Séance spéciale par Mohamed Magassa et Nicolas Pellion.
Enregistré le vendredi 31 janvier 2025 dans le cadre du Festival Un état du monde, 15e édition.
Infos : https://www.forumdesimages.fr/conference-clipee-rap-et-prison-lenfer-sur-terre-par-mohamed-magassa-et-nicolas-pellion
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00:00Merci, en introduction on va vous présenter brièvement un petit peu le livre et expliquer
00:12comment ce dont on va parler aujourd'hui est un prolongement de ce qu'il y a dans
00:17le livre.
00:18Ce ne sont pas forcément des choses qu'on retrouve dedans mais des thèmes un peu connexes
00:22qui vont un peu plus loin que ce qu'on dit dans le livre.
00:25Effectivement c'est un livre sur le rap parce que Mohamed et moi, le rap c'est notre centre
00:31d'intérêt numéro un depuis une trentaine d'années au moins.
00:35C'est une obsession on peut le dire.
00:37Et en fait par le biais de cette obsession on a été amené à découvrir ce qu'est
00:44l'Amérique dans tous les sens, dans toutes les possibilités, tous les types de regards
00:50qu'on peut avoir sur ce pays etc.
00:51On a appris ce qu'était ce pays, comment il fonctionnait, en tout cas on pense, mais
00:56ça a été vraiment notre porte d'entrée et peut-être notre seule porte d'entrée.
01:00Et c'est un petit peu ce qu'on a fait avec ce livre, à savoir qu'on part de l'histoire
01:06et de l'œuvre de rappeurs mais en réalité ça nous permet de parler beaucoup d'Amérique,
01:12de ce qui s'y est passé dans la décennie 2010-2020 et forcément de ce qui s'est aussi
01:19passé pendant les siècles avant, qui ont eu pour conséquence des événements dans
01:25les années 2010.
01:26Et comme ça se fait par le biais d'œuvres, c'est aussi un moyen de parler en fait de
01:35comment les personnes, les habitants, du coup comme c'est du rap essentiellement voire
01:41quasi exclusivement des hommes et des femmes noirs dans le livre, mais comment ils utilisent
01:47en gros la fiction, la création pour survivre, dépasser, guérir ou vivre avec toutes les
01:58formes de violences qu'on peut rencontrer quand on est noir aux Etats-Unis, donc des
02:04violences institutionnelles, des violences racistes, mais aussi des violences fraternelles,
02:13environnementales, enfin tous les types de violences possibles et comment à travers
02:17leurs œuvres ils la racontent, comment ils la dépassent, comment ils la soignent dans
02:22leur communauté ou pour eux-mêmes etc.
02:23Donc voilà, nous on estimait qu'il était important de revenir sur cette décennie et
02:32honnêtement les Etats-Unis c'est un pays qui nous fascinait et là c'est un pays qui
02:36nous fait peur maintenant après avoir écrit ce livre.
02:39L'idée d'Enfer sur Terre en fait c'était à la fois, il y a évidemment un espèce de
02:45pied de nez à l'American Dream et en même temps c'est aussi une référence qui parle
02:51du coup plus spécifiquement aux gens qui écoutent et qui connaissent du rap, c'est
02:55aussi la traduction d'un titre de rap qui s'appelle Hell on Earth, donc l'Enfer sur
02:59Terre, et qui est un titre de rap américain par lequel énormément de français, en tout
03:05cas de notre génération, ont découvert le rap américain puisque c'est une chanson
03:08de Mobb Deep.
03:09Toute une génération j'ai envie de dire.
03:11C'est ça et qui a été très important en plus pour le rap français parce que ça a
03:14été un petit peu le canevas à partir duquel toute la génération de rappeurs de la moitié
03:19des années 90 jusqu'à la moitié des années 2000 a fait son rap, il y a une majorité
03:24beaucoup de rappeurs, tout simplement je pense que Booba qui est un rappeur que même le
03:28grand public connaît, les premières années de sa carrière et de son personnage artistique
03:33il se fait parce qu'il va imiter et écouter Prodigy de Mobb Deep par exemple, donc voilà
03:39le titre c'est aussi une référence à ça, à l'histoire particulière qu'ont les français
03:43vis-à-vis du rap américain.
03:44Et donc aujourd'hui on va rester sur ces thèmes là, le lien entre le rap et des choses
03:54très sociétales aux Etats-Unis, mais en s'intéressant spécifiquement à des artistes
04:00qui ont eu des soucis judiciaires, qui ont fait des passages en prison, pour essayer
04:07de comprendre le rapport qu'il peut y avoir ou une partie des rapports qu'il y a entre
04:12les artistes rap, la prison, la justice américaine et comment les deux entrent en collision très
04:19souvent.
04:20Donc voilà on va commencer par Mc Drey.
04:23On va commencer par Mc Drey, alors avant de mettre le clip, on commence par Mc Drey parce
04:28qu'on vous réexpliquera après, mais on est en Californie au début des années 90
04:33et c'est vraiment un point d'ancrage pour bien comprendre un peu ce qu'on va expliquer,
04:40le début des années 90 c'est un peu l'explosion du gangsta rap, en tout cas dans une deuxième
04:47phase.
04:48Après il faut dire la vérité que beaucoup de gens pensent qu'au milieu des années
04:5390 est l'âge d'or du rap, mais en fait c'est la fin des années 90 qu'ils considèrent
04:58aux Etats-Unis comme l'âge d'or du rap.
05:00Des années 80 tu veux dire ?
05:01Oui des années 80.
05:02Tu as raison, c'est vrai que nous depuis la France c'est plus tard qu'on est dans cet
05:06âge d'or, mais eux c'est vraiment une époque bouillonnante avec des succès commerciaux
05:12etc.
05:13Mais c'est aussi du coup un moment où comme ces succès commerciaux arrivent avec des artistes
05:17comme Eazy ou Ice Cube qui viennent de N.W.A, ou Dr Dre qui va sortir Chronique qui est
05:25son premier album qui est un carton monumental, où il va y avoir une espèce de focus sur
05:33le gangsta rap et donc un discours dans la société américaine sur ce que serait le
05:37gangsta rap et cette idée que, notamment par les textes, ce sont des témoignages de
05:45quelque chose et de facto comme ces témoignages, comme les thèmes du gangsta rap c'est la
05:50vie de gangsta et la vie criminelle, que ce serait en fait, puisque les témoignages ce
05:54serait des sortes d'aveu de la vie de ceux qui font ces musiques là, c'est à dire que
06:00tout de suite il va y avoir quelque chose d'accolé à ces artistes qui est en fait
06:05assez classique, qui existait déjà avant dans le rap, mais qui existe depuis quasiment
06:09toujours autour des artistes noirs, à savoir que la question de savoir si ce sont des artistes
06:14est complètement éludée, presque on leur nie le statut d'artiste, on part du principe
06:19que ce qu'ils font c'est juste l'expression de ce qu'ils sont, sans qu'il y ait de démarche
06:25artistique, sans qu'il y ait de culture artistique, leur oeuvre ne serait que le produit de leur
06:32environnement, voire parfois de leur pathologie, donc il y a tout un ensemble de préjugés
06:38parfois racistes ou d'ignorance, et ça c'est des exemples qu'on développe dans le libre
06:42en prenant des exemples d'artistes dont pendant longtemps le public, y compris certains
06:50connaisseurs et spécialistes, considèrent que la musique est presque de l'art brut
06:54dans tous les sens du terme, c'est à dire à la fois très brutal et complètement vide
06:59de culture artistique, alors qu'en réalité c'est faux, ce sont des artistes qui savent
07:04très bien ce qu'ils font, qui réfléchissent à ce qu'ils créent, etc.
