D'ici 2050, l'Afrique subsaharienne abritera l'immense majorité des francophones. De quoi redessiner l'avenir de notre langue, avec le développement croissant de variétés locales du français. Explications.
Retrouvez toute l’actualité, les reportages, les enquêtes, les opinions et les débats du "Nouvel Obs" sur notre site : https://www.nouvelobs.com
Retrouvez toute l’actualité, les reportages, les enquêtes, les opinions et les débats du "Nouvel Obs" sur notre site : https://www.nouvelobs.com
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 *Musique*
00:10 Cette chanteuse, elle ne chante pas en français.
00:12 Si le français est devenu une langue algérienne, une langue sénégalaise,
00:15 cette langue est à ses populations et elles en font bien ce qu'elles en veulent.
00:18 Connaissez-vous le "nushi" ?
00:20 *Tic tac*
00:21 Ces mots sont issus d'un argot d'abidjan très répandu en Côte d'Ivoire.
00:25 Et à force d'être utilisés, certains sont entrés dans le petit revers en 2017.
00:31 L'aboutissement d'un long processus d'hybridation de la langue
00:34 où le parler africain du français finit par enrichir le français parlé en France.
00:40 Alors, l'avenir du français est-il en Afrique ?
00:44 *Bruit de bouclier*
00:46 Le français est la 5ème langue la plus parlée au monde,
00:49 avec 321 millions de locuteurs
00:52 selon la dernière estimation de l'Organisation internationale de la francophonie.
00:56 Sur ces 321 millions de francophones, seulement 68 millions sont français.
01:02 C'est-à-dire 2 personnes sur 10.
01:05 Cette carte représente l'usage du français dans le monde.
01:08 L'Afrique subsaharienne abrite 47% des francophones,
01:11 tandis que le Maghreb et le Proche-Orient, 15%.
01:15 Additionnée, ces régions du monde abritent donc plus de 62% des francophones dans le monde.
01:20 Et cette dynamique n'est pas près de s'arrêter.
01:23 Ce graphique montre la croissance de la francophonie par continent.
01:27 On voit que l'Afrique subsaharienne surpasse largement les autres continents.
01:32 Selon l'OIF, d'ici 2050, 85% des francophones seront africains.
01:38 La première explication tient à la démographie.
01:41 Dans tous ces pays d'Afrique, le français est une ou la seule langue officielle.
01:45 Or, il s'agit de pays où la natalité est élevée.
01:48 Et dans beaucoup de cas, le français est la langue de scolarisation des enfants,
01:52 ce qui explique son développement.
01:54 Mais les linguistes avancent une autre explication.
01:57 Dans ces pays où bien souvent plusieurs langues cohabitent,
02:00 le français a une fonction dite « véhiculaire ».
02:03 Deux personnes qui ne parlent pas la même langue maternelle
02:06 vont utiliser le français pour communiquer.
02:09 « Cette langue-là devient leur langue de communication, disons intermédiaire. »
02:13 Mais alors, qu'est-ce que cela signifie pour l'évolution de la langue ?
02:17 Ce qu'il faut comprendre, c'est que plus une langue se diffuse,
02:20 plus elle se diversifie.
02:21 « Or, le français est une des langues les plus diffusées au monde avec l'anglais.
02:25 Donc forcément, le français est fait de diversité. »
02:28 Cela dit, toute langue est le résultat d'un métissage.
02:31 Les langues pures n'existent tout simplement pas.
02:34 « C'est un phénomène observé absolument partout pour toutes les langues.
02:38 Même le français est de toute façon le résultat d'un mélange de langues différentes,
02:43 en l'occurrence du latin mélangé avec du celte parlé par des Gaulois,
02:47 puis mélangé avec une langue germanique parlé par des Francs qui lui ont donné son nom. »
02:51 Avec la grande diffusion du français, notamment en Afrique, du fait de la colonisation,
02:55 se sont ajoutés de nouveaux métissages au contact des langues locales.
02:59 Les gens vont emprunter des mots à leur langue natale,
03:02 soit parce qu'ils sont plus expressifs,
03:04 soit parce qu'ils décrivent mieux les réalités locales.
03:07 « On vit dans un environnement naturel particulier.
03:09 Le climat n'est pas le même, les plantes, les animaux, le vent, la pluie, etc.
03:14 Les coutumes ne sont pas les mêmes.
03:16 Et donc on a besoin d'enrichir le français. »
03:19 Par exemple, à Madagascar, pour dire « ensorceler » et « jeter un sort »,
03:23 on utilise le terme « fanafoudé ».
03:25 Le mot vient du malgache fanafoud, qui veut dire « remède traditionnel ».
03:30 « Et puis une dernière chose, c'est qu'une fois que les gens se sont appropriés le français,
03:33 ils se mettent à le faire évoluer, à inventer des mots en français
03:36 qui ne sont pas forcément issus d'un emprunt à une autre langue. »
03:40 Ainsi, au Mali, on va dire « amouré » pour dire qu'on est tombé amoureux.
