Charlie Hebdo
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00:00Jean Duverdier, bonjour.
00:01Bonjour.
00:02Merci d'avoir accepté notre invitation.
00:04Dessinateur de presse à Sud-Ouest, Lucas le précisait,
00:07vous collaborez également avec plusieurs magazines
00:10et vous animez aussi des congrès d'entreprises par le dessin d'humour.
00:13Pour le dessinateur que vous êtes,
00:15en ce 7 janvier 2025,
00:18dix ans après le massacre de Charlie Hebdo,
00:20qu'est-ce qu'il reste ? Quel souvenir ? Quelle émotion ?
00:23Bon, évidemment, c'est le sujet qui plombe la matinée.
00:27Mais ce qui me reste comme un preuve,
00:29c'est que moi j'ai toujours une pensée pour ces dessinateurs.
00:33Comme Kabuk, j'adorais,
00:35comme les autres, Ignos, etc.
00:38J'ai toujours ce sentiment, je les imagine,
00:43la dernière fois où ils étaient ensemble dans cette rédaction,
00:46où ils ont dû voir arriver ces tueurs, ces fadas,
00:49leur tirer dessus, voilà, moi j'ai souvent cette image-là.
00:53Après, ça a été pour moi une grande tristesse,
00:57le jour où c'est arrivé, je ne croyais pas d'ailleurs,
00:59je me disais, c'est pas possible, c'est pas possible, quoi.
01:02Donc c'était toujours un moment de tristesse,
01:05même par rapport à l'humanité, par rapport à l'humour,
01:09je me disais, c'est pas possible, on fait de l'humour
01:11et on risque de la tuer pour ça, quoi.
01:14Ce jour-là, vous vous êtes senti visé, vous aussi ?
01:18La profession, oui.
01:19La profession ?
01:19La profession, personnellement, non,
01:21parce que je ne suis pas un dessinateur de Charlie Hebdo,
01:24ce que je fais n'est pas aussi engagé qu'eux,
01:27mais bien sûr, sur le principe du dessin d'humour,
01:31ça n'était jamais arrivé, quasiment.
01:34Des dessins, vous en avez fait à l'occasion
01:36de ce qui s'est passé à Charlie Hebdo,
01:38ceux qui nous regardent sur Ici Matin
01:40peuvent les voir et les découvrir, les redécouvrir ce matin.
01:45Le samedi 10 janvier 2015, 3 jours après,
01:47c'est une journée nationale de mobilisation,
01:49il y a eu des marches républicaines un peu partout en France,
01:52à Bayonne, cette marche républicaine avait rassemblé
01:55plus de 20 000 personnes,
01:56et dans ces 20 000 personnes, dans ce cortège,
01:58il y avait Bérangère avec une pancarte,
02:00« Je suis Charlie », écoutez.
02:02Je suis Charlie, c'est tout, c'est tout le monde,
02:04c'est tous unis, c'est tous ensemble,
02:06c'est catholiques, musulmans, toutes les religions,
02:10bouddhistes, athées, etc.,
02:13on est tous ensemble contre le terrorisme,
02:15et je suis Charlie.
02:16« Je suis Charlie », le dessin de presse,
02:18la caricature, est-ce qu'aujourd'hui encore,
02:21j'allais dire, c'est un art dangereux ?
02:25Visiblement, c'est un art un petit peu arisme,
02:28enfin bon, là c'est vraiment exceptionnel quand même.
02:32Mais le but quand même, le but du dessinateur,
02:36du dessin d'humour, c'est de faire rire.
02:37Le premier but, c'est celui-là,
02:39c'est pas autre chose, après on est toujours triste
02:42de voir quand les gens l'interprètent mal.
02:44En fait, c'est plus un problème d'interprétation
02:46du dessin, du message, que le dessin lui-même.
02:51Il y a l'intention du dessinateur,
02:52et puis il y a l'interprétation du lecteur,
02:55et parfois les deux ne se rejoignent pas,
02:57ou ne se comprennent pas.
02:58Oui, après on ne veut pas dessiner pour tout le monde,
03:00on essaie d'être le plus clair possible,
03:02le but étant quand même toujours de créer un gag,
03:05de créer, donc dans une rédaction comme Charlie Hebdo,
03:09je les imagine bien, des fois quand on se voit
03:11entre dessinateurs, c'est à celui qui fait le gag,
03:13qui va plus s'amuser, à la limite le copain dessinateur,
03:17c'est le plaisir de faire du gag,
03:18le plaisir de croquer,
03:20nous on est des gens d'images,
03:24on aime ça.
03:25Donc, je ne sais plus ce que vous voulez me dire,
03:29le but c'est d'abord de faire rire,
03:30mais ensuite il y a l'interprétation,
03:32et la personne qui va lire le journal,
03:34qui va voir le dessin,
03:35on ne sait pas s'il va le prendre au premier,
03:37au second ou au troisième degré.
03:38Après c'est une question, je veux dire,
03:41d'éducation, de sensibilité.
03:43D'ouverture aussi.
