Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, était l’invité du Face-à-Face de ce mercredi 19 février. Il évoque notamment la guerre en Ukraine, les négociations entre les États-Unis et la Russie, et la trêve à Gaza.
Catégorie
📺
TVTranscription
00:00Il est 8h32 et vous êtes bien sûr RMC et BFM TV. Bonjour Bruno Tertrais.
00:14Bonjour.
00:14Merci de répondre à mes questions ce matin dans ce studio. On a vraiment besoin de comprendre ce qu'il se joue ces toutes dernières heures, en ce moment même, dans le monde.
00:24Vous êtes le directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique. Je signale également votre livre « La guerre des mondes » sur le retour de la géopolitique et le choc des empires.
00:32La menace russe d'abord et les toutes dernières déclarations d'Emmanuel Macron qui, dans la presse quotidienne régionale ce matin, parle d'une menace russe non pas seulement pour l'Ukraine mais aussi pour nous, pour nous Européens.
00:45Il parle même d'une menace existentielle pour l'Europe. Est-ce qu'il a raison ?
00:49C'est la première fois à ma connaissance qu'il utilise ce langage. D'habitude, c'est plutôt les Polonais, les Baltes ou les Finlandais qui parlent de menaces existentielles et on peut les comprendre. Ils sont voisins.
00:57Alors je crois que quand il dit cela, d'abord il veut prendre conscience, il veut que nous prenions conscience de la gravité des enjeux. Il veut montrer sa solidarité avec les pays de l'Est de l'Europe, y compris ceux qui n'étaient pas à la réunion de lundi.
01:09La première réunion.
01:10La première réunion à l'Elysée l'autre jour. Mais attention, ça ne veut pas dire que la Russie est devenue subitement l'Union soviétique.
01:17Il n'y a pas de menaces existentielles au sens de la destruction physique de l'Europe.
01:22En revanche, c'est vrai qu'il y a une menace existentielle pour l'Europe au sens politique du terme. L'Europe est face à ses responsabilités.
01:28J'ai presque envie d'ajouter par ailleurs que pour moi, il y a désormais aussi une autre menace existentielle au sens politique.
01:35C'est peut-être les États-Unis. Je ne suis pas connu pour être un anti-américain primaire.
01:39Mais le projet de JD Vance, tel qu'il a été exprimé à Munich la semaine dernière, c'est un projet d'affubissement de l'Europe politique.
01:46Donc c'est vrai qu'on a une conjonction particulièrement préoccupante aujourd'hui.
01:51On va essayer de décrypter tout ce que cela veut dire. Mais d'abord, si on reste sur les propos d'Emmanuel Macron face à cette menace,
01:57il dit que nous devons être lucides sur le monde tel qu'il va. On ne peut pas faire l'économie d'une évolution de plus en plus incertaine.
02:05Nous allons devoir renforcer notre autonomie, faire des choix de plus en plus clairs en termes de souveraineté.
02:11Pour le coup, ça, j'ai l'impression que je l'entends depuis maintenant au moins trois ans, peut-être même plus.
02:16On l'entendait déjà au moment du Covid, la question de la souveraineté, la question du renforcement de l'Europe.
02:22Est-ce que ce ne sont que des mots ou est-ce que dans les faits, les réunions qui ont lieu à nouveau aujourd'hui,
02:27qui avaient lieu lundi, sont en effet une sorte de renforcement de la souveraineté et des décisions européennes ?
02:32Vous avez raison de rappeler qu'Emmanuel Macron, il tient ce discours depuis longtemps.
02:36Il avait notamment fait un très grand discours en février 2020 sur la souveraineté européenne,
02:40qui était un petit peu passé à l'as parce que c'était le début du Covid.
02:43Mais il faut lui reconnaître au moins la constance dans ce discours.
02:46La différence, c'est que justement maintenant, ce discours, il a un écho.
02:49La France se garde et c'est tout à son honneur de dire nous avions raison avant tout le monde.
02:53Mais il y a un petit peu de cela quand même.
02:55Rappelez-vous que dès 1958, le général De Gaulle disait on ne pourra pas compter nous Européens éternellement sur les États-Unis.
