• il y a 3 jours

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00:00Et place maintenant Frédéric à un homme de théâtre qui a le don d'ubiquité.
00:07Oui, parce que d'habitude, quand on reçoit un metteur en scène, c'est pour une pièce,
00:11c'est déjà bien suffisant pour beaucoup, mais là, Emmanuel Noblet est à la fois celui
00:15qui fait remonter sur scène François Cluzet au bouffe parisien, et en même temps qui
00:19adapte au théâtre du rond-point le roman de Tanguy Viet, l'article 353 du code pénal,
00:24et il trouve le temps, mais oui, d'être dans le studio de France Info quand même.
00:27Bonjour Emmanuel Noblet.
00:28Bonjour.
00:29Vous travaillez sur deux pièces en même temps ?
00:31Ce sont les hasards du calendrier, parce que ça fait des mois que je travaille sur ces
00:37deux pièces.
00:38Il se trouve qu'elles sont à l'affiche à Paris en même temps.
00:41Mais vous les avez écrites, la mise en scène vous l'avez faite en même temps ?
00:45Pour tout vous dire, Tanguy Viet, j'ai mis cinq ans à le convaincre.
00:48J'avais lu le roman en 2017, Encore une journée divine, le projet date de 2021 à la sortie
00:55du roman.
00:56François Cluzet qui dit en 2022 que ça l'intéresse mais qu'il ne sera pas libre avant janvier
00:5925.
01:00Je mets un long temps à faire les adaptations et en réalité je suis vraiment en répétition
01:07très sérieusement depuis septembre jusqu'à janvier.
01:11Là, je n'ai pas arrêté, c'est vrai.
01:12Elles se jouent ce soir, les deux pièces ?
01:14Oui, les deux pièces.
01:15Vous allez où ? Vous allez commencer une ? Vous êtes sur scène en plus ?
01:19Je joue dans celle qui est au rond-point.
01:20Donc, comme on est quasiment à une demi-heure près, je ne peux pas sortir et dire à toute
01:27fin, ça ne sert à rien.
01:28En vélo, j'ai fait ça à la première, on jouait le samedi à 18h30, à 20h19 j'étais
01:34en loge, à 23h00 sur mon vélo, à 30h00 aux Bouffes Parisiennes et j'ai vu la première.
01:39Il n'y a que le samedi où je peux filer et voir les deux à la suite.
01:42Vie, ma vie, t'es bien noblée.
01:44Ce ne sera pas toujours.
01:46Direction d'abord, tiré fioré, les Bouffes Parisiennes, Encore une journée divine, donc
01:51Cluzet seul en scène.
01:52Oui, il n'a pas choisi la facilité avec ce seul en scène et surtout ce personnage psychiatre
01:57là de ses patients, persuadé d'avoir la méthode pour changer le monde, pas moins,
02:01et qu'on découvre interné dans un hôpital psychiatrique, errant dans ses pensées, dialoguant
02:07avec un médecin et une infirmière absents du plateau.
02:10Il y a une énigme dans ce monologue qu'on va découvrir peu à peu, il y a surtout une
02:14radicalité, un ressentiment terrible, une frustration qui, si elle déborde, peuvent
02:19pour le coup nous embarquer dans la folie.
02:22Ce qui est drôle, parce qu'il y a de l'humour aussi, c'est de voir François Cluzet incarner
02:25très naturellement les emportements de son personnage, c'est vrai qu'on connaît son
02:30caractère bouillonnant.
02:31Alors, est-ce qu'il a eu le trac de remonter sur scène après une si longue absence, 25
02:36ans ? Réponse de François Cluzet.
02:37J'ai surtout eu le trac quand il a fallu apprendre le texte, parce que le texte est assez complexe,
02:42parce que le type passe du coquelane sans arrêt, en plus il a moitié dingo, donc il
02:48a un bon complexe de supériorité, donc il s'exprime avec des mots très chiadés,
02:54vous m'objecterez, enfin ce genre de trucs qu'on n'emploie jamais, et donc à retenir
02:59c'est un peu plus difficile qu'un langage commun, habituel, et passe sans arrêt du
03:04coquelane.
03:05Le type est quand même sérieusement déséquilibré, la stratégie de ce type, puisqu'il est psychiatre
03:09et qu'il est enfermé dans un asile psychiatrique, c'est de dire, plus je leur montrerai que
03:14je vais bien, plus ils seront obligés de me laisser sortir.