07:07Mais donc ce qui est important, c'est que la convergence de cette idée que les rappeurs
07:13ne sont pas des artistes, mais sont des gens qui juste expriment ce qu'ils sont et ce
07:17qu'ils font, et l'émergence du gangsta rap fait que d'un seul coup la société américaine
07:22pense qu'il y a une génération d'adolescents noirs qui s'enregistrent sur disque pour
07:28dénoncer leurs méfaits, et donc la police et la justice vont s'intéresser au texte
07:34comme dépier sa conviction, se pencher dessus et les épier.
07:38Oui, effectivement, il faut revenir sur Mac Dre qui est un rappeur légendaire de la
07:43Bay Area, la Bay Area c'est San Francisco et Auckland, et les alentours, il vient de
07:50Valero, une petite ville de la Bay Area où il y a une petite middle class depuis le début
07:56des années 60, et la crise financière de 1970 va changer le contexte où on va constater
08:03dans le nord de la ville l'émergence du quartier nommé The Crest, donc un quartier
08:09mythique où il y a eu un bon nombre de rappeurs comme E-40, Mac Maul ou Billy Jeet, et Mac
08:17Dre, qui est arrivé à la fin des années 80, et avec cette arrivée et cette crise
08:26financière, forcément il y a eu du trafic de crack, il y a eu du trafic de drogue et
08:31des braquages.
08:32Donc je pense qu'il y a beaucoup de gens dans cette salle qui connaissent la série
08:35Snowfall, dans la série Snowfall on voit un moment le personnage principal qui se rend
08:41dans le nord de la Californie, où on voit qu'il produit du crack, c'est très avéré,
08:47l'émergence du crack est apparue vers Auckland et San Francisco.
08:53Pour revenir sur Mac Dre, c'est un rappeur qui a cartonné avec un morceau qui s'appelle
09:00Punk Police, où là il explique, j'ai envie de dire qu'il méprise un peu les policiers
09:07en leur disant que c'est un rappeur, mais effectivement il rappe sa vie, tout en citant
09:15les policiers.
09:16Et c'est à partir de là que les problèmes sont arrivés.
09:19Le fait de citer nommément un agent de police, c'est ce qui va un petit peu engranger l'engrenage,
09:26mais c'est quelque chose qui commence aussi un petit peu avant, à savoir que compte tenu
09:31de la criminalité dont parlait Mohamed, qui est dans ce quartier là depuis déjà quelques
09:37décennies, forcément c'est un quartier qui est très scruté par la police, mais
09:43Mac Dre dans ses textes, il va aussi un peu dénoncer la manière dont la police surveille
09:49ce quartier de Crest, en disant qu'il a l'impression que du coup, qu'on soit dealer ou pas, qu'on
09:55soit criminel ou pas, on est de base considéré comme étant coupable, et qu'il va falloir
10:00quotidiennement que chacun d'eux prouve qu'ils sont innocents, qu'ils sont présumés coupables
10:07de base, et donc ça instaure une atmosphère pesante pour eux, et lui il démarre comme
10:15ça au départ, et on le verra dans le clip qu'on va regarder juste après, c'est de la
10:18musique très hedoniste, ça parle de fêtes, de boire des coups et de draguer des filles
10:24aussi, parce que c'est des ados, et ça va progressivement se mettre à se politiser,
10:31parce qu'il va raconter ce que subissent ses voisins et lui-même, et vraiment avec
10:37cette volonté affichée d'essayer de faire comprendre aux autres, à ses voisins, que
10:44c'est pas normal, qu'il y a quelque chose à changer, qu'il faut peut-être agir, se
10:49faire remarquer que non, on n'est pas tous nés criminels, qu'on n'est pas forcément
10:56des malfaiteurs, et que c'est pas parce qu'on est noirs et vivants dans ces quartiers-là
11:00qu'on doit être présumés coupables automatiquement.
11:03Malgré ce constat, il fera quatre ans de prison, et en prison il sortira un morceau,
11:12je me rappelle plus le titre, je crois qu'il y a le terme « hood » dedans, « Back in
11:18the hood », où il réitère son propos en disant qu'il est innocent, tout en mentionnant
11:27un agent FBI qui va aggraver sa situation, et suite à ça il va prendre quatre ans,
11:33et après quatre ans de prison, il va venir avec une autre manière d'aborder le rap,
11:38où il va lancer un mouvement national qui s'appelle le Hi-Fi, qui sera un phénomène
11:43de société, en France on en a un peu entendu, mais aux Etats-Unis c'était vraiment quelque
11:47chose au début des années 2000, et j'ai envie de dire qu'à partir de là tout a
11:53débuté pour Mc Drey.
