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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11J'ai reçu récemment un dossier des Etats-Unis.
00:14Il provient du dernier état à s'être réuni aux autres en 1959 et qui forme ce grand pays.
00:21Il a fallu pour le représenter ajouter une cinquantième étoile au drapeau américain.
00:26Je veux parler d'Hawaii.
00:28Eh oui, les îles Hawaï, autrefois les îles Sandwich, bien que situées au milieu du Pacifique, font partie des Etats-Unis d'Amérique.
00:35Ce dossier américain, donc, est constitué par un ancien chef de la police à Honolulu, le commissaire Richard,
00:43puisque tel est son nom, n'a certainement pas eu souvent l'occasion de s'occuper d'une pareille affaire.
00:49C'est, dit-il, le meilleur souvenir de ma carrière.
00:53Aujourd'hui à la retraite, après 43 ans de service, le commissaire Richard, on l'a vu de toutes les couleurs, a rencontré des malfaiteurs de tout poil.
01:01Eh bien, cette affaire d'Honolulu en juin 1961, non seulement est exceptionnelle de par sa nature,
01:08mais son dénouement est quasiment unique dans les annales de la police, en tout cas sous le ciel enchanteur de ce pays.
01:16Car je me demande si une telle aventure aurait pu se dérouler ailleurs et au son d'une autre musique que celle de la guitare hawaïenne.
01:25Pourtant, quand à 11h30 du soir, le commissaire Richard est appelé d'urgence par téléphone
01:31et doit se rendre aussitôt dans un appartement près de Queens Hospital, il ne pense pas à une romance, je vous assure.
01:38Dans la nuit souffle le vent Kona, qu'on appelle là-bas le vent malade, parce qu'il rend les gens inquiets,
01:44troublent leur esprit et les poussent à faire n'importe quoi.
01:47Le vent Kona donc se déchaîne, des branches de palmiers arrachées jonchent les rues, les immenses eucalyptus se balancent en gémissant.
01:56Stoppant sa voiture devant l'immeuble où il est attendu, le commissaire se dit, mauvais présage.
02:02Car il est un peu superstitieux, comme le sont les habitants originaires de l'île,
02:06des volets battent aux fenêtres, sur une terrasse un store qu'on a oublié de relever se déchire.
02:14Pourvu, pense le policier, que je n'arrive pas trop tard.
02:18C'est vous-même, madame, que j'ai eu au téléphone. Mademoiselle. Mademoiselle Fanny Baker, c'est ça.
02:43Vous n'êtes pas blessée. Non, commissaire, j'en suis quitte pour la peur.
02:48Fanny, une ravissante jeune fille de vingt et quelques années, a passé une robe de chambre sur son pyjama verdot.
02:54Elle paraît maintenant très calme, souriante même, alors qu'une demi-heure plus tôt,
02:58elle hurlait dans le téléphone, se disant attaquée par un inconnu menacé de mort.
03:04Et votre agresseur, demande le commissaire.
03:07Eh bien, il a disparu aussi vite qu'il est arrivé par là.
03:11Fanny montre le balcon. La baie est restée ouverte malgré le vent.
03:16Oh, il fait si chaud, explique-t-elle. Je l'ai refermée après, puis ensuite je l'ai rouverte.
03:20J'avais besoin d'air. La voisine est venue me tenir compagnie. C'est la dame que vous avez vue en entrant.
03:27Le commissaire Richard récapitule, prend des notes.
03:31Vers onze heures trente donc, un inconnu a pénétré dans l'appartement de Miss Fanny Baker.
03:36Il est passé par le balcon. Il était âgé de...
03:41Ah ben ça, je suis incapable de vous le dire.
03:44Oui mais, habillé comment ?
03:46Ben, vous savez, quand on est surprise comme ça, je venais juste de me coucher dès temps la lumière.
03:53Je n'ai pratiquement rien vu.
03:56Non, mais vous êtes sûre, tout de même, que quelqu'un est entré ?
04:02Le commissaire jette un regard amusé à la jeune fille qui proteste gentiment et lui prépare un scotch.
04:08Un inconnu s'est précipité sur vous, qui étiez en pyjama dans votre lit.
04:13Il ne vous a rien fait ?
04:15Non.
04:17J'ai hurlé et il s'est sauvé.
04:19Enfin, il était tout de même bienvenu pour quelque chose.
04:23Attendez une seconde, commissaire.
04:26Fanny a posé le verre de whisky sur la table basse et se dirige vers son cabinet de toilettes.
