Qu’est-ce qui fait qu’un travailleur en France, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas ou en Allemagne peut se sentir honoré ou respecté dans son environnement professionnel ? Pourquoi certaines sociétés valorisent-elles l’indépendance et l’individualisme, tandis que d’autres mettent l’accent sur l’appartenance à un groupe ou le devoir collectif ?
Aujourd'hui, nous allons explorer ces questions passionnantes, en remontant le fil des histoires sociales et culturelles de pays aux trajectoires uniques, mais liés par des systèmes de valeurs profondément ancrés dans leur passé. Nous allons découvrir comment des événements historiques majeurs, des luttes pour la liberté, ou des héritages médiévaux ont façonné notre manière de travailler, de nous organiser et de respecter l’autorité. Pour nous éclairer, nous avons interrogé l’un des plus grands spécialistes de ces sujets : l'anthropologue Philippe d’Iribarne.
Aujourd'hui, nous allons explorer ces questions passionnantes, en remontant le fil des histoires sociales et culturelles de pays aux trajectoires uniques, mais liés par des systèmes de valeurs profondément ancrés dans leur passé. Nous allons découvrir comment des événements historiques majeurs, des luttes pour la liberté, ou des héritages médiévaux ont façonné notre manière de travailler, de nous organiser et de respecter l’autorité. Pour nous éclairer, nous avons interrogé l’un des plus grands spécialistes de ces sujets : l'anthropologue Philippe d’Iribarne.
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00:00Bonjour à tous. Qu'est-ce qui fait qu'un travailleur en France, aux Etats-Unis, aux
00:26Pays-Bas ou en Allemagne, peut se sentir honoré ou respecté dans son environnement professionnel.
00:31Pourquoi certaines sociétés valorisent-elles l'indépendance et l'individualisme,
00:35tandis que d'autres mettent l'accent sur l'appartenance à un groupe ou le devoir
00:39collectif ?
00:40Aujourd'hui, nous allons explorer ces questions passionnantes en remontant le fil des histoires
00:43sociales et culturelles de pays aux trajectoires uniques, mais liées par des systèmes de
00:48valeurs profondément ancrés dans leur passé. Nous allons découvrir comment des événements
00:52historiques majeurs, des luttes pour la liberté ou des héritages médiévaux, ont
00:56façonné notre manière de travailler, de nous organiser et de respecter l'autorité.
01:01Et pour cela, qui de mieux pour nous éclairer que l'un des plus grands spécialistes de
01:05ces sujets, Philippe Diribarne.
01:07Philippe Diribarne, bonjour.
01:09Bonjour.
01:10Vous êtes sociologue, anthropologue, économiste et ingénieur de formation X plus mine, mais
01:15cela ne nous a pas empêché également d'être diplômé de Sciences Po Paris. Et vous êtes
01:20directeur de recherche au CNRS. Depuis plusieurs décennies, vous explorez la manière dont
01:26les cultures nationales façonnent les modes de gestion, les rapports au pouvoir et les
01:31conceptions de la démocratie. Votre ouvrage majeur, qui est constamment réédité, La
01:36logique de l'honneur, paru pour la première fois au Seuil en 1989, a mis en lumière les
01:41spécificités du rapport au travail en France, en les comparant au modèle néerlandais-américain.
01:46Et une étude que vous avez étendue, nous allons en reparler, à d'autres pays.
01:50Alors, je termine cette présentation quand même en citant quelques-uns d'autres de
01:54vos ouvrages, notamment Cultures et mondialisation, au Seuil en 1998, où vous montrez comment
02:01les identités culturelles résistent à l'uniformisation. L'étrangeté française, une exploration
02:06des spécificités culturelles françaises, toujours au Seuil en 2006. Et plus récemment,
02:13devant La démocratie, 2013, chez Gallimard, et Les immigrés de la République, en 2017,
02:19toujours chez Gallimard. Ouvrage dans lequel vous explorez les tensions entre valeurs démocratiques
02:27et traditions culturelles, et les défis de l'intégration en France. Et puis, dernier
02:31ouvrage en date, en 2024, chez Salvatore, Au-delà des fractures chrétiennes. Mais
02:36aujourd'hui, notre sujet, c'est le travail. Alors, dans votre ouvrage, La logique de l'honneur,
02:42vous soulignez que la culture du travail est façonnée par un héritage historique.
02:47Alors, en quoi les événements fondateurs de l'histoire de chaque pays ont-ils influencé
02:51la manière dont ces sociétés abordent le travail aujourd'hui ? Est-ce que c'est
02:56systématique ?
02:57Les sociétés, déjà, toutes les sociétés démocratiques, sont confrontées à une question
03:04majeure qui s'est posée de manière très forte à la fin du XVIIIe, et qui a traîné
03:09au cours du XIXe, du XXe, enfin, qu'on appelait souvent la question sociale. C'est comment
03:14faire, comment faire, comment réconcilier la figure idéale du citoyen libre d'une
03:21société démocratique, égale à tous ses concitoyens, avec la réalité sociale de
03:27l'individu qui travaille pour une entreprise, qui travaille pour un patron, qui travaille
03:33et qui est hérité de la figure sociale du domestique, c'est-à-dire.
