueille Guillaume Ancel. Bonjour à vous.
00:23Bonjour.
00:24Vous avez passé 20 ans au sein de l'armée française jusqu'au grade de lieutenant-colonel.
00:27Vous êtes désormais écrivain, grand spécialiste des questions militaires.
00:30Vous venez d'ailleurs de publier Saint-Cyr à l'école de la Grande Muette, chez Flammarion.
00:35Pour que l'on comprenne bien, Guillaume Ancel, cette incursion ukrainienne sur le territoire russe,
00:40c'est quoi ? C'est une provocation ? C'est une diversion ? Ou c'est une stratégie assumée pour Volodymyr Zelenskyy ?
00:47Je dirais que pour les Ukrainiens, c'est surtout une manière d'emmerder Poutine.
00:52Parce que les Ukrainiens ont beaucoup de mal sur le front du Donbass,
00:56où les Russes avancent inexorablement au prix de pertes effrayantes,
01:00mais tous les jours, ils arrivent à grignoter quelques kilomètres.
01:02Et d'ailleurs, on le voyait, il y a encore une semaine, on ne parlait même plus de la guerre en Ukraine,
01:07tellement on avait l'impression que c'était la chronique d'une défaite assurée dans le Donbass,
01:12parce que les Russes n'ont pas les moyens d'aller tellement plus loin.
01:14Mais cette dynamique d'échec commençait à peser lourdement sur le moral des Ukrainiens,
01:20et cette offensive qu'a lancée l'Ukraine, tout à fait par surprise, jouant sur la vitesse,
01:26envahissant une partie du territoire russe, est effectivement un défi lancé au pouvoir de Poutine,
01:34qui d'ailleurs réagit très mal, parce que l'offensive a commencé il y a huit jours,
01:38et les Russes sont toujours incapables de la stopper, de fixer l'avancée des unités ukrainiennes.
01:44Dans mes informations, les Ukrainiens pensaient être obligés de s'arrêter beaucoup plus tôt,
01:49mais ils sont étonnés de l'incapacité du commandement russe, qui est extrêmement centralisé et lourd,
01:56d'arriver à les stopper assez vite.
01:59Bien évidemment, les Ukrainiens n'ont pas l'intention d'envahir la Russie...
02:03Oui, c'est ça, parce qu'en cours, c'est 460 kilomètres de Moscou, ça peut aller jusqu'où en fait ?
02:09En fait, pas très loin, parce que les Ukrainiens ont impliqué quelques milliers de soldats,
02:14très bien équipés et organisés, pour lancer ce raid.
02:17Mais ce raid, encore une fois, n'a pas vocation à aller loin dans le territoire russe, qui est gigantesque,
02:23et surtout, il ne faudrait pas que les Ukrainiens se retrouvent coupés de leur territoire d'origine.
02:27Donc en réalité, dans les jours suivants, et ça peut être déjà commencé,
02:31les Russes vont bien évidemment ramener suffisamment de troupes pour les stopper,
02:35et à partir de ce moment-là, les Ukrainiens se replieront rapidement,
02:39pour ne pas se retrouver face aux rouleaux compresseurs que savent mettre en place les Russes,
02:44qui est d'une puissance incroyable, mais d'une lourdeur équivalente.
02:48Oui, avec le risque en plus de déstabiliser, en enlevant des hommes du front classique si je puis dire,
02:53de déstabiliser la défense ukrainienne en Ukraine.
02:57Alors c'est bien l'objet de ce raid, mais je dirais que c'est un objet secondaire,
03:01parce que ce n'est pas avec ce raid dans la région russe de Kursk que les Ukrainiens vont battre l'armée russe.
03:08Non, ce qu'ils veulent, c'est surtout les battre sur le plan politique.
03:11Encore une fois, finalement, ces conflits militaires sont aux ordres d'une politique,
03:17et là on voit bien que Poutine, qui voulait montrer que personne ne pouvait s'opposer à sa puissance destructrice,
03:23se retrouve en grande difficulté d'expliquer à sa propre population russe
03:28que la guerre s'est déplacée sur le territoire de la Russie.
