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Jeudi 13 février 2025, LE JOUR OÙ reçoit Jean-François Delfraissy (Président du comité consultatif national d'éthique)

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00:00Ce qui distingue les figures marquantes de notre histoire, c'est leur capacité à
00:20prendre des décisions qui transforment le cours des choses, à faire des choix décisifs
00:25qui impactent le collectif, dans le jour où, nous explorons ces instants-clés, ces moments
00:30où une vision individuelle devient une action concrète, porteuse de changement.
00:33Aujourd'hui, nous avons l'immense privilège d'accueillir Jean-François Delfraissy, médecin,
00:38immunologue et ancien président du Conseil scientifique sur la Covid-19.
00:41Face à une crise sanitaire mondiale sans précédent, il a dû, avec son équipe, naviguer
00:46dans l'incertitude et proposer des orientations essentielles à la France.
00:51Aujourd'hui, vous êtes le président du CCNE, Comité consultatif national d'éthique.
00:55Dans cette émission, nous allons explorer le jour où Jean-François Delfraissy a pris
00:59une décision clé, mais aussi comprendre ce qui motive un tel engagement entre science,
01:04éthique et humanité.
01:05Jean-François Delfraissy, merci d'être avec nous.
01:08Bonjour.
01:09Bonjour.
01:10Pour commencer, dans le jour où, vous avez dû prendre une décision déterminante dans
01:14votre carrière, quel était ce jour ? Vous pouvez en avoir plusieurs.
01:19Oui.
01:20Curieusement, le jour qui m'a fondé un peu, c'est que j'étais très jeune, j'avais
01:2817 ans, c'était huit jours après le décès de mon père, et j'étais à l'époque en
01:36préparation au Matsub à 8 ans, et on était mi-octobre, et j'ai décidé, en rentrant
01:43de l'enterrement, qui avait lieu dans le Cantal, et on verra que le Cantal est un élément
01:48important pour moi, j'ai décidé d'arrêter et de faire médecine.
01:51D'accord.
01:52Et pourquoi vous étiez où ? Vous étiez dans la rue, à quel endroit vous étiez quand
01:57vous avez fait cette décision ?
01:58Non, c'est parce que probablement, mon père était médecin, je n'avais jamais trop
02:02discuté de ce sujet, j'étais parti pour faire ce qu'on appelait les prépa à l'époque,
02:07et j'ai choisi à ce moment-là de faire médecine, et c'est probablement la grande
02:11décision qui m'a poussé à faire ce magnifique métier.
02:15D'accord, et ensuite, toutes les décisions de votre vie, parce qu'il y en a eu plusieurs
02:19quand même, est-ce que vous pouvez nous en parler ?
02:20Après oui, je ne suis pas la seule, non, je démarrerai ça, c'est très personnel,
02:22excusez-moi.
02:23Non mais je trouve ça très intéressant.
02:24Mais après oui, bien sûr, il y a eu d'autres décisions, par exemple, j'étais aux Etats-Unis,
02:33juste avant la période SIDA, j'étais à l'époque immunologiste très fondamentale,
02:36je faisais de la recherche sur ce qu'était le début de l'immunologie, j'étais d'ailleurs
02:41dans le laboratoire avec Tony Fauci, on en reparlera tout à l'heure, mais quand les
02:45gens disent, ensuite, voilà, ils connaissaient Tony Fauci, oui, je connais Tony Fauci depuis
02:50maintenant 45 ans.
02:52Et en rentrant des US, c'est là où les premiers cas de SIDA sont apparus, et je me
02:57souviens très bien de vivre…
02:58Dans quelle année ?
02:59On était en 82-83, et je rentrais à Beclerc, Antoine Beclerc était un hôpital dans le
03:06sud de Paris, et là j'ai pris la décision d'arrêter l'immunologie fondamentale
03:11pour me consacrer fondamentalement à la prise en charge des patients VIH et des patients
03:16SIDA.
03:17Et je dis souvent que je suis un bébé SIDA, mais avec beaucoup de cheveux blancs.
03:22D'accord.
03:23Alors, quelles responsabilités ont traversé votre esprit à cet instant précis quand
03:28vous parlez du SIDA ? Vous prenez la décision de vous occuper des patients, alors qu'est-ce
03:33qui vous passe par l'esprit ? Pourquoi vous prenez cette décision ?
03:35C'était un mélange à la fois du fait qu'on ne connaissait rien, c'était vraiment
03:43une rupture en médecine, c'est une médecine assez triomphante des années 80, qui croyait
03:49que le monde était devant elle, et puis brutalement arrive une épidémie sur laquelle on ne connaissait
03:53rien.
03:54Après, ça a été le début d'une série d'épidémies que j'ai pris en charge,
03:57sur lesquelles on ne connaissait rien.
03:58Il y avait Ebola, il y avait le Covid-19, donc c'était le début d'une grande aventure.
04:03Et ça, c'était le premier point.
04:05Le second point, c'était le rejet, initialement, par peur, d'une population.
04:12J'ai les souvenirs, Antoine Beclerc, j'avais mon bureau de chef de clinique, assistant
04:17sur le palier, et je retrouvais pendant une période, tous les lundis, marqué à l'énorme
04:25feutre, sale PD.
04:27Ça montre le rejet qu'il y a eu pendant quelque temps, très peu de temps, parce
04:33qu'ensuite, le système hospitalier est un système qui est très ouvert et qui a
04:37pris en charge ces jeunes patients qui étaient dans des conditions dramatiques, et ça montre
04:41bien la peur qu'il y avait.
04:43Et j'amenais mes jeunes étudiants, mes externes, pour regarder la porte le lundi,
04:48et leur dire, regardez le job que vous avez choisi, la médecine c'est un métier très
04:52technique, mais c'est un métier aussi, il y a toujours une vision politique.
04:56Et c'est là où j'ai commencé à réfléchir quelle était la position du médecin par
05:01rapport au patient, et qui a forgé ma vie, c'est-à-dire que la maladie, elle appartient
05:08au patient, et il doit l'apporter, et là on est là, nous médecins, pour l'aider.
05:13On va parler d'Ebola maintenant, où vous étiez quand vous avez pris la décision de
05:18vous occuper de cette épidémie d'Ebola ?
