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LEX INSIDE du 13 mars 2025

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00:00Quel défi pour les entreprises avec ce devoir de vigilance ? On en parle tout de suite dans
00:15notre débat. On va voir que les défis sont nombreux à relever pour les entreprises sur
00:21ce devoir de vigilance. Tout d'abord, pour commencer, on va rappeler le cadre juridique
00:26du devoir de vigilance. Mathieu, si vous pouvez nous faire un petit récapitulatif de ce cadre
00:32juridique. Il y a aujourd'hui un texte qui s'applique, qui est un texte de droit français.
00:39On parle par ailleurs beaucoup de texte de droit européen, mais aujourd'hui le seul texte qui
00:44s'applique en France pour les sociétés françaises, c'est un texte de droit français. Il faut commencer
00:49par le rappeler. Ce texte de droit français, il est dans le code de commerce, dans les
00:53dispositions applicables aux sociétés commerciales. Il prévoit que les sociétés
00:57commerciales de droit français, avec un certain seuil, avec deux certains seuils, au moins 5000
01:04salariés sur le territoire français ou 10000 sur le territoire français et ailleurs, ces sociétés
01:14qui rencontrent un de ces deux critères ont l'obligation d'établir et de mettre en oeuvre,
01:19de manière effective, dit la loi, un plan de vigilance. Qu'est-ce que c'est qu'un plan de
01:24vigilance ? Identifier et prévenir. Ça ressemble à un slogan des forces de l'ordre dans un mauvais
01:33film des années 80, mais ça résume parfaitement bien ce que c'est que le plan de vigilance,
01:37à mon humble avis. Identifier et prévenir. Identifier, ça veut dire, pour la société
01:44concernée, s'interroger sur ses activités et les risques qui sont liés à ces activités. Je suis
01:53une entreprise soumise au devoir de vigilance, je dois identifier les risques qui sont consécutifs
01:58ou qui résultent, pour être précis, de mes activités. Ensuite, une fois que je les ai
02:03identifiés, je dois identifier les mesures destinées à les prévenir. Une fois que j'ai fait ce travail
02:12là, je dois le mettre dans un plan de vigilance que je dois publier, dans le cadre de mon rapport
02:17de gestion, et parfois, selon les pratiques de certaines entreprises, de manière indépendante au
02:23rapport de gestion. C'est ça le plan de vigilance. Identifier les risques et les atteintes graves
02:29envers les droits humains, je le précise, c'est dans le texte, mais je préfère le préciser pour
02:33que ce soit explicite, et les libertés fondamentales. Identifier ces risques et les prévenir. Il y a,
02:40parce qu'on n'a pas le temps de s'embêter sur ces sujets-là, de nombreuses évolutions. Il y en
02:45a même en droit français. Elles ont été mineures sur le devoir de vigilance européen, mais il faut
02:52savoir que depuis récemment, il y a dans le texte du code de commerce, l'article L225-1, un nouvel
02:59annuaire qui porte sur l'étendue du devoir de vigilance pour, je cite, les sociétés qui
03:06commercialisent des produits issus de l'exploitation agricole ou forestière. Dans ce cas-là, ces
03:13sociétés-là doivent, dans leur plan de vigilance, ajouter des éléments sur l'identification et la
03:20prévention des risques liés, ou pardon, l'identification des risques et la prévention
03:25de la déforestation associée à leur activité. Voilà, c'est un droit qui est en constante
03:31évolution. Parce que l'environnement est en constante évolution, le droit suit ou essaie
03:36de suivre, tant blanc mal, le sujet. Si on rentre dans ces critères et si on a ces obligations-là,
03:42il y a cinq piliers qu'on a abordés de manière rapide, qui sont les piliers du devoir de vigilance.