03:38Et au début, du reste, au moment des Lumières, si vous voulez, la première réaction était
03:44de dire que celui qui travaillait pour autrui ne pouvait pas être un citoyen, hein, a été
03:49privé de la citoyenneté, a été privé du droit de vote, et on trouve des paroles
03:54du reste terribles chez, aussi bien chez Seyest, chez Kant, enfin Kant est très dur
04:01pour celui, l'idée que celui qui travaille pour autrui, ou chez Locke, n'est pas vraiment
04:05un vrai citoyen. Et comme il était impossible, disons, vu la force de cette promesse, disons,
04:14que tout le monde serait des vrais citoyens, la démarche qui a été suivie, disons, dans
04:21l'ensemble des pays qui se lançaient dans la démocratie, a été de transformer les
04:26rapports de travail en fonction, et de manière, je veux dire, à leur rendre compatible avec
04:33la figure du citoyen digne, travaillant librement pour quelqu'un d'autre. Alors, dans cette
04:37démarche, au fond, chaque pays a hérité de la figure de l'homme libre, et en particulier
04:45de celui qui, tout en étant dans un rapport de subordination, reste néanmoins un homme
04:53libre et un homme digne, qui existait dans la société correspondante, et qui existait
05:02tout au long de l'ancien régime, qu'on retrouve au Moyen-Âge, et qu'on retrouve
05:08souvent bien avant, quand on a des données permettant de remonter dans le temps. Alors,
05:14je dirais que, dans l'univers anglo-américain, enfin anglais puis américain, la figure,
05:23disons, la figure respectable, c'est celui du fournisseur indépendant, qui travaille
05:30pour un client, mais qui travaille pour un client en restant son propre maître, en gérant
05:35ses propres affaires, et donc en étant en rapport avec son client par un contrat qui
05:42va fixer. Et Tocqueville, par exemple, déjà s'étonnait aux États-Unis de voir que le
05:49rapport même entre le serviteur et le maître, ce qu'il appelait dans son vocabulaire le
05:54serviteur et le maître, répondait à cette figure. Dans l'univers germanique, l'homme
06:01digne, c'est celui qui participe à, avec l'ensemble des membres d'une communauté,
06:09au bien de la communauté et qui a une tâche qui prend son sens, disons, par rapport au
06:16bien de l'ensemble de la communauté. Et c'est quelque chose qui a été beaucoup développé
06:20par Luther, qui a beaucoup insisté sur le fait que tout travail aussi peu considéré
06:28était-il auparavant était une tâche faite et une mission. Enfin, le terme berouf, c'est
06:33au fond, qui était emprunté à un vocabulaire religieux, était une vocation, était une
06:38vocation et, au fond, on a un ensemble de deux personnes qui sont parfaitement dignes
06:43dans la mesure où elles obéissent à leur vocation et dans lequel elles ont une responsabilité
06:50d'ensemble dans la communauté. Alors en France, si vous voulez, on a encore une troisième
06:54figure, si vous voulez, qui est celui qui est traité conformément à son rang. Rang
07:06qui l'occupe de la société, donc qui à la fois est traité avec les égards correspondant
07:11à son rang et qui en même temps est tenu par les devoirs qui sont inéluctables à
07:16son rang. Et donc, c'est, j'ai parlé de logique de l'honneur.
07:19– Vous appelez ça la logique de l'honneur, donc je voudrais définir cette forme d'honneur
07:23parce que l'honneur, ça peut recouvrir plusieurs formes.
07:26– Voilà, tout à fait. C'est l'honneur tel que le décrit Montessieu dans l'Esprit
07:31des Lois qui est effectivement différent de l'honneur andalou tel que l'a écrit
07:37Pitri Verse ou que l'honneur maghrébin Kabyle tel que l'a écrit Bourdieu, etc.
07:41Disons que c'est une forme d'honneur. C'est une forme d'honneur qui est centrée,
07:47Montessieu dit que dans les monarchies, dans les choses qui sont une forme d'honneur,
07:53nos devoirs sont moins ceux qui nous rapprochent de nos concitoyens que ceux qui nous en distinguent.
07:59Et donc, dans lequel il montre qu'il s'agit d'être à la hauteur, d'être digne des devoirs liés à son rang,
08:09à la fois ne pas accepter de déchoir en acceptant des choses qui sont indignes de son rang
08:16et en même temps ne pas déchoir en n'étant pas à la hauteur soi-même.
08:19Ce que le président Mitterrand avait remarquablement exprimé dans un contexte moderne,
08:26dans cette vision, quand elle interrogeait sur son mandat, avait répondu
08:32mon mandat c'est une noblesse et je veux en être digne de la manière que je déciderai.
08:38Enfin tout y était, la noblesse, le rang, etc. L'idée de dignité, on doit être à la hauteur.
08:43– L'idée qu'il y ait quelque soit le rang finalement.
08:45– Quelque soit le rang, oui alors ceci, je crois que c'est effectivement très frappant
08:51et c'est qu'après la Révolution française, la conquête de la Révolution française
08:57n'a pas été d'abolir une société de rang post-révolutionnaire
09:02et rester tout autant une société de rang que l'était la société pré-révolutionnaire
09:08mais à la fois de transformer le fondement des rangs en mettant, disons, l'accent
09:16sur ce que la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789
09:21appelle les vertus et les talents, donc la raison, etc.
09:25Et deuxièmement, en étendant au maximum, alors peut-être on va en parler à propos du travail
09:31parce que quand on arrive vers les bas de la société,
09:34ça commence à devenir un petit peu difficile, mais en tout cas en étendant au maximum
09:39avec en particulier au XIXe siècle toute l'apparition de l'aristocratie ouvrière,
09:44soit tout un terme qui est quand même très éloquent,
09:48de cette société de rang avec la fierté du rang,
09:54la fierté du rang, les devoirs du rang et le refus de plier.
10:02– Et c'est aussi la fierté du travail et du travail bien fait ?
10:05– Alors c'est bien sûr la fierté du travail bien fait,
10:07et la fierté du travail bien fait, la fierté du travail bien fait
10:11n'étant pas le travail bien fait tel que vos patrons vous disent qu'il est bien fait,
10:17ou même tel que le client vous dit qu'il est bien fait,
10:20mais du travail bien fait selon les canons du corps social auquel on appartient.
10:28Voilà, on a fait un beau travail, et une chose qui est frappante par exemple,
10:33c'est par rapport à l'image du travail bien fait américaine
10:36dans lequel compte ce que le client va vouloir payer pour le travail.