05:22Alors après, on me voit maintenant évidemment comme d'abord quelqu'un d'âgé, ce qui
05:28est vrai, ensuite comme quelqu'un qui a eu beaucoup de responsabilités, mais en
05:33fait j'ai été un médecin qui a eu beaucoup les mains dans le cambouis, je me suis beaucoup
05:37occupé des patients VIH, j'irais à un gros service à Bicêtre, c'est là où j'ai
05:43connu aussi tous les états d'âme autour de la fin de vie, ces jeunes patients qui
05:47n'en pouvaient plus, et puis après on vous confie au fur et à mesure que les choses
05:51arrivent, on se trouve et on commence, sur des questions tout à fait essentielles, à
05:58discuter avec le politique, et on a commencé à discuter avec le politique, avec Jacques
06:03Chirac, sur l'accès aux antiviraux dans les pays du sud dans les années 2000, puis
06:08après j'étais considéré comme quelqu'un qui gérait les crises, était spécialiste
06:14des maladies infectieuses, connaissait bien le monde international, connaissait bien l'Afrique,
06:19donc chaque fois qu'il y avait un gros problème, on se disait quelle est la vie de la
06:23France, et alors c'est ce qui s'est passé aussi à la fois pour H1N1 au début, ensuite
06:28pour Ebola, et Ebola, je me souviens très bien de la discussion autour d'Ebola, Ebola
06:33c'est très particulier parce que c'est la première fois qu'un germe, le virus Ebola,
06:38a été isolé, non pas par les Américains, qui en général avaient une structure autour
06:45du CDC qui permettait d'isoler très rapidement les virus ou les bactéries qui étaient en
06:51cause dans les grandes pandémies, mais là ça a été Médecin du Monde qui a apporté
06:56le fragment de sang de patients Ebola et qui l'a amené au P4 de Lyon qui est un laboratoire
07:02extraordinaire qui permet de faire des diagnostics dans des conditions de sécurité maximum,
07:08et donc on a eu les résultats du P4 de Lyon, on a vu ce qu'était Ebola, et à partir
07:14de là j'ai lancé, je dirigeais une agence de recherche, j'ai lancé les recherches
07:18sur Ebola, et c'était donc en mars 2014, et à partir de l'été c'est là où Ebola
07:26a commencé, où il y avait quelques cas d'Ebola qui sont arrivés en Europe alors
07:29que c'était essentiellement en Afrique et en particulier dans l'Afrique de l'Ouest,
07:34et il y a eu une grande angoisse, une bouffée d'angoisse au niveau européen, des gouvernements
07:39européens, et en France donc, c'est le Président de la République, François Hollande, qui
07:43a souhaité qu'il y ait un délégué interministériel sur Ebola, et il m'a confié cette tâche.
07:48En fait en France ça s'est très vite résolu, et ça je le savais, je l'ai dit d'ailleurs
07:52lors d'une réunion de tous les préfets, et par contre j'ai passé pratiquement sept
07:57mois de ma vie en Guinée pour résoudre un certain nombre de points sur Ebola.
08:01Et comment ça s'est passé, comment vous avez évalué l'impact de cette décision
08:04sur le collectif par exemple en Afrique, comment ça s'est passé, comment vous l'avez...
08:09Ce qui s'est passé c'est que Ebola c'est une maladie qui était au début meurtrière
08:13à 90%, c'est-à-dire on était touché par Ebola, et c'était donc des conditions
08:20drastiques d'isolement des patients et d'isolement des corps.
08:24Donc il y a les ONG qui étaient en première ligne, Médecins du Monde, MSF, etc., avaient
08:33mis des conditions extrêmement drastiques pour la prise en charge de ces patients.
08:37La Guinée c'est 90% de patients, de personnes qui sont d'origine musulmane.
08:43Et donc il y avait un circuit très particulier où une personne était suspecte d'Ebola,
08:48elle rentrait dans une partie du camp médical, l'isolait, l'isolait de la famille, ensuite
08:53elle faisait Ebola ou elle ne faisait pas Ebola, mais si elle faisait Ebola, elle avait
08:57900 sur 10 de mourir dans les 8 jours.
09:00Et comment on attrape Ebola ? Comment on attrape Ebola ?
09:02Alors on attrape Ebola, on va y revenir essentiellement par les contacts cutanés et en touchant
09:06les gens.
09:07Et donc la population guinéenne ne comprenait absolument pas et voyait plutôt l'arrivée
09:15des ONG comme quelque chose qui ne leur rendait pas service et qui isolait leurs patients
09:21et de leurs familles.
09:22Et il y avait même des cailloux qui étaient lancés sur les camps, et on s'est très
09:28vite aperçu qu'une des mécanismes majeurs de contamination c'était les enterrements.
09:34Et les enterrements dans le milieu musulman durent 2-3 jours, on touche les corps et
09:38c'est là où le moment où les gens sont contaminés à l'occasion des enterrements.
09:43Donc il a fallu expliquer, et je suis allé voir le président de la République de Guinée
09:49de l'époque qui était condé, pour lui demander qu'il fallait qu'il prenne la
09:52parole pour expliquer pourquoi il y avait ces isolements et pourquoi on voulait mettre
09:58des enterrements sur.
09:59Il a refusé.
10:00Il a refusé parce qu'il a dit « ce n'est pas mon rôle de politique, ça dépend, c'est
10:05un caractère religieux et je ne peux pas aller contre ça ».
10:08Donc on est allé voir les imams, et c'est là où je me suis aperçu qu'il n'y a
10:14pas de hiérarchie dans les imams comme dans la religion califolique par exemple, et on
10:18peut être une petite structure et avoir une très grande voix.
10:23Et donc ce n'est pas à leur intermédiaire que finalement on a pu porter la voix au niveau
10:26des citoyens.
10:28Ebola illustre bien comment les grandes pandémies sont d'abord évidemment avec un germe,
10:35c'est médical, mais ça te revient très très vite sociétal, et il faut que la réponse
10:39à la société puisse être apportée très rapidement et en parallèle de la réponse
10:43médicale.
10:44Mais est-ce que la réponse doit être politique justement ?
10:45Elle est forcément politique.
10:47Elle est forcément politique.
10:48Elle est forcément politique parce que si elle est sociétale, le politique doit être
10:52amené à prendre un certain nombre de décisions.
10:53Tout à fait.
10:54On rentre dans la discussion de la relation entre science et politique, comment l'expert
11:01peut éclairer le politique, et c'est au politique de prendre des décisions.
11:04Est-ce qu'on peut faire un parallèle entre l'Ebola et le Covid-19 ? Est-ce qu'il
11:09y a eu des similitudes dans la gestion, dans la manière de gérer ces crises ?
11:13Ebola était essentiellement en Afrique.
11:20Tout à fait.
11:22Est-ce que ça vous a aidé pour comprendre comment fonctionnait l'Union Européenne ?