11:56En fait c'est vrai qu'en sortant de prison, il a dû complètement laisser tomber dans
12:02ses textes la charge un petit peu dénonciatrice, pour faire de la musique uniquement pour les
12:06clubs, et c'est vrai que du coup, tant mieux pour lui, c'est comme ça qu'est venu le
12:10succès commercial, mais c'est intéressant de voir que la justice en s'acharnant, ou
12:17la police plutôt en s'acharnant sur lui, l'a forcé un petit peu à oublier ça, parce
12:21que Mc Drey c'est aussi un des premiers exemples de rappeur qui va subir la pression judiciaire
12:29dans le but d'essayer de le faire arrêter, de raconter ces choses là, parce que c'est
12:35toujours compliqué les affaires, mais au départ la machine judiciaire s'enclenche
12:40sur lui, autour d'un crime sur lequel il n'est pas présent, ses textes sont utilisés
12:48encore une fois pour essayer de le relier à des choses qui se sont passées ailleurs
12:50où il n'était pas là, donc c'est toujours compliqué de l'extérieur, mais il y a plein
12:56de zones d'ombre qui font qu'à ce moment-là, naissent le doute sur le fait que, sans entrer
13:06dans les théories du complot, même si c'est vrai que plus, vous allez voir, plus on va
13:10avancer dans les histoires de rappeurs et plus on sera plus clair sur ce qui s'est passé
13:15pour lui et pour d'autres, on se rend compte que ce n'est pas tout à fait des théories
13:19du complot fantasmées, dans le sens où, je ne vous cache pas que moi en tant qu'auditeur
13:26de rap, j'entendais des histoires sur le fait que la police surveillait spécifiquement
13:32des rappeurs ou que la justice était plus dure avec eux, et j'avais tendance à dire
13:35il y a 20 ans ou 15 ans, non mais les gens sont gentils quand même, la police ne sont
13:41pas tous méchants, c'est pas possible, ça n'existe pas, et il y avait des espèces
13:46de fantômes qui hantaient un petit peu les discussions sur les rappeurs, notamment autour
13:49de ce qu'on appelait la hip-hop police, qui serait une partie de la police américaine
13:55dont le seul rôle serait de surveiller spécifiquement les rappeurs, ça nous paraissait complètement
14:01saugrenu en fait, il y a 20 ans, on disait mais c'est pas possible, on n'est pas dans
14:03un film, ça n'existe pas, sauf qu'aujourd'hui on en a la preuve factuelle avec des agents
14:11qui, après avoir pris leur retraite, écrivent des livres pour raconter ce qu'ils ont fait,
14:14pour raconter comment fonctionnent ces branches de la police américaine, donc ça existe,
14:20et donc c'est pas que des fantasmes de fans de musique ou des élucubrations de rappeurs
14:27qui n'assument pas d'avoir transgressé la loi, il y a vraiment, et on le verra avec
14:32les autres exemples, quelque chose de répété à l'encontre de certains artistes noirs
14:39américains, qui en plus arrivent étrangement à des moments où ils prennent des places
14:43particulières dans leur communauté, dans leur société, où ils prennent position,
14:48etc.
14:49On va lancer tout de suite le premier clip.
15:19On va lancer tout de suite le premier clip.
15:49On va lancer tout de suite le premier clip.
16:20Donc voilà, c'est le fameux Mac Dre, quand on voit ça, c'est vrai qu'on se dit pas
16:26que c'est quelqu'un de méchant, il a l'air de faire la fête, et en sachant que, voilà,
16:31je parlais spécifiquement d'artistes noirs américains, quand le public ou le grand public
16:39ou les personnes qui commentent la musique aux Etats-Unis voient ce clip-là, ils estiment
16:46que Mac Dre est tel qu'il est dans la vraie vie, notamment, Mac Dre, son pseudo fait référence
16:53au Mac, donc au macro, donc au proxénète, et donc on part du principe que forcément
16:59c'est parce qu'il doit un moment ou un autre avoir été proxénète, et c'est l'image,
17:05en tout cas c'est le discours qu'on porte sur énormément de rappeurs qui peuvent faire
17:09des références au proxénétisme, sans en fait aller au bout et voir que c'est finalement,
17:19la figure du proxénète dans la culture noire américaine, c'est un personnage de littérature
17:23en réalité, c'est-à-dire que ce serait l'équivalent en Europe d'un Don Juan par exemple, avec
17:29évidemment le côté criminel en plus, mais ce qui est mis en avant c'est plus le côté,
17:35quand ces rappeurs campent ces personnages-là, c'est le côté séducteur et surtout provocateur,
17:41à savoir, je suis quelqu'un d'immoral, qui a bien conscience de ce qu'est la morale,
17:47et qui fait tout pour vous embêter en vous montrant qu'il veut essayer de la transgresser.
17:52Mais on est dans le personnage, et sauf que c'est quelque chose qui n'est jamais dit,
17:58voire même, et là il y a une part qui vient du public aussi, qui malheureusement, je pense,
18:06attend ça aussi des artistes noirs américains, à savoir, on veut qu'ils nous donnent quelque
18:11chose de réel et de vrai, et donc on refuse de croire que ce qu'ils proposent de l'acting
18:16est faux, et il y a des tas d'histoires de rappeurs américains où d'un seul coup, parce
18:23qu'il se passe quelque chose dans leur vie privée, le quatrième mur entre guillemets
18:28est brisé et le personnage tombe en lambeaux, et on se dit, ah mais en fait il est pas l'homme
18:32de ces chansons, ah c'est décevant, on arrête de l'écouter.
18:34Et ça c'est pas quelque chose qu'on demande aux artistes blancs, et dans le livre on fait
18:40des parallèles avec des rappeurs blancs et noirs, et il y a plein, on pourrait prendre
18:45plein d'exemples, mais c'est vrai que, malgré, on considère qu'il est forcément l'homme
18:49de ses chansons, parfois quand il y a des rappeurs qui sont complètement, presque cartoonesques,
18:55on estime que c'est parce qu'ils sont une pathologie et qu'ils ne peuvent pas être
18:59autrement, et quand d'autres rappeurs, on peut faire référence à Riff Raff par exemple,
19:05qui est un personnage du même style, qui peut parler, qui peut se comparer à un proxénète
19:11ou être complètement cartoon, les discours sur lui vont être, c'est burlesque, il s'est
19:19créé un personnage, ah quel acteur, c'est incroyable, il ne sort jamais de son personnage,
19:23c'est très fort, mais tout de suite on admet que c'est un personnage, et pourtant la seule
19:27chose qui le différencie de Macdrey ou d'autres, c'est sa couleur de peau.
19:32On va passer à un deuxième rappeur ? C'est ça, mais je voulais juste parler du destin
19:36de Macdrey, effectivement, parce qu'il n'est plus de ce monde, donc il s'est fait assassiner
19:41à Kansas City, après une histoire assez rocambolexe avec des rappeurs locaux, et en
19:47fait, cette histoire a créé une rivalité historique entre Kansas City et la Bay Area,
19:53donc voilà.