10:41Je me souviens l'ingénieur de l'automobile me disant,
10:44mais nous c'est une audition des américains,
10:47que même si une partie de la voiture n'est absolument pas visible par le client,
10:51n'a aucune importance pour le client,
10:53notre fierté c'est qu'elle soit aussi impeccable que celle qui sera visible par le client.
10:58– Alors je demande, cette forme d'honneur,
11:01quelle est son origine, vous l'avez dit, pré-industriel,
11:06parce que finalement cet honneur il est lié à la reconnaissance professionnelle,
11:09c'est décorrélé de la rémunération.
11:11– Alors l'origine, on a un bon travail de Marc Bloch,
11:17l'historien Marc Bloch dans la société féodale,
11:21qui comparait déjà au Moyen-Âge, si vous voulez,
11:28la France, l'Allemagne et l'Angleterre,
11:32et qui étudiait ce qui permettait dans chacun de ces trois pays
11:39d'échapper à la condition servile, à la condition du serf.
11:44Et donc il montrait, déjà à cette époque,
11:48on trouvait les conceptions de l'homme libre, de l'homme respectable,
11:55qui ont à la fois beaucoup évolué dans leur contenu concret,
12:03mais sont restées finalement, ont gardé une structure très semblable.
12:09Et on voyait, par exemple dans la France médiévale,
12:13l'opposition entre la figure du vassal et la figure du serf.
12:17Parce qu'au fond, le vassal a été à la fois subordonné de son suzerain,
12:24mais à certains égards, son égal, l'hommage de bouche et de main, etc.
12:29Enfin, il y avait toute une série, dans la cérémonie de foi et d'hommage,
12:34il y avait des éléments de subordination,
12:36mais également des éléments d'égalité.
12:38Et ce que souligne, disons, Marc Bloch,
12:40c'était vraiment une caractéristique, disons, du vassal,
12:44c'est qu'on ne pouvait rien lui demander
12:47qu'il soit attentatoire à son rang.
12:49Alors ça, ça a été bien développé par Montesquieu,
12:54disons, à propos de la France de son époque.
12:56Mais la continuité est très grande.
12:58Et ça a été repris, disons, par la France révolutionnaire.
13:02– Je voudrais revenir vraiment à cette origine.
13:05D'où vient-elle cette origine ?
13:06Pourquoi est-elle spécifiquement française par rapport aux autres pays ?
13:11– Alors, on constate qu'au Moyen-Âge, vraiment,
13:14la France, l'Angleterre et l'Allemagne étaient très différentes.
13:20Alors, c'est plus ou moins facile de remonter dans le temps,
13:23disons, en deçà.
13:24Alors, le plus facile pour remonter dans le temps,
13:26c'est l'Allemagne.
13:28C'est l'Allemagne, parce qu'on a déjà le Tacite,
13:32Demoribus Germanum, etc.,
13:35et dans lequel on trouve déjà ça, chez Tacite.
13:39Et même, disons, chez Benveniste, l'induiste Benveniste,
13:44quand il étudie le vocabulaire de la liberté
13:48et qu'il compare le vocabulaire de la liberté allemand
13:52au vocabulaire de la liberté français,
13:56il montre que ce n'est pas du tout les mêmes origines.
13:58Ce n'est pas du tout les mêmes origines.
14:00Et qu'il y a un lien, déjà, entre l'idée de la liberté allemande
14:06avec l'image du groupe de pères,
14:09d'un groupe de pères très aristocratique,
14:12qu'on ne confond pas, disons, avec le petit peuple.
14:17Et que, on a les repères Benveniste, Tacite,
14:23et puis on a le Moyen-Âge, Luther, etc.,
14:27on peut suivre ça, etc.
14:29C'est plus difficile de remonter au-delà de l'époque médiévale
14:35pour la France et l'Angleterre.
14:39Alors, on a l'impression, en Angleterre,
14:43que, quand même, une période très, très décisive
14:47a été l'invasion de Guillaume Leconquérance.
14:53Parce qu'on voit, quand même, dans l'imaginaire anglais,
14:56on voit aussi bien la littérature, le cinéma anglais,
15:04ou quand on lit des auteurs, quand on voit chez Locke,
15:08l'importance de prendre cette question,
15:10de, finalement, dépendre d'un peuple étranger.
15:13Au fond, la négociation, disons,
15:17dont le rapport a été un peuple étranger,
15:19c'est on travaille pour vous, mais on reste nous.
15:23Enfin, voilà, on se tient à distance.
15:26On est à l'opposé de la communauté allemande.
15:29Donc, il y a des travaux comparatifs très intéressants,
15:33disons, qui ont été faits en opposition
15:37entre l'Angleterre et l'Allemagne, disons,
15:39au 18e, 19e, 20e, etc., dans lesquels on voit
15:43que le rapport à la communauté est totalement opposé.
15:46En anglais, c'est surtout, je n'appartiens pas à la communauté.
15:50Je suis de l'extérieur pour la communauté.
15:52La communauté, c'est mon client.
15:55Alors qu'en Allemagne, c'est au contraire,
15:58j'appartiens pleinement à la communauté
16:00et je suis co-responsable intérieur de ma communauté.
16:03– Alors, comment cette logique de,
16:05on va rester en France pour l'instant,
16:06comment cette logique de l'honneur marque-t-elle
16:08les rapports avec la hiérarchie ?
16:10– Alors, les rapports, si vous voulez, avec la hiérarchie,
16:13donc dans les rapports avec la hiérarchie,
16:15donc ceux qui sont, alors, il y a les rapports souhaités
16:18et puis les rapports vécus.
16:21Et donc, un aspect important dans la situation actuelle,
16:24c'est souvent le hiatus qui s'est créé
16:27entre les rapports qui font référence et les rapports vécus.