11:25Oui, bien sûr.
11:26Mais les pays du Nord ont vu ça, Ebola, comme quelque chose qui était ailleurs et sur lesquels
11:31ils n'étaient pas touchés.
11:32Le Covid-19, il y a une grande particularité, c'est la première grande pandémie de récente
11:38qui touche à la fois les pays les plus riches et les pays les plus âgés et ceux qui ont
11:42le plus de fric.
11:43Donc on était dans quelque chose de très particulier.
11:45Après, il y a des similitudes, ça touche tout le monde.
11:52Il y a eu des hésitations au départ sur les mécanismes de transmission.
11:57Justement, est-ce que l'aspect cutané touchait ou au contraire jouait un rôle ? Ou au contraire,
12:02est-ce que ce n'était pas voire respiratoire ? Toutes les discussions autour des masques.
12:06Et puis très vite, on est rentré en effet dans un climat de grande incertitude scientifique
12:12et donc de cette relation complexe entre la science qui ne sait pas et qui a conseillé
12:20un politique qui lui-même est en attente.
12:22Et on l'a vraiment vécu, moi je l'ai vraiment vécu en particulier tout début mars 2020.
12:28Moi, j'étais allé à une réunion autour de…
12:34Rappelons que vous avez présidé le Conseil scientifique pendant la crise Covid-19.
12:37Oui, voilà.
12:38Et où le Conseil scientifique a été créé…
12:41En mars 2020 ?
12:42Tout début mars.
12:43Ça a été créé le 5 mars.
12:45Après la suite d'une réunion qui avait eu lieu à l'Élysée où j'avais réuni
12:48des scientifiques.
12:49Et là, comment ça se passe ?
12:51Comment ça se passe ?
12:52C'est-à-dire que la crise démarre, le président de la République vous appelle
12:56directement.
12:57Comment ça se passe ?
12:58Non, c'est autre chose.
12:59La crise était déjà depuis début janvier.
13:01D'accord.
13:02Mais il y avait jusqu'à la fin février l'idée générale que la France éviterait
13:08de rentrer dans une crise, qu'on avait les moyens d'éviter d'avoir ce type de contamination.
13:13Puis on s'est très vite aperçu qu'on n'y arriverait pas.
13:16J'ai vu ça vraiment lors d'une réunion, la seule réunion physique qui a eu lieu à
13:20Genève.
13:21J'y étais pour le comité d'éthique.
13:22Mais j'ai retrouvé tous mes copains qui s'occupaient du virus.
13:25J'avais entendu les Chinois qui nous racontaient ce qui se passait en Chine et qui nous racontaient
13:29très peu de choses.
13:30Mais j'ai l'impression que les citoyens savaient, par exemple, on savait qu'il y
13:34avait des cas qui arrivaient de Chine, qu'il y avait une maladie qui allait arriver.
13:38Oui, bien sûr.
13:39On savait, mais on ne savait pas à quel point ça allait être une pandémie.
13:41Le degré.
13:42Tout à fait.
13:43Qui aurait imaginé ?
13:44Moi, le premier.
13:46Qu'on allait rentrer dans un confinement généralisé, et pas seulement en France.
13:50Mais dans le monde.
13:51De l'ensemble des grandes démocraties.
13:52Personne.
13:53C'est une mesure très moyenâgeuse.
13:55Personne n'aurait imaginé un truc pareil.
13:56Et donc, j'ai envoyé, moi, en rentrant de ces réunions, je suis allé à Londres
14:01voir des jeunes médecins qui font de la prédiction et ensuite des gens de Pasteur.
14:07Et puis, voilà, j'ai envoyé, j'ai donné un signal à l'Église en disant je pense
14:10qu'on se trompe complètement et qu'on est au début d'une grande pandémie.
14:13Et alors, à partir de là, en quelques jours, on a eu une réunion des scientifiques à
14:16l'Élysée, la création du Conseil scientifique.
14:19Et puis, ce jeudi 12 mars 2020.
14:24Donc, c'est juste avant le 17 mars.
14:26C'est avant le 17 mars.
14:27Oui, le 17 mars, c'est confinement, confinement généralisé.
14:29On se retrouve le jeudi matin avec quelques membres du Conseil scientifique face au président
14:33de la République, au Premier ministre, aux différents ministres de l'État.
14:36Vous étiez combien, là ?
14:37Et on était, il y avait donc les politiques qui étaient une quinzaine et nous, on était
14:41cinq, six, parce que tout le Conseil scientifique n'était pas venu, on avait été créé trois
14:45jours avant.
14:46Et on leur dit, eh bien, on pose la question, mais alors, qu'est-ce qu'on fait ? Et
14:52on répond, évidemment, on l'avait préparé, il faut confiner le plus vite possible et
14:56le plus dur possible.
14:57Et là, j'ai vraiment senti…
14:59La tête du président de la République et du Premier ministre, quelles ont été leurs
15:03têtes ?
15:04Alors, je pense que le président de la République avait compris qu'on allait là.
15:08D'accord.
15:09Il avait besoin de l'entendre, entre guillemets, je dirais, dit par des scientifiques et dit
15:14par des gens extérieurs, parce que c'était une telle décision qu'il devait prendre
15:18pour le pays qu'il fallait qu'il soit conforté, entre guillemets, et on commençait
15:22dans cette relation complexe, mais absolument nécessaire, entre la science, qui sait plus
15:28ou moins, d'ailleurs, et puis le politique de plus haut niveau.
15:31Autour de lui, par contre, au niveau des ministres, des conseillers…
15:34C'est ça, le problème.
15:36J'ai bien senti que là, ils nous regardaient avec des yeux en se disant…
15:39Ils sont fous.
15:40Mais ils sont…
15:41Qu'est-ce qu'ils sont en train de nous dire ?
15:43Alors, il faut…
15:44Attention, hein.
15:45Ça aurait été le cas si ça avait été une décision uniquement en France.
15:48Est-ce que vous avez reçu des pressions, des incertitudes ?
15:50Est-ce qu'il y a eu des incertitudes quant à cette décision ?
15:52Non.
15:53Il n'y avait pas d'incertitudes.
15:54On était vraiment convaincus, les membres du Conseil…
15:57Mais est-ce que vous avez eu des pressions, justement, de certains ministres en vous disant
16:01que vous êtes complètement fou ?
16:02Non.
16:03Aucune pression.
16:04Je suis d'ailleurs, sur l'ensemble de la vie du Conseil scientifique,
16:07on a été d'accord le plus souvent avec les décisions politiques,
16:10mais pas toujours.