19:54On va passer en gros morceau, je pense, on va changer d'état, et on va arriver en Louisiane,
20:02où là on n'est plus sur les faux proxénètes, mais sur un autre type de rappeur, qu'en
20:10Louisiane ils appellent les soldats, donc si je le disais avec un accent français ce
20:14serait Soldier, donc les soldats, sauf qu'avec l'accent de Louisiane ça devient Soldat,
20:19et d'ailleurs ils l'écrivent avec un J, pour être sûr que tout le monde le prononce
20:23comme eux, y compris moi avec mon accent français, et en fait c'est un type de rappeur
20:28qui est vraiment particulier, parce qu'il a là-bas presque un rôle social dans les
20:33communautés, c'est des rappeurs qui ont une sorte de pouvoir, en tout cas c'est comme
20:39ça que le public les reçoit, presque comme s'ils avaient la force de recevoir les malheurs
20:49d'autrui et d'en parler à leur place, une force, presque une force magique, une force
20:55cathartique magique, alors on pourrait dire ça de tout l'art en général, mais eux sont
21:02reconnus pour ça, il y a vraiment un discours sur eux sur ça, où on dit, dans telle cité
21:07le soldat c'est lui, et c'est lui qui éponge nos soucis et nos peines, parce que c'est
21:11lui qui en parle mieux que les autres, c'est comme un griot quoi, c'est comme un griot,
21:15un peu ouais, ou comme des sortes de chamanes mais qui rappent, et chaque cité de la Nouvelle
21:22Orléans va avoir le sien ou les siens, il peut y avoir Juvenile, peut y avoir Souljaslim,
21:28et il y a six meurdeurs, dont on va parler un peu, et Boussi, dont on parlera aussi un
21:35petit peu plus rapidement, et donc c'est des figures qui localement, par cette aura, par
21:42ce rôle un petit peu social qu'ils ont, en fait qui gagnent presque une sorte de pouvoir,
21:54qui par moments inquiètent les états, les maires, et qui du coup se décident à les
22:06surveiller, à les suivre, et ça eux en parlent dans leurs textes, et encore une fois quand
22:12il n'y a que les textes, on peut se demander s'ils ne sont pas devenus paranoïaques, etc,
22:16et puis après arrivent les histoires judiciaires, et toujours des affaires pleines de zones
22:23d'ombre, encore une fois, des hommes qui prennent des peines de prison de plusieurs
22:29décennies, sur la base, soit de leur texte, donc des textes de musique, c'est-à-dire
22:36qu'on n'imagine pas, je sais pas, Michel Sardou, pour prendre un exemple complètement
22:40à l'autre bout du monde, faire de la prison parce qu'il fait un texte sur...
22:45Le temps des colonies, par exemple.
22:47Non mais voilà, c'est tout bête, et donc voilà, qu'ils prennent des peines de prison
22:54de plusieurs décennies pour des choses qui nous paraissent quand même assez anodines,
22:58ou alors qui sont basées sur des témoignages sur lesquels les témoins reviennent après
23:05avoir dit que, ben non, c'est la police qui m'a forcé à témoigner contre cette personne.
23:10Donc, pourquoi ? Eh ben le cas de Seymour Der, il est intéressant parce qu'on voit
23:15que, en plus du racisme, ou alors en parallèle du racisme, se jouent des enjeux politiques
23:24qui sont notamment l'élection des juges aux Etats-Unis, qui est assez particulière,
23:30parce qu'il y a plusieurs types de juges, il va y avoir les juges fédéraux, notamment
23:33ceux de la Cour suprême, mais au niveau des Etats, les juges sont élus différemment
23:39en fonction des Etats, ça peut être un vote populaire, ça peut être désigné par un
23:47groupe de personnes, ou ça peut être un mélange des deux, et donc quand ils sont élus par
23:51le peuple, c'est ce qu'on appelle les élections partisanes, et donc à ce moment-là, débute
23:57un jeu politique où les juges doivent séduire l'électorat.
24:01En fait, c'est comme si Patrick Balkany se présentait en Louisiane, c'est ça ?
24:05C'est un peu ça, disons que c'est du coup les mêmes types de personnages, c'est-à-dire
24:08que ce qu'on considérait comme des maires un peu véreux en France, parfois, peuvent
24:14donner des juges un peu véreux, qui utilisent tous les moyens pour se faire élire, et notamment
24:19dans un Etat comme la Louisiane, où les élections fonctionnent comme ça, s'appuyer un petit
24:24peu sur le racisme d'une partie de la population, et donc Sea Murder, qui était un de ces soldats
24:31très populaires dans la communauté noire américaine.
24:34Après, il faut dire aussi que c'est le frère de Masterpie.
24:36Oui, c'est vrai que c'est une famille très importante en Louisiane, donc lui c'était
24:45la figure qui fonctionnait à ce moment-là, mais c'est une famille qui déjà en impose
24:50en Louisiane.
24:51Un jour, il se voit refuser l'entrée dans un club de la Nouvelle Orléans, pour une
24:58raison qui, moi aujourd'hui, me paraît juste, à savoir qu'il avait une arme à feu sur
25:02lui.
25:03Très bien, effectivement, moi si je suis propriétaire d'un club, j'ai pas envie
25:07que quelqu'un rentre avec une arme à feu à l'intérieur.
25:10Après, se pose la question du port d'armes aux Etats-Unis, qui est autre chose, qui
25:13est censé être légal, notamment dans ces villes-là, mais en tout cas, c'est...
25:18Voilà.
25:19Mais les choses s'enveniment, et l'histoire, ou ce qu'on sait en lisant les procès, c'est
25:27que C-Murder et ses amis s'en vont fâchés, et avant de rentrer dans leur voiture, tirent
25:35deux ou trois coups de feu en l'air, et s'en vont.
25:37Le lendemain, C-Murder est arrêté, parce qu'on l'accuse d'un meurtre, puisqu'un adolescent
25:44a été retrouvé mort sur le parking de ce même club, et donc il est arrêté, et il
25:52prend plusieurs décennies, je ne sais plus combien c'est, une vingtaine ou une trentaine
25:56d'années de prison.
25:57D'ailleurs, il faut revenir sur les peines de prison assez hallucinantes en Louisiane.
26:03Donc, ce qu'il faut comprendre, en fait, c'est qu'en Louisiane, on tombe en prison, en fait,
26:08c'est dans le plus grand centre pénitentiaire des Etats-Unis, qui se nomme Angola, parce
26:14qu'Angola, en fait, était une ancienne plantation où on recevait les esclaves originaires de
26:19ce pays, et la moyenne des peines dans cette prison, c'est 88 ans, en fait, c'est 88 ans,
26:2875% de noirs américains, et 5000 détenus, et la prison est tellement grande, en fait,
26:38c'est l'équivalent de la ville de Saint-Etienne, et dedans, il y a un cimetière, parce qu'il
26:45y a beaucoup de prisonniers, en fait, étant donné qu'ils prennent des peines imperpétues,
26:51et donc ils ne sortent plus, donc les familles les oublient le plus souvent, et il faut comprendre
26:58aussi que cette prison est entourée de marécages remplis d'alligators, et ils ont même entraîné
27:04des chiens et des loups pour rattraper, en fait, les prisonniers qui tentent de quitter
27:08cette prison.
27:09Donc la dernière tentative de prison, c'était en 2005, et elle a duré 36 minutes, donc
27:16à partir de là, il faut comprendre, en fait, le contexte de cette prison, et c'est pour
27:22montrer à quel point c'est assez paradoxal comme contexte.
27:26Dans la prison d'Angola, il y a un rodéo qui est organisé chaque année, donc en fait,
27:34il y a des détenus qui décident de participer à ce rodéo sans entraînement, et le but,
27:40en fait, c'est de tenir face à des taureaux, et le but est de financer des projets éducatifs,
27:47et ça fonctionne, et ça fonctionne, et là-bas, c'est tout à fait accepté dans la société.
27:52– C'est un pays à l'intérieur du pays, presque.
27:54– Exactement.