16:31Alors, les rapports souhaités,
16:33c'est qu'un individu est un homme de métier,
16:39à qui on fait confiance,
16:42qu'il n'a pas besoin qu'on lui dise comment il doit faire son travail
16:47et qui tient beaucoup à marquer que le travail qu'il fait,
16:53c'est en fonction d'abord de sa conscience professionnelle.
16:59Et donc, dans cette vision, si vous voulez,
17:04il y a plusieurs figures du supérieur.
17:09Il y a la figure du supérieur
17:12qui appartient au même corps professionnel que ses subordonnés.
17:17On a ça, par exemple, dans des hiérarchies de cadres,
17:23entre des gens qui sortent de la même école,
17:26plus anciens, plus jeunes,
17:28dans lesquelles, finalement, on se retrouve entre soi,
17:33et dans lesquelles on a une hiérarchie,
17:39on retrouve une sorte de hiérarchie entre égaux,
17:42plus anciens, moins anciens, etc.
17:47On a des formes d'autorité,
17:52je veux dire, tout à fait à l'autre bout,
17:56qui ressemblent à l'autorité
17:58où tu pouvais avoir un intendant sur le paysan.
18:02Alors, l'intendant était nommé par son maître,
18:07était, au fond, à la fois méprisé par les paysans,
18:12qui le considéraient comme le valet du maître,
18:14et que le paysan se sentait comme plus un homme libre que l'un,
18:18mais en même temps, le paysan était dépendant du maître.
18:23Alors, ceci se passant à tous les niveaux,
18:25parce que c'était vrai,
18:26entre les grands et les intendants,
18:29au sens des intendants du roi.
18:30– Oui, oui.
18:32– Tocqueville studia ça, enfin, voilà,
18:34les grands méprisaient beaucoup les intendants
18:37qui étaient souvent issus de basse classe,
18:40mais enfin, néanmoins, devaient en passer par leur autorité.
18:46Et puis, vous avez aussi, disons, une forme d'autorité
18:53qui est liée à celui dont on respecte le savoir,
18:58qui est celui qui a vraiment,
19:01et d'où l'importance des diplômes en France, etc.
19:04Et donc, au fond, dont on admet que,
19:09si c'est des choses qu'on ne sait pas…
19:11– Ça peut être l'ancien aussi, j'imagine.
19:13– C'est différent de l'ancien.
19:14Non, parce que l'ancien appartient à la même corporation,
19:17à le même genre de savoir que soi.
19:19C'est différent de celui qui a un autre savoir que soi.
19:22Et qu'en particulier, celui qui a un autre savoir que soi,
19:25que soi a un rôle très important,
19:28qu'il s'agit de coordonner des gens qui appartiennent à des métiers différents.
19:31Parce que là, du coup, on a besoin de quelqu'un
19:34qu'on dit qui ait une vision plus holiste, etc.
19:39Donc ça, c'est quand ça fonctionne bien.
19:41Alors, quand ça ne fonctionne pas bien,
19:44il y a toute une série de situations.
19:47– Mais voilà, comment se passent les conflits ?
19:49Ça les rend plus violents ?
19:50– D'abord, peut-être, il y a les gens qui n'ont pas un vrai métier.
19:55On l'a vu beaucoup, par exemple, au moment du Covid,
19:59on dit mais au fond, tous ces gens qu'on ne respecte pas
20:01parce qu'ils n'ont pas un vrai métier,
20:03là, tout d'un coup, on les a magnifiés parce qu'ils jouaient un rôle essentiel.
20:06Mais finalement, ensuite, ils sont retombés…
20:08– À contrario, les fameux boutils de job, on n'en est pas besoin.
20:11– Voilà, tout ça.
20:13Et puis, donc, il y a les gens qui sont traités en exécutant,
20:17alors qu'ils estiment avoir une compétence, etc.
20:19Et actuellement, c'est, par exemple, ce qui est vrai, pas mal,
20:23dans toute une population de cadres qui est soumise à…
20:28voilà, qui a des objectifs, des clés performance index, etc.
20:34et qui doit rendre des tas de comptes, etc.
20:37Alors, par ailleurs, une des raisons pour lesquelles,
20:41dans ce monde de classe, ça se passe mal,
20:43c'est qu'a été transféré en France le modèle américain du manager.
20:47Alors, le manager, ce n'est pas quelqu'un qui a un métier.
20:51Le manager, c'est quelqu'un qui vous fixe des objectifs
20:55et qui contrôle que vous ayez réussi ou non les objectifs.
20:59Alors, dans un contexte américain, le modèle et les rapports
21:05entre le manager et le managé, à la fois rentrent bien dans ce modèle
21:10de, au fond, mon manager et mon client,
21:13il me fit des objectifs comme mon client me fait passer une commande,
21:18et il me laisse libre pour me débrouiller, etc.
21:21Et puis, par ailleurs, nous sommes deux citoyens américains,
21:24parfaitement égaux, il ne s'agit pas que mon manager joue…
21:28Alors, vu, revu en France, il y a, au fond, deux interprétations opposées,
21:37je veux dire, de ce modèle du manager.
21:39Il y a à la fois, il y a le manager,
21:41qui a bien compris le système français,
21:43qui ne joue pas le rôle du manager
21:45et qui reste dans le modèle classique de mon subordonné,
21:52s'il est compétent, je ne vais pas lui dire ce qu'il a à faire,
21:57il doit comprendre lui-même ce qu'il a à faire.
22:03Et puis, la mauvaise version, dans laquelle
22:07celui qui est chargé d'être manager se prend au sérieux
22:12et considère que d'être manager lui donne un rang supérieur à celui du manager.
22:19Et là, on retrouve la problématique de l'intendant.