16:11Pour y revenir, pas toujours.
16:12Et c'est très bien d'ailleurs qu'on soit toujours d'accord.
16:14Mais à aucun moment, durant les deux ans et demi de crise de vie du Conseil scientifique,
16:20je n'ai eu quelconque pression politique pour dire telle chose ou telle autre chose
16:26ou ne pas dire des choses.
16:27Ça, je veux le dire parce qu'en France, on reste quand même une très belle démocratie.
16:33Et avec ce partage des pouvoirs qui est très particulier,
16:36entre d'un côté la science et de l'autre côté la décision politique.
16:39Justement, on va en parler parce que la pandémie a révélé quand même des tensions.
16:42On ne peut pas le nier entre science, politique, opinion publique.
16:45Comment avez-vous trouvé un équilibre dans ce triangle qui est quand même incertain ?
16:50D'abord, il faut avoir de l'humilité.
16:54Vous n'étiez pas tout seul, évidemment.
16:56On n'était pas seul.
16:57Non, mais de l'humilité dans ces grands enjeux sur les décisions à prendre.
17:04La France s'en sort plutôt bien de cette pandémie.
17:08Ce n'est pas à moi de le dire, mais j'ai l'occasion de le faire.
17:12Si on regarde sur un marqueur qui est la perte de durée de vie d'un pays,
17:16la France perd trois mois et demi de vie.
17:19On a fait en gros 190 000 décès liés au Covid sur les deux ans et demi.
17:25On perd sur la durée de vie du pays moins 3,5 mois.
17:30On fait mieux que l'Allemagne, dont on nous a beaucoup dit.
17:33Mais regardez comment les Allemands font, etc.
17:35On fait mieux que l'Angleterre, on fait mieux que l'Italie, on fait mieux que l'Espagne.
17:39On fait moins bien que le Danemark.
17:43Ce qui est très intéressant, c'est de voir que les États-Unis, qui sont le pays de l'innovation,
17:48c'est eux qui ont mis en place les vaccins,
17:50c'est eux qui ont mis en place un certain nombre de traitements.
17:53Eux perdent moins 2,5 ans.
17:56Donc on est en train de parler de moins 3,5 mois et moins 2,5 ans aux U.S.
18:01Pourquoi ?
18:02Parce qu'aux U.S., l'accès aux soins pour les populations les plus fragiles,
18:06en particulier les blacks et en particulier les hispaniques,
18:10s'est fait dans de très mauvaises conditions.
18:12Et si on va plus loin, je vois ça avec maintenant 4 ans de décalage,
18:16si on regarde ce qui s'est passé dans les États républicains ou dans les États démocrates,
18:22la situation la pire, c'était dans les États républicains.
18:28Ce qui paraît assez logique.
18:29Donc certaines décisions, comme les confinements,
18:31étaient quand même très controversées en France et dans le monde.
18:34Comment vous avez fait pour gérer les critiques, personnelles comme professionnelles ?
18:39Alors, je ne suis pas sûr que le premier confinement…
18:42Pas le premier.
18:43…ait été tellement contesté.
18:44Je pense que les gens…
18:45Alors le discours de Macron, le discours de notre chef d'État,
18:49quand il dit « c'est la guerre »,
18:51est-ce que ce discours a été fait justement pour faire peur aux Français ?
18:55Je pense que les Français n'étaient pas prêts du tout à entendre ça.
18:58Non.
18:59Ils avaient conscience qu'il se passait quelque chose,
19:01mais ils n'étaient pas du tout prêts.
19:02D'ailleurs, qui était prêt à confiner un pays ? Personne.
19:05Et est-ce que la communication politique s'est bien faite, justement, là-dessus ?
19:07Alors, je pense que le début, il y avait cette ambiance,
19:11on est passé par un conseil de défense pour…
19:13« C'est la guerre ».
19:14Bon.
19:15Et puis, il l'a fait en deux temps,
19:18pour expliquer d'abord un premier confinement partiel,
19:21puis ensuite un confinement plus complet.
19:23Moi, je comprends ce qui s'est passé, là.
19:25Non, les ennuis ont été dans la durée.
19:28C'est-à-dire que, moi, le premier,
19:30je pensais qu'on était partis pour une période de un an, probablement.
19:33Ah, le premier confinement ?
19:34Non, pas le premier confinement,
19:35mais je pensais qu'on aurait un premier confinement,
19:37puis qu'on aurait un retour.
19:38D'accord.
19:39C'est ce qui s'est passé.
19:40Mais les ennuis ont vraiment commencé.
19:42Les Français avaient l'impression d'avoir joué le rôle,
19:45joué le jeu, d'avoir été confinés,
19:48d'avoir été très respectueux à ce moment-là
19:51des restrictions de liberté qui se sont passées,
19:53parce qu'il y a eu des vraies restrictions de liberté.
19:55Tout à fait.
19:56Et se sont trouvés ensuite au mois de septembre,
19:59au mois d'octobre 2020,
20:00alors qu'il faisait très beau, d'ailleurs,
20:02c'était un peu un été indien.
20:04Et puis là, on leur annonce, nous,
20:05il va y avoir une deuxième vague.
20:07Et c'est là où a commencé le débat très difficile,
20:11avec des experts qui disaient mais non,
20:13ils inquiètent beaucoup plus,
20:14il n'y aura jamais de deuxième vague.
20:16Et puis en fait, la deuxième vague arrive
20:17et il y a un deuxième confinement qui se met en place
20:19à partir de la troisième.
20:20Qui était un peu plus léger quand même.
20:22Alors qu'il était plus léger,
20:23mais qui était beaucoup plus difficile à supporter.
20:25Oui, tout à fait.
20:26Et puis ensuite, on sort de cette deuxième vague,
20:28on a les vaccins qui arrivent à partir de décembre 2020.
20:32Et puis le gouvernement, lui,
20:34est persuadé qu'avec les vaccins,
20:35tout va se faire,
20:36sinon qu'on ne vaccine pas un pays en quelques mois.
20:39Donc c'était forcément avec du temps.
20:42Et puis arrive une troisième vague,
20:43et arrivent surtout des variants.
20:45Des variants qui sont beaucoup plus vieux,
20:47donc des mutants de ce virus,
20:48qui sont beaucoup plus transmissibles
20:50et donc qui changent complètement la donne de nouveau.
20:52Et donc on se retrouve,
20:53et c'est là la période la plus difficile qu'on a eu à vivre,
20:56les gens ne s'en sont pas rendus compte.