03:48Le premier, qui est le plus important, et c'est ce qu'a rappelé le tribunal judiciaire de Paris
03:53il n'y a pas longtemps, c'est une cartographie des risques. Pour identifier et prévenir ces
03:58risques, je dois m'interroger sur quels sont ces risques. Pourquoi c'est important une
04:01cartographie des risques ? C'est ce qui permet d'identifier ces risques, c'est ce qui permet
04:06à la société de se poser cette question et d'envisager des éléments de réponse. Qu'est-ce
04:12que c'est qu'une cartographie ? C'est une cartographie des risques, c'est s'interroger
04:16seul, mais aussi à plusieurs, dans une concertation avec l'ensemble des personnels de la société et
04:24puis les parties prenantes, sur quels sont les risques liés à mes activités, directement ou
04:30indirectement. Et c'est seulement si ce travail est bien fait que l'identification des risques
04:35peut être faite convenablement et qu'ensuite le plan peut être aussi convenable que ce premier
04:41pan du travail. Donc la cartographie, c'est le premier élément. Il y a le deuxième élément
04:47des procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants et
04:51des fournisseurs. Je vous l'ai dit, le troisième point des actions adaptées d'atténuation des
04:56risques ou de prévention des atteintes graves. Un mécanisme d'alerte qui doit être ouvert pour
05:03que des personnes, internes ou externes à la société, puissent alerter la société sur des
05:07risques qui seraient et qui résulteraient de ces activités. Et puis un dispositif de suivi de ces
05:13mesures. Voilà les cinq piliers importants du plan de vigilance. Le sixième n'est pas un pilier,
05:19mais il est tout aussi important, c'est la publication du rapport de vigilance. Et ça,
05:24c'est très important de le souligner. En réalité, cette loi, elle est destinée à contraindre ou à
05:32inviter la société à publier des éléments sur son activité, sur ses risques, pour que la société
05:39civile ait accès à ces informations, puisse les interroger, les critiquer, les challenger et qu'il
05:46en résulte une société au sens large, civile, une société dans laquelle on vit tous, qui soit
05:52plus sûre et avec des risques au moins identifiés et prévenus le mieux possible. Ça veut dire être
05:57plus transparent sur son activité globalement ? Oui, sachant qu'on nous demande, entreprise,
06:03on leur demande une transparence sur les risques liés aux activités. Donc c'est une information
06:11sur une potentialité. On ne vous demande pas de faire la liste des risques avérés, mais des risques
06:16possibles. Donc ce n'est pas une transparence parfaite sur quelque chose d'existant. C'est
06:23une transparence sur du potentiel, sur des risques. Alors vous avez rappelé la règle. Quand il y a
06:27règle, ça veut dire qu'il y a sanction aussi. Quels sont les risques de sanction ? Quels sont
06:31les contrôles si on ne respecte pas ce devoir de vigilance ? Aujourd'hui, vous avez deux types de
06:35sanctions. Essentiellement, vous avez prévu dans la loi une action judiciaire qui est possible en
06:43correction du plan de vigilance. C'est-à-dire qu'une personne intéressée qui considérerait que
06:49votre plan de vigilance n'est pas suffisamment clair ou précis sur tel ou tel risque ou insuffisant
06:54sur les mesures à prendre pour les prévenir, il peut vous mettre en demeure. Et si la réponse est
06:58insatisfaisante, demandez au juge de vous enjoindre, de corriger votre plan de vigilance. Donc là,
07:05le premier risque, c'est une action en correction de l'information. Le deuxième risque, c'est une
07:10action en responsabilité où on demande au juge de tirer les conséquences du défaut ou du manquement
07:18de l'information dans le plan de vigilance avec éventuellement, et par exemple, des demandes
07:24d'indemnisation qui peuvent être faites. Alors on voit qu'avec le cadre qu'a présenté Mathieu,
07:30on imagine que le rôle du juriste va être important. Je rappelle, Philippe, que vous êtes
07:35vice-président de l'AFGE, l'association qui représente les juristes d'entreprise. Alors
07:40quelle est la place des juristes dans ce devoir de vigilance ? Elle est centrale, parce que je
07:48vois dans ce qu'a très bien décrit Mathieu, beaucoup de torpeur pour les entreprises et
07:55finalement un eldorado de développement de compétences pour les juristes. Parce qu'entre
08:02torpeur et eldorado de compétences, il y a toujours une corrélation inversée avec le métier de juriste.
08:07Mais plus sérieusement, mais je le dis aussi parce que nous sommes dans la section du débat,
08:14Arnaud, donc je lance le débat, sur les points négatifs. Je vais faire l'avocat du diable sur
08:21la critique du système. Quand on entend la synthèse de ces règles, on se dit mais il y a un
08:29sujet qui est le premier sujet, qui est comment est-ce qu'on continue de rendre un pays attractif
08:34pour les investissements étrangers ? Quand les règles deviennent aussi pléthoriques,
08:39parce que qui trop légifère mal étreint ? C'est un nouveau proverbe qu'on va inventer. Deuxième
08:46sujet, c'est lorsque l'on désigne un système finalement de standards qui devient public sur
08:54la manière finalement de sourcer les produits ou les services. Il ne faut pas oublier les services
08:58dans l'appréciation de ces règles qui est indistingue vis-à-vis que ce soit des produits
09:03finis ou des services. On peut aussi avoir des effets de bord qui sont paradoxaux, c'est-à-dire
09:10d'avoir des contrées, des pays qui sont tellement compliqués pour rentrer dans le cochage de cas
09:16qui a été indiqué, qu'on va finir par vider des économies et des capacités d'aller sourcer des
09:23produits dans certains pays parce qu'on sait que ça va être compliqué d'aller sourcer dans certains
09:27pays, dont ceux d'ailleurs qui ont été décrits dans l'éditorial initial de Sabine Lockman,
09:32qui vous le précise puisqu'on parlait de l'AEGE et était présidente de l'AEGE, je crois que c'est
09:37important de le préciser, dans la première carrière de Sabine. Troisième effet collatéral,
09:43c'est comment est-ce qu'on crée tous ces rapports sur une évaluation de risque sans
09:50finalement donner des fouets pour se faire frapper. Parce qu'à partir du moment où vous allez devoir,
09:57c'est ce qu'a dit Mathieu, il a dit qu'il faut qu'on donne une potentialité du risque,
10:01qu'on le rende public dans le rapport de gestion, vous avez dit que pour certaines entreprises,
10:04elles allaient plus loin. Je précise qu'après à me faire l'avocat UDIAB, je vais parler des bons
10:10aspects des choses, parce qu'il y a toujours un Hollywood ending dans mes propos.