03:02Et ce discours d'Emmanuel Macron sur l'autonomie stratégique, sur la souveraineté européenne,
03:06il commence vraiment à avoir un écho.
03:08Et c'est vrai que son expérience personnelle, qui est de quelqu'un qui connaît déjà Donald Trump,
03:13c'est le seul président en fonction qui a déjà traité avec Donald Trump, ça va être précieux.
03:17Tous les autres se sont renouvelés effectivement et n'avaient pas connu le Donald Trump en première version.
03:21Ça sera précieux, je pense.
03:22Vous citez le général De Gaulle.
03:24Au fond, c'est aussi là que puise Emmanuel Macron pour organiser ou justifier
03:29que la France soit celle qui organise les réunions qui ont lieu ces jours-ci,
03:32puisqu'il dit la France a une capacité complète de dissuasion, d'autonomie militaire et de dépendance que n'ont pas nos partenaires.
03:39Est-ce que ce qui se joue aujourd'hui, c'est aussi cette question, la question du nucléaire,
03:45le fait que la France, dans ce concert des nations, c'est peut-être la dernière chose qui lui reste, au fond, pour pouvoir peser ?
03:51Non, ce n'est pas la dernière chose qui lui reste.
03:53En revanche, ce qui est vrai, c'est que parce que nous avons déjà, nous,
03:56notre autonomie nationale grâce au général De Gaulle,
03:59on est moins surpris que les autres et davantage près que les autres pays européens
04:03à assumer justement l'idée que l'Europe doit un jour se défendre toute seule.
04:09Maintenant, ce qui va se jouer, c'est notre capacité à entraîner les autres,
04:13notamment l'Allemagne qui reste très récissante,
04:17qui avance très lentement pour des raisons culturelles, historiques et institutionnelles.
04:21Tout le monde ne va pas adopter le modèle français.
04:25Mais cette idée d'autonomie stratégique transposée à l'Europe,
04:28elle s'impose de plus en plus.
04:29Ça passe bien sûr par une augmentation des budgets de défense,
04:32même si, on va peut-être y revenir, je pense qu'il ne faut pas rêver.
04:35En France, on ne va pas passer à 5 %.
04:37Il l'a promis, il dit Emmanuel Macron, mais les autres aussi pour la première fois.
04:40D'ailleurs, l'Allemagne dit qu'elle est prête à ce que les dépenses liées à la défense soient sorties.
04:46C'est un peu complexe, mais on le comprend bien.
04:48Le calcul du déficit de chaque pays aux yeux de l'Union européenne,
04:52normalement, on met tout dans le package.
04:54Et là, pour la première fois, l'Allemagne dit,
04:56on peut sortir la question des dépenses de défense,
04:59que ça ne soit pas, en quelque sorte, pénalisant aux yeux de l'Union européenne,
05:03ce qui permettrait à chacun de gonfler le budget de défense.
05:07On va pouvoir investir davantage sur la défense sans que ça soit pénalisant
05:10au regard de la manière dont l'Union européenne compte les déficits.
05:12Seulement, il ne faut pas rêver.
05:14Un pays comme la France, dans la situation budgétaire et financière qui est la sienne,
05:18ne va pas passer son budget de défense,
05:21qui est d'environ 2% du PIB aujourd'hui,
05:24à 3-4%.
05:26À mon avis, un objectif de 3% en 2030 pour les pays européens,
05:30ce serait déjà énorme.
05:33Il reste quand même un atout français, vous l'avez mentionné, la dissuasion nucléaire.
05:37Il ne faut pas oublier qu'il y a deux pays européens qui ont la dissuasion nucléaire,
05:40la France et le Royaume-Uni.
05:42Et on discute déjà ensemble, entre Français et Britanniques...
05:45On discute à nouveau ensemble, j'ai envie de dire.
05:48Est-ce que c'est une forme presque de réconciliation ?
05:50On a vu effectivement que le Premier ministre britannique
05:53était l'un des premiers à avoir répondu à l'appel d'Emmanuel Macron
05:57et à mettre aussi en scène le fait qu'il décidait ensemble.
06:01Il n'est plus dans l'Union européenne, mais il est à nouveau totalement partenaire.
06:04Nous n'avons jamais rompu les liens de défense et de sécurité avec la Grande-Bretagne,
06:07qui est l'autre grand pays européen, qui a à la fois la capacité, la volonté...