20:58Mais ne serait-ce qu'en termes de décès aussi.
21:01C'est le premier trimestre 2021
21:03où on a d'une part une campagne vaccinale qui démarre
21:06et de l'autre côté, des virus variants qui arrivent.
21:09Et c'est là où on a eu la plus grande tension
21:12entre le Conseil scientifique et les décisions politiques.
21:16Quelles ont été les plus grandes critiques
21:17que vous avez entendues au niveau professionnel là-dessus
21:20et au niveau personnel ?
21:21Parce que j'imagine que vous avez dû en entendre quelques-unes.
21:24Oui, mais à vrai dire, je m'en foutais.
21:27De toute façon, est-ce que vous aviez le choix ?
21:30Je m'en foutais parce qu'il y a un moment donné,
21:33on vous confie une mission.
21:35Les règles avaient été assez claires
21:38vis-à-vis du président de la République.
21:41Il m'avait dit au départ,
21:44on protégera les plus fragiles
21:47et je m'appuierai autant que faire se peut
21:49sur les données de la science.
21:51Et donc sur ces deux données,
21:52je trouvais que la collaboration était possible,
21:55elle était faisable et c'est d'ailleurs ce qui s'est passé.
21:57Après, on ne peut pas, dans ce type de démarche,
22:00on ne peut pas avoir un consensus.
22:01Il faut savoir qu'il y a une minorité,
22:03on a une minorité très active contre nous
22:05et ensuite avec les vaccins, les antivax, etc.
22:08Mais j'avais décidé, peut-être à tort d'ailleurs,
22:12de ne pas aller sur les réseaux sociaux
22:14et de jouer la carte médiatique uniquement
22:18sur la présentation des avis.
22:20D'accord, donc pas de YouTube, pas de podcast ?
22:22Aucun, aucun, aucun sur les réseaux sociaux.
22:24Aucun média alternatif ?
22:25J'ai cru et après, je me suis dit,
22:27dans les erreurs qu'on a faites,
22:28on a eu tort de ne pas y aller
22:29pour présenter aussi, discuter à toute cette population.
22:32Puis, je m'aperçois que dans les enquêtes récentes,
22:34on s'aperçoit que les réseaux sociaux sont très présents.
22:37On le voit dans la campagne électorale américaine.
22:41C'est vrai, mais que sur les enjeux de santé,
22:43il y a deux grandes enquêtes qui viennent de sortir
22:46et qui montrent que finalement,
22:48l'impact sur la vision sur la santé
22:51sur les réseaux sociaux pour les Français
22:54est assez minime
22:55et qu'il s'appuie essentiellement sur les médias traditionnels.
22:58Ça veut dire qu'il faudrait peut-être commencer à s'y mettre ?
23:01Je n'en pense pas.
23:03En tant que scientifique,
23:04quel regard portez-vous sur l'importance de la communication
23:07et de la pédagogie face à une crise de cette ampleur ?
23:10C'est un point majeur.
23:14Est-ce qu'il y a eu un problème de communication ?
23:16Il y a d'une part parce que,
23:17somme toute, on a eu deux éléments.
23:20On avait des mesures de santé publique
23:22qui étaient avec des mesures de restriction de liberté,
23:25importantes,
23:27allant au début avec le confinement,
23:29les couvre-feu,
23:30puis ensuite allant vers le pass sanitaire
23:32et le pass vaccinal.
23:33Donc c'est bien,
23:34on restreint les libertés.
23:35Tout à fait.
23:36Et puis de l'autre côté,
23:37on a l'innovation qui arrive
23:39avec l'arrivée de tout ce qui est arrivé
23:41avec les médicaments et les vaccins, etc.
23:43Et dans cette restriction de liberté,
23:45il y avait une balance
23:46qui était entre restriction de liberté individuelle
23:49mais qui était au profit d'une vision plus collective.
23:52C'était pour protéger la nation de façon plus globale.
23:55Et c'est dans ces deux grands enjeux éthiques
23:59qu'on connaît bien.
24:00C'est l'autonomie et la liberté individuelle,
24:03avant tout à l'anglo-saxonne,
24:05versus la solidarité.
24:07La solidarité,
24:08c'est quelque chose
24:09où on s'occupe des plus fragiles
24:11et de tout le monde au nom de la nation.
24:14Et je pense qu'on a oscillé en permanence
24:16entre ces deux points.
24:17Et que c'est difficile à faire passer
24:19en temps de crise.
24:20Est-ce qu'il n'y a pas eu un problème
24:22de communication politique justement
24:24pour la gestion de cette crise ?
24:26Alors, sur la communication,
24:28il y a une communication gouvernementale
24:30qui a été escalée.
24:31Nous, on a communiqué essentiellement sur les avis.
24:34On a essayé de s'appuyer sur la science
24:36et d'avoir une autonomie.
24:38Je rappelle qu'on n'est jamais apparus
24:40dans les communications auprès du ministre, etc.
24:43On a gardé en permanence cette forme de liberté
24:47par rapport aux politiques,
24:49auxquelles je tenais beaucoup.
24:51Moi, je dirais que le principal point
24:53si j'ai une critique à faire,
24:55c'est que les mesures qui ont été prises en France,
24:58qui ont été annoncées par les politiques
25:00et en particulier le président de la République,
25:02elles sont assez similaires, assez proches
25:04de ce qui s'est fait au Danemark.
25:06Mais la première ministre au Danemark,
25:08c'était une femme.
25:09Alors, déjà, ça change un peu
25:11le mode de communication.
25:13Et ensuite, sur la même décision
25:15qui a été prise en France,
25:17elle l'expliquait.
25:18Elle passait trois minutes de plus
25:20en disant, voilà, j'avais le choix.
25:22J'expliquais pourquoi.
25:23J'avais le choix entre telle et telle.
25:25Les scientifiques me donnaient telle ou telle vision.
25:27Ce qui n'a pas été fait en France.
25:29Et en France, on a plus une communication
25:31très top-down.
25:32Oui.
25:33Et de dire, voilà, on a décidé,
25:35j'ai décidé de...
25:37Et probablement cet aspect,
25:39je pense que les Français, là...
25:41Ce qui a manqué, c'est de l'explication, finalement.
25:43C'est de l'explication de la décision.
25:45Pourquoi ?
25:46La décision était bonne,
25:48mais pourquoi cette décision ?
25:49Voilà.
25:50Pour expliquer un petit peu à tous les citoyens
25:51pourquoi ils avaient pris ces décisions-là.
