"Il y a une génération qui en a ras-le-bol, qui ne veut plus que la France se mêle des affaires internes de leur pays."
Peut-on expliquer la colère contre la France en Afrique francophone par un simple "sentiment anti-français" ? Pour Ousmane Ndiaye, rédacteur en chef Afrique de TV5 Monde, c'est minorer les raisons profondes de la contestation.
Peut-on expliquer la colère contre la France en Afrique francophone par un simple "sentiment anti-français" ? Pour Ousmane Ndiaye, rédacteur en chef Afrique de TV5 Monde, c'est minorer les raisons profondes de la contestation.
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00:00Le sentiment anti-français n'existe pas.
00:02Ce qui existe et qu'on voit depuis des années,
00:05qui travaille la jeunesse africaine,
00:07qui a travaillé les générations d'avant,
00:09mais d'une autre façon,
00:11c'est une contestation de la politique française en Afrique.
00:14C'est une contestation des formes
00:16de la présence française en Afrique.
00:22Il y a une génération qui a un ras-le-bol,
00:24qui ne veut plus que la France se mêle
00:27des affaires internes de leur pays.
00:28Et ça, le nommer, l'appeler sentiment anti-français,
00:31c'est le mal nommer et puis aussi c'est le minorer.
00:34C'est un message éminemment politique avant tout.
00:36Cette mobilisation, elle a toujours existé,
00:38elle a toujours été là.
00:40Ce qui change, c'est l'ampleur.
00:41Il y a une donne essentielle qui a vraiment tout changé,
00:44c'est les réseaux sociaux et la possibilité
00:46que ces jeunes qui contestent
00:50peuvent avoir les moyens de leur propre discours.
00:51Par le passé, dans les générations précédentes,
00:54c'était plus compliqué d'avoir accès aux médias
00:56pour pouvoir tenir ce discours-là,
00:58qui est parfois très radical, qui est parfois même violent.
01:00Il y a eu des choses tellement contestables
01:02dans les deux dernières décennies,
01:04qui ont mobilisé les jeunes.
01:05Par exemple, on sous-estime l'impact du discours
01:08de Dakar de Nicolas Sarkozy qui est allé à l'université.
01:11Donc, un endroit où il y a les jeunes pour dire que...
01:14Le drame de l'Afrique,
01:16c'est que l'homme africain
01:19n'est pas assez entré dans l'histoire.
01:21La jeunesse africaine l'a pris comme une insulte.
01:25C'est des jeunes aussi qui s'expriment en français,
01:27parce que cette contestation est souvent exprimée en français.
01:31C'est des jeunes qui ont des projets,
01:33certains rêvent de venir étudier
01:35dans les meilleures universités en France, etc.
01:37Ils savent réellement ce qu'il y a d'intéressant
01:42et de possible avec la France.
01:44Ce n'est pas un divorce d'or, etc.
01:46Non, on veut une nouvelle relation.
01:47Ça, c'est très important.
01:49Cette relation-là ne nous convient pas justement
01:52parce que c'est une relation qui est l'héritage de la colonisation.
01:55Et ces jeunes-là sont plus à l'aise d'ailleurs pour le contester
01:59parce qu'ils ne l'ont pas connue.
02:00La génération d'avant, c'était un peu différent.
02:03Certains étaient français à leur naissance,
02:06les liens sont plus forts.
02:08Cette génération est totalement décomplexée.
02:10Elle est décomplexée parce qu'elle a eu la chance
02:13d'avoir plus d'ouverture, un horizon plus large,
02:16d'avoir plus de possibilités de communication
02:19avec le reste des jeunes du monde.
02:21Ça touche précisément les pays, les anciennes colonies,
02:24mais l'Afrique francophone,
02:25c'est lié aussi aux décolonisations mal faites.
02:29La France part sans partir.
02:30Quand vous écoutez le discours officiel,
02:32on est présent pour lutter contre le terrorisme, d'accord.
02:34Mais moi, observateur, je note que parfois en Afrique,
02:38l'armée française jusqu'à présent intervient
02:41pas pour combattre du terrorisme, du djihadisme.
02:43Je vous donne un exemple au Tchad, il y a deux ou trois ans.
02:45Il y a une colonne de rebelles qui contestent le pouvoir,
02:47un mouvement politique qui a pris les armes pour contester le président.
02:51Le président, qui est un allié de la France,
02:53demande une intervention.
02:55Il y a une intervention de l'aviation française
02:57qui stoppe nette cette colonne de rebelles.
02:59C'est une présence qui peut avoir des incidences politiques internes.
03:02C'est une présence qui peut s'immiscer dans des processus électoraux,
03:06qui peut s'immiscer dans des luttes de pouvoirs internes.
03:08Il y a la domination militaire, mais il y a la domination économique.
03:10Un des points de ralliement,
03:12un des points de réveil du mouvement politique
03:17qui conteste la présence française en Afrique,
03:19c'est la question du franc CFA.
03:21Et puis, qu'on le voie ou non, la question du franc CFA
03:23pose une vraie question de légitimité,
03:26d'autant plus qu'encore une fois,
03:28il ne s'agit ni de quitter ni de partir,
03:30il s'agit d'inventer une nouvelle relation.
03:32À chaque fois qu'on voit les jeunes manifester,
03:35se structurer avec un discours critique sur la France,
03:40il y a forcément quelqu'un derrière.
03:42Les jeunes sont capables aussi d'être des forces de changement politique.
03:47Et franchement, ils l'ont démontré ces dix dernières années.
03:49Le mouvement Yanamar au Sénégal,
03:55le mouvement Philippines,
03:59le mouvement Les Citoyens,
04:03en Tunisie, les blogueurs,
04:06la jeunesse a pris une part importante
04:09dans l'articulation de la révolution.
04:12Et c'est cette même jeunesse-là
04:14qui, dès que le discours est tourné contre la France,
04:16aboie la Russie.
04:18Mais il n'y avait pas la Russie quand ils se soulevaient
04:20dans tous ces pays-là que j'ai dit.
04:21La Russie n'avait pas encore cette politique en Afrique.
04:25Donc je pense que oui, il y a la question russe, sans doute.
04:27La Russie en profite,
04:29la Russie en embrigade certains, sûrement.
04:32Mais quand même, il ne faut pas oublier que,
04:33d'abord, la jeunesse est une force politique en Afrique,
04:36elle l'a toujours été.
04:37Et c'est une force qui,
04:39sa dynamique, elle est d'abord,
04:41elle est issue d'elle-même.