03:44D'intelligence.
03:45Ici P.Ybasquie, il est 8h20,
03:47on revient sur les 10 ans de l'attentat de Charlie Hebdo,
03:49avec Jean Duverdier, dessinateur caricaturiste,
03:52pour Sud-Ouest notamment.
03:53Jean Duverdier, est-ce que vous avez modifié votre façon
03:55d'aborder le dessin, depuis ce qui s'est passé en 2015 ?
03:58Est-ce que vous réfléchissez différemment ?
04:01Est-ce que vous vous interdisez certaines choses ou pas ?
04:05Non, non, non, je m'interdis, oui.
04:08Je m'interdis, enfin c'est comme toujours,
04:10comme je me suis toujours,
04:12j'ai toujours mesuré mon dessin,
04:14enfin, choisi mon thème.
04:16Vous avez mis des barrières personnelles, en fait.
04:18Oui, voilà, des barrières personnelles, voilà.
04:20Après c'est chacun qui,
04:22tous les dessinateurs on dessine comme on l'est,
04:24donc suivant sa nature,
04:26voilà, il y en a qui rentrent plus dedans que d'autres,
04:29d'autres au contraire ils sont beaucoup plus poétiques,
04:31il y a plein de sortes de dessinateurs d'humour
04:34et de dessins d'humour.
04:35Moi j'ai toujours été en accord avec moi-même,
04:38j'ai toujours le but étant de satisfaire et de plaire au lecteur.
04:42Mais dans vos différentes activités,
04:44jamais personne ne vous a dit
04:46« Ah, tu es peut-être allé un petit peu trop loin là-dessus ? »
04:49Oui, oui, oui, c'est arrivé,
04:51souvent, pas toujours,
04:53souvent à la rédaction,
04:55quand je montre un dessin et que je sais un petit peu
04:57que ça risque un petit peu de titiller,
05:00je propose le dessin et puis mon
05:02mon rédacteur en chaîne me dit
05:04« Ce dessin, oui, mais non. »
05:07On ne peut pas le passer en Sud-Ouest.
05:09Et le nom, vous le comprenez ?
05:11Oui, je l'admets, bien sûr,
05:13bien sûr je l'admets, moi le but c'était d'être en accord,
05:15en harmonie avec ma rédaction, avec mon journal,
05:18donc je ne vais pas m'engueuler pour ça.
05:22Certains caricaturistes des médias nationaux disent aujourd'hui,
05:26c'était le cas dans un article sur France Info,
05:29disent aujourd'hui « Les terroristes ont gagné. »
05:33Notre liberté d'expression, elle s'est rabougrie.
05:36Oui, elle s'est rabougrie, donc peut-être pas comme de m'en gagner,
05:39mais c'est sûr que de mettre en jeu sa vie
05:42pour des personnes comme ça,
05:45est-ce que ça vaut le coup ?
05:47Et à un moment, il y a aussi une voie sans issue.
05:50Et dans le même temps, on a le droit de ne pas apprécier Charlie Hebdo.
05:53Oui, bien sûr, c'est ce que je disais.
05:55Parce que tout le monde a été Charlie,
05:57vu l'ampleur du drame.
05:59Sur le principe.
06:01Auparavant, l'hebdomadaire s'attirait certaines critiques.
06:04Oui, parce qu'il n'était pas très vendu.
06:07Les ventes étaient compliquées à ce moment-là.
06:10Oui, bien sûr.
06:12Donc, on a le droit de ne pas être d'accord avec une caricature.
06:16Oui, elle peut un petit peu heurter.
06:19Mais c'est ce que je vous disais,
06:21il y a des degrés d'humour chez Charlie, c'est assez fort.
06:25Donc, tout le monde n'est pas un adepte de ce type d'humour.
06:30Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut interdire ou condamner les dessinateurs.
06:35Est-ce qu'on étouche Charlie encore aujourd'hui ?
06:37Ou est-ce que ça s'est étiolé ?
06:39Oui, quand même.
06:40Je pense que si jamais il arrivait que ça se reproduise,
06:42je pense que tout le monde réagirait pareil.
06:44Mais oui, c'est important que ça subsiste.
06:47C'est quand même un patrimoine du français, de la vie française.
06:52Mais dans une société qui n'est pas un peu devenue intolérante,
06:56sur certains sujets ?
06:57Il y a encore plus besoin, je veux dire.
06:59C'est un contrepoids.
07:01C'est une bulle d'oxygène.
07:04C'est comme le swing dans le jazz.
07:09S'il n'y a plus de swing dans le jazz, c'est plus pénible.
07:12C'est sans saveur.
07:13Voilà, c'est sans saveur.
07:14Il faut absolument qu'il y ait de l'humour,
07:16mais pas qu'à travers le dessin,
07:18toute forme d'humour.
07:20Toutes sortes d'humour.
07:21Eh bien, ce sera le mot de la fin.
07:22Jean Duverdier, merci de nous avoir rejoints ce matin dans les studios.
07:25D'ici matin, bonne journée à vous.
07:27Merci.