03:32Je rappelle que c'est la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale
03:35que la Russie est envahie par un pays externe,
03:38et donc pour eux c'est un traumatisme sans nom,
03:41d'autant que la population russe, les gens normaux de la région de Kursk,
03:45en témoignent sur les réseaux sociaux,
03:47ils n'imaginaient pas de seconde ce qu'était cette guerre que mène depuis 30 mois,
03:52depuis deux ans et demi, la Russie en Ukraine.
03:54Et de la voir chez eux, c'est un véritable traumatisme pour eux.
03:58Oui, Vladimir Poutine qui accuse l'Ukraine, je cite,
04:01de vouloir semer la discorde au sein de la société russe.
04:03Il promet d'expulser les troupes ennemies de la région de Kursk,
04:07il y a eu d'ailleurs cette nuit une nouvelle attaque de drones russes sur l'Ukraine.
04:11Il y a quand même un côté un peu humiliant, j'imagine, pour Vladimir Poutine,
04:15qui annonçait depuis le début de la guerre que ça allait durer deux semaines.
04:17On y est en effet maintenant depuis deux ans et demi,
04:19et là l'armée ukrainienne entre en Russie.
04:22Non seulement c'est humiliant, mais en plus ça fragilise Poutine,
04:28puisque finalement le contrat qu'il avait passé avec les Russes,
04:31c'est je contrôle tout, je suis un véritable dictateur de votre société,
04:36mais en échange je vous offre stabilité et sécurité.
04:39Et là il n'y a plus rien, ni stabilité ni sécurité,
04:42même si c'est une toute petite partie du territoire russe,
04:46en fait la région de Kursk.
04:48Les gens en Russie voient tous sur les réseaux sociaux l'impact,
04:52le fait qu'il y a des troupes ukrainiennes qui sont en Russie,
04:55que la guerre s'est déplacée chez eux,
04:57pour reprendre les mots de Volodymyr Zelensky, le président ukrainien.
05:01Guillaume Ancel, on parlait ces derniers jours, ces dernières semaines,
05:05d'une possible reprise du dialogue,
05:07pas encore de négociations très très très abouties,
05:09mais en tous les cas, se parler,
05:11on imagine quand même que ça compromet grandement les choses.
05:14Au contraire, parce qu'en fait pour les Ukrainiens,
05:17ce qui était très compliqué,
05:19c'était d'arriver à une table de négociation avec les poches vides.
05:22Si c'était pour constater que dans le Donbass,
05:25où les combats durent depuis maintenant deux ans et demi,
05:28et où, encore une fois, les Russes ont toujours avancé très doucement,
05:31mais ils ont toujours continué à avancer,
05:33pour les Ukrainiens, c'était difficile de négocier quelque chose.
05:37Là, aujourd'hui, ce qu'ils montrent,
05:39c'est que quand ils prennent par surprise et par vitesse les Russes,
05:42ils sont capables d'une performance extraordinaire
05:45qui est digne de celle de David contre Goliath,
05:47mais pas en se mettant en face, bien sûr, du rouleau compresseur.
05:50Aujourd'hui, ils pourraient très bien ouvrir un canal de négociation,
05:53en disant bon, on continue cette guerre pendant encore longtemps ?
05:56Vous ne croyez pas qu'il est grand temps de l'arrêter ?
05:59Alors, les Occidentaux financent la guerre ukrainienne
06:02depuis maintenant deux ans et demi,
06:04par des aides en euros, en dollars,
06:06mais aussi en matériel militaire.
06:08Diplomatiquement, ça peut être quand même assez ennuyeux pour nous,
06:11je pense notamment à la France,
06:12si ces armes qu'on a données aux Ukrainiens
06:15sont utilisées contre la Russie.
06:17Alors, en fait, en rentrant sur le territoire russe,
06:21dans la région de Kursk,
06:22les Ukrainiens, bien sûr, ont traversé la frontière,
06:25mais surtout, ils ont fait sauter cette contrainte
06:28que les Alliés, il y a 50 pays qui soutiennent l'Ukraine,
06:31leur avaient imposée depuis deux ans et demi,
06:33qui était de, en aucun cas, ne porter la guerre sur le territoire russe,
06:37de peur qu'il y ait une escalade régionale.
