Bas Smets est architecte du paysage et lauréat du concours de la Ville de Paris pour le réaménagement du parvis de Notre-Dame, suite à l'incendie de 2019. Il est au micro de Ali Baddou.
Retrouvez « Le 15 minutes de plus » présenté par Ali Baddou sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/15-de-plus
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Art et designTranscription
00:0015 minutes de plus ce vendredi matin et j'ai le bonheur de recevoir un très grand architecte
00:14paysagiste belge, il a inventé le concept de paysage augmenté et il va nous expliquer
00:20ce que ça veut dire, des années maintenant qu'il repense la relation entre la nature
00:25et la ville et il a été lauréat en 2022 du concours mondial qui avait été lancé
00:31pour réaménager les abords de Notre-Dame, il enseigne aujourd'hui au département d'architecture
00:37de Harvard aux Etats-Unis, bonjour Bas Smets, et bienvenue, ravi de vous accueillir, comme
00:43tous les vendredis on va commencer avec une expérience de pensée et cette expérience-là
00:48vous l'avez menée avec vos étudiants à Harvard, imaginons qu'on est à Paris, on
00:53est en 2050, il faut imaginer que celle qu'on appelle Paris, la ville lumière, est devenue
01:00la ville chaleur, la ville de la chaleur, ça n'est pas une dystopie mais que peut
01:06l'architecte paysagiste face à cette réalité-là ?
01:10En fait on peut repenser l'espace public comme un micro, on peut repenser l'espace
01:20public comme un lieu où on peut agir sur le vent, sur l'ombre, sur la température
01:26et en fait créer un microclimat, sale mot que je cherchais, un microclimat qui permet
01:33de rendre la ville plus résiliente par rapport au réchauffement climatique, par rapport
01:37à toutes les crises liées au climat.
01:39Donc on n'est pas condamné à avoir chaud, de plus en plus chaud, chaque été qui passe
01:44dans une ville comme Paris ?
01:45En fait on le sait bien, les arbres par leur évapotranspiration produisent un microclimat
01:51et baissent la température ressentie, du coup on peut repenser la ville, on peut repenser
01:55les rues, les squares, les places, les berges comme des lieux où on peut améliorer le
02:01confort à l'extérieur.
02:02Alors justement on va voir vos différents espaces d'intervention parce qu'ils sont
02:06extrêmement différents et multiples et un peu aux quatre coins du monde, vous avez
02:11fait donc de Paris un « case study » comme on dit à Harvard, un cas d'études pour
02:15vos étudiants ou un cas d'école pour qu'ils repensent les passages, pour qu'ils repensent
02:20les souterrains, c'est très concret, la ligne 6 du métro par exemple, qu'est-ce
02:25qu'à Paris, plus que dans n'importe quelle autre ville, on a comme cas d'école architecturale
02:32?
02:33En fait j'ai demandé aux étudiants de repenser Paris sous quatre conditions, 2025, 2050,
02:392075 et 2100, avec chaque fois un degré de plus, deux degrés, trois degrés, quatre
02:45degrés, cinq degrés de plus et en fait ce qui est tellement spécifique à Paris c'est
02:49que grâce à Haussmann et Alphand, il y a une série de typologies comme les rues, les
02:54squares, les berges…
02:55Il y a les bâtiments publics, il y a la place de l'étoile…
02:57Exactement et du coup on peut repenser ces figures sous cet angle du climat, par exemple
03:03planter plus d'arbres dans les avenues c'est assez évident, mais aussi repenser les places,
03:08peut-être pas avoir des grandes pelouses comme on les connaît aujourd'hui, mais les
03:12planter de végétaux, repenser les bâtiments publics qui grâce à leur masse de pierres
03:20donnent aussi, produisent un microclimat à l'intérieur et dernière étape, cinq degrés
03:25de plus, évidemment une catastrophique…
03:30C'est une catastrophe !