22:22Parce qu'au fond, finalement,
22:23qu'est-ce qu'il doit donner la possibilité de commander ?
22:27C'est que des chefs encore plus hauts
22:29lui ont délégué une possibilité de commander.
22:32Et alors là, si vous voulez, la voix de son maître, etc.
22:36En fait, une série d'appellations extrêmement péjoratives
22:39sur celui qui se comporte ainsi.
22:41– Alors, je voulais parler des conflits,
22:43mais finalement, je voulais d'abord savoir
22:44si dans l'histoire, il y a eu des ruptures
22:46dans cette logique de l'honneur français,
22:48est-ce que la Révolution française, la Révolution industrielle,
22:51voire mai 68, ont apporté des ruptures à cette logique ?
22:54– Ce qui est frappant, c'est qu'à la fois,
22:56il y a des ruptures et sur lesquelles on revient.
22:59C'est la Révolution française, la loi Le Chapelier,
23:02l'interdiction des corporations,
23:04et on voit, quand on voit la littérature d'époque,
23:07on voit magnifier le contrat.
23:10C'est-à-dire, terminé maintenant, il n'y a plus du tout,
23:13on n'est plus dans une corporation, on n'a plus un métier, etc.
23:17On passe librement un contrat, des galas égals, etc.
23:22On a copié, en quelque sorte, le modèle anglais.
23:28À l'expérience, il est apparu que, finalement,
23:32ce rapport d'autorité lié au contrat, théoriquement entre égaux,
23:39ce n'était pas vraiment entre égaux.
23:41Il y avait toute une littérature ouvrière disant
23:45que le patron d'aujourd'hui, c'est la même chose que le seigneur d'autrefois,
23:50et l'ouvrier d'aujourd'hui comme le serf d'autrefois.
23:53En Allemagne, pareil.
23:54Marx a des pages géniales là-dessus, sur le contraste
23:59entre l'image théorique de l'échange du contrat
24:04et ce qui se passe réellement dans la vie sociale.
24:07Ce qui est frappant, si vous voulez, en France,
24:10c'est que la réaction aux désillusions du contrat
24:15ont conduit très largement à revenir,
24:19non pas sur les corporations,
24:21on n'a pas recréé les corporations, etc.
24:23Mais on est revenu sur la logique du métier,
24:26la fierté du métier, etc.
24:28– Et la naissance de la fameuse aristocratie ouvrière.
24:30– Ouvrière, etc.
24:32Donc un travail, disons, d'historique,
24:35monte en 1848 dans les manifestations, si vous voulez, ouvrières.
24:41Finalement, on était au moins autant dans cette logique corporatiste.
24:47Alors ensuite, dans la période récente,
24:52on est effectivement dans un conflit.
24:56Alors pour prendre des conflits récents,
24:58la loi El Khomri, par exemple,
25:00ou le contrat premier embauche,
25:02ou une série de choses comme ça.
25:04Donc là, on dit, maintenant, on va moderniser notre gestion,
25:06foin de cet attachement archaïque, disons, au bâtier,
25:11soyons modernes, faisons comme les Américains,
25:14mais ça ne se passe pas très bien.
25:16– Et là, je voudrais maintenant revenir au conflit.
25:19Donc est-ce que cette logique de l'honneur empêche ces conflits
25:21ou les rendent-elles encore plus violents, finalement ?
25:23Parce qu'on l'a vu avec les grandes grèves,
25:27les grandes manifestations ouvrières.
25:29– Elles les rendent différentes,
25:31parce qu'en Suède, il y a eu des conflits ouvriers violents aussi.
25:34Donc il ne faut pas croire que…
25:36Non, je dirais qu'elle leur donne une saveur différente.
25:43Par exemple, aux États-Unis,
25:46dans les sociétés dans lesquelles
25:48l'entreprise a un contrat avec le syndicat,
25:53qui, d'après la loi, un syndicat obtenu,
25:57le seul syndicat, par un vote du personnel, etc.
26:01On renégocie le contrat, en général, tous les 3 ans.
26:07Et donc on voit apparaître, je ne sais pas, 2 ans à l'avance,
26:11dans la littérature syndicale, attention,
26:13brothers and sisters, dans 2 ans,
26:15nous allons avoir une redistribution du contrat
26:19et nous devons être prêts à nous mettre en grève dans 2 ans,
26:23au moment de renégocier le contrat.
26:25Et dans les États-Unis, on peut prévoir
26:27que 2 ans à l'avance, on va se mettre en grève.
26:31En France… – C'est 2 heures à l'avance.
26:33– 8 heures à l'avance, on va se mettre en grève.
26:35Ce n'est pas quelque chose d'évident.
26:37– Alors maintenant, on va passer dans les autres pays.
26:42Vous expliquez comment ça se passe aux États-Unis,
26:44c'est ce que vous avez étudié.
26:46Donc là, aux États-Unis, c'est le contrat avant tout.
26:48– Alors. – D'où vient cette logique ?
26:50Est-ce qu'elle est héritée de l'Angleterre ?
26:52– Elle est héritée de l'Angleterre, c'est clair.
26:54– Donc là, quand vous dites les USA, c'est le monde anglo-saxon ?
26:56– Oui, le monde anglo-américain, l'Angleterre.
27:00Donc la personne, le travailleur respectable,
27:04c'est celui qui n'est pas dans la position,
27:10disons, on dirait du cerf-taillable cohérent à Marcy,
27:14ou même du domestique soumis aux demandes,
27:18un peu suivant la fantaisie du patron.
27:22Et déjà, Locke fait une opposition très nette entre,
27:28d'un côté, celui qui est soumis à l'arbitraire de son maître,
27:34et celui qui est, par rapport à son employeur,
27:39on va dire employeur, même si Locke n'utilise pas ce terme,
27:41dans une position d'avoir un contrat.