06:11Brexit ou non, ça n'a pas changé là-dessus ?
06:13Non, ça n'a pas changé.
06:14Et j'allais dire que l'arrivée de M. Starmer a permis une sorte de reconnexion
06:18entre l'UE et le Royaume-Uni sur les questions de défense et de sécurité.
06:21Et donc cette question de la dissuasion nucléaire, entre autres,
06:24bien sûr, on en parle avec les Britanniques pour tout simplement se mettre dans le scénario.
06:28Qu'est-ce qui se passe si demain, dans deux jours, dans deux mois, dans deux ans,
06:32M. Trump retire tout simplement, referme le parapluie nucléaire américain ?
06:36Alors précisément, c'est aussi la question,
06:38est-ce que les États-Unis sont en train de lâcher l'Europe ?
06:42Je voudrais d'abord qu'on revienne sur ce qui s'est joué hier à Riyad,
06:45cette rencontre entre Sergueï Lavrov et Marco Rubio,
06:49le ministre des Affaires étrangères russe et le ministre des Affaires étrangères américain.
06:55D'abord, qu'en retenir ?
06:57La première chose qu'il faut en retenir, c'est qu'il y a un effort américain
07:00et encouragé, bien sûr, par les Russes.
07:02Alors, Poutine, il vit sa meilleure vie en ce moment.
07:04Quand il voit Trump arriver et un sommet se tenir, il se dit, ça y est,
07:08on va pouvoir de nouveau traiter avec les Américains.
07:11La réunion qui s'est tenue à Riyad, son premier objectif, ce n'était pas l'Ukraine,
07:14c'était de jeter les bases d'une éventuelle « réconciliation » entre l'Amérique et la Russie.
07:19Avec beaucoup de choses qu'on ne connaît pas encore précisément.
07:22Moi, j'ai regardé la composition des délégations russes et américaines,
07:25il y a des choses très intéressantes.
07:26Il y a par exemple un monsieur qui s'appelle M. Rybolovlev,
07:29dans la délégation russe, qui est quelqu'un qui avait racheté
07:32une propriété de Trump pour 95 millions de dollars en 2008,
07:36au moment où Trump était dans la mouise financière.
07:39Il va y avoir des deals financiers...
07:40Mais qu'est-ce que c'est quoi, là ?
07:41Vous savez...
07:42Ça veut dire quoi ?
07:43Ça veut dire qu'en fait, le deal, il est d'abord économique ?
07:45Ça veut dire que le deal, il est aussi économique et financier.
07:47Et dans les deux sens.
07:48L'Amérique a la capacité de maintenir à flot, si elle le souhaite, l'économie russe.
07:53Elle a aussi la capacité de couler l'économie russe.
07:57Tout ça, ça va être des deals en souterrain
07:59qui s'inscrivent dans le cadre d'une tentative américaine
08:03de reconstruire des ponts, des passerelles avec la Russie.
08:07L'Ukraine est presque un sujet secondaire.
08:10On retrouve finalement l'ambiance des grands sommets soviéto-américains
08:14du début des années 60.
08:16C'est le début de la détente, mais dans un contexte très différent,
08:19y compris à cause de cet aspect, justement, économique et financier
08:22qui n'existait pas à l'époque.
08:23Donald Trump et Vladimir Poutine, qui devraient se rencontrer prochainement.
08:26Donald Trump, dans la nuit, a annoncé qu'ils devraient se rencontrer
08:29avant la fin du mois.
08:31Emmanuel Macron, dans ses fameuses déclarations qu'il a faites
08:34à la presse quotidienne régionale, dit également de Donald Trump
08:37qu'au fond, il aide à faire pression.
08:40Ce sont les mots d'Emmanuel Macron, à faire pression sur la Russie
08:43parce qu'il crée une ambiguïté stratégique.
08:46C'est assez élogieux, finalement, dans l'approche qu'Emmanuel Macron en a.
08:52Emmanuel Macron a très bien compris qu'il y a deux Trumps.
08:56Il y a celui qui est séduit par la Russie de Vladimir Poutine,
09:00mais il y a celui aussi qui ne joue que dans les rapports de force,
09:03qui voit que Poutine n'est pas le même que celui qu'il a connu
09:06dans son premier mandat.
