Le président russe Vladimir Poutine a signé ce mardi 19 novembre, au millième jour de son offensive contre l'Ukraine, le décret élargissant les possibilités de recours à l'arme nucléaire, juste après que les États-Unis ont autorisé Kiev à frapper le sol russe avec ses missiles à longue portée.
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00:00Avec nous Jérôme Cleche, professeur de stratégie à Sciences Po, consultant en défense de BFMTV et auteur de la prospective stratégique aux éditions Hermann.
00:07Merci d'être avec nous ce matin aux côtés de Paul Gogo, consultant en Russie de BFMTV,
00:12auteur de Opérations spéciales, dix ans de guerre entre Russie et Ukraine, vu et vécu depuis le Donbass, c'est paru aux éditions du Rocher.
00:17Bonjour Paul, et Patrick Sauss, éditorialiste politique étrangère à BFMTV, est également là alors que les premières frappes ukrainiennes
00:26avec les fameux missiles longue portée américains dans la région de Bryansk se sont produites hier.
00:33Vladimir Poutine annonce une évolution de la doctrine nucléaire russe en signant un décret qui élargit cette menace nucléaire.
00:40Et puis ce matin, on apprend aussi, Patrick, que les États-Unis vont aussi fournir à l'Ukraine des mines antipersonnelles non persistantes.
00:49De quoi s'agit-il ?
00:50Et je termine la phrase pour ralentir l'avancée des Russes. Et pour moi, ça me paraît important.
00:55Ça montre deux choses. Un, que le chronomètre avance pour Joe Biden jusqu'au 20 janvier et qu'il est en train de faire véritablement, pardon d'être vulgaire, les fonds de tiroirs.
01:05Tony Blinken, son secrétaire d'État, donc le ministre des Affaires étrangères américain, avait dit aussi « on ira jusqu'au dernier dollar, on va très vite ».
01:12Deux, ça montre au grand jour ce que beaucoup de créniens craignaient depuis longtemps, c'est que les Américains ne veulent pas la victoire de l'Ukraine, ils veulent que la Russie ne gagne pas.
01:23Et c'est sacrément différent.
01:24Mais c'est pas un peu gonflé de prendre des décisions alors que dans deux mois, Donald Trump sera à la Maison-Blanche ?
01:29Je vous dis, les fins de tiroirs. Et c'est une façon de dire que derrière, ça va radicalement changer, il y aura une rupture.
01:37On va pouvoir parler des 24 heures pour régler le conflit entre l'Ukraine et la Russie, mais il y a surtout le discours d'un certain nombre de nouveaux membres à venir dans l'administration Trump
01:46qui, eux, en fait, ne sont pas du tout pro-ukrainiens.
01:49Pensez quand même à cette caricature qui a fait beaucoup de bruit en Russie, caricature publiée par Elon Musk sur Twitter, où vous voyez Volodymyr Zelensky qui se plaint de ne plus avoir d'agent de poche après le 20 janvier, ça dit quelque chose.
02:01Et donc, dans ce contexte, Jérôme Claché, évolution de la doctrine nucléaire de la Russie, évolution de la doctrine nucléaire, qu'est-ce que ça veut dire ?
02:10Alors, en réalité, elle n'a pas vraiment évolué dans le sens où ça fait deux mois déjà que c'était déjà dans les fonds de tiroirs, et il s'agit en fait d'un recours élargi et d'un seuil de déclenchement abaissé
02:21qui montre en fait toute la faiblesse de la Russie face aux forces conventionnelles de l'OTAN, parce que les forces conventionnelles de la Russie ne sont pas en mesure de combattre devant les forces conventionnelles de l'OTAN.
02:30Quand vous dites abaisser les conditions, c'est quoi ? De nombreux mots.
02:33Très concrètement, en fait, Vladimir Poutine n'a pas changé. S'il y a menace existentielle pour la Russie, et le fait éventuellement de perdre la Crimée et le Donbass aurait été existentiel.
02:44Et là, effectivement, le déclenchement de l'arme nucléaire, avec l'emploi d'armes nucléaires tactiques, de un ou plusieurs cliottones, aurait été envisageable.
02:51En revanche, l'idée d'une montée en puissance, j'allais dire, de l'aide américaine à travers les attaques MS pour un temps soit peu rééquilibrer le rapport de force dans la perspective de négociation ne constitue absolument pas une menace existentielle.