27:45Et là, ce qui est important du contrat, très très important du contrat,
27:49c'est qu'il oblige certes le subordonné,
27:53mais il oblige aussi le supérieur.
27:55Le supérieur n'a pas le droit de demander autre chose
27:59que ce qui est prévu par le contrat.
28:01– Et le contrat doit être évitable.
28:03– Alors, question, voilà, grosse question américaine,
28:07c'est, qu'est-ce que c'est qu'un contrat évitable ?
28:11Et vous avez toute une série d'allers-retours, disons.
28:15Il y a eu, à une époque, on a parlé aux États-Unis,
28:19de wage slavery, l'esclavage du salariat.
28:25Justement, le contrat a été considéré comme pas évitable,
28:29sans pas assez de pouvoir au salarié.
28:33La grande innovation de la fin des années 30,
28:41début des années 40, dont la loi Wagner, le New Deal, etc.,
28:45a été de bouleverser les rapports de pouvoir
28:51entre patrons et salariés,
28:55avec le rôle donné aux syndicats,
28:59qui ont, à cette époque-là, pris une importance très grande.
29:05Puis, au moment de la chute du communisme,
29:09il y a eu la réaction néolibérale,
29:15mais tout ce truc-là, toute cette organisation, c'est du communisme.
29:19C'est du communisme.
29:21Donc, il faut retourner à la vérité du contrat,
29:27et du contrat librement passé entre chaque travailleur et son patron.
29:33Pas le contrat collectif, qui a entraîné,
29:37je crois qu'on peut le dire, des dérives,
29:41dans lesquelles on voit des contrats dans lesquels,
29:45si un salarié n'est pas content de son sort,
29:49il doit recourir à une procédure d'arbitrage qui se déroule aux Pays-Bas.
29:55– Aux Pays-Bas. – Oui, aux Pays-Bas.
29:57Mais c'est fait sciemment, pour dire que,
30:01évidemment, le salarié n'est pas moyen de…
30:03Comme on n'a pas le droit, on ne peut pas lui dire
30:07qu'il ne peut pas avoir de procédure à sa disposition.
30:11Donc, on fait une procédure qui est totalement, disons, inapplicable.
30:17Alors, actuellement, c'est actuellement,
30:19et en particulier dans le courant que représente le vice-président J.D. Vance,
30:25là-dessus, il y a un retour par rapport à ça.
30:29Au fond, pour une part, le succès de Donald Trump
30:33est lié aux excès de ce néolibéralisme,
30:37avec en même temps, disons, la complicité,
30:41parce que c'est aussi Musk qui, lui, est quand même un vrai libéral,
30:45mais toute une part du courant qui a porté Trump
30:51est un courant en réaction, au fond, au détournement de l'esprit du contrat.
30:59Dans l'époque, dans la grande époque du contrat,
31:05où le contrat marchait bien, il y avait en même temps
31:11une très très forte insistance sur l'aspect moral du contrat,
31:15et qu'un contrat pouvait être détourné,
31:19et qu'un contrat ne pouvait bien fonctionner
31:23que s'il était mené dans une perspective, disons, de fairness.
31:27Alors, dans lequel on a eu, disons, une association
31:35entre l'aspect fondamental du contrat actuel
31:39et un autre aspect de la culture américaine, non déguisable,
31:45qui n'est pas hérité tellement de l'Angleterre,
31:49mais plus, disons, des fondateurs américains,
31:53qui est le sentiment de former une communauté morale.
31:57Alors, pas une communauté au même sens qu'en Allemagne,
32:01avec la même pression sur l'individu, etc.,
32:03mais quand même, si vous voulez, le rôle de la religion,
32:05là, pour le coup, dans l'émergence…
32:07– Cette religion protestante, est-ce qu'elle est assez présente
32:11dans cette logique du contrat, comme elle le sera ?
32:13Enfin, on va en parler des Pays-Bas.
32:15– Alors, elle est… disons que dans l'épanouissement,
32:21ça veut dire, du contrat fait, du contrat correct, etc.,
32:27oui, on a une vision d'inspiration religieuse,
32:33qui reste forte dans la culture américaine,
32:37même si, quelquefois, elle est utilisée de manière
32:39qui peut paraître surprenante.
32:43Alors, l'affaiblissement, quand même, de l'ancrage religieux aux États-Unis,
32:51aussi, est un élément qui fait que, voilà,
32:55faire bien fonctionner cette logique n'est pas assez évident.
32:59Donc, on a des tensions, je veux dire au passage,
33:03on a, dans tous les pays, on a des tensions.
33:05– Il y a des tensions.
33:07– Parce que dans tous les pays, faire réellement le raccord
33:09entre la situation du vrai citoyen, vraiment égal à tous ses concitoyens,
33:15vraiment libre, etc., et la situation de travailleurs subordonnés,
33:21en toute rigueur, c'est un raccord impossible.
33:23Et donc, au fond, dans chaque culture,
33:27on a des figures qui permettent de bricoler un raccord
33:31qui, dans des cas favorables, marche bien,
33:35mais est tout le temps en péril.
33:39– Alors, autres pays que vous avez étudiés, ce sont les Pays-Bas,
33:41avec là une autre logique, qui trouve aussi une explication historique,
33:45vous allez nous la donner, qui est la logique du consensus.
33:49Consensus, compromis, est-ce que tout ça… ?
33:53– Le terme de consensus lui-même est un terme un petit peu piégeux.
33:57Vous m'avez fait remarquer tout à l'heure, très justement,
33:59qu'au honneur de pouvoir dire des tas de choses,
34:03mais le consensus néerlandais n'est pas le consensus suédois,
34:07ni le consensus japonais.
34:11Le consensus néerlandais a, si l'on peut dire,
34:17une dimension individualiste beaucoup plus poussée que le suédois ou le japonais.