27:55– Et donc, voilà, Seymour Derr se retrouve ici, sur la base de ses accusations, lui,
28:00ni complètement, et va faire appel, en fait, pendant toute sa peine, il est encore incarcéré
28:07aujourd'hui, ça, ça a lié au début des années 2000, il est encore incarcéré, et
28:10en fait, va passer son incarcération à enregistrer des albums dans lesquels il fait appel à
28:14la cour suprême américaine, qui est un peu la cour de dernier recours, et c'est là
28:20qu'on va comprendre ce qui s'est joué aussi, qui est une cour dont les juges ne
28:24sont pas élus, mais désignés par le président avec l'appui du Sénat, c'est-à-dire qu'ils
28:30sont les 8 plus un juge de la cour suprême, donc ce sont des juges qui n'ont pas d'élections
28:39à venir et qui savent qu'ils seront à leur poste à vie, puisque ce qui peut faire
28:44qu'un juge quitte la cour suprême, c'est soit son décès, soit sa démission, donc
28:49il essaie de se tourner vers eux pour que son dossier soit réactualisé, enfin, relu,
28:54etc.
28:55Le problème des juges de l'état de Louisiane, c'est qu'effectivement ils ont besoin que
29:016 meurdeurs soient en prison pour obtenir une partie des voix de l'électorat en Louisiane,
29:07et ce qui fait comprendre ça, c'est les moments où certains juges élus mettent en
29:13place des aménagements autour de 6 meurdeurs, du type le droit d'être en maison d'arrêt,
29:20de revoir sa famille, systématiquement ces juges-là perdent des voix, voire perdent
29:24les élections, et assez souvent on leur dit que ça a joué, d'avoir été un peu
29:32plus lâche avec un détenu, élu en particulier, et donc quand un juge fait ça et n'est pas
29:39réélu, celui d'après tout de suite va resserrer la vis autour de 6 meurdeurs comme
29:44s'il était un criminel de première instance, comme si c'était Ben Laden, alors qu'effectivement
29:53des années après, puisque c'était assez récent, c'était en 2015 ou quelque chose
30:00comme ça, après 15 ans de prison, les caméras de surveillance du parking ont fini par réémerger
30:10par quelqu'un qui les a obtenues et qui les a mis sur Youtube, et qui permettent visiblement
30:16d'entièrement innocenter 6 meurdeurs. Alors aujourd'hui rien n'a changé, son cas est
30:21tellement politique qu'il est toujours incarcéré, il continue lui par le biais de ses chansons
30:26de faire appel à la cour suprême parce qu'il a toutes les preuves en main pour pouvoir
30:29sortir, mais pour l'instant l'être morte et il est toujours incarcéré. Et donc je
30:35parlais de Boussy, qui est aussi un « soldat » entre guillemets, et qui a vécu le même
30:41type de choses, à savoir que lui, pareil, il a eu une telle présence et puissance symbolique
30:48et même réelle en fait dans la communauté noire américaine, et surtout localement.
30:54Ah bah c'est le rappeur le plus célèbre de la Louisiane.
30:59Oui, il l'a été pendant au moins 15 ou 20 ans, et en fait, pareil, il parlait dans
31:08ses chansons du fait qu'il sentait qu'il était observé, suivi par la police, etc,
31:14et lui, ça va être le cas typique d'un artiste qui va être incarcéré uniquement
31:17sur la base de ses textes, à savoir qu'un jour, dans le cadre d'un règlement de compte
31:26ou autre, un jeune garçon va en tuer un autre, et la police va obtenir des aveux de ce garçon
31:34qui dira « je l'ai tué parce que Boussy me l'a demandé », donc ce fameux rappeur.
31:39Boussy criera qu'il ne connaît pas ce garçon, ça n'a pas d'importance, il entre en prison
31:46sur cette base-là, et il va y rester longtemps, il va même risquer la peine de mort, puisqu'en
31:54Louisiane elle est toujours appliquée. Seulement, le garçon en question finira par dire que
32:04ses aveux ont été soutirés, qu'on lui a demandé de dire que c'était Boussy qui
32:09lui avait dit de faire ça pour pouvoir avoir une remise de peine, et donc ce qui restera
32:15comme seule base pour garder Boussy incarcéré, ce sont ses textes, et effectivement des textes
32:21où il parle sans nommer personne, de se débarrasser de ses rivaux, ou des choses comme ça, et
32:28donc on considérera que ses textes ont poussé des gens à en tuer d'autres, parce qu'il
32:34est dans cette sorte de rivalité entre quartiers, entre autres, etc. Et que donc, il est responsable
32:41parce qu'aux Etats-Unis, c'est le cas aussi en France, mais c'est quelque chose de très
32:44fort aux Etats-Unis, sur le fait d'une personne qui commandite un crime, est vraiment considérée
32:50comme autant coupable que celui qui le commet, voire même parfois plus, parce qu'il y a
32:56des... je sais plus quels sont les termes, comment on peut les dire en français, mais
33:02presque complots, je sais plus comment il dit ça, mais des choses qui sont héritées
33:04en fait de la lutte contre les gangs américains qui font que des types d'élois ricots, etc.
33:10dans les années 70, qui font que quand une personne commet un crime, on va pas ricocher,
33:17chercher tous ceux qu'il connaît, essayer de voir tout ce qu'ils ont fait, et dès qu'on
33:19trouve un lien avec quelqu'un, on incarcère tout le monde, pour être sûr qu'on a incarcéré
33:22potentiellement un gang entier. Je vais trouver un exemple très bête, mais qui est réel
33:26parce que ça arrive encore, imaginons que quelqu'un ait assassiné une autre personne,
33:30on va regarder ses relevés bancaires, on va voir que quelqu'un lui a prêté de l'argent,
33:35ça n'a peut-être pas de rapport, mais du coup on fait un lien entre les deux, et les
33:37deux sont incarcérés, et pour la même peine. Si la loi Rico est appliquée sur eux,
33:42on peut, aux Etats-Unis, incarcérer comme ça des groupes de personnes, et ça arrive
33:46souvent pour des groupes de rap.
33:48Et d'ailleurs Young Thug l'a vécu il y a très peu de temps.
33:52C'est vrai que ces dernières années, le rappeur Young Thug a un peu subi ce type de
33:59choses. Alors peut-être, on va avancer parce que je vois l'heure qui tourne, est-ce qu'on
34:05peut mettre directement le Lil Wayne ? Parce qu'on va mettre un clip, ni de Seamurder,
34:12ni de Boosie, mais d'un autre rappeur de Louisiane, qui est le rappeur de Louisiane le plus légendaire
34:18de tous, qui s'appelle Lil Wayne, et qui, dans son rapport, et dans son expérience
34:25de la prison, va apporter quelque chose, une compréhension de ce qu'est la prison
34:32aux Etats-Unis, pas qu'en Louisiane, et de comment elle fonctionne, et notamment, qui
34:38va être un peu symbolisé par une phrase qu'il dit dans cette chanson, il dit, avant,
34:42les rappeurs disaient « fuck the police », non, oui c'est ça, « fuck the police »,
34:46maintenant, peut-être qu'il faudrait plus qu'on dise « fuck jail », « nique la
34:49prison », parce que c'est là qu'il se passe quelque chose.