25:53On va parler maintenant de votre rôle
25:55pendant la crise du VIH,
25:57ce qui est quand même très important.
25:59Vous avez été très important,
26:01très impliqué dans la lutte contre le sida.
26:03Quelles étaient les plus grandes difficultés
26:05scientifiques et sociétales à l'époque,
26:07pendant cette crise ?
26:08Alors, à l'époque, je rappelle qu'on est là,
26:10on revient en arrière.
26:11Oui, on revient en arrière, évidemment.
26:13On est dans les années 85,
26:1582 à 85,
26:17on découvre ce virus.
26:19Là aussi, on patauge.
26:21On ne sait pas trop comment il se transmet.
26:23Une transmission sexuelle,
26:24une transmission par le sang.
26:26Il y a eu tous ces enjeux importants
26:28de transmission par voie sanguine,
26:30avec toute la question qui s'est posée ensuite
26:32de, est-ce qu'on aurait pu éviter ça ?
26:34Enfin, il y avait des enjeux
26:36qui étaient déjà aussi terriblement politiques.
26:38Et puis, la temporalité que j'ai vécue
26:40sur le VIH sida
26:42n'est pas du tout la même
26:44que ce que j'ai vécu sur le Covid.
26:46Le Covid, finalement,
26:48tout s'est joué en deux ans et demi
26:50On a trouvé des vaccins en moins de six mois,
26:52des médicaments très vite aussi.
26:54Sur le VIH sida,
26:56les premiers médicaments arrivent
26:58qu'en 1996,
27:00c'est-à-dire 14 ans
27:02après le démarrage
27:04de cette énorme pandémie.
27:06Donc, on a eu une période extrêmement lourde
27:08en particulier dans les années 90
27:10où on n'avait pas de traitement,
27:12on s'avait diagnostiqué,
27:14on avait des services qui étaient plein
27:16de jeunes,
27:18et en particulier de jeunes hommes
27:20qui étaient à leur quatrième, cinquième
27:22infection porculiste
27:24et où on s'est posé, là,
27:26très clairement, le problème
27:28de la fin de vie.
27:30On va en parler de la fin de vie.
27:32C'est là que j'ai commencé à être interpellé
27:34par les conditions de la fin de vie
27:36pour un certain nombre de jeunes patients.
27:38Comment la gestion de cette crise sanitaire
27:40a-t-elle influencé votre approche
27:42lors de la pandémie du Covid-19 ?
27:44J'imagine que l'un vous a quand même apporté
27:46une réponse à l'autre.
27:48Oui.
27:50Sur le VIHIDA,
27:52il y a eu deux aspects.
27:54Il y a eu l'aspect
27:56« on ne connaît pas,
27:58donc il faut faire la place à la recherche »,
28:00et ça, ça reste
28:02mon pire métier.
28:04C'est-à-dire qu'on ne sait pas,
28:06donc la réponse à ça, il faut rechercher.
28:08Et donc se donner les moyens,
28:10et la France ne se donne pas suffisamment les moyens
28:12actuellement de consacrer le financement à sa recherche.
28:14Ce n'était pas le cas dans la période du VIHIDA
28:16où on a bénéficié de plus de financements.
28:18Ça, c'était le premier point.
28:20Le deuxième point,
28:22c'était les patients.
28:24C'est le moment où les patients,
28:26les associations, ACT-UP, Aide,
28:28etc., se mettent en place,
28:30connaissent beaucoup de choses,
28:32et c'est le moment où tout d'un coup
28:34le pouvoir médical est remis en cause
28:36puisque le pouvoir médical, il n'y a pas,
28:38puisqu'on ne sait pas,
28:40et où donc on va construire avec le milieu associatif.
28:42C'est ça qui m'a profondément changé,
28:44c'est-à-dire de considérer une fois de plus
28:46que la médecine
28:48est là pour aider les patients
28:50mais qu'elle n'est pas là pour diriger
28:52l'ensemble de la structure,
28:54et que la voix des patients est un élément fondamental.
28:56Les défis étaient bien au-delà de la science.
28:58Ça va bien sûr au-delà de la science.
29:00C'est là où j'ai commencé à réfléchir sur les enjeux
29:02de démocratie en santé
29:04et d'éthique,
29:06comment on construit finalement
29:08une réflexion autour de la prise en charge des patients.
29:10Vous parlez de la stigmatisation,
29:12comment vous avez fait pour travailler
29:14et pour faire avancer les choses
29:16avec ce contexte-là particulier ?
29:18D'abord, j'étais plus jeune.
29:20La société
29:22découvrait ça
29:24mais
29:26avec une notion
29:28peut-être plus bienveillante
29:30que maintenant.
29:32Je pèse mes mots
29:34parce que c'est important
29:36mais je dirais,
29:38j'ai bien vu
29:40l'épisode que je vous racontais
29:42sur Cell PD sur la porte de mon bureau.
29:44Tout ça a duré très peu de temps.
29:46Ça montre que la crainte qu'il y avait,
29:48mais ensuite quand les patients sont arrivés
29:50qu'on a expliqué à l'ensemble
29:52aux aides-soignants,
29:54aux brancardiers dans l'hôpital
29:56qui ne voulaient pas au début brancarder ce type de patients
29:58parce qu'ils n'avaient pas...
30:00On s'est trouvé avec tout ça
30:02sur la table.
30:04Avec les jeunes médecins de l'époque,
30:06on a expliqué,
30:08on passait notre temps à l'hôpital,
30:10on passait quasiment
30:1218 heures par jour à l'hôpital
30:14et avec le milieu associatif
30:16qui était extrêmement présent
30:18et c'est comme ça que s'est construit progressivement
30:20une acceptabilité sociale
30:22et je pense que ça nous a
30:24tous énormément formés
30:26de construire autour de cette maladie
30:28à la fois d'un point de vue recherche
30:30et puis d'un point de vue
30:32relation avec les patients.
30:34On va parler maintenant aujourd'hui
30:36parce qu'on va parler de votre présidence
30:38du conseil consultatif national d'éthique, le CCNE.
30:40Vous êtes le président du CCNE,
30:42vous avez traité des sujets complexes
30:44et sensibles comme la PMA,
30:46la fin de vie ou encore l'éthique des technologies.
30:48Quelles ont été les décisions,
30:50les recommandations les plus marquantes pour vous aujourd'hui ?
30:52Le comité national d'éthique
30:54c'est une institution
30:56indépendante dans le modèle français.
