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Aujourd'hui, Anne-Cécile Mailfert écrit à Jocelyne, après la proposition de loi votée au Sénat à l'unanimité pour reconnaître la souffrance des femmes ayant pratiqué illégalement une IVG avant la loi Veil de 1975.

Retrouvez « En toute subjectivité » avec Anne-Cécile Mailfert sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/anne-cecile-mailfert-en-toute-subjectivite

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00:007h22, en toute subjectivité, Anne-Cécile Maïfert et Anne-Cécile, ce matin vous le
00:10disiez, vous revenez sur cette loi de réhabilitation des personnes qui ont été condamnées pour
00:15avortement.
00:16C'est une loi qui a été portée par Laurence Rossignol au Sénat hier et votée à l'unanimité
00:23et pour cela, vous avez écrit une lettre à une personne concernée.
00:28« Chère Jocelyne, hier après-midi, il s'est passé quelque chose de juste, de tardif
00:32mais nécessaire au Sénat.
00:33Et vous, sous le soleil printanier de Rouen, vous avez repensé à un autre printemps,
00:38mai 1962, quand du haut de vos 14 ans, vous avez vu votre mère partir, menottée, encadrée
00:43par deux policiers aux costumes impeccables.
00:45Vous n'avez rien dit, vous n'avez rien demandé.
00:48Ce soir-là, elle est revenue, la gorge serrée, le lendemain, elle est repartie, pour de bon
00:52cette fois.
00:53Vous l'avez revue des semaines plus tard à travers une vitre, celle du parloir.
00:56Vous pleuriez, elle cachait ses larmes, et là encore, vous n'avez rien demandé.
01:01Ce qu'elle avait fait pour se retrouver là, c'était pas ça qui comptait.
01:04Tout ce qui vous inquiétait, c'était s'il avait froid, si elle mangeait bien, si on
01:07la traitait bien, elle qui était handicapée.
01:09Vous vouliez l'embrasser, la prendre dans vos bras, la protéger, vous, l'enfant de
01:1314 ans qui s'était retrouvé tout à coup, avec votre frère et votre sœur, sans maman.
01:17Huit mois plus tard, elle est revenue, les cheveux un peu plus gris, le regard a jamais
01:22fatigué.
01:23Ce n'est qu'avec le temps que vous avez compris, dans le murmure des secrets bien
01:26gardés, elle avait avorté, elle avait aidé sa voisine.
01:29Comme 11 000 autres condamnés entre 1870 et 1975.
01:33Mais chez vous, on ne parlait pas de ces choses-là, alors vous avez fait comme elle, longtemps,
01:37vous avez gardé le silence.
01:38Plus tard, vous êtes devenu infirmière anesthésiste, parce que vous ne supportiez pas la douleur
01:43des autres.
01:44Quand Simone Veil a pris la parole à l'Assemblée, vous avez bu ses mots, le cœur battant.
01:47Non, c'était pas aux hommes de décider du corps des femmes, non, c'était pas à
01:52eux de juger.
01:53Et hier, au Sénat, l'histoire a fait un pas de plus, une loi pour reconnaître le
01:57tort fait aux femmes condamnées pour avortement, pour reconnaître que l'interdiction de
02:00l'avortement est source de souffrance morale, psychique, que c'était pas juste.
02:05Une réhabilitation, tardive, trop tardive, mais réelle, une démarche mémorielle qui
02:10déchire des décennies de honte et de silence.
02:12Alors depuis, vous parlez, vous témoignez, parce que ce qu'a vécu votre mère, tant
02:17de femmes le vivent encore.
02:19Partout dans le monde, elles avortent dans la clandestinité au péril de leur vie et
02:22de leur liberté.
02:23A cause de la violence des États et des hommes à leur tête, des enfants pleurent leur mère
02:26ou celle qui les ont aidés.
02:28L'histoire se répète, et l'injustice aussi.
02:30Hier, avec ce vote unanime, une page s'est tournée, et avec elle, une partie du poids
02:35que vous portiez.
02:36Votre mère, Jocelyne, n'était pas une criminelle, aucune de ces femmes ne l'était.
02:42Et nous, aujourd'hui, nous avons le devoir de ne jamais l'oublier.

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