04:31Elle en revient, apportant une boîte à bijoux en teck sculpté.
04:36C'est sans doute ça qu'il voulait.
04:40La boîte contient une collection de jades dont un anneau d'un verre lumineux incomparable,
04:48qui ne ressemble en tout cas pas au verre du pyjama de Fanny dont on ne voit plus que le col et le bas des pantalons.
04:55En effet, s'étonne le commissaire, ces bijoux ont une grande valeur.
05:00Il s'étonne car l'appartenance de la jeune fille est modeste.
05:03Cela vient de mes parents, explique-t-elle, du temps de leur splendeur.
05:07Nous vivions en Chine quand j'étais petite.
05:10D'où le verre impérial de l'anneau de jade.
05:13Le présumé voleur connaissait donc l'existence de ces bijoux et supposait que la locataire de l'appartement était absente.
05:19Mais enfin, qui donc pouvait penser ça, demande le commissaire, parmi vos amis, vos relations, au bureau ou dans l'immeuble ?
05:27Fanny lève ses jolis yeux au ciel comme si elle implorait le secours de quelques dieux vaudous,
05:32exprimant du même coup son ignorance et le vide de sa pensée.
05:36Le commissaire lui conseille, en dépit de la chaleur, de fermer tout de même cette nuit ses fenêtres
05:41et lui souhaite de dormir sans faire de cauchemars, sans rêver, par exemple, qu'un inconnu s'introduit dans sa chambre.
05:47C'est pourtant ce qui se reproduit la nuit suivante, chez une autre jeune femme.
05:52Miss Ashida, une institutrice d'origine asiatique.
05:57Décidément, l'extrême-orient, qu'il s'agisse de bijoux en jade ou de femmes aux yeux en amande et au teint mat,
06:03semble intéresser l'inconnu qui pénètre dans les appartements par les balcons.
06:07— Eh bien, il a sauté dans la pièce comme un chat, explique Miss Ashida.
06:11C'était vraiment extraordinaire. J'aurais voulu que vous le voyiez.
06:14— Et moi donc ? pense le commissaire.
06:16L'appartement de l'institutrice émeublait simplement un divan couvert de coussins multicolores,
06:21une natte sur le sol, deux fauteuils en rotin sur le balcon, quelques bibelots sans valeur.
06:26Rien qui puisse tenter un cambrioleur, hormis la locataire assez jeune et jolie comme Fanny,
06:32mais qui, elle, ne possède pas de bijoux.
06:35— Il vous a parlé ? demandez quelque chose.
06:38— Non, commissaire, non. Rien.
06:40J'étais stupéfait, vous pensez. J'allais m'endormir.
06:43Ma lampe éteinte, je regardais le ciel. On le voit très bien allongé sur mon divan.
06:48Le commissaire note. L'inconnu attend que ses victimes soient couchées.
06:52Ils n'entrent qu'après en être sûrs quand elles ont éteint leur lampe de chevet.
06:58— Et il ne vous a pas touché, vous non plus ?
07:02— Pourquoi ?
07:03— Il a violé d'autres femmes ?
07:05— Remarquez, j'y ai pensé tout de suite, mais non.
07:09Il est parti.
07:11— Remarquez, j'ai tapé à grands coups sur le mur pour que les voisins entendent et viennent à mon secours.
07:18Troisième, quatrième, cinquième agression les nuits suivantes.
07:22Celui que désormais tout Honolulu appelle l'homme-chat procède toujours de la même façon, ou presque.
07:29— Je dormais, raconte Miss Pamela Curtins.
07:32J'ai eu une impression bizarre. J'ai cru que je rêvais. Je sentais une présence à mes côtés.
07:37J'ai ouvert les yeux. Il était là, debout, au pied de mon lit. Il me regardait.
07:43Miss Barbara Peyton, une jeune fille aussi jeune et charmante que les précédentes, son cas est plus curieux.
07:49En effet, Barbara a deux lits jumeaux dans sa chambre de célibataire.
07:55Remarquez bien, elle l'a voulu ainsi car une voyante lui a prédit qu'elle mourrait après avoir passé deux jours de suite dans son lit.
08:03Deux jours.
08:05Et très superstitieuse, Barbara a pris l'habitude de changer de lit chaque nuit, exactement à minuit.
08:10De cette manière, à l'heure précise où la date change, elle change de lit interdisant à la prédiction de se réaliser.
08:18Oui. Se livrant donc à son petit jeu habituel, assez ridicule, elle en convient, mais qui est maître de ses fantasmes, voulez-vous me dire,
08:26Barbara, les yeux bouffis de sommeil, se dirige à taton vers sa seconde couche.