03:05Et donc, on est dans des rodeaux-montades nucléaires, comme on les a connus à chaque fois qu'il y avait une élévation d'un cran dans le soutien de l'aide américaine,
03:11qui vise en fait à quoi ? Eh bien à impressionner les opinions publiques occidentales, et en particulier européennes, dans le cadre, encore une fois, de négociations, parce qu'on est aujourd'hui déjà en négociation.
03:20Mais ça a plutôt marché, parce qu'hier, quand paraît ce décret signé par Vladimir Poutine, on se dit, ça y est, il a le bouton, il a le doigt sur le bouton nucléaire.
03:27Mais bien sûr, ça marche, puisque la preuve, je suis là pour vous en parler ce matin, notamment, est que les opinions publiques, eh bien, s'effraient de ça. Mais j'allais dire, elles ont tort.
03:35Les opinions publiques, mais pas ceux qui les dirigent.
03:37Alors, normalement, non, car tout le monde sait quelle est la rhétorique nucléaire. Et c'est bien qu'en fait, si Vladimir Poutine, encore une fois, ne risque pas de perdre le Donbass et la Crimée, eh bien, en aucun cas, il aura recours à l'arme nucléaire.
03:50Voici la lecture qu'en fait le ministre ukrainien des Affaires étrangères.
03:55Nous assistons actuellement à de nouvelles tentatives du Kremlin d'utiliser le nucléaire pour effrayer l'Occident.
04:03Leurs doctrines nucléaires révisées et leur rhétorique sur l'utilisation des armes nucléaires ne sont rien d'autre que du chantage.
04:11Ils l'ont déjà utilisé à maintes reprises lorsque des décisions fortes ont été prises. Nous devons garder la tête froide, les idées claires et ne pas céder à la peur.
04:22Donc, Paul Poutine manipule, entre guillemets, le risque nucléaire sans lui-même y croire.
04:27Sans lui-même y croire, d'autant plus que la population russe, elle en veut pas plus que nous de cette bombe nucléaire.
04:32On a bien tenté de leur expliquer aux Russes pendant quelque temps que même si une bombe nucléaire étrangère devait répondre à la bombe nucléaire russe et donc tuer beaucoup de Russes, les Russes seraient morts en étant du bon côté de l'histoire.
04:43Bon, les Russes ne sont pas fous. C'est ce genre d'argument. J'allais dire même en Russie, ça ne prend pas.
04:49Donc, évidemment, Vladimir Poutine, il le sait. Il a une culture aussi personnelle, Vladimir Poutine, qui fait que, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, ce n'est pas quelque chose de très simple pour lui de se dire je vais appuyer sur la bombe nucléaire.
04:59Pour autant, ce qu'on sait...
05:00J'espère que c'est simple pour personne.
05:02Je l'espère aussi, mais c'est vrai que pour Vladimir Poutine, c'est une question qu'on peut se poser de temps en temps.
05:06On pense à Kim Jong-un quand même.
05:08Voilà, exactement.
05:09Lui n'est pas tout à fait dans la même économie.
05:11Et ce qu'on sait en Russie, en plus, c'est que Vladimir Poutine, a priori, est seul à prendre les décisions qui concernent la guerre en Ukraine.
05:17Donc, c'est sûr que ce sont des données qui font un peu peur, forcément.
05:22Est-ce qu'il ne cherche pas à faire peur par les mots, parce qu'il n'a pas les moyens militaires de renverser la vapeur sur le champ de bataille ?
05:29Est-ce que ce n'est pas le moyen de combler un vide ?
05:32C'est exactement ça.
05:33C'est non seulement le moyen de combler un vide, j'allais dire, dans l'instant présent.
05:37Même si la Russie, j'allais dire, grignote du terrain sur le Donbass et effectivement a un rapport de force favorable,
05:43on se souvient quand même qu'après mille jours, elle n'a pas réussi finalement à envahir l'Ukraine.
05:48Combien ? 20 % du territoire ukrainien ?
05:50Un peu plus de 20 %, crime est compris.
05:52Et donc, dans la perspective de négociation, quand on en sera non plus aux questions territoriales qui, disons-le, sont quasiment scellées en réalité,
05:59mais aux questions des garanties de sécurité qu'il faudra accorder à l'Ukraine pour s'assurer que la Russie n'aille pas davantage dans la profondeur,
06:05ce qui serait dans l'intérêt évidemment ni des Européens ni des Américains, y compris les Américains sous Trump,
06:10eh bien ces garanties de sécurité, il faudra pouvoir opposer des forces conventionnelles.