10:13Alors quels sont les bons aspects des choses ?
10:15Attendez parce que je finis avec le troisième aspect qui me chagrine, qui est lié aussi au
10:22rôle des juristes et aux limites du rôle des juristes dans un pays où la confidentialité n'est
10:26pas encore acquise pour les avis juridiques, c'est que lorsque l'on crée des cartographies,
10:32on crée de l'auto-incrimination. Et ça c'est un sujet où tous les pays ne sont pas dans un même
10:41état de la toxicité de l'auto-incrimination. Lorsque vous avez le privilège de la confidentialité des
10:49avis juristes dans un pays qui ne fonctionne pas dans un autre pays, vous avez une distorsion qui
10:57profite finalement aux entreprises cis sur les états où la confidentialité va être reconnue.
11:04Donc voilà, je vois quand même trois travers qui sont très très forts, qui sont liés à cette
11:10sur-légifération, je ne sais pas si c'est un mot français, ou cette sur-régulation qui peut être
11:19aussi un frein au développement, à l'innovation, à la liberté de l'entreprise. Dans les aspects
11:25positifs. Il y en a. Soyons, voilà. Il y a aussi les entreprises qui vont être, puisque c'est aussi
11:35le quatrième point que je n'ai pas encore dit, ça reste un sport de riches, le fait de pouvoir
11:41cocher toutes ces cases. Et ce n'est pas parce qu'on a 5000 salariés, ou 10000 salariés dans le monde,
11:47ou 5000 en France, qu'on est une entreprise prospère et riche. On peut être une entreprise à faible
11:52marge, et ce n'est pas toujours évident de pouvoir respecter tout ce qui est des charges. Dans les bons
11:58aspects, ça veut dire que ça crée une inventivité, et ça développe une créativité, de savoir comment
12:04est-ce qu'on valorise ces contraintes. Alors ça peut être sur le plan juridique, ça peut être aussi sur le plan
12:09de l'ARSE. L'ARSE d'ailleurs, qui d'une manière assez surprenante, est souvent dévolue non pas au
12:13service juridique, ou à la direction générale pure, mais plutôt à la direction de la communication.
12:18Ce qui veut dire qu'il y a aussi cette mauvaise compréhension que l'ARSE, et ce qui a été décrit
12:22ici aujourd'hui, serait un acte de communication. Non, l'ARSE c'est l'acte de la philosophie de
12:28l'entreprise. Voilà, donc c'est pour vous montrer le ying et le yang de ma réflexion sur ce sujet
12:33que je trouve passionnant. Effectivement, donc plein de contradictions dans ces enjeux,
12:39et on voit surtout que la place du juriste reste fondamentale. Et on va rester sur des aspects
12:44positifs avec Sabine, et on va voir notamment quel est l'impact du devoir de vigilance sur les
12:51organisations. Concrètement, quelles sont les conséquences du devoir de vigilance sur les
12:56entreprises et les organisations ? Alors, moi j'ai envie d'utiliser cette image de l'entonnoir.