30:58On est 45 personnes,
31:00il y a un tiers de médecins
31:02et de chercheurs et puis le reste
31:04c'est des juristes, des philosophes, des gens
31:06de sciences humaines et sociales et il y a une représentation
31:08de la société civile, on a
31:105 personnes qui représentent les associations
31:12de patients. Et donc je dis que
31:14c'est un exercice d'intelligence collective
31:16qui aborde des sujets qui sont
31:18terriblement difficiles, où il n'y a pas forcément
31:20de solution, mais en tout cas
31:22on met sur la table ces sujets
31:24et on essaie de construire. Chacun arrive
31:26avec sa vision,
31:28sa culture, sa religion,
31:30sa formation et puis on écoute l'autre
31:32et c'est donc une éthique
31:34de construction
31:36et d'écoute, c'est probablement ce qui manque
31:38d'ailleurs peut-être un peu
31:40à nos politiques en ce moment,
31:42de comment on arrive à construire ensemble
31:44sur un sujet difficile.
31:46Alors, soit on peut être saisis
31:48par le gouvernement,
31:50ce qu'on appelle une saisine,
31:52soit on peut s'auto-saisir
31:54et quand on saute et saisit, on est maître du monde
31:56puisqu'on peut aborder les problèmes
31:59Vous choisissez les sujets ?
32:01On choisit les sujets et en particulier
32:03dans les grands sujets
32:05que j'ai eu à vivre comme président
32:07du CCNE, j'ai eu les deux
32:09sujets extrêmes de la vie, c'est-à-dire
32:11comment sur la conception
32:13et la PMA et l'ouverture de
32:15l'AMPS sur les femmes seules
32:17et les couples de femmes qui a précédé
32:19la loi de vie éthique et qui a précédé
32:21finalement l'ouverture
32:23de ce qui a été
32:25fait au cours de la loi de vie éthique de 2021
32:27et le CCNE a comme rôle
32:29de préparer la loi de vie éthique
32:31et puis de façon plus récente
32:33l'avis du CCNE
32:35sur la fin de vie qui est sorti
32:37en septembre 2022
32:39et qui là, souhaitait à la fois
32:41reconnaissait
32:43qu'il y avait des progrès à faire sur les soins péliatifs
32:45disait que la loi CLES-Leonetti
32:47n'était pas suffisamment connue d'y appliquer
32:49et ouvrait une porte
32:51en disant qu'il y avait un certain nombre de situations
32:53probablement rares
32:55qui pouvaient exister ou sur lesquelles
32:57au nom de la dignité, de l'autonomie
32:59d'une certaine façon,
33:01un certain nombre de patients pouvaient demander une aide à mourir.
33:03On en est où justement sur la fin de vie
33:05actuellement avec le gouvernement
33:07actuel ? Est-ce que ça bouge ?
33:09Est-ce que ça avance ou est-ce que c'est complètement
33:11figé aujourd'hui ?
33:13À partir de l'avis du CCNE
33:15le gouvernement et le président de la République
33:17Emmanuel Macron a décidé de
33:19ouvrir
33:21une grande consultation citoyenne
33:23et je pense qu'à côté du sujet lui-même
33:25ce qui s'est passé sur la fin de vie
33:27sauf peut-être la fin tout à fait
33:29est assez exemplaire
33:31parce qu'on a pris le temps
33:33de réfléchir sur ces sujets-là
33:35Ça vous a pris combien de temps ?
33:37Ça a pris 18 mois quand même
33:39avec une convention citoyenne
33:41avec énormément de réunions
33:43qui ont été organisées sur tous les territoires
33:45le CCNE avec les espaces éthiques régionaux
33:47a organisé
33:49plus de 600 réunions
33:51donc plus de 60 000 personnes
33:53qui ont été à ces réunions
33:55donc les différentes
33:57académies de médecine
33:59le conseil de l'ordre
34:01a réfléchi, a pris des positions
34:03et donc la loi ensuite
34:05qui a été lancée par le gouvernement
34:07est une sorte de ligne de crête
34:09c'est une loi d'ouverture
34:11et qui s'ouvre
34:13prudemment mais sur l'aide active
34:15à mourir. Cette loi a été
34:17présentée au Parlement
34:19en mai 2024
34:21elle était en cours de discussion
34:23et tout s'est arrêté avec la dissolution
34:25donc on en est exactement là
34:27c'est-à-dire que maintenant
34:29on repart avec
34:31une loi qui devait être présentée
34:33en février 2025
34:35et à ce jour je ne sais pas
34:37quel sera le gouvernement
34:39en février 2025
34:41donc c'est vrai que
34:43ce long chemin, cette discussion
34:45cette construction
34:47c'est difficile ce long chemin
34:49c'est difficile pour moi aussi
34:51c'est justement ce que je veux dire
34:53j'ai passé pratiquement deux ans
34:55de ma vie à construire
34:57à voir les différents acteurs
34:59comment vous arrivez à rester justement
35:01à y croire
35:03parce que j'y crois
35:05finalement je m'aperçois
35:07en voyant un peu
35:09ce qu'a été ma vie professionnelle
35:11que plus il y a de difficultés
35:13plus ça m'excite
35:15donc j'ai envie d'essayer de les résoudre
35:17pour me concitoyer
35:19on en est là
35:21et j'espère entre guillemets
35:23que cette loi sera remise sur la table
35:25avec le nouveau gouvernement
35:27pourquoi ?
35:29parce qu'il y a une demande de la part des français
35:31autour de ce changement
35:33de la fin de vie
35:35la fin de vie n'est plus la même
35:37qu'il y a 50 ans
35:39la fin de vie se passe beaucoup
35:41dans des structures médicalisées
35:43il faut qu'on améliore ce qui se passe dans les EHPAD
35:45on est une grande
35:47nation démocratique quoi qu'on dise
35:49et quoi que j'entende aujourd'hui
35:51et donc sur quoi on est jugé ?
35:53on est jugé sur notre capacité
35:55à s'occuper des personnes les plus fragiles
35:57une vraie nation
35:59et j'insiste bien là dessus
36:01une vraie nation démocratique
36:03c'est elle qui passe du temps
36:05et qui consacre des financements
36:07à ces populations les plus fragiles
36:09tout à fait
36:11selon vous l'importance de l'éthique
36:13dans un monde où les avancées technologiques
36:15se font à un rythme de plus en plus effréné
36:17ça va de plus en plus vite
36:19le rôle de l'éthique et l'importance de l'éthique là-dedans
36:21elle est où ?