03:31Absolument, mais là on peut repenser par exemple toutes les carrières, un tiers de
03:35Paris, sous un tiers de Paris il se trouve des carrières qui sont reliées par les réseaux
03:43de métro et on peut les repenser comme un espace de refuge en cas de canicule aggravée.
03:49Alors c'est assez extraordinaire parce que du coup vous nous invitez à voir ou à revoir
03:54notre ville totalement différemment, Paris vous la connaissez par cœur, vous avez remporté
04:00ce concours en 2022 pour réaménager les abords de la cathédrale Notre-Dame qui était
04:07en train d'être reconstruite, ce sera d'ailleurs visible dès l'année prochaine, il faut
04:11s'imaginer, là aussi c'est une autre expérience, une promenade dans une clairière
04:15qui est bordée d'arbres, ce sera le parvis de Notre-Dame ça ?
04:19Oui, on a repensé le parvis comme une clairière, comme une ouverture qui donne sur la façade
04:24magnifique occidentale, bordée d'arbres de trois côtés et puis on s'est dit comment
04:30on peut rafraîchir ce lieu qui chauffe en été, on a pensé le vent qui vient avec
04:36la Seine, de le faire passer à travers les arbres, on a pensé l'ombre, l'évapotranspiration
04:42et puis on s'est inspiré d'une pratique à Paris où on nettoie les rues avec ce réseau
04:48d'eau non potable et du coup on va faire ruisseler une fine lame d'eau sur le parvis
04:54en jour de grande chaleur et qui va par évaporation rafraîchir immédiatement l'air.
05:00Sur le parvis, c'est-à-dire que ce sera comme une sorte de rigole de 40 mètres de long
05:06qui va descendre l'eau extrêmement doucement, donc on pourra voir ça l'année prochaine
05:11et vous avez repensé le Paris de 2050 en concevant ce parvis de la cathédrale, vous
05:17êtes architecte paysagiste, de quoi est-ce qu'on parle quand on parle d'un paysage
05:22alors qu'il est question d'une ville par exemple ? Vous dites on peut lire une ville
05:25comme si c'était un paysage, c'est contre-intuitif, c'est métaphorique, c'est joli mais ça
05:31ne semble pas évident.
05:32En fait je me refère au grand philosophe Alain Roger qui disait qu'il y a le pays
05:37et le paysage et pour lui le pays c'est le point zéro, c'est l'existant et le paysage
05:42c'est une façon de comprendre l'existant, c'est une façon de le comprendre et du coup
05:46aussi de l'imaginer, de le transformer.
05:50Et pour moi chaque lieu peut être lu comme un paysage, comme quelque chose qui fait sens
05:55et quelque chose dans lequel on peut interagir, intervenir et pour moi une ville est une possibilité
06:01d'un paysage.
06:02Une ville est une possibilité d'un paysage ? Oui absolument.
06:06L'expression est magnifique et d'ailleurs c'est vrai qu'on peut en avoir un exemple,
06:09vous parlez de Paris mais vous avez investi la ville d'Arles, le parc des ateliers de
06:14la fondation Luma, c'était une ancienne friche ferroviaire pendant des années et
06:19vous l'avez transformée en espace vert et en un espace qui est quasiment magique pour
06:23tous ceux qui le connaissent.
06:24En écologie, parce qu'en fait cette friche ferroviaire il y avait un climat, c'est un
06:31climat sémédésertique parce que le béton rechauffait sous le soleil, il y avait une
06:36température ressentie de 55 degrés, du coup très difficile, qu'on a réduit à 35,
06:42du coup 20 degrés de différence grâce aux 80 000 plantes qu'on a plantées sur des
06:47collines qu'on a imaginées produites par le vent en fait, on a travaillé sur le mistral
06:52et on a imaginé ce que la nature aurait fait d'ici 100 ans, 200 ans et on a accéléré
06:57les processus naturels de la succession écologique.