13:03Mathieu, comme Philippe, ont aussi touché à ce sujet qui est celui de l'ADN primitif de
13:11l'entreprise. Je ne connais aucun chef d'entreprise, entrepreneur, qui ait décidé, sauf
13:16évidemment les entreprises du crime, mais ce n'est pas de celle-là dont on parle, de lancer une
13:21activité de production de biens ou de services, en particulier à un niveau mondialisé, pour pouvoir
13:28exterminer des populations, détruire des nappes phréatiques, etc. Mais cette culture de l'attention,
13:35elle est celle qui aujourd'hui nous amène de façon très régulière, parce qu'on ne peut plus ne pas
13:41savoir que travailler effectivement au sein de filières dans plusieurs pays dans le monde,
13:50avec des situations juridiques, réglementaires, culturelles différentes, se fait de façon
13:56complètement maîtrisée. Et donc cette culture de l'attention qui repose aussi sur, Philippe l'a
14:02très bien dit, pourquoi l'entreprise est là, sa raison d'être, sa raison d'agir, et même s'il
14:09s'agit pas d'entreprise à mission, toute société a un objet social, qui est effectivement de le
14:14faire en responsabilité. Et ça c'est le devoir du dirigeant. Voilà, j'allais dire prime à fassier,
14:20le devoir du dirigeant c'est de diriger, c'est de décider, c'est de s'engager aussi sur un terrain
14:26qui est très mouvant, en particulier aujourd'hui, avec une logique de transition absolument
14:33phénoménale de nos modèles d'affaires, et confronter à des événements de géopolitique
14:40qui perturbent au quotidien, y compris ceux qui ont les meilleures intentions. Et la deuxième
14:45chose que je voulais dire, et qui a été mentionnée, c'est qu'on est bien, je crois Mathieu tu vas nous
14:48confirmer, sur une obligation de moyens, on n'est pas sur une obligation de résultats,
14:52sauf à ce qu'on ait transgressé une règle claire dans quelque pays que ce soit, et à ce moment-là
14:58on parle pas de devoir de vigence, on parle de la transgression d'un texte. Et cette obligation de
15:04moyens, pour moi, elle doit être portée par des procès, des procédés, et par des personnes. Et
15:10c'est là où c'est tout l'intérêt dans les entreprises qui aujourd'hui, à la fois, cherchent
15:17à donner le meilleur d'elles-mêmes, à engager le meilleur des talents, avec des générations,
15:22souvent il y a 4 voire maintenant 5 générations à l'intérieur de l'entreprise, quasiment, du fait
15:28des différents modes d'organisation entre les salariés et les non salariés, et bien c'est
15:32comment est-ce que toutes ces populations effectivement font en sorte de contribuer à
15:38la pérennité de l'entreprise. Là aussi je ne connais aucun dirigeant et aucune équipe dirigeante,
15:44et je ne parle même pas de la gouvernance non-exécutive, qui n'est pas un objectif de
15:49pérennité et de valorisation aussi. Donc comment est-ce que, par rapport à ces éléments où on
15:54s'appuie sur la connaissance, la compréhension, un mode de travail où on est ensemble et où,
16:01tu l'as très bien dit, le juriste n'est pas isolé, pas plus que le directeur financier ou le dirigeant
16:06en tout court, pour travailler ensemble à résoudre ou à remédier à certaines externalités négatives
16:13qui par ailleurs, quand elles sont appréhendées avec des parties prenantes, trouvent des solutions.
16:21Et je voudrais terminer enfin par quelque chose qui n'a pas encore été mentionné, peut-être que
16:25Mathieu tu peux rebondir dessus, qui est dans cet environnement qui est tellement confrontationnel,
16:32tellement positionnel, comment est-ce qu'on peut s'appuyer aussi sur une culture de la médiation,
16:36pour que même si nous ne sommes pas d'accord sur la façon de le faire, mais en tout cas on a un
16:43objectif commun à atteindre, et clairement cette culture de la médiation à l'intérieur des groupes
16:48et dans les organisations où il y a plusieurs cultures aussi qui se conjuguent, comment la
16:54développer ? Et moi je connais un certain nombre de groupes qui effectivement développent une
16:59véritable stratégie d'organisation qui s'appuie sur cette culture de la médiation pour qu'il y ait
17:04une véritable approche gagnante-gagnante. Alors clairement à un moment donné, et on en parlera
17:09certainement tout à l'heure, il faut aussi rendre des comptes à l'actionnaire, il faut aussi rendre
17:12des comptes aux banquiers, il faut rendre des comptes aux assureurs, il faut rendre des comptes aux
17:16consommateurs. Pour autant il y a cette volonté, là encore, de construire quelque chose où, voilà,
17:23plus jamais, je pense que même dans le secteur de la fast fashion, plus jamais on ait ces images
17:29terribles de milliers de gens écrasés par un bâtiment. Il y a aussi un autre aspect qu'on n'a
17:35pas encore abordé qui me semble important, Mathieu, c'est ce phénomène de politisation du procès,
17:43c'est-à-dire qu'on va utiliser l'outil du procès pour faire changer, pour influencer le comportement
17:50de l'entreprise. Concrètement comment ça se passe Mathieu ? Ce qu'on peut constater quand on regarde
17:56les procès en France et à l'étranger ces dernières années, en matière environnementale ou disons en
18:04matière de durabilité, en y incluant notre sujet du jour de la vigilance, c'est un, que ces procès
18:11contre les entreprises se multiplient, c'est fois trois en dix ans, deux, sont diversifiés dans
18:26de nombreux pays, essentiellement aux Etats-Unis et dans les pays occidentaux, dont la France en
18:30matière de vigilance, mais pas seulement, et donc c'est un phénomène mondial, pas d'un pays d'un autre.