08:31Et elle pousse un cri d'horreur. En posant la main sur l'oreiller, elle vient de toucher quelqu'un.
08:36Oui, il y a déjà quelqu'un dans son lit jumeau.
08:39L'homme-chat, vous l'avez deviné.
08:41L'homme-chat est tendu, tout habillé, qui se lève, et cette fois encore s'en va, sans demander son reste.
08:49N'empêche, murmure-t-on en ville, tout ça se terminera mal.
08:54Cet individu médite un mauvais coup, c'est sûr et certain.
08:58Les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast européen.
09:09Le commissaire Richard à Honolulu est bien perplexe.
09:12Comment arrêter l'homme-chat ? Que sait-il de lui ? Qu'il pénètre dans les appartements dont les baies sont largement ouvertes,
09:19sur les nuits enchantresses d'Hawaii, pourvu qu'il y ait un balcon, cela lui suffit.
09:24Peu importe que l'appartement soit habité de gens riches ou pauvres.
09:27Ah, tout de même, il faut que les locataires soient des jeunes filles agréables à regarder, car ils se contentent de les regarder.
09:34Ce qui a de quoi surprendre, surtout la police.
09:37Qui mieux qu'elle, en effet, sait que les malfaiteurs ne sont pas des contemplatifs, mais des hommes d'action.
09:42Signalement de l'homme-chat, alors là, difficile à définir.
09:47Ces victimes, enfin, les femmes qu'il visite, ont tellement peur qu'elles sont incapables de dire si les petits, grands, jeunes, vieux, bruns,
09:55blonds, en veston, en blouson, tête nue, portant une casquette, un masque, des gants, pourquoi pas un bouquet de fleurs à la main pour les offrir à celles qu'il admire,
10:02et dont il ne touche même pas le bout des doigts.
10:06Et s'ils n'existaient pas, se demande le commissaire,
10:15si toutes ces jeunes femmes, toutes plus ou moins romanesques, certaines même un peu folles,
10:21comme cette Barbara qui dort dans des lits jumeaux et change de lit au milieu de la nuit,
10:25si ces femmes célibataires avaient cru voir un homme dans leur chambre,
10:32ils l'avaient seulement imaginé.
10:35Une chose est sûre, l'homme-chat apparaît toujours au moment du demi-sommeil,
10:39quand la jeune fille vient de se coucher, a éteint la lumière, rêvasse, ferme les yeux.
10:44Elle pense à des choses agréables, s'invente une vie heureuse, il serait normal dans ce rêve éveillé qu'il y ait un prince charmant, non ?
10:52Car, une seconde chose est sûre, il n'y a que les jeunes filles qui l'aient vu, cet homme-chat, personne d'autre.
11:03Le secrétaire du commissaire pénètre dans son bureau.
11:06— Une jeune fille demande à vous voir, chef.
11:09— Pourquoi ?
11:10— Ben, elle n'a pas voulu me le dire, sinon que c'est à propos de l'homme-chat.
11:15— Bon, et bien faites la entrée.
11:19La visiteuse est une petite bonne femme, haute comme trois pommes, l'œil vif, un sourire moqueur au bord des lèvres.
11:27Elle porte un uniforme d'infirmière avec une coiffe à mi-donnée.
11:32— Vous voulez attraper l'homme-chat, dit-elle.
11:36— Je peux vous aider, commissaire, si vous voulez.
11:40Le policier hésite.
11:42— A-t-il affaire à une esservellée de plus ?
11:45Elle risque de l'embarquer dans une aventure où il peut se couvrir de ridicule.
11:49En effet, elle prétend, elle aussi, avoir reçu la visite la nuit dernière de l'homme-chat, mais elle n'a appelé personne à son secours.
11:57Ils ont passé tous les deux un moment ensemble, ils ont parlé.
12:03L'homme-chat est un jeune garçon de vingt ans environ.
12:07Il est né dans un village de pêcheurs, son père est un portugais qui a abandonné sa mère et est reparti pour Lisbonne.
12:14Sa mère s'est noyée.
12:16Orphelin, il est venu chercher du travail à Honolulu.
12:20Il tresse des colliers de fleurs pour les touristes.
12:24Il est malheureux.
12:26Alors l'infirmiere, après avoir écouté ses confidences, lui a dit,
12:30— Revenez ce soir.
12:33— Et vous pensez qu'il reviendra ? demande le commissaire.
12:38— J'en suis sûr.