09:07A l'époque, c'était un homme fort.
09:08Aujourd'hui, c'est quand même un homme affaibli.
09:10Et c'est quelqu'un, Trump, qui est prêt à utiliser la force,
09:13les leviers de la force, pas forcément militaires, mais au moins économiques,
09:17pour faire plier la Russie, si celle-ci était un obstacle
09:20au grand deal dont rêve Trump.
09:23C'est-à-dire que Trump, qui se rêve en faiseur de paix,
09:25voire en potentiel prix Nobel de la paix,
09:28il veut presque la paix à tout prix
09:30et il est prêt à faire pression sur la Russie
09:32si la Russie est un obstacle.
09:33Ce mot d'ambiguïté stratégique, c'est-à-dire l'idée qu'il recrée,
09:37je cite encore une fois Emmanuel Macron, de l'incertitude.
09:40Est-ce que ça, c'est de nature, a vraiment changé le game,
09:43j'allais dire, a changé les rapports de force ?
09:45Nous verrons.
09:46Pour l'instant, la Russie a le sentiment qu'elle a les Etats-Unis
09:50de M. Trump dans la poche.
09:51Mais nous verrons, M. Trump est par nature un homme imprévisible
09:54et c'est cela, à mon avis, qu'Emmanuel Macron souligne
09:57quand il parle de l'ambiguïté stratégique de Trump.
09:59Il sait très bien que Trump peut changer d'avis,
10:02il sait très bien que Trump peut faire s'il le souhaite,
10:04peser sur la Russie.
10:05Bruno Tertrais, est-ce que cette scène,
10:08qui a eu lieu en Arabie Saoudite hier,
10:10Etats-Unis-Russie, est une sorte de nouveau Yalta ?
10:13C'est-à-dire, est-ce qu'ils sont en train de se partager le monde ?
10:16Alors, première chose, c'est pas extraordinaire
10:19que les Américains et les Russes se rencontrent,
10:22c'est même plutôt, sur le principe, une bonne chose.
10:25Il est normal que l'Europe ne soit pas là,
10:26l'Europe ne peut pas être là partout,
10:28de même que les Américains ne sont pas là
10:29quand il y a un sommet européen.
10:31Donc, en soi, c'est pas une mauvaise chose.
10:33Je crois effectivement que dans la tête de M. Trump
10:35et de M. Poutine, le modèle dont ils rêveraient,
10:38c'est une forme de partage des zones d'influence,
10:40de partage du monde.
10:41Il y en a certains aux Etats-Unis, dans l'administration Trump,
10:43qui rêvent même de faire la même manœuvre
10:45qu'avait fait Henry Kissinger en 1972.
10:48C'est-à-dire, à l'époque, Kissinger avait réussi
10:50à séparer la Chine de la Russie.
10:52Il y en a, dans l'administration Trump,
10:54qui rêvent de séparer la Russie de la Chine.
10:56À mon avis, ils n'y parviendront pas,
10:58mais en tout cas, ce rêve existe.
11:00Donc oui, ce sont vraiment des grandes manœuvres diplomatiques
11:03qu'on n'a pas connues depuis très longtemps.
11:05Avant de parler, Bruno Tertrais,
11:06de ce qui pourrait se jouer pour l'Ukraine
11:09et d'une éventuelle fin de la guerre,
11:10est-ce que ce serait une capitulation ?
11:12Est-ce que ce serait un arrêt de la guerre ?
11:14Je voudrais quand même dire un mot de l'Arabie Saoudite
11:16et de la Turquie.
11:17L'Arabie Saoudite, d'abord, pourquoi ça se passe là-bas ?
11:19Quel est son rôle ?
11:20Qu'est-ce qu'elle attend ? Qu'est-ce qu'elle veut ?
11:21Tout simplement parce que l'Arabie Saoudite,
11:23aujourd'hui, a d'excellentes relations
11:24avec Washington et avec Moscou.
11:26Il fallait trouver une sorte de terrain neutre.
11:28La Turquie, c'était une possibilité,
11:30mais c'est différent parce que la Turquie est quand même
11:32un allié officiellement des Etats-Unis et de l'OTAN.