18:37Trois, ces procès sont utilisés, et j'en viens à votre point Arnaud, comme un outil qui n'est pas
18:44seulement un outil juridique. Qu'est-ce que c'est qu'un procès ? C'est un outil différent d'un des
18:49accords. Je ne suis pas d'accord avec vous, on va en parler devant un juge et c'est le juge qui
18:53tranche. Qu'est-ce que c'est que la médiation, qui aujourd'hui a toute son importance ? C'est un
18:58outil de règlement d'un différent également. On ne va pas voir quelqu'un qui va décider pour nous,
19:03on va le voir pour qu'il nous aide à trouver une solution ensemble. À la fin, il y a toujours
19:07une solution, soit elle est imposée, soit elle est accompagnée par un tiers. Dans les procès en
19:14matière de vigilance et de manière plus générale, la procédure judiciaire, le droit est utilisé pour
19:22communiquer, pour influencer. C'est-à-dire que quand je vais faire un procès contre une entreprise
19:29sur un sujet, je vais le faire d'abord évidemment parce que je considère qu'elle ne respecte pas
19:33les règles juridiques, mais le procès va également et parfois aussi et peut-être surtout être fait
19:40pour marquer l'opinion publique, marquer et sensibiliser l'opinion publique et le marché
19:49sur la conduite de telle ou telle entreprise. Il y a des études qui montrent que l'annonce d'un
19:55procès est un événement qui, en communication, en réputation, marque plus que la fin du procès.
20:02C'est-à-dire que j'annonce que je fais un procès contre vous, ça va plus marquer les gens,
20:06ça va laisser plus de traces médiatiques que la décision six mois, deux ans ou trois ans plus tard.
20:12Et ça veut dire que le procès peut être utilisé comme un outil juridique, je vous l'ai dit,
20:17mais aussi un outil politique et médiatique. Je vais organiser un procès avec une campagne de
20:22presse pour alerter et mettre sur la table médiatique un sujet d'opinion publique.
20:29Et comment les entreprises qui font face à un risque réputationnel peuvent-elles réagir
20:34quand elles ont une campagne comme ça où on leur met des procès dans différentes juridictions,
20:39on utilise justement l'ensemble du panel du droit qui est offert ? Comment l'entreprise
20:45qui fait l'objet de ces différentes plaintes peut-elle réagir ?
20:49Alors la première recommandation, elle va de soi, ce n'est pas une réaction, c'est une action,
20:56c'est de respecter la loi. La deuxième, c'est également une action et pas une réaction parce
21:01qu'il faut toujours prévenir plutôt que guérir, c'est de faire savoir ce qu'on fait, comment on
21:07le fait, et même si ça n'est pas parfait, de faire comprendre quel est son métier et comment
21:12est-ce qu'on le fait, en interne comme en externe. Ensuite, quand on est le sujet de ce genre de
21:17considération et de campagne, à chaque affaire sa solution. Ce qu'on voit, c'est qu'il y a toujours
21:26des réactions en communication, mais que celles-ci sont plus ou moins intenses ou plus ou moins
21:31étendues. On a vu par exemple une société italienne assignée par des associations de défense de
21:38l'environnement devant le tribunal civil de Rome. Cette société italienne, elle a créé un site
21:45internet annexe à son site internet principal pour diffuser au public des éléments du procès.
21:52Souvent, vous pouvez trouver dans la presse ou dans les médias ou sur internet des actes du
21:59procès. C'est souvent les actes des demandeurs qui veulent participer, influencer, nourrir un
22:05débat avec leurs arguments juridiques. Donc, ils le font savoir. Ils le font savoir, par de nombreux
22:09moyens. Là, l'entreprise italienne a choisi non pas d'éviter ce débat, mais de l'affronter et,
22:16à côté du tribunal qui est là pour répondre aux arguments juridiques, de placer aussi les arguments
22:23entre les mains du marché, du consommateur, de l'internaute, qui va pouvoir, avec les écritures,
22:29les arguments judiciaires, les avis d'experts et des synthèses pour que ce soit accessible et
22:34pédagogique, avoir son propre avis. Non pas faire le procès à la place du tribunal, mais voir quels
22:39sont les arguments de part et d'autre. Ça, c'est une manière de faire. C'est une manière de réagir.