34:51Je propose qu'on regarde le clip et on l'explique après.
35:33Yeah, my country, Tizzabee, sweet land of kill'em all and let'em die,
35:41God bless America, this old God bless America, her tomorrow ain't promised today,
35:51the end of time is like a hour away, damn, military-minded, lost and can't find it,
35:58the stars on the flag are never shining, I saw a butterfly in hell today,
36:05will I die or go to jail today, cause I live by the sword, I'm dying by the sword,
36:13police is looking for me, I'ma hide by a bra, shoot the stars in my pocket,
36:18bitch sit on my rocket, I'm wired off the socket, but still shocking, everybody wanna
36:25tell me what I need, you can play a role in my life but not the lead, if there's food
36:32for thought, then I'm guilty of greed, mama said take what you want, I took heat.
36:39Donc, ce clip, peut-être que c'est pas forcément clair pour tout le monde, il est pas tourné
36:47en Haïti ou dans un pays du tiers-monde, on est à la Nouvelle-Orléans, donc une très
36:54grande ville de la première puissance mondiale. Les ruines qu'on voit là, on est en Louisiane,
36:59on est à la Nouvelle-Orléans, tout le monde imagine que c'est lié à Katrina, et effectivement
37:03c'est le cas, sauf que ce clip est tourné plus de dix ans après Katrina. Donc on voit
37:07que rien n'a été reconstruit, que les gens vivent encore à côté de quartiers
37:11qui sont en déréliction, et Lil Wayne, je disais, il a fait un passage par la prison,
37:18il a vécu Katrina de plein fouet, parce que c'était son apogée en tant qu'artiste,
37:22donc il en a beaucoup parlé, à la fois de Katrina et de ce que ça a révélé pour
37:25les Louisianais, et de la prison, et aussi de ce que Katrina a révélé autour de la
37:29prison.
37:30Après, c'est vrai qu'en France, elle est passée très vite après cet ouragan, mais
37:36par exemple en Louisiane, on en parle encore en 2025.
37:39Oui, ça a toujours un impact, aujourd'hui, quotidiennement pour les gens qui vivent dans
37:42certains quartiers, et peut-être que vous avez vu la série « Trémé » de David
37:47qui commence aussi sur le lendemain de Katrina, et les premiers épisodes, par le biais de
37:53certains personnages, évoquent aussi ce qui se passe dans les prisons, et c'est assez
37:57révélateur de comment elles fonctionnent.
37:58A savoir que c'est ce qui est raconté dans la série, c'est ce que raconte Lil Wayne
38:04quand il fait ses passages en prison, à savoir qu'après Katrina, il y a des prisons
38:07qui se vident, pas parce que les prisonniers s'évadent, mais parce qu'il n'y a plus
38:12de nouveaux prisonniers qui arrivent, et donc pour les directeurs de prison, les propriétaires
38:17de prison, puisque ce sont des prisons privées, il y a un manque à gagner, à savoir que
38:21les prisonniers travaillent et rapportent de l'argent, parce qu'ils doivent payer
38:28les loyers de leurs cellules, parce qu'ils travaillent pour les sociétés privées extérieures,
38:32donc c'est de la main d'œuvre, en fait, pour les propriétaires de prison, les propriétaires
38:35de prison qui d'ailleurs, pour la quasi-totalité d'entre eux, sont issus de familles d'anciens
38:43propriétaires d'esclaves qui ont dû forcément changer de métier quand l'esclavage a été
38:47aboli aux Etats-Unis. Les grandes familles de propriétaires terriens du Sud qui s'enrichissaient
38:54sur la traite négrière se sont pour la plupart reconverties, je le redis, dans la création
39:01de centres pénitentiaires privés, donc ils sont encore, pour le dire clairement, dans
39:06le contrôle de corps noirs et de les faire travailler gratuitement. Donc il y a des choses
39:12qui n'ont pas changé, dont on n'a pas forcément conscience, en tout cas moi je
39:15ne l'avais pas, j'en avais pas conscience avant d'entendre Lil Wayne en parler, avant
39:18de voir cette série de David Simon, Trémé, qui en parle très bien. Et donc apparaît
39:26cette question dans les textes de Lil Wayne de, finalement, cette espèce d'acharnement
39:31qu'on subit, c'est parce qu'on est de la chair à canon en début de chaîne pour qu'en
39:36fin de chaîne, les prisons de Louisiane puissent tourner et continuer de rapporter de l'argent
39:40aux propriétaires. Donc il se pose la question sur comment sont votées les lois, il se pose
39:46la question par exemple sur quelles sont les choses qui sont interdites aux Etats-Unis
39:49comparativement à celles qui ne le sont pas. Pourquoi est-ce que les gens qui se battent
39:52pour le port d'armes ne sont pas pourchassés comme les fumeurs d'herbe ? Lui il va en prison
39:59pour possession d'herbe, donc c'est pas grave. Je pense qu'en tant qu'européen, on pense
40:05tous que quelqu'un qui possède, même si c'est illégal chez nous, quelqu'un qui possède
40:09un joint de marijuana, c'est moins grave que quelqu'un qui possède une arme à feu.
40:11Donc lui il se pose la question, pourquoi est-ce que certaines lois sont plus sévères ? Et
40:17il arrive à la conclusion assez claire et nette qu'en fait il y a des lois qui touchent
40:21davantage les américains noirs et d'autres qui touchent davantage les américains blancs
40:26et que c'est peut-être comme ça qu'elles sont aussi votées pour avoir un contrôle
40:31sur eux et continuer d'entretenir les mains d'œuvre en prison.
40:37On va passer avec Ryo Daiongoji qui est originaire de Flint, une petite ville à côté de Detroit
40:45qui est très connue pour l'eau polluée depuis 6 ans. Et d'ailleurs il faut savoir qu'à
40:53Flint, ils ont voté massivement pour Donald Trump qui est à l'origine de l'inaction
41:00pour régler ce problème d'eau polluée. C'est assez paradoxal. Et ce qu'il faut comprendre
41:05en fait aux Etats-Unis c'est que très souvent il y a une très grande ville comme Detroit,
41:09il y a une petite ville à côté comme on peut voir avec Memphis, Nashville et à chaque
41:14fois la plus petite ville est bien plus violente que la plus grande et c'est le cas avec Flint.