34:23On s'entend par consensus, c'est l'idée ou la référence
34:31qu'entre des personnes qui sont quand même à des tas de dégâts,
34:37qui se veulent très autonomes, elles doivent rentrer dans un processus
34:45dans lequel chacun est prêt à faire des concessions,
34:51avec d'autres qui font également des concessions,
34:57et dans lequel on va essayer de ne pas mettre d'affectivité là-dedans,
35:05on va essayer de ne pas mettre de principe là-dedans.
35:09Les néerlandais sont très surpris par l'importance des principes
35:13que mettent les français dans leurs décisions,
35:17ils ont besoin de se référer à des principes, au contraire là,
35:21il y a l'idée que si on commence à se référer à des principes, on est mort.
35:27Parce qu'on ne peut pas compromettre sur les principes,
35:31on ne peut compromettre que sur des intérêts.
35:33– Alors je demande quelle est l'origine historique ?
35:37– Pour une part, cette logique de la communauté, etc.
35:43marque toute une partie de l'Europe,
35:47l'Allemagne bien sûr, l'Autriche, la Slovénie vers le sud,
35:51les pays scandinaves, la Hollande,
35:57c'est toute une zone de langue germanique,
36:03il reste des antilles que l'on a, c'est le cas aussi du néerlandais.
36:11Donc l'idée, la référence à une communauté de pairs,
36:17dans lequel le leader contribuerait à avoir de bons rapports, etc.
36:29Avec quand même deux grandes différences,
36:33c'est que la culture allemande est très profondément aristocratique,
36:39c'est vraiment la culture allemande,
36:41entre les diverses strates de la population,
36:45ça s'est pas mal atténué après la seconde guerre mondiale,
36:49en réaction à la seconde guerre mondiale,
36:51mais si on reprend toute l'histoire allemande,
36:55le passage d'une strate à une autre est à peu près impossible.
37:01Il y a toute une construction très savante,
37:05dans les sociétés allemandes, d'articuler les divers niveaux,
37:13mais de manière telle que,
37:15à l'intérieur de chacun des niveaux,
37:17il y a cette logique horizontale de coopération, de communauté, etc.
37:23Et puis des représentants d'un niveau
37:25qui vont se retrouver à un autre niveau d'au-dessus,
37:27pour faire la même chose.
37:29Au Pays-Bas, on a beaucoup moins ça.
37:31Au Pays-Bas, le supérieur est plus un primus inter pares,
37:37qui est chargé de catalyser le bon accord,
37:45avec quelque chose de très important,
37:49et pas facile à concilier, disons, avec la part française,
37:53c'est qu'une fois qu'on s'est mis d'accord sur une décision,
37:59alors là c'est sacré.
38:01Celui qui, pour une raison, qui soit dit pour des bonnes raisons,
38:05comme on dit en France, toute décision est une base de discussion.
38:09Alors là, au Pays-Bas, c'est le contraire.
38:13– Et donc les origines historiques ?
38:15– Les origines historiques, on trouve ça déjà au moment
38:19de la constitution même des Pays-Bas.
38:21– Oui voilà, donc c'est intrinsèque au pays.
38:23– Voilà, l'union des provinces était déjà ça,
38:31qui était, je suppose, j'ai pas vraiment travaillé très loin,
38:39mais de toute façon les Pays-Bas ça n'existe pas depuis…
38:41– Depuis très longtemps.
38:43– La pilarisation.
38:45– Alors la pilarisation, c'est un terme utilisé, disons,
38:49par les Irlandais, disons, eux-mêmes, pour distinguer leur système,
38:55en disant finalement que leur système est fondé de plusieurs piliers,
38:59que chaque pilier, alors en matière politique, à une époque,
39:03il y avait les catholiques, les protestants modernes,
39:09les protestants traditionnalistes et les socialistes,
39:11qui formaient chacun un groupe, avec ses écoles, sa télévision,
39:15ses journaux, etc., et qui devaient s'entendre pour co-gérer le pays,
39:23et qu'on appliquait ça aussi, disons, dans le domaine de l'industrie,
39:27dans lequel, entre le patronat et les syndicats,
39:32on avait des groupes qui étaient chacun bien différents,
39:37mais qui devaient s'entendre.
39:39– Alors, est-ce que cette culture du compromis,
39:41est-ce que c'est dû aussi au fait que les PUA sont un pays commerçant
39:45plus qu'industriel, donc plus enclin à la discussion ?
39:48– Non, dans cette question-là, il y a toujours la question
39:51de la poule et de l'œuf, finalement, d'où vient, etc.
39:57Alors, c'est sûr que la structure sociale des Pays-Bas
40:03n'était pas celle de la Prusse.
40:09Celle du Juncker prussien n'avait pas son correspondance aux Pays-Bas.
40:15Donc, c'est difficile de dire, parce qu'il y a tout un aspect industriel,
40:25si vous voulez, aussi aux Pays-Bas.
40:27Il peut y avoir, si vous voulez, une manière de fonctionner
40:32qui peut être bien adaptée, si vous voulez, à certains modes,
40:37à un certain type d'économie, etc.
40:41De même qu'on pourrait dire, si vous voulez,
40:43que la logique française a été bien adaptée pour produire le Concorde,
40:49l'aviation, les produits de luxe, etc.
40:52et pas adaptée pour produire d'autres choses.
40:56Mais dans le cas, en tout cas, français, je connais depuis plus longtemps,
41:01je dirais que c'est plus la nature des rapports de la conception du travail
41:07qui a rendu plus ou moins efficace, selon les domaines, que le contraire.
41:12– Alors, est-ce que les modèles que vous avez étudiés,
41:14là on vient de les citer, se retrouvent dans d'autres pays ?
41:17Et si oui, avec quelle nuance ?
41:19Vous avez étudié l'Allemagne, vous en avez parlé un petit peu,
41:22mais comment ça se passe ?