11:36Je pense que la Turquie est très jalouse, d'ailleurs,
11:37de ne pas avoir accueilli ces pourparlers.
11:39Erdogan, hier soir, a dit qu'il proposait
11:42que la Turquie accueille des futures négociations.
11:44Bien sûr.
11:45Et c'est également ce que semble souhaiter
11:47Volodymyr Zelensky.
11:48C'est une possibilité.
11:49Il y a un précédent.
11:50Les premières discussions sur un possible arrêt de la guerre
11:53dès février-mars 2022 s'étaient tenues à Istanbul.
11:56Et la Turquie est très fière de montrer
11:58quel peut être l'endroit où on se rend compte
12:00et éventuellement, on fait la paix.
12:02Mais l'Arabie Saoudite, c'était, j'allais dire,
12:04un choix assez logique au vu des très bonnes relations
12:06qu'entretient ce pays, à la fois avec l'administration Trump
12:09et avec la Russie.
12:10La question de la suite pour l'Ukraine.
12:12Quel avenir pour l'Ukraine ?
12:14Quels sont les mots sur la table aujourd'hui ?
12:16Est-ce qu'on parle de cesser le feu ?
12:17Est-ce qu'on parle de paix ?
12:19Est-ce qu'en réalité, on parle de capitulation ?
12:21Alors, vous mettez le doigt sur la question du moment
12:23s'agissant des discussions sur l'Ukraine.
12:25Certains disent, ce qu'il faut d'abord,
12:27c'est un cesser le feu.
12:28Le reste, on verra après.
12:29D'autres, comme les Européens,
12:30et ça, c'est un message très fort qui est sorti
12:32de la réunion de lundi à l'Elysée.
12:34Attention, pas de cesser le feu,
12:36sans un accord de paix,
12:38plutôt d'une stabilisation de la situation
12:42qui aboutisse à un arrêt durable des combats.
12:47Ça, c'est une position européenne
12:49qui est sortie de l'Elysée l'autre jour.
12:50C'est important parce que, à mon avis,
12:52Trump et Poutine, ce qu'ils veulent essentiellement,
12:54enfin, Trump, à mon avis, il veut surtout
12:56un cesser le feu, pouvoir dire,
12:57j'arrive et la guerre s'arrête,
12:59les combats s'arrêtent.
13:01Poutine, il a besoin, sans doute,
13:03d'un cesser le feu temporaire
13:04pour pouvoir régénérer ses forces
13:06et repartir à l'offensive après.
13:08Ce qu'il dit, c'est que, moi,
13:10je suis prêt à faire la paix
13:12du moment que l'Ukraine est dénazifiée,
13:14démilitarisée, qu'elle ne rentre pas dans l'OTAN
13:16et je ne veux pas de troupes étrangères
13:18sur le sol ukrainien.
13:20Donc, on n'est pas du tout dans la situation
13:22où toutes les parties concernées,
13:23Ukraine, Etats-Unis, Europe et Russie,
13:25sont d'accord pour les paramètres
13:27d'un cesser le feu durable.
13:28On n'y est pas du tout.
13:29Vous parliez de la question
13:31de l'envoi ou non de troupes au sol.
13:33On a entendu, à la sortie de la réunion
13:35à l'Elysée lundi soir,
13:37le premier ministre britannique,
13:38mais également la Suède,
13:39qui disait, au fond, pourquoi pas
13:41envoyer des troupes pour faire
13:43respecter le processus de paix.
13:45Emmanuel Macron, lui,
13:46dit à nouveau dans cette interview
13:48que la France, je cite,
13:50ne s'apprête pas à envoyer des troupes au sol,
13:52mais nous réfléchissons à des garanties
13:54de sécurité.
13:56Quel rôle pourraient
13:58jouer les Européens
14:00s'il y avait paix ?
14:01Ce serait dans un deuxième temps.
14:02La phrase d'Emmanuel Macron est assez ambigüe
14:04parce que, dans les faits,
14:05les Etats-majors préparent déjà
14:07des scénarios dans lesquels il y aurait
14:09des forces britanniques, françaises,
14:11sans doute suédoises, peut-être danoises
14:13et d'autres, qui seraient là pour garantir
14:15la paix.