06:39Mais, en fait, avec leur incursion sur le territoire de Kursk,
06:44les Ukrainiens ont complètement fait sauter cette contrainte,
06:47et ce qu'on voit bien, c'est que la Russie,
06:49c'est elle qui est embêtée avec ça,
06:51parce qu'elle ne sait même pas expliquer à sa population
06:54pourquoi elle n'arrive pas à stopper, bien sûr, les troupes ukrainiennes,
06:58et surtout, pourquoi elle a déclenché cette guerre infâme
07:01contre un pays qui était considéré par les Ukrainiens,
07:04par les Russes, pardon,
07:05comme un pays ami, comme un pays frère.
07:07Je rappelle que l'Ukraine, pour la Russie,
07:09c'est la Belgique pour la France,
07:11c'est-à-dire que c'est un pays qui est tellement voisin et imbriqué
07:14qu'on n'imagine pas avoir un jour un conflit avec eux.
07:17Mais ça réagit comment, Guillaume Ancel, je ne sais pas, à Washington,
07:20en Europe ou encore à Paris ?
07:22Alors ce qui est très intéressant, c'est qu'il y a très peu de commentaires
07:25de la part des pays qui soutiennent l'Ukraine,
07:28d'ailleurs comme du pouvoir ukrainien,
07:30mais manifestement, la préparation de cette opération a duré des mois
07:34et elle a impliqué les pays alliés,
07:36et tous ont donné leur accord pour que les Ukrainiens
07:39utilisent les armements qui ont été livrés à l'Ukraine
07:43pour mener ce raid.
07:44Donc on y retrouve tout l'arsenal qui a été livré
07:47par les pays occidentaux,
07:49des blindés français, allemands, américains,
07:52absolument sans restriction.
07:53La seule chose, il n'y a aucune information dessus,
07:56mais on est à peu près sûr que les Ukrainiens
07:59n'utilisent pas les avions F-16 qui ont été livrés
08:02au-dessus du territoire russe.
08:04Par contre, peut-être qu'ils les utilisent
08:07au-dessus de leur territoire à eux,
08:09mais pour empêcher les avions russes
08:12d'approcher trop près de la ligne de contact
08:14et de bombarder d'une manière intensive,
08:16ce qu'ils font en général.
08:17Néanmoins, quand vous êtes sur des unités en mouvement,
08:20comme c'est le cas dans la région de Kursk,
08:22c'est très difficile d'utiliser les bombes planantes,
08:24d'autant plus pour les Russes
08:26qui sont en train de bombarder leur propre territoire.
08:29Et pour terminer, en quelques mots,
08:31sur le sol ukrainien,
08:32cette offensive russe qui a été déclenchée,
08:34on le rappelle, en février 2022,
08:36vous diriez, Guillaume Ancel, qu'elle patine
08:38ou qu'elle est maintenant vraiment solidement installée ?
08:41En fait, ce qui est grave, c'est qu'en deux ans et demi,
08:45la Russie est face à un échec extraordinaire.
08:47C'était réputée être la deuxième armée du monde.
08:50Elle s'est attaquée à un pays qui est quatre fois moins important qu'elle
08:53en termes de population et de richesse.
08:55Et en fait, elle n'arrive pas à conquérir
08:57plus de quelques pourcents du territoire.
08:59Les Russes ont conquis à peu près 1 500 km de territoire
09:03sur un pays qui en fait 600 000.
09:05Donc à cette vitesse-là, il leur faudra à peu près un siècle
09:07pour conquérir l'Ukraine.
09:08C'est aussi pour cela que Poutine
09:10aurait tout intérêt à négocier,
09:12mais tout va dépendre aussi de la pression
09:14qu'il va ressentir en interne comme en externe.
09:16Parce que le pouvoir de Poutine
09:18repose sur la peur qui l'inspire.
09:20Et aujourd'hui, il inspire plutôt de la défiance
09:22et de la fragilité.
09:24Merci de cet éclairage, comme d'habitude,
09:26très intéressant.
09:27Guillaume Ancel, ce matin sur RTL à propos
09:29de cette attaque ukrainienne en territoire russe
09:31depuis le 6 août dernier
09:33dans la région frontalière de Koursk.
09:35On le rappelle, Moscou.

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