03:17Il va en dire trop quand même, on va découvrir pourquoi il est là.
03:20C'est beau de regarder un metteur en scène écouter son acteur, son comédien avec une
03:26telle attention.
03:27On le comprenait avec les autres romans que vous disiez tout à l'heure, Emmanuel Noblet,
03:30c'était Cluset que vous aviez en tête pour ce rôle et que lui ?
03:33Oui, d'abord moi ça ne m'était pas arrivé encore qu'une productrice de théâtre vienne
03:38me voir en me disant, t'aimes faire des adaptations de romans au théâtre, il y a ce roman, il
03:43faut faire du théâtre avec, vas-y, à quoi tu penses ? Et effectivement en lisant ce
03:48roman de Denis Michelis, je me suis dit, oui bien sûr, c'est un matériau de théâtre
03:51génial et il a très bien diagnostiqué quelque chose de la folie de notre époque, parce
03:56que si même les psys se radicalisent, vraiment, il n'y a plus beaucoup d'espoir.
04:00Et très vite, à la lecture, il fallait quelqu'un de très charismatique, qui soit à la fois
04:08drôle, séduisant, fascinant et inquiétant, potentiellement dangereux et potentiellement
04:14fou aussi.
04:15Et évidemment que tout le monde peut tout jouer, mais il y en a chez qui, quand toutes
04:19les cartes sont dans le jeu dès le début, là ça devient formidable.
04:23Des rôles qu'on avait vu faire au cinéma.
04:24Exactement.
04:25Je n'ai plus le film en tête, mais quand tu joues la jalousie, je ne sais plus.
04:28Ah ben c'est l'enfer !
04:29C'est l'enfer, c'est l'enfer, c'est exactement ça.
04:30Mais moi j'ai pensé à tout ça en répétition, et même en faisant l'adaptation pour lui,
04:35j'avais l'impression de puiser dans toutes ces références de films où on a adoré cet
04:39acteur, où il nous fascine, en disant, tiens, là il va y avoir une touche de danger ici,
04:45de menace, l'humour, là il va être rayonnant.
04:47J'ai pensé aussi à l'origine de Xavier Giannulli, où il fait cet escroc fascinant.
04:53Il y avait tous les ingrédients comme ça, on les connaît chez lui, il restait à les
04:57rassembler dans une pièce et il rêvait de retourner au théâtre surtout.
05:01On va écouter comment il travaillait avec vous, Clouset.
05:04Oui, il a quelque chose de très précieux, c'est d'abord que c'est un grand bosseur.
05:09Et vous savez, moi le premier, je suis plutôt du côté des feignants que des travailleurs.
05:14Là où il m'a vraiment bluffé, c'est dans la direction d'acteur.
05:17Pas une seule fois, je l'ai pris à défaut de donner une mauvaise indication.
05:22Bon, tout est relatif, mais à chaque fois, ça a fait tilt.
05:24Il donne des notes, tous les soirs, et dans ces notes, j'avoue qu'à chaque fois, ça
05:28me fait progresser.
05:29Donc, j'essaye de me tenir vraiment parfaitement à ce qu'il dit parce que je sais qu'il
05:34a raison.
05:35Je suis énormément reconnaissant parce qu'il a fait l'adaptation pour moi.
05:39Vous savez, c'est toujours pareil, quand vous êtes désiré, ça vous donne des ailes.
05:43Tous les soirs, il se lâche peut-être ?
05:45Il s'en plaint un peu.
05:46Je vais toujours le faire en secret.
05:49Non, oui, c'est vrai.
05:50Mais moi, je suis un peu chiant pour ça, c'est-à-dire que je commence toujours par
05:54dire tout ce qui est formidable, mais je vois toujours ce qu'il y a de perfectible.
05:58Et du coup, si on ne m'arrête pas, je continue à faire des notes.
06:02Et là, je lui ai renvoyé une page de notes l'autre jour et je me dis, maintenant, il
06:06faut arrêter.
06:07Il faut le laisser.
06:08Puis là, ce qui est bien aussi, c'est comme je ne viens pas tous les soirs, il peut voler
06:10de ses propres ailes.
06:12Je reviendrai à un moment, je redonnerai un peu mon avis, mais je sais que le spectacle
06:14est très solide et surtout, il prend un immense plaisir à jouer.
06:18Et ça, c'est une générosité pour le public que tout le monde ressent.