06:14Or, Vladimir Poutine sait qu'il est en infériorité sur le plan des forces conventionnelles vis-à-vis des États-Unis
06:19et à plus forte raison des États-Unis plus des Européens.
06:22Patrick, est-ce que les rapports de force vont s'inverser avec l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche le 20 janvier prochain ?
06:28Ce qui est certain, c'est qu'il va y avoir une rupture.
06:30Vraiment, je reprends l'image du chronomètre.
06:33Tout le monde essaie d'aller vite, sauf Vladimir Poutine qui, lui, a largement le temps.
06:38Je voudrais revenir quand même sur les paroles de Volodymyr Zelensky qui, là aussi, on a parlé des questions territoriales
06:43qui vont rentrer en jeu dans les négociations.
06:46Volodymyr Zelensky, face aux parlementaires européens hier, il finit par dire
06:51« Peut-être qu'il faudra attendre qu'il n'y ait plus cet homme à la tête du Kremlin pour que nous puissions chercher à retrouver notre souveraineté territoriale. »
07:01Il y a quelques mois encore, il disait « Bon, il faut en finir avec Vladimir Poutine par tous les moyens là.
07:05Sinon, il va falloir sans doute attendre des années pour que les frontières de 91 reviennent. »
07:12Ça, c'est la frontière territoriale.
07:15On estime en Ukraine que la Crimée, le Donbass, c'est terminé pour l'instant.
07:19La deuxième chose, ça vient d'Ukraine.
07:21Ce sont ces sondages qui sont sortis de façon tout à fait opportune
07:24et qui montrent que s'il y avait une élection présidentielle,
07:27il y aurait match entre Volodymyr Zelensky et son ancien chef d'état-major, Zalouzhny.
07:32Ça veut dire quoi ?
07:33Ça veut dire que, très cyniquement peut-être, Poutine, il attend qu'il n'y ait plus le nazi en chef, selon lui, à la tête de l'Ukraine,
07:40Zelensky, qui sera remplacé par un autre,
07:42qu'on se mette d'accord sur ces nouvelles réalités territoriales.
07:45J'utilise encore le vocabulaire russe.
07:47Et là, vous avez déjà deux bonnes pages d'un traité de négociations qui vont arriver en 2025.
07:53C'est Zelensky qui le dit lui-même.
07:54Mais en attendant, les fameux missiles vont-ils continuer d'être lancés par les Ukrainiens ?
07:59Est-ce qu'ils en ont beaucoup, les Ukrainiens ?
08:01C'est un chiffre que l'on ne connaît pas officiellement.
08:03Après, on sait que les États-Unis en possèdent un millier de ces missiles qui attaquent MS avec une portée de 300 km.
08:09Raisonnablement, ça se compte peut-être au mieux en centaines sur le territoire ukrainien.
08:14Et quoi qu'il en soit, ce n'est pas de nature à renverser stratégiquement le rapport.
08:18Et même sur le plan tactique, 300 km de portée,
08:21vous savez que la Russie fait 17 millions de kilomètres carrés.
08:24De toute façon, ce sont des armes qui peuvent entraver, embarrasser, gêner la progression russe
08:30et qui permettent aux Ukrainiens de résister et de maintenir un rapport de force
08:35qui ne soit pas trop à leur désavantage en vue des négociations,
08:38mais en aucun cas, bien sûr, de remporter la victoire.
08:40Ce sont des mines antipersonnelles de longue portée.
08:42Encore une fois, il s'agit de ralentir l'avancée.
08:45Un mot très rapide.
08:46La population ukrainienne, au bout de 1000 jours, elle vit ça comment ? La guerre ?
08:50Elle fatigue. Les Ukrainiens fatiguent. Les Russes fatiguent.
08:53Mais l'Ukraine est un...
08:55Économiquement, la vie quotidienne ressemble à quoi ?
08:59Économiquement, on est vraiment sur de la débrouille aujourd'hui.
09:02C'est assez terrible.
09:03Alors que forcément, en Russie, l'économie est plus forte.
09:06Il y a l'hiver qui arrive.
09:07La Russie travaille à les mettre dans le froid et dans le noir depuis plusieurs mois.
09:11C'est aussi comme ça que la Russie veut avoir les Ukrainiens à l'usure.