36:23elle est d'essayer de faire réfléchir
36:25les scientifiques et peut-être aussi
36:27les citoyens ceux qui sont intéressés
36:29mais en particulier les jeunes
36:31mais c'est là où c'est évidemment le plus difficile
36:33sur quel monde
36:35voulons-nous pour demain ?
36:37je vais vous donner un bon exemple par exemple
36:39de la loi de bioéthique de 2021
36:41sur les cellules souches
36:43les cellules souches sont des cellules
36:45qui sont capables ensuite quand on leur donne
36:47des signaux et quand on lui dit
36:49ma cocotte il faut que tu te différencies
36:51en un cartilage de l'épaule
36:53ou du genou
36:55je te donne tel ou tel signal
36:57c'est la future
36:59médecine de demain la médecine de remplacement
37:01où on arrivera à remplacer
37:03un certain nombre d'organes par la construction
37:05de cellules souches
37:07même cellule souche
37:09elle est pluripotente c'est-à-dire qu'elle peut
37:11se transformer en beaucoup de choses
37:13et elle peut se transformer par exemple
37:15en spermatozoïde ou en ovocyte
37:17et on peut imaginer
37:19que si à la même cocotte que j'évoquais
37:21on lui donne un autre signal
37:23elle va se transformer en spermatozoïde
37:25ou en ovocyte
37:27et là on peut faire un embryon
37:29complètement dénovo en dehors de tout acte sexuel
37:31complètement en éprouvette
37:33et on commence à toucher une ligne rouge
37:35de construction
37:37et c'est là où l'éthique est là pour
37:39poser la question jusqu'où voulons-nous aller
37:41mais si je parle
37:43des cellules souches c'est parce qu'il y a eu un long débat
37:45sur l'origine
37:47de ces cellules souches
37:49elles peuvent être
37:51originaires de deux points
37:53soit l'embryon
37:55parce qu'il y a des cellules souches embryonnaires qui existent
37:57soit de la peau
37:59finalement il y a eu un très long débat sur
38:01oui mais si on les prend à partir de l'embryon
38:04on va se rendre compte de ce qu'on fait
38:06la question n'est pas là
38:08puisqu'on arrive à les trouver à partir de cellules putanées
38:10la question est de savoir ce qu'on en fait
38:12si on va vers une transformation vers l'épaule
38:14et remplacement d'organes
38:16on est dans la médecine de demain
38:18si on est dans la construction
38:20d'un nouveau embryon à partir de cellules souches
38:22asexuées
38:24là on franchit une ligne rouge
38:26quels sont les défis
38:28on va parler santé publique un petit peu
38:30parce que là on va arriver au terme de l'émission
38:32quel est le défi auquel la santé publique devra faire face
38:34dans les années à venir pour vous Jean-François Belfrissier
38:36il y en a un qui est évident
38:38personne ne veut voir
38:40le vieillissement de la population
38:42je suis bien d'accord
38:44je suis très clair là dessus
38:46personne ne veut voir ça
38:48moi le premier évidemment
38:50mais il n'y a pas que moi
38:52les scientifiques
38:54c'est un sujet qui les intéresse
38:56mais bof bof
38:58les citoyens
39:00les familles
39:02c'est compliqué
39:04notre vie a changé
39:06on a pris le modèle Ehpad
39:08mais on voit bien les limites de ce modèle Ehpad
39:10on a bien vu les tensions qui se passaient
39:12avec le modèle Ehpad unique
39:14au moment du Covid par exemple
39:16les chiffres sont là
39:18on a d'une part une baisse de la natalité
39:20en France
39:22qui est moins marquée que dans d'autres pays
39:24mais qui est quand même marquée
39:26et qui va s'accentuer
39:28qui permet de prolonger la vie des gens
39:30dans des conditions qui sont plus ou moins optimales
39:32mais qui existent
39:34et donc
39:36il y a une progression entre guillemets
39:38de la durée de vie de chacun des citoyens
39:40ça implique d'ailleurs des questions
39:42autour de la retraite
39:44est-ce qu'elle est au même âge ou pas
39:46c'est des sujets aussi de ce type
39:48et puis troisièmement on a une population qui vit, il y a la japonaise
39:50comment on va répondre à ça
39:52et comment on va à la fois pouvoir porter
39:54une population jeune
39:56et répondre
39:58à cette question du vieillissement des populations
40:00et ça ne sera pas l'état qui va répondre
40:02il ne pourra pas, l'état est un bout de souple
40:04en termes de financement et de plans sociétaux
40:06donc il va falloir que de nouveau
40:08le milieu associatif
40:10les familles s'impliquent
40:12comme elle l'était à une période
40:14et ça c'est le message extrêmement
40:16difficile, y compris pour le politique
40:18j'ai une dernière question
40:20si vous pouviez revivre un moment marquant
40:22de votre carrière, vous choisiriez lequel
40:24je choisirais
40:26alors
40:28c'était en
40:301995
40:32j'étais responsable
40:34d'un grand essai thérapeutique
40:36qu'on faisait avec les américains
40:38où on avait un médicament qui s'appelait
40:40c'est les premiers médicaments du VIH qui s'appelait
40:42l'AZT
40:44et on avait posé la question
40:46simple, est-ce que en donnant
40:48de l'AZT pendant la grossesse
40:50chez les femmes séropositives
40:52on peut réduire la transmission
40:54à l'enfant
40:56et on a eu, je me souviens
40:58c'était en février
41:00c'était un essai qui était mené en France
41:02et aux Etats-Unis, j'étais copy-eye
41:04et le comité indépendant
41:06qui voyait les résultats décide d'arrêter l'essai
41:08parce que le BRAS
41:10était réduit de 60%
41:12la transmission
41:14qu'est-ce que vous avez ressenti ?
41:16d'abord on était dans la période la plus noire
41:18du sida, donc c'était un des premiers grands essais
41:20qui était extrêmement positif
41:22et puis on a sauvé des dizaines
41:24de millions d'enfants
41:26à partir de ce résultat
41:28et donc ça c'est le résultat
41:30dont je suis probablement le plus fier
41:32Vous étiez où ? Vous vous en rappelez ?
41:34J'étais dans le Cantal et je suis revenu
41:36Jean-François Delfraissy, merci pour ce partage
41:38inspirant et éclairant
41:40on rappelle qu'un médecin au fond aux éditions du Seuil
41:42vous pouvez l'acheter dans toutes les bonnes librairies
41:44c'est exact
41:46vous nous avez montré que derrière chaque grande décision
41:48il y a des convictions profondes
41:50et un sens aigu des responsabilités
41:52merci beaucoup d'avoir été avec nous
41:54Merci

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