22:44Ce qu'on peut voir également, c'est certaines entreprises qui se font assigner et assignent en
22:49réponse. Ça a été le cas en France d'une société pétrolière qui a assigné l'association qu'il
22:57accusait de mauvaise pratique environnementale. Il y a deux procès. Il y a eu le premier procès
23:03de l'association contre la société et le procès en réponse de la société contre l'association,
23:09en soutenant pour la société que l'association diffusait des informations fausses ou trompeuses
23:14sur la société. C'est un mouvement qu'on voit également dans d'autres pays. D'accord, il y a une
23:21tendance de fond là-dessus. Philippe, un moyen d'éviter ce genre de désagrément, ce n'est pas
23:27de bien intégrer les parties prenantes justement pour avoir créé un cercle vertueux entre guillemets ?
23:33Vous avez complètement raison. C'est de pouvoir anticiper cette notion, c'est-à-dire pouvoir
23:39ajouter dans la prévention des crises, la crise du procès en atteinte aux règles en matière de
23:46vigilance, en matière d'atteinte à l'environnement, atteinte au droit de l'homme. C'est pour ça qu'il y a
23:51beaucoup de compétences d'ailleurs qui se développent à l'intérieur et à l'extérieur des
23:54entreprises pour anticiper, même faire du média training avec les juristes et pas hors les juristes
24:01sur ces questions qui sont complexes. Moi ce qui m'interpelle dans ce que vous avez dit, c'est
24:06l'exemple italien d'avoir une forme de fact checking, d'avoir un site sur le procès. Dans
24:17l'expérience qu'ont les entreprises, quand l'entreprise veut trop mimer cette approche qui
24:24consiste à faire le procès en dehors du tribunal, c'est un choix qui peut facilement desservir vos
24:31chances de prévaloir devant les tribunaux, parce qu'autant il y a une forme de tolérance pour que
24:37la partie faible dans un procès puisse se défendre avec les moyens du bord, utiliser la presse,
24:43utiliser les réseaux sociaux. C'est beaucoup moins accepté aujourd'hui, alors peut-être que les choses
24:48vont changer avec les atteintes réputationnelles, lorsque c'est la partie dite forte, c'est-à-dire
24:55l'entreprise, qui utilise les mêmes moyens de réponse. C'est ce qu'on avait auparavant en droit
25:00de la presse avec le droit de réponse, qui a rarement été bénéficiaire à celui qui en a fait
25:06usage, parce que quand vous faites un droit de réponse, vous avez le responsable éditorial qui vous
25:10derrière vous en fait un autre, et puis après vous n'avez plus qu'à arrêter, il y a une escalade, et puis celui qui
25:16tient la plume de l'éditorial finalement a toujours le dernier mot, c'est ça le problème. Le droit de
25:21réponse, ça ne veut pas dire le droit d'avoir le dernier mot, le droit d'avoir un mot, il va être coupé
25:27en général à la racine par le responsable éditorial du support. Donc tout ça, c'est ce qui veut dire
25:33qu'à mon sens, il y a beaucoup de nouveaux métiers, de nouvelles compétences qui se développent pour
25:38faire, pour contrer cela, et puis quand on dit procès aujourd'hui, si vous parlez à quelqu'un
25:44dans la rue, c'est quoi un procès ? C'est pas que le procès devant les tribunaux, un procès c'est un
25:48procès d'intention, c'est le tribunal médiatique auquel la presse participe parfois, où
25:56certaines presses, mais sur les réseaux sociaux, un influenceur finalement a parfois plus de poids
26:01sur l'atteinte dans la réputation sur une fausse accusation, une fausse allégation qu'une décision
26:06de justice, ou même que l'annonce du procès dont vous parliez tout à l'heure. Donc tout ça, on le
26:10prend en compte dans les directions juridiques actuelles, on le prend en compte, on essaye de
26:16jouer avec ces nouveaux codes de langage sans perdre de vue l'idée que une décision de
26:24justice se rend en justice, pas à côté de la justice. Sur les questions de la gestion
26:32réputationnelle, finalement Sabine l'a très bien dit aussi, c'est une chose qui s'anticipe, c'est-à-dire
26:37que lorsque vous parlez à vos actionnaires, à vos salariés, aux multi-générationnels que tu as
26:43très bien évoqué au sein d'une même entreprise, vous savez qu'une génération c'est quasiment cinq
26:48ans, les comportements, les réactions au sein de l'entreprise vont être très différents que
26:54ce soit sur le rapport à l'image, à la réputation ou aux réseaux sociaux. Et donc nous on essaye dans
27:00les entreprises qui composent les associations de juristes et les entreprises qu'on incarne ici,
27:05c'est de continuer en permanence, de faire en sorte que les professions du droit de maire général
27:12soient à la pointe et pas à la traîne de l'exercice. C'est presque à nous d'aller traîner les
27:20compétences en matière de communication. Ce n'est pas pour rien qu'il y a des cabinets qui