07:00Et vous avez planté des espèces issues de la région méditerranéenne, des arbousiers,
07:05des chênes verts, des érables de Montpellier, des pains parasols, c'est toujours la question
07:10de la température qui vous anime ou la question de la végétation, qu'est-ce qui prend le
07:15pas chez vous lorsque vous essayez de concevoir, de créer un paysage ?
07:20Quand je plante, je plante pour les 50 ans et j'espère pour les 100 ans à venir, du
07:25coup évidemment il faut que je réfléchisse au climat qu'il y aura dans 50 ans, dans
07:29100 ans, ce qui est très difficile aujourd'hui.
07:31Mais c'est ce qu'on vous demande, c'est votre démarche de paysage, c'est-à-dire
07:35ne pas planter simplement des plantes mais avoir ce qu'on appelle le regard du forestier,
07:40celui qui regarde justement à 50 à 100 ans.
07:43Oui, comme paysagiste, on a cette obligation de penser pour la nouvelle génération, la
07:47génération qui va suivre et en même temps il faut quand même réussir à livrer quelque
07:52chose qui marche dès le jour 1 et ça c'est la difficulté aujourd'hui avec la crise
07:57climatique, c'est de bien imaginer ce qui va se passer dans 50 ans, du coup on essaye
08:01d'avoir des sols résilients, on essaye d'avoir une sorte d'écologie qui ensemble
08:08peut être résiliente.
08:09Vous avez une très belle phrase, vous dites que votre travail c'est au fond aider la
08:12nature à faire ce qu'elle aurait fait d'elle-même.
08:15Mais paradoxalement, vous enseignez à Harvard, les Etats-Unis, c'est un pays où il y a
08:19eu à la fois l'invention des parcs naturels, la préservation de la nature qu'on peut
08:24dire pour le dire « vie de sauvage » et d'un autre côté c'est là que sont nés
08:28les Mélégalopoles, c'est là qu'est né l'urbanisme le plus fou et le règne l'empire
08:34du béton et du bitume.
08:36Comment est-ce qu'on concilie ça et comment est-ce qu'on s'adresse à des étudiants
08:39qui ont ça comme horizon depuis leur naissance ?
08:42Oui, aux Etats-Unis, l'idée d'expérimenter est vraiment dans l'ADN du pays et quand
08:51j'ai proposé ce studio où chaque année on travaille sur une seule ville, je leur
08:56ai dit « voilà, il faut imaginer ce qu'il faut faire aujourd'hui dans 20 ans et
08:59dans 100 ans ».
09:00Et on ne vous a pas répondu « bah, s'il suffit de monter la climatisation ? »
09:05Non, non, non, je pense que justement dans les universités, ils sont bien au courant
09:10qu'il y a un vrai problème et je me suis dit « voilà, c'est ici avec les étudiants
09:16les plus brillants qu'il faut trouver des solutions ».
09:18Évidemment, et particulièrement dans la plus grande université du monde, on va écouter
09:22un film.
09:23C'est vous qui l'avez choisi.
09:24On va écouter un son, c'est la bande originale de Twin Peaks, la série télé.
09:33Pourquoi est-ce que vous voulez qu'on écoute cette musique qui est devenue culte ?
09:39Parce que je trouve que David Lynch a réussi à imaginer un paysage comme un protagoniste.
09:46Quand on voit Twin Peaks, on se rend compte que la brume dans les pins, c'est un personnage
09:52qui parle.
09:53D'ailleurs, il y a « The Lady with the Log », la dame avec la bûche, qui demande
09:57à la bûche ce qui se passe et que la bûche arrive à nous expliquer des choses qui sont
10:02impercévables.
10:03Et je trouve que de retrouver ou de donner cette voix et cette personnalité au paysage
10:10est essentiel.