06:21Et moi, j'adore ça.
06:22Il est venu vous voir au Rampoint ?
06:23Il était venu quand on jouait à Aix-en-Provence.
06:25Il était venu juste avant les répétitions.
06:27Et du coup, il avait vu Vincent Garangé, l'acteur qui porte toute la littérature du
06:33texte.
06:34Moi, je joue un autre rôle qui écoute plus.
06:36Il lui avait dit, mais enfin, c'est fou, comment tu fais ? T'as appris tout ce texte.
06:39Les deux, c'est vrai qu'ils ont une partition énorme.
06:41Un texte très exigeant.
06:43Et c'était très beau de les voir tous les deux parler de ça et de se dire, bon ben
06:47là, attention, peut-être qu'ils ont parlé un peu de moi aussi, mais je les ai laissés.
06:50On a le temps d'aller voir l'autre pièce Thierry ?
06:52Ah bon, on a le temps !
06:53Au Rampoint, c'est très différent, mais c'est aussi adaptation.
06:56Alors, j'ai pas le bus sur le métro, j'ai oublié.
06:58Généralement, je fais un petit point RATP, là je l'ai pas.
07:00Vous êtes plus erreur.
07:01Vous êtes plus erreur.
07:02Alors, article 353 du Code pénal, donc texte de Tanguy Vielle.
07:06On est dans la rate de Brest, un ancien ouvrier qui a touché une indemnité de licenciement
07:10quand l'arsenal a fermé, voit arriver un promoteur, on pourrait dire un prometteur,
07:15car ce Antoine Lasnec promet de transformer le coin en Riviera du Finistère.
07:20Désolé si le terme Riviera est un peu connoté en ce moment.
07:23Un Bernard Tapie Breton, en fait, qui séduit tout le monde, empoche l'argent, commence
07:27le chantier mais ne le finit jamais.
07:28On est dans le bureau d'un juge d'instruction, et c'est vous Emmanuel Noblet, le juge en
07:33question, car cet ouvrier, Martial Kermer, est accusé d'avoir balancé à la mer ce
07:38promoteur véreux.
07:39Il y a une intrigue, mais la puissance du texte est ailleurs.
07:42Tanguy Vielle décortique le mécanisme de la séduction, de la manipulation, ou comment
07:47des prolos se font enrouler dans la farine, en rêvant, en pensant qu'ils peuvent entrer
07:51dans un monde qui n'est pas le leur.
07:52Et c'est un formidable comédien, Vincent Garangé, qui incarne ce brave Martial.
07:57En un sens, Lasnec, ça aurait été plus facile s'il avait disparu, quitté la région,
08:02changé de nom, parce que plus il tenait, plus on se disait, c'est pas possible, s'il
08:06reste là, c'est qu'il n'est pas malhonnête.
08:08S'il reste là, c'est qu'il y croit lui-même, alors que c'était justement le contraire.
08:12Il restait pour qu'on y croit nous.
08:14Et ça marchait.
08:15Parce que le plus drôle encore, c'est peut-être même pas qu'un type hypnotise un village
08:19entier, le plus drôle, c'est le temps qu'on met à revenir de cet étrange pays.
08:23D'avoir fait un chèque gros comme ça, de voir le type qu'il a encaissé, dépensé,
08:27sans compter, non, ça n'empêche pas de se dire encore longtemps que c'est justement
08:30le signe qu'on a mis son argent entre de bonnes mains.
08:32On l'entend, il y a forcément une dimension politique dans ce texte, les dominants qui
08:37écrasent les petits, je caricature sans doute, mais allons vite, c'est encore plus fort
08:41au théâtre que par l'écrit.
08:42La voix, quand on l'entend, est-ce que c'est une des dimensions de ce projet-là pour vous ?
08:46Oui, c'est un projet politique, social, et puis le théâtre apporte ceci de pas plus
08:55fort, il ne faut pas comparer, c'est l'incarnation.
08:59C'est que là, on a le corps d'un homme, et ce que fait Vincent Guéranger, il arrive
09:06à la fois à être, on sent le terrien, le mec du Finistère, on en croise sur la
09:13côte, là-bas, sans problème, et en même temps, il arrive à faire ce grand écart
09:18assez vertigineux, qui est que quand il parle, ce sont les éditions de Minuit, c'est un
09:23texte très écrit de Tanguy Vielle, mais on a, et la pensée, la richesse de vocabulaire,
09:28de paroles, de métaphores, de philosophie, et une parole très politique, sociale, de
09:34combat, de résistance en tout cas.