41:24Alors, rapidement, parce qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps,
41:26comment ça peut se passer, je ne sais pas, en Italie, en Espagne ?
41:30– Alors, disons, il faut bien distinguer l'univers culturel européen, etc.
41:36Disons, avec l'équipe de recherche que j'anime,
41:40on a travaillé dans une cinquantaine de pays,
41:43des pays depuis la Chine jusqu'à l'Argentine, au Québec,
41:50à la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, etc.
41:55On n'a pas systématiquement couvert l'Europe.
42:03On a fait un peu des choses en Espagne, oui, en Italie.
42:07Alors, là, pour le coup, on peut parler d'un honneur espagnol,
42:13mais qui n'est pas le même.
42:15Pas le même, qui n'est pas autant attaché au métier,
42:19au prérelatif du métier, au devoir du métier,
42:22et qui est plus attaché à, je dirais, à l'honneur maghrébin.
42:29Comment tu me parles ?
42:30– Méditerranéen.
42:31– Méditerranéen, voilà.
42:33Et qui est plus à une certaine fierté, qui demande…
42:39Enfin, on voit, il faut prendre des gants, il faut prendre des gants.
42:43Alors, l'Italie, une remarque italienne est de dire
42:52qu'une parentrée entre la France et l'Italie,
42:56c'est que les Français termes italiens aiment bien les titres,
42:59mais la différence, c'est que les Français les prennent au sérieux.
43:03Donc, en Italie, on a quand même,
43:11mais pas de la même façon qu'en Europe du Nord,
43:16mais l'idée qu'il faut qu'on s'entende…
43:20Enfin, c'est bien connu.
43:23J'ai travaillé sur des choses en Argentine,
43:27il y a un fort héritage italien.
43:29– Italien, oui.
43:30– C'est très spectaculaire, c'est très spectaculaire.
43:33Et en passage, le pape argentin est un bon argentin
43:37qui ne croit pas beaucoup aux structures, aux règles, aux principes, etc.
43:44et qui croit beaucoup plus aux personnes, aux bonnes relations, etc.
43:52Il y a une recherche intéressante qu'on a faite,
43:55c'est de comparer l'aide aux jeunes en difficulté,
43:59en France, en Italie et au Finlande.
44:01– Oui.
44:02– Moi, tout à fait.
44:03– Très rapidement.
44:04– En France, c'était vraiment leur donner la formation, les diplômes, etc.
44:08En Italie, c'était leur trouver les amis
44:10qui ont leur donné des points d'insertion.
44:12– Alors, aujourd'hui, à l'heure de la mondialisation,
44:15comment les entreprises globales réussissent-elles justement
44:20à intégrer ces différences culturelles de travail ?
44:24C'est-à-dire qu'il y a l'acuteur d'entreprise,
44:25mais il faut qu'elle s'adapte à chaque pays.
44:27Comment ça se passe ?
44:28– Pour vous rassurer, maintenant, et de plus en plus,
44:31disons, au fond, chaque filiale nationale est très autonome dans sa gestion.
44:38Donc, si on rentre, là, pour le coup, c'est la chose la plus risquée
44:42qu'on a beaucoup fait, c'est de travailler sur des filiales
44:45d'entreprises surtout françaises.
44:48On voit que, je ne sais pas, une filiale mexicaine,
44:50elle est très mexicaine, une filiale chinoise est très chinoise,
44:54une filiale indienne est très indienne.
44:56– C'est-à-dire qu'une société comme Google, par exemple,
44:59qui a des établissements en France, va appliquer des méthodes
45:02de management à la française ?
45:04– Elle ne va pas forcément en faire la théorie,
45:09mais en pratique, dans la manière dont les Français vont se servir,
45:15disons, du cadre général Google, etc., va être quand même très marqué
45:20par l'esprit français, tout en ayant une influence de la maison mère.
45:30Donc, j'ai beaucoup travaillé sur la manière dont une entreprise
45:35pouvait répandre ses visions de par le monde.
45:39On voit l'importance de l'adaptation en chaque milieu.
45:43– Donc, il n'y a pas un modèle qui s'impose pour l'instant ?
45:46– Il y a des grandes valeurs, par exemple, de dire, une entreprise va dire,
45:51on développe le respect du client.
45:55Le respect du client en France, le respect du client en Chine,
46:00le respect du client au Japon.
46:02Si on veut que le client soit réellement respecté,
46:05il faut qu'en chaque lieu, on conçoive une manière de respecter le client,
46:11qu'il soit adapté.
46:12Mais en même temps, ce n'est pas totalement vain de dire
46:15que la maison mère a une certaine impulsion de respect du client,
46:19va tenir compte dans les carrières, apporter une certaine influence.
46:27Mais on n'est pas dans le tout ou rien.
46:29– Philippe Giribard, merci, c'était passionnant.
46:32– Merci.
46:33– Je propose aux téléspectateurs de TVL de vous retrouver le samedi 5 avril
46:38au colloque de l'Institut Iliade qui se tiendra à la Maison de la Chimie.
46:42Et le thème de ce douzième colloque est
46:45« Pensez le travail de demain et vous y ferez une intervention ».
46:49– Voilà.
46:50– Et la Revue d'Histoire Européenne vous y donne également rendez-vous
46:54puisque nous y tiendrons un stand.
46:56Une excellente occasion de rencontrer nos lecteurs.
46:59Vous trouverez toutes les informations et la billetterie
47:02sur le site institut-iliade.com.
47:06Philippe Giribard, merci encore.
47:08– Merci à vous.
47:09– C'était « Passer présent », l'émission historique de TVL
47:11présentée en partenariat avec la Revue d'Histoire Européenne.
47:15Avant de nous quitter, n'oubliez pas bien sûr
47:17de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
47:19et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
47:21Merci et à bientôt.