10:11Ça veut dire qu'il faut, vous avez cette expression, penser comme des plantes, c'est-à-dire
10:16faire des plantes, des arbres, les vrais protagonistes comme dans Twin Peaks, des grands projets
10:22architecturaux.
10:23On ne peut pas s'en passer.
10:25Un projet architectural, ça ne peut pas se résumer à un geste, comme on dit, à un
10:30geste même d'un starchitecte.
10:31Oui, je pense que d'ailleurs la science nous le preuve, que les plantes sont beaucoup
10:38plus intelligentes qu'on pensait auparavant.
10:40Ah oui ?
10:41Absolument.
10:42En fait, vous, si vous n'êtes pas heureux, vous pouvez vous déplacer.
10:45Une plante est obligée de rester là où elle est.
10:47Ça veut dire qu'elle a besoin d'une connaissance parfaite de son environnement.
10:51Pas seulement une connaissance, mais aussi une façon de la manipuler.
10:54Du coup, une plante produit l'environnement.
10:56Et dans les projets qu'on fait, on essaye de travailler…
10:59Mais comment on veut dire, qu'est-ce que ça veut dire l'intelligence d'une plante ?
11:01Une plante doit comprendre le danger qui arrive.
11:06Par exemple, on sait que les acacias, entre eux, se disent qu'il y a des coudous qui
11:13arrivent pour manger les feuilles.
11:15En fait, ils diffusent des « Volatile Organic Compounds », des VOC, pour s'alerter.
11:21On sait que les plantes, par leurs racines, se parlent et s'entraident.
11:24Et tout ça, c'est assez récent.
11:26C'est vraiment…
11:27Mais du coup, ce n'est pas une intelligence centralisée.
11:28C'est une intelligence qui se diffuse par « rhizome », comme on dit en philosophie.
11:31Il y a cette expression de « paysage augmenté ». J'aimerais bien que vous nous l'expliquiez.
11:36En général, quand on parle de réalité augmentée, quand on met un casque de VR en 3D, un paysage
11:42augmenté, ça n'a rien de virtuel.
11:44Qu'est-ce que c'est ?
11:45En fait, j'ai inventé ce mot pour dire que le paysage fait beaucoup plus qu'être
11:49quelque chose d'agréable et d'esthétique.
11:51Pour dire que justement, il y a des produits, par exemple l'oxygène, on le sait bien,
11:57mais aussi le fait que les vapeurs de transpiration réduisent la température.
12:01De vraiment comprendre les plantes comme des agents, des acteurs de l'environnement.
12:08C'est pour ça que j'ai dit des « augmented landscapes », des paysages augmentés, qui
12:14en fait produisent l'environnement dans lequel nous, on peut habiter.
12:18La morale de l'histoire, c'est ce par quoi on termine Bass-Schmidt, c'est une phrase
12:23de Darwin.
12:24« Ce n'est pas l'environnement qui détermine les plantes, mais les plantes qui font l'environnement
12:27».
12:28Absolument.
12:29Ça, c'est votre conviction ?
12:31C'est sûr.
12:32Et du coup, dans tous les projets qu'on imagine, on essaye de voir comment on peut utiliser
12:36cette intelligence des plantes pour produire l'environnement.
12:38Merci infiniment, Bass-Schmidt, d'avoir été l'invité de France Inter et des 15
12:42minutes de plus ce matin, donc dans à peu près combien ? Un an pour avoir la clairière
12:47de Notre-Dame ?
12:48Non, non, pas aussi vite.
12:49On commence les travaux dans un an, il faudra attendre trois ans.
12:52Attendre trois ans avec des arbres qui, évidemment, seront plantés avec cette quasi-rivière
12:57que vous allez imaginer sur le paradis.
12:59Une fine lame d'eau, je préfère dire.
13:00Une fine lame d'eau, oui, avant de créer des polémiques avec les défenseurs du patrimoine.
13:06Merci infiniment, Bass-Schmidt, d'avoir été notre invité.