09:37Totalement de résistance, et puis comme une utopie politique, je dirais, dans le projet
09:42lui-même, qui est que qu'est-ce que c'est qu'un homme qui écoute ? Parce que le juge
09:46que j'incarne en face ne dit quasiment rien, et on ne sait pas ce qu'il pense, mais
09:50sans doute que, évidemment, vu que le crime est avoué au début, il mérite sanction.
09:55Mais ce que ça raconte, c'est comment, en écoutant un homme parmi ceux qui ne sont
10:00rien, cette expression horrible venue du sommet de l'État, on peut, par empathie,
10:07par compréhension du drame, peut-être changer totalement d'avis.
10:12Est-ce qu'on est capable aujourd'hui de s'écouter ?
10:14C'est la grande question.
10:15Et j'y vois même l'exact opposé à l'autre pièce dont on parlait, avec quelqu'un
10:20qui se radicalise et qui n'écoute plus.
10:22Et là, on fait l'inverse.
10:23Il y a un homme qui...
10:24Enfin, on écoute quelqu'un pendant 1h40, et on va y être sensible.
10:29Et puis ça se passe à peu près dans les années 90, c'est ça ?
10:32C'est avant le passage de l'euro, puisque son indemnité, elle est en francs.
10:35Et c'est quelque chose qui a disparu.
10:38C'est une ex-classe ouvrière qui était engagée à gauche, qui a cru, et qui voit
10:44arriver...
10:45Oui, j'ai pris l'exemple de Bernard Tapie, parce que c'est exactement ça.
10:48Le pouvoir de l'argent qui roule dans la farine, c'est pauvre type.
10:52Enfin, c'est pas pauvre type parce qu'ils sont pauvres types, mais qu'ils se font
10:55vraiment avoir complètement.
10:57Alors même qu'ils n'avaient sans doute pas envie.
10:59Et il y a tout un développement sur qu'est-ce que c'est que ces hommes, et ces femmes aussi,
11:05bien sûr, qui ont vécu mai 81.
11:08L'élection de François Mitterrand, pour ceux qui n'y étaient pas à l'époque.
11:12Et qui, par exemple, l'a...
11:15Et qui dit, oui, être de gauche, c'est sûr qu'on a changé.
11:19Et par exemple, il n'ose pas avouer qu'il a fait un investissement immobilier pour avoir
11:24un peu de...
11:27Enfin, faire une opération financière, c'est honteux pour lui.
11:30Et c'est comme...
11:31Voilà, c'est une bascule.
11:32Il parle d'argent et il ne se parle plus les uns les autres.
11:36Et il se perd d'une certaine manière.
11:38Et on plonge dans ses...
11:41Dans leur âme, dans leur regret, dans leur rapport à leurs enfants.
11:46Qu'est-ce qu'on a promis ?
11:47Où est-ce qu'on échoue aussi dans la transmission des valeurs et du rapport aux autres ?
11:52Il est bouleversant ce texte.
11:53On entend votre amour profond de la littérature.
11:55Vous avez adopté également Mélisse de Carangaille.
11:57« Réparer les visions » il y a quelques années.
11:59À quand un premier roman ?
12:01Il faut que je le lise.
12:03Parce que vous n'avez pas beaucoup de temps.
12:04Non, mais c'est...
12:06Non, mais c'est ça.
12:07Est-ce que je vais continuer avec des romans ? J'aimerais bien.
12:09Non, mais vous en écrirez un.
12:10Ah.
12:11Vous.
12:12Que moi, j'écrive ?
12:13Ah, comme vous y allez.
12:14Ah non, mais j'ai trop de respect pour ceux qui...
12:16Non, mais je...
12:18Vous connaissez cette phrase de Jean Rochefort.
12:20À qui on disait, mais vous avez...
12:22Vous allez écrire.
12:23J'ai déjà écrit.
12:24Vous avez déjà écrit ?
12:25Et il répondait, oui, mais je me suis relu.
12:29Eh ben, quelle fin.
12:30Merci Emmanuel Noblet.
12:31Merci à vous.
12:32Merci beaucoup.
12:33Au théâtre ce soir.
12:34Et dans deux théâtres, même à Paris.
12:35Et tout public, ça se réécoute sur franceinfo.fr en podcast.
12:39Merci Frédéric Carbone.