14:16A mon avis, ce qu'a voulu dire Emmanuel Macron,
14:18c'est que nous ne nous apprêtons pas
14:20à envoyer des troupes de combat
14:22en Ukraine.
14:23Nous n'irons pas nous battre en Ukraine.
14:25Il revient sur la fameuse phrase
14:28qu'il avait fuitée de l'Elysée
14:30il y a près d'un an, où il disait
14:32qu'il ne fallait pas s'interdire
14:34la possibilité d'envoyer des troupes.
14:36C'était justement la fameuse ambiguïté.
14:38Oui, c'est cette ambiguïté stratégique
14:40dont il est très fier, et à mon avis,
14:42c'est plutôt une ambiguïté créative.
14:44Mais là, il est important de rassurer, à mon sens,
14:46l'opinion française pour dire
14:48qu'on ne va pas aller faire la guerre en Ukraine.
14:50A l'époque, il parlait de faire de la formation
14:52d'Ukrainiens en Ukraine.
14:54Aujourd'hui, la seule chose
14:56éventuellement envisagée,
14:58c'est d'envoyer des troupes françaises,
15:00des combattants en uniforme,
15:02mais qui ne sont pas là pour faire la guerre.
15:04Une sorte de casque bleu ?
15:06Mais justement,
15:08elle est où l'ONU dans cette histoire ?
15:10On n'arrête pas de se demander
15:12où est l'Europe, mais où est l'ONU ?
15:14Oui, mais l'ONU ne peut pas exister
15:16lorsque l'Amérique,
15:18la Russie, la Chine,
15:20la France, la Grande-Bretagne,
15:22ne sont pas d'accord.
15:24Dès lors qu'il y a un pays membre
15:26du Conseil de sécurité, un membre permanent,
15:28la Russie, qui est directement
15:30responsable de la guerre.
15:32Donc l'ONU ne peut pas exister dans ces circonstances.
15:34Est-ce que vous êtes optimiste
15:36à court terme, à moyen terme,
15:38ou est-ce que vous vous dites ce qui est en train de se jouer
15:40vraiment là, dans les 48 heures qu'on vient de vivre
15:42et dans ce moment-ci,
15:44c'est un vrai basculement ?
15:46Je suis modérément optimiste,
15:48c'est-à-dire que je constate que les Européens
15:50qui étaient, il y a encore 6 mois,
15:52dans les phares d'une voiture en voyant arriver Trump
15:54et qui étaient tétanisés,
15:56le sont de moins en moins et que le sursaut,
15:58l'idée du réveil, l'idée surtout
16:00selon laquelle nous allons probablement
16:02devoir nous passer en grande partie
16:04de l'Amérique pour notre défense dans les 10 ans
16:06qui viennent, c'est une idée qui est
16:08vraiment en train de faire son chemin.
16:10Donc j'ai un optimisme relativement modéré.
16:12Je suis aussi relativement optimiste
16:14quant à ce que la Russie peut faire contre l'Europe.
16:16La Russie ne peut pas envahir l'Europe,
16:18elle peut tout au plus faire mal
16:20à un pays
16:22comme l'Estonie
16:24ou la Pologne, mais ça,
16:26il faut penser désormais maintenant à effectivement
16:28se défendre contre ce scénario.
16:30Je voudrais qu'on évoque la famille Bibas dans un instant,
16:32mais un dernier mot sur ce que vous venez de dire sur l'Europe.
16:34Est-ce que
16:36l'option d'une entrée de l'Ukraine
16:38dans l'Union Européenne,
16:40dans l'OTAN, on a bien compris que ça s'était sans doute
16:42exclu, dans l'Union Européenne ?
16:44Dans l'Union Européenne, c'est déjà prévu,
16:46en tout cas, c'est déjà envisagé.
16:48Le processus est envisagé.
16:50Et d'ailleurs, je pense qu'une des issues
16:52des grandes négociations en cours,
16:54ce sera le calendrier
16:56du rapprochement entre l'Ukraine et l'Union Européenne.
16:58Je rappelle que nous ne sommes pas engagés à prendre l'Ukraine,
17:00simplement, on s'est engagé à
17:02entamer le processus d'adhésion.