12:41Le commissaire alors décide de tendre un piège à ce jeune homme qui est où, qui n'est pas ce qu'il veut bien dire.
12:48Il décide de le prendre le soir même, quand il viendra pour la seconde fois rendre visite à la petite infirmiere.
12:56— D'accord, accepte celle-ci, mais vous n'oubliez pas votre promesse.
13:01— Laquelle ?
13:02— Celle que vous m'avez faite avant que je ne vous raconte tout ça.
13:06Il ne lui sera fait aucun mal et son nom ne sera pas révélé aux journaux.
13:14Ainsi dit, ainsi fait.
13:16Un policier se cache dans les jardins devant l'immeuble habité par l'infirmiere,
13:20un autre dans un placard dans l'appartement.
13:23Le commissaire lui-même se prépare à intervenir en se tenant près d'un interrupteur
13:27afin de pouvoir allumer l'électricité le moment venu.
13:31Un peu avant minuit, l'infirmiere s'est couchée, elle a éteint sa lampe de chevet.
13:36Les fenêtres sont ouvertes sur la nuit étoilée.
13:43Une ombre se dessine sur le balcon.
13:47Ah, c'est vrai, il existe cet homme dont tant de filles ont rêvé.
13:52Et il a vraiment l'agilité d'un chat.
13:55Il saute sur la terrasse, entre dans la chambre.
13:58Le commissaire ouvre la lumière, il est pris.
14:02— Oh, mademoiselle, dit-il, pourquoi m'avoir dénoncé ?
14:10C'est pas gentil.
14:13Vous savez bien que je ne vous aurais fait aucun mal.
14:18Mais nous non plus, répond-elle, nous ne vous ferons aucun mal.
14:24Vous allez nous accompagner.
14:28Je viendrai avec vous, n'ayez pas peur.
14:33Alors le jeune homme se laisse arrêter sans difficulté.
14:37Au quartier général de la police, tandis qu'un employé remplit à la machine le questionnaire réglementaire,
14:43l'infirmière a obtenu du commissaire la permission de rester assise à leur côté.
14:48Elle obtiendra mieux.
14:51Elle obtiendra que l'homme chat soit admis dès le lendemain dans le service psychiatrique de l'hôpital où elle travaille.
14:57Ainsi, elle pourra le soigner et le guérir.
15:00Car, vous l'avez compris, il s'agit d'un malade.
15:03Un malade qui n'était pas dangereux, mais qui aurait pu le devenir.
15:08Surtout un de ces soirs terribles, où souffle le vent Kona.
15:13Ce vent malade que craignent tant les Hawaïens.
15:18« Oui, dit le jeune homme au psychiatre qui l'a pris en charge.
15:22Quand souffle le vent malade, j'ai de la pilikia ici, vous voyez ?
15:27Et il se frappe le cœur avec la main.
15:30Pilikia.
15:32Synonyme en Hawaïen d'affection.
15:35Car c'est d'affection de tendresse, de présence féminine, dont avait besoin ce garçon perdu, seul, déchiré.
15:42Puisque je vous l'ai dit, son père, il est un colon portugais reparti à Lisbonne, sa mère, une indigène noire morte peut-être de chagrin.
15:50Mais je vous ai dit aussi que cette histoire avait un dénouement aussi inattendu que les péripéties qui l'ont marqué.
15:58Le commissaire Richard, plusieurs années après s'être occupé de l'arrestation de l'homme chat, n'arrivait pas à oublier.
16:05C'était tellement différent des crimes crapuleux ou sordides, sa monnaie quotidienne.
16:11Alors voulant se renseigner, savoir ce qu'était devenu le jeune homme, il se rend un soir chez l'infirmière.
16:18Et il apprend là que celle-ci est déménagée.
16:20Elle habite maintenant dans la banlieue d'un élulu, une petite ville.
16:25Ce sera une promenade pour dimanche, se dit le commissaire.
16:28Arrivant à la villa dans l'après-midi du dimanche suivant, le commissaire Richard aperçoit deux enfants qui jouent dans le jardin.
16:35Les parents sont là, eux aussi, la mère prépare le goûter, le père, assis devant une table, fabrique des colliers de fleurs.
16:43C'est l'image d'une famille heureuse.
16:46L'infirmière a épousé l'homme chat.
16:54Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Bellemare.
17:11Un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
17:16Réalisation et composition musicale, Julien Tharaud.
17:20Production, Raphaël Mariat.
17:23Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
17:28Remerciements à Roselyne Bellemare.
17:31Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
17:36Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.

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