27:27proposent des prestations, qui ne sont pas forcément des cabinets d'avocats, mais qui proposent des
27:32prestations de gestion de crise en matière de contentieux. C'est un porté des Etats-Unis sans
27:38doute. Et puis vous l'avez peut-être évoqué à la marge, mais le procès c'est pas juste
27:46nécessairement une partie. Une partie privée qui fait un procès contre une autre entreprise en
27:51disant vous avez mal sourcé, vous avez mal respecté le droit de l'environnement. Et c'est
27:55beaucoup aussi l'importation des class actions, des actions de groupe. Donc il existe en France
28:02une certaine catégorie d'actions de groupe qui n'est pas encore extrêmement usitée,
28:07même si elle date maintenant. Mais cette idée d'avoir des actions de groupe qui sont complémentées
28:12par des actions médiatiques, y compris avec des influenceurs engagés, finalement font beaucoup
28:18plus de mal que le procès classique. Sabine, peut-être aussi cet aspect de risque réputationnel,
28:27ça joue aussi dans la gouvernance de l'entreprise sur ces sujets ? Evidemment. J'ai beaucoup
28:37travaillé sur le sujet, et je continue à travailler sur le sujet, de ce qu'on appelle la
28:42donnée extra-financière ou les risques extra-financiers, c'est-à-dire tout ce qui est lié
28:46en fait à la pérennité et à la valorisation et pas simplement à la solvabilité, la capacité
28:51de rembourser. Et en fait, dans les risques dont Mathieu et Philippe viennent respectivement de parler,
28:57on parle de risques extra-financiers qui en fait, directement ou indirectement, ont un impact
29:03financier. Et c'est souvent quelque chose qui est appréhendé, j'allais dire, par défaut de
29:11compréhension des mécanismes. Enfin, je crois que Philippe, tu l'as indiqué. Je vais prendre un
29:17exemple tout à fait Benoît, en apparence de quelqu'un qui ferait un commentaire, un post
29:25LinkedIn, à partir d'un processus de mise en place de la vigilance au sein de son organisation.
29:33En pensant partager une bonne pratique et qui peut-être en fait, met le doigt dans un engrenage
29:38sans s'en rendre compte. Parce qu'effectivement, il ou elle n'appréhende pas qu'on est sur un
29:44processus complexe où effectivement, à côté du juge professionnel, il y a le juge de l'opinion
29:50publique. À côté de la qualité de l'intention, il y a une instrumentalisation en particulier de
29:58certains groupes qui font beaucoup d'efforts. Mais c'est tellement plus facile d'aller vers
30:02ceux qui font beaucoup d'efforts pour venir, j'allais dire, faire un coup de pub ou un coup
30:09politique. Et la dernière chose, pardon, c'est comprendre que lorsqu'on met en avant un procédé
30:20ou un processus justement pour mieux gérer les risques, et Philippe l'a aussi rappelé,
30:24malheureusement, il peut y avoir une instrumentalisation qui soit faite de ce
30:33travail. Par ailleurs, partager, j'allais dire, avec humilité et une volonté de partager une
30:39bonne pratique contre l'entreprise. Donc, si je devais résumer, d'abord, pas d'innocence et pas
30:46de naïveté. Nous sommes dans un environnement très complexe, on l'a dit, très compliqué,
30:51pas d'ingénuité et on est dans une logique où la compétitivité, malheureusement, se nourrit
30:58parfois de tout feu et de tout bois. Pour autant, là encore, quand on revient au sujet de ce devoir
31:05de vigilance, de quoi parlons-nous ? On parle d'un travail sur la culture, on parle d'un travail sur
31:11un meilleur travail fait entre les fonctions. Là encore, je reviens à ça, parce que très souvent,
31:16là où il y a des risques et il y a des dérapages, c'est parce qu'il y a des trous d'air entre
31:20ceux qui s'occupent des sous-traitants, ceux qui s'occupent des achats, ceux qui s'occupent au
31:26département risque et assurance, de l'assurabilité ou de l'assurance, les juristes, les financiers,
31:31etc. Donc, comment est-ce qu'on travaille mieux ensemble pour qu'il n'y ait pas trop d'air sur,
31:36effectivement, ce que nous ne pouvons plus ignorer aujourd'hui et parce que la loi pose des règles
31:41à appliquer. Tu l'as rappelé, Mathieu, avec des obligations réglementaires, par exemple,
31:47donc il y a une obligation de publication et à côté, ce que l'entreprise entend aussi pour
31:54des raisons à la fois d'attractivité des talents, mais aussi de pérennité, mettre en place pour que
31:59des équipes d'innovation, recherche, en passant par les équipes commerciales, des équipes qui
32:05travaillent sur l'approvisionnement jusqu'à celle qui, par exemple, remédie un rappel de pièces
32:13endommagées, il y ait un usage, et j'insiste sur le mot usage, des moyens mis par l'entreprise
32:21pour gérer les alertes, gérer les crises, développer une connaissance et un savoir pour
32:27que, là encore, le meilleur produit ou le meilleur des services soit fourni au consommateur final.