41:19Donc là on va terminer avec ce dernier rappeur pour revenir en fait à la musique et voir
41:26comment les déboires judiciaires et avec la police des rappeurs aussi inspirent leur
41:32musique et créent presque des types de morceaux. Et on va parler, on va voir à travers ce
41:38personnage de Ryo, deux morceaux qui sont les morceaux d'adieu, ce qu'on enregistre
41:44avant d'entrer en prison, et comment il y a presque un sous-genre, pas un sous-genre
41:47mais vraiment un type de morceau de rap qui est apparu comme ça, et après surtout le
41:53morceau de comeback. Qu'est-ce que font, que racontent les rappeurs et quelle musique
41:58ils proposent quand ils reviennent. Et on va voir que dans un cas comme dans l'autre,
42:02c'est intéressant et ça permet de comprendre aussi comment ça fonctionne.
42:58Donc c'est lui Ryo, et donc ça c'est le morceau qu'il a enregistré avant d'entrer
43:09en prison pour 44 mois, puisqu'on a vu au départ qu'il avait 44 months, même si le
43:13morceau s'appelle Last Call. C'est comme un jubilé, on voit qu'il est avec ses enfants
43:17et c'est beaucoup de signes extérieurs de richesse, des liasses de billets, des chaînes
43:22en or, des diamants, etc. Donc ils montrent qu'il a gagné de l'argent. Et ça renvoie
43:30à quelque chose qui revient assez souvent en fait, dans ces histoires là, à savoir
43:33que cette justice, peu importe les raisons pour lesquelles ces gens vont en prison ou
43:40pour lesquelles la police s'acharne sur eux, ça arrive souvent quand il y a un rôle social
43:46supplémentaire qui apparaît pour eux, ou alors quand il y a une émancipation économique,
43:51et quand ça arrive sur un individu, c'est vrai qu'on peut se demander, est-ce qu'on
43:55n'est pas en train d'halluciner, etc. Mais en tirant un petit peu les fils pour remonter
44:01un petit peu jusqu'où ça va, moi ce que je vous invite à faire, c'est de chercher
44:06de votre côté, parce qu'on n'aura pas le temps d'en parler, ce qui s'est passé à
44:09Tulsa dans les années 20, ce qui s'est passé à Détroit dans les années 60, pour comprendre
44:14que, pour voir, peut-être pour découvrir, que quand les afro-américains estiment qu'on
44:21leur doit réparation de quelque chose, quand ils estiment que quand ils réussissent à
44:25s'émanciper économiquement ou socialement, ils ont l'impression que l'état américain
44:30les écrase, voire pire, ils ne fantasment rien. Que dans une société où on sait que
44:38la principale source de richesse c'est l'héritage, à savoir les choses qu'on se transmet de
44:45génération en génération, il n'est pas complètement farfelu de demander réparation
44:50de quelque chose quand à chaque fois qu'une partie de la communauté afro-américaine gagne
44:56de l'argent, elle est complètement étriée par l'état. Et encore une fois, retenez les
45:02noms de Tulsa, de Détroit, années 20, années 60, où on a des cas renseignés par des
45:08historiens, par des séries, c'est vrai maintenant aussi.
45:12Je vous conseille de regarder Watchmen par exemple.
45:14La série Watchmen, dans laquelle il y a un épisode qui débute sur ce qui se passe à
45:18Tulsa, donc pour rentrer rapidement dans l'histoire, Tulsa c'était dans les années 20 une ville
45:24dans laquelle il y avait une rue qu'on appelait le Black Wall Street, et dans laquelle vraiment
45:28a émergé plus qu'une classe moyenne supérieure noire, des gens qui devenaient aussi riches
45:34que les blancs de Wall Street. Sauf qu'un jour, juste sur la base d'une rumeur d'agression,
45:42cette ville va être bombardée par l'armée américaine, c'est-à-dire qu'ils utilisent
45:48des avions qui servent à saupoudrer des engrais pour le maïs, et ils vont s'en servir pour
45:55littéralement assassiner les habitants de cette ville. Cette ville va être rayée de
46:00la carte, et les habitants qui étaient en train de créer quelque chose de positif pour
46:09la communauté noire sont aussi rayés de la carte, et en partie de l'histoire.
46:12En partie de l'histoire, parce qu'en fait cette histoire est ressortie avec le pilote
46:17de Watchmen, et ce qu'on a constaté après le pilote, c'est de voir un nombre conséquent
46:23de nord-américains qui nous expliquaient de ne pas être au courant de cette histoire.
46:27Donc pour eux, c'était faux.
46:28Oui, c'est-à-dire qu'ils voyaient les images, mais non, c'est pas possible, on l'aurait
46:31su qu'on a tué des milliers de personnes, que l'état américain a bombardé des milliers
46:37de personnes parce que d'un seul coup, ils se mettaient à s'enrichir. Pourtant, moi
46:42dans mon état d'esprit, c'était un petit peu comme ça que pensent les Américains,
46:46c'est super de s'enrichir, on en est fiers. Donc c'était assez étrange. Et c'est vrai
46:49que c'est cette histoire que personne ne connaît, et puis dans les années 60, à
46:54Détroit, il y a eu un peu le même type de choses mais de façon un petit peu plus vicieuse,
46:57à savoir que quand les afro-américains ouvraient des commerces, la police les faisait fermer
47:03sous prétexte que c'était des lieux qui généraient de la criminalité, donc il y
47:09a eu des émeutes, c'est pour ça que là, ça a pas pu être un petit peu mis sous
47:13le tapis de l'histoire, on en parle encore, mais par contre, les générations actuelles
47:16le savent très peu, et notamment, on le ressent à travers les artistes de Détroit
47:23aujourd'hui, qui parlent de la même chose, parce qu'ils subissent la même chose, à
47:27savoir qu'ils créent des commerces, et que très souvent, au moment où ils ouvrent des
47:31commerces pour essayer de refaire vivre leur quartier, ils ont eu des problèmes judiciaires
47:34étranges, ou qui les font revenir à des histoires qui datent de plusieurs décennies,
47:40et quand ils en parlent dans leur texte, d'un seul coup, leurs parents, leurs grands-parents
47:44disent « ah mais en fait c'était pareil à notre époque », et il y a eu un film
47:49sur ces émeutes...
47:50Détroit.
47:51Détroit.
47:52De Catherine Biguelot.
47:53Voilà, c'est ça.