17:04La seule chose, c'est que l'Amérique ne pourra pas
17:06nous forcer à prendre l'Ukraine
17:08dans l'Union Européenne
17:10en échange d'un renoncement
17:12à l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN,
17:14au moins pour l'instant.
17:16Il y a ce qui se joue entre Israël,
17:18le Hamas, la question de la Palestine.
17:20La famille Bibas n'est plus.
17:22La mère Chiri,
17:24les deux petits, Ariel et Kfir,
17:26dont les visages, l'innocence,
17:28la terreur de la mère,
17:30lorsqu'elle a été enlevée,
17:32elle et ses deux petits qu'elle tenait dans les bras,
17:34leur corps devrait être rendu demain par le Hamas.
17:36Est-ce que c'est un tournant de plus ?
17:38Oui, c'est un tournant de plus
17:40parce que cette famille
17:42a tellement symbolisé
17:44le martyr des populations israéliennes
17:46qui ont été enlevées,
17:48torturées, tuées
17:50le 7 octobre
17:52que je crois que malheureusement
17:54c'est un nouvel
17:56clou sur le cercueil
17:58de cette expression.
18:00Mais l'idée selon laquelle on peut vivre
18:02en paix, coexister de manière pacifique
18:04entre Israéliens et Palestiniens
18:06dans les années qui viennent,
18:08cette idée, malheureusement, elle est enterrée
18:10pour longtemps et je crois que
18:12le retour des corps de la famille Bibas
18:14va sans doute persuader
18:16ceux des Israéliens
18:18qui croyaient encore à la paix
18:20que décidément cette paix n'est pas possible aujourd'hui.
18:22Pourquoi ? Parce que cette famille, au fond,
18:24c'est la question de l'humanité,
18:26c'est la question du vivre ensemble,
18:28de l'accompagnement.
18:30C'est plus qu'une question de conflit,
18:32de guerre ? Oui, bien sûr, c'est une question
18:34d'humanité. Ce petit
18:36enfant Kherbibas
18:38qui a été enlevé
18:40alors qu'il avait un an, je crois,
18:42il symbolise, justement,
18:44quelque chose qui dépasse
18:46de très loin la question des
18:48rapports de force entre Israël,
18:50Hamas, l'Iran, etc.
18:52Quand on voit, quand vous êtes Israéliens,
18:54que vous voyez ces images,
18:56que vous voyez le destin de cet enfant et de cette famille,
18:58vous vous dites, c'est comme ça,
19:00vous vous dites, je ne peux pas
19:02coexister de manière pacifique avec ces gens-là.
19:04Ça ne veut pas dire que la guerre va reprendre
19:06à cause de l'arrivée
19:08de leur cercueil,
19:10mais ça veut dire au moins que
19:12l'idée que le 7 octobre pouvait déclencher
19:14à la fin quelque chose de positif et renouer
19:16avec le processus de paix,
19:18à mon sens, on n'en est pas du tout là.
19:20Et au contraire, c'est plutôt
19:22quelque chose qui va reculer
19:24encore un peu plus l'idée d'une paix durable.
19:26Vous publiez, Bruno Tertrais, ces jours-ci,
19:28d'ailleurs, un livre sur Israël.
19:30Oui, la question israélienne, effectivement,
19:32où je reviens sur
19:34ces récits, ces récits d'incompatibilité
19:36entre,
19:38d'un côté, un État
19:40qui s'est installé dans la région
19:42suite à un mouvement de libération nationale
19:44et, finalement, de décolonisation,
19:46et un peuple arabe,
19:48un peuple palestinien, qui s'est construit, lui aussi,
19:50une identité nationale.
19:52Et je finis par dire, à la fin,
19:54même si j'ai une certaine sympathie pour
19:56Israël, le pays, pas son gouvernement,
19:58que la solution
20:00à deux États, que tout le monde dit mort et enterré,
20:02est la pire des solutions
20:04possible, à l'exception de toutes les autres.
20:06Merci, Bruno Tertrais, d'être venu répondre
20:08à mes questions ce matin. Je rappelle également
20:10l'autre livre, La guerre des mondes,
20:12retour de la géopolitique et du choc des
20:14empires. Vous êtes le directeur adjoint de la
20:16Fondation pour la recherche stratégique. Merci à vous.