32:33Et je voudrais terminer par, moi, quelque chose qui me frappe, Philippe a rappelé que j'ai
32:40effectivement eu l'honneur de présider la FGE de 2001-2005, il y a bien longtemps, et d'embrasser
32:45ce beau métier de juriste avant d'être dirigeante. À l'époque, quand on apprenait le droit, le droit
32:51c'était la personne morale, l'entreprise, pardon, c'était la personne morale. Aujourd'hui,
32:57l'entreprise, ce n'est pas simplement l'activité en propre et la personne morale, c'est effectivement
33:01toute cette chaîne de valeurs. Et ça, c'est une énorme évolution en termes de pratique du droit
33:09et de pratique des risques, au regard de ce que, historiquement, on a pu apprendre du métier du
33:15juriste et du métier de ceux qui accompagnent la gestion des risques. Et je pense que ça, il faut
33:19continuer à développer cette appréhension, j'allais dire en toute confiance. L'entreprise, ça n'est pas
33:26que la personne morale, c'est effectivement un écosystème à l'intérieur de filières, dans un
33:31environnement qui est systémique et où, effectivement, on est confronté à des blocs de droit, de normes,
33:38de standards, de pratiques qui s'entrechoquent. C'est aussi comme ça, Philippe, que vous percevez
33:43ces changements ? Oui, et moi, je mettrais un autre qualificatif pour compléter ce qui vient
33:48d'être dit par Sabine Lockman, c'est le mot impact. C'est-à-dire que lorsque l'on consomme un produit ou
33:53un bien, ça peut même être un service, un service même d'avocat. Quand vous consommez un service
34:00d'avocat, quand on choisit nos avocats, on choisit l'impact que le cabinet a sur la société aussi,
34:05sur sa capacité d'être en parité, de faire le bien. C'est-à-dire que lorsque l'on consomme,
34:14on consomme plus que le produit et sa marque aujourd'hui. Et c'est vers cela que l'on
34:20participe. Et je trouve ça très intéressant parce que ça veut dire que tous les métiers qu'on
34:24appelait autrefois les métiers support, les RH, la com, la finance, le juridique, les assurances,
34:30etc. Généralement, il n'y a plus cette dichotomie, ce fossé entre ceux qui créent une valeur,
34:37qui vendent et qui marquent et ceux qui aident à ce que la structure soit solide. Non, en fait,
34:43c'est l'ensemble qui va correspondre à l'appétence de marque, y compris pour recruter. Lorsqu'on fait
34:51un rapport RSE, un rapport de conformité, un rapport sur le devoir de vigilance, il n'est
34:57censé pas être seulement lu par les autorités ou par les concurrents. Il est lu par les
35:03consommateurs, par les investisseurs et par les salariés et vos potentielles futures équipes
35:07également. Lorsque l'on embauche, les premières questions qu'on nous pose, outre les chèques
35:14cantines et les bon, ça, je laisse de côté les RTT, etc. Et le nombre de jours à la maison. Bon,
35:21ça, ce sont les nouvelles questions des nouvelles générations lors des entretiens d'embauche et
35:26pas que dans l'entreprise. Mais c'est aussi qu'est-ce que vous faites ? Avec quelle association
35:32est-ce que vous travaillez ? Cela nous permettra de parler du lien avec les ONG. Quel est votre
35:36impact ? Est-ce que vous avez des valeurs ? Est-ce que vous faites des produits qui polluent,
35:42qui sont toxiques ? Est-ce que vous faites mal aux animaux, etc. Et c'est ça ce qu'on a dans
35:47les entretiens d'embauche aujourd'hui. On voit que les défis sont nombreux. On va
35:50conclure ce débat là-dessus. C'était passionnant, mais on va poursuivre l'émission dans quelques
35:55instants avec notre cas pratique.

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