03:44 Ou au Cameroun, on va dire un « long crayon » pour désigner un intellectuel,
03:48 quelqu'un qui écrit beaucoup.
03:50 Ce processus d'hybridation finit par créer des variétés locales de la langue,
03:54 qui font qu'on ne parle pas exactement le même français à Dakar et à Kinshasa.
03:58 Par la culture, mais aussi par les réseaux sociaux,
04:01 ces différentes variantes du français se diffusent plus vite qu'avant,
04:04 non seulement en Afrique, mais aussi en France.
04:07 Par exemple, le verbe « s'enjailler », qui signifie en argot « s'amuser, faire la fête »,
04:13 vient du Nushi, des quartiers d'Abidjan,
04:15 où l'on dit « s'enjailler de quelqu'un », qui veut dire « apprécier quelqu'un ».
04:19 Le terme est lui-même issu d'un métissage avec l'anglais « joy », qui veut dire « joie ».
04:23 Après sa large diffusion, notamment sous l'influence des rappeurs,
04:26 le verbe « s'enjailler » a été inscrit au dictionnaire du Petit Robert en 2017.
04:31 « Le blanc s'est désengelé »
04:33 Reste qu'en France, cette diversité, ces évolutions de la langue de Molière sont souvent décriées
04:39 « Le président s'est révolué »
04:41 « La langue française ne cesse de changer, et bien non, la langue française ne répond plus à l'appel de son nom,
04:47 c'est une autre langue qui se fait aujourd'hui passer pour elle »
04:50 voire carrément niées.
04:51 « Cette chanteuse, elle ne chante pas en français »
04:53 Pour Philippe Blanchet, ce mépris s'explique par des raisons historiques.
04:57 Après la Révolution et tout au long du XIXe siècle, la diffusion du français sur le territoire
05:02 a contribué à construire l'identité nationale.
05:05 « Et du coup, cette langue est surinvestie, il y a un espèce de rapport religieux, elle est sacralisée.
05:10 Dès lors qu'on a sur la langue ce regard-là, on peut considérer comme des formes de blasphème
05:15 tout ce qui vient y toucher.
05:17 C'est comme un texte religieux, on ne peut pas le modifier.
05:19 Puisque cette langue est l'image de l'identité nationale,
05:22 si vous modifiez la langue, c'est comme si vous portiez atteinte,
05:25 pour le dire du point de vue des gens à qui ça pose problème,
05:28 à l'identité nationale telle qu'elle est. »
05:30 Malgré ces crispations, les variétés locales du français sont de plus en plus reconnues au sein de l'OIF.
05:36 « Au niveau de la francophonie, on reconnaît leur dignité.
05:39 On voit qu'on est en train de passer à une forme de diversification des modèles
05:42 et le français devient une langue pluricentrique, on va dire,
05:45 à plusieurs centres de référence au lieu d'en avoir un seul qui était Paris. »
05:49 Cette approche a le mérite de battre en brèche la perception de la francophonie
05:53 comme un espace d'impérialisme linguistique.
05:55 « Ce n'est pas nouveau l'idée que les gens à qui on a, même contre leur gré,
06:00 imposé le français à un moment donné,
06:02 parce que c'est une langue de communication internationale de très grande diffusion,
06:06 se l'approprie.
06:08 Et du coup, il vient un moment où ces gens-là sont en position de dire
06:11 « la mainmise de la France sur la langue française pose un problème de rapport de type colonial.
06:16 Ils ont parfaitement le droit de le parler à leur façon, de construire leur propre norme,
06:20 comme les Québécois l'ont fait.
06:21 Il y a un dictionnaire du français du Québec
06:23 qui propose une norme différente de la norme standard française. »
06:28 Mais alors, si le français, comme toutes les langues, évolue constamment,
06:32 est-il voué à se transformer au point que celui qu'on connaît aujourd'hui n'en vienne à disparaître ?
06:36 Ce n'est pas impossible. C'est ce qui est arrivé au latin, par exemple.
06:40 Sa grande diffusion dans l'Empire romain a fait éclater la langue en divers rameaux
06:44 qui sont devenus les langues romaines.
06:46 Le latin a perduré comme langue savante et comme langue de l'Église,
06:49 avant de disparaître progressivement.
06:52 Et de leur côté, les langues romaines ont donné naissance au français,
06:55 à l'italien et à bien d'autres langues.
06:57 En fait, tout dépendra des besoins des populations.
07:01 Si le besoin de communiquer entre les différents espaces du français perdure,
07:05 une forme commune de français survivra.
07:07 Si ce n'est plus le cas, il pourrait disparaître.
07:10 Si ces relations-là se distendent ou deviennent conflictuelles,
07:14 ça peut diverger, produire des langues différentes.
07:16 Mais c'est parfaitement banal, il n'y a aucune raison de s'en alarmer,
07:20 parce que les langues sont des choses dont nous nous servons.
07:23 C'est nous qui les fabriquons et en fonction de nos besoins.
07:26 Comme le dit le poète Charles Penkin,
07:28 la langue laissée au panthéon des écritures et des politiques est une langue morte.
07:33 [SILENCE]