47:54Qui raconte un peu ça, et ce qui est génial, c'est qu'elle a fait appel à un rappeur
47:57qui s'appelle T-Grizzly, pour faire un morceau pour la bande originale, et il a fait un clip
48:03où il raconte les choses que vivent les afro-américains à Détroit dans les années 2010, sauf que
48:12lui rappe et fait... on voit des personnages, des personnes, qui ont l'âge d'être ses
48:17grands-parents à lui, comme si c'était eux qui parlaient, pour se rendre compte que
48:21ce que raconte T-Grizzly, qui a 25 ans en 2020, des personnes qui en ont 70 aujourd'hui
48:29et qui ont connu les émeutes des années 60, disaient déjà la même chose, et on
48:32voit des images actuelles et des images de l'époque, et on réalise, et lui en tout
48:36cas dit réaliser que c'est pas nouveau, mais qu'il n'y a pas de transmission faite
48:40sur ça, c'est comme si on ne le savait pas, et du coup c'est comme un éternel recommencement
48:45qui fait qu'ils n'avancent pas sur ces questions-là, etc, etc. Et donc, Rio, c'était aussi une
48:51histoire un peu comme ça, c'est qu'il a émergé dans cette ville, qui est complètement,
48:55en tout cas pour la communauté afro-américaine, et pour les pauvres en général, parce que
49:00c'est une ville qui est très pauvre, par endroits, voilà, il a un peu émergé comme
49:08une figure, et ça lui a créé, ça a attiré un petit peu ces ennuis-là. Donc là, c'était
49:12un morceau d'adieu, comme je le disais, il affiche un petit peu sa réussite économique,
49:18même si en même temps, bah oui, il fait un câlin à ses enfants, etc. Il y a un petit
49:21côté mélancolique dans la production, parce que c'est un morceau d'adieu.
49:25Mais il y a les liasses de billets.
49:27Mais il y a les liasses de billets, et ça c'est important parce que, nous d'ici, pareil,
49:32c'est pas notre culture, on se dit mais voilà, ça n'a rien à faire là, il est encore dans
49:35la provoque. Non, non, il y a quelque chose qui est important, et je pense qu'on comprend
49:38encore mieux, justement, en s'intéressant aux morceaux de retour. Donc ça, c'est un
49:42type de morceau dont un rappeur comme Gucci Mane, c'est un spécialiste, et c'est lui
49:47qui a un petit peu créé le blueprint de ces titres-là, à savoir qu'il y a beaucoup
49:52de rappeurs, depuis lui, parce que lui le faisait, quand ils sortent de prison, la première
49:55chose qu'ils font, c'est enregistrer un morceau, qui en général s'appelle Last Day Out,
49:59donc premier jour dehors. Avant d'aller faire la bise à leur mère ou d'aller voir leur
50:04enfant, ils vont en studio, et ils font un morceau pour vraiment capter ce qui se passe
50:07à ce moment-là. Et ce qu'ils racontent à ce moment-là, en fait, ça dit tout, de
50:11l'engrenage dans lequel ils sont, et ça dit beaucoup de choses de ce qu'est et de comment
50:16fonctionne l'Amérique, qu'on capte pas forcément ici. Et là, on va le voir en écoutant le
50:21dernier clip, vous allez voir que ça commence comme un morceau, pareil, émouvant, ça commence
50:26avec Rio qui embrasse ses enfants, ça commence par ses amis qui viennent lui serrer la main,
50:31il est content, etc. Et il a même cette phrase où il dit « Money is not everything ».
50:35Donc on se dit « Ah ! » Pour nous qui sommes moins matérialistes en Europe, on se dit
50:40« Ah, ça l'a soigné de ça ! » L'argent c'est pas tout, c'est vrai, ben oui, t'as
50:43raison Rio, c'est tes enfants, tu comprends que c'est ta liberté aussi maintenant. Et
50:47puis d'un seul coup, vous allez voir que la production change, ça se met à taper très
50:51fort, tout s'accélère, et on a l'impression qu'il va retourner dans ses travers, d'un
50:56seul coup il explique « Bah non, moi je veux une main back qui vient me chercher quand je
50:59sors de prison, moi je veux redevenir le plus riche de mon quartier pour faire vivre
51:03tout le monde, moi je veux remplir les liasses de billets, mais qu'est-ce qu'il se passe ? »
51:07Et nous on dit, pareil, depuis la France, on se dit « Mais là, t'es en train de retomber
51:10dans le piège ». C'est pas un piège, ils sont là-dedans parce que c'est même pas
51:16leur culture, c'est leur système. C'est-à-dire que pourquoi est-ce qu'il y a des liasses
51:19de billets partout ? Parce qu'ils ont pas confiance en ceux en qui ils pourraient les
51:24confier pour les garder, donc les banques, parce que pourquoi est-ce qu'ils sont dans
51:28cette espèce de course perpétuelle à toujours faire de l'argent ? Parce qu'ils ont pas
51:33de filet de sécurité, que le jour où ça s'arrête, c'est fini. Et parce qu'ils
51:36font vivre par leurs œuvres, et l'argent qui ça rapporte, ils font vivre, pas que
51:42eux et leurs familles, mais des quartiers entiers. Donc en fait, c'est finalement une
51:48conséquence de ce libéralisme total, libéralisme économique total et extrêmement sauvage,
51:53et qui est un petit peu ce que certains hommes politiques espèrent faire naître
51:58en France aussi. C'est-à-dire, l'État n'intervient dans rien, ou très peu, et
52:02on laisse les gens être en compétition, s'enrichir, et eux ils sont vraiment là-dedans,
52:07et ils arrivent pas à penser autrement, mais parce qu'ils peuvent pas penser autrement,
52:10parce que s'ils arrêtent d'être dans cette course, ils s'écrasent, et ils meurent,
52:14et tous ceux autour d'eux meurent. Et donc dans ce morceau, on le comprend, tout doit redémarrer.
52:23Oh, c'est la couverture bleue, bébé.
52:53Oh, c'est la couverture bleue, bébé.
53:23Oh, c'est la couverture bleue, bébé.
53:53Oh, c'est la couverture bleue, bébé.
54:24Je pense qu'il peut conclure de la meilleure des manières, je disais, il commence le morceau
54:41en disant « Money is not everything », puis à la fin il se rattrape, il dit « Money
54:45is not everything, it's the only thing ». Donc il est obligé de repartir dans cette
54:50course à l'argent. C'est pas tout mais c'est la seule chose. Et donc, il y a cette
54:54espèce de cercle vicieux, entre guillemets, dans lequel ils sont coincés tous. Donc on
55:01va conclure doucement.
55:03Ouais c'est ça, je pense qu'on va passer aux questions.
55:05En sachant que, voilà, on a brassé un certain nombre de rappeurs, il y en a beaucoup d'autres
55:10dont on parle dans le livre et qu'on aurait pu parler aujourd'hui.
55:12C'est ça. Notamment Drake on the Roller.
55:15Ouais, par exemple, qui a un peu ce type de destin-là. Et puis, voilà, dans le livre
55:22on parle aussi d'autres aspects. Forcément, c'est pas un livre sur la prison et justement
55:25si on en parle aujourd'hui, c'est que c'est aussi quelque chose dont on parle finalement
55:29assez peu. Hormis quand on évoque un peu Katrina, etc. Mais voilà, il y a d'autres
55:33aspects de la culture américaine, ou de la société américaine, qui vont de toute façon
55:38dans le sens de tout ce qu'on a dit aujourd'hui, je pense.
55:42Merci.