• l’année dernière
Loïc Prigent était notre invité "Au cœur de l'info". Journaliste et documentariste, il est connu pour avoir fait entrer le public dans les coulisses des défilés. Il s'est demandé comment ce système, ce modèle économique, s'était mis en place. Il le raconte dans "Mille milliards de rubans : la vraie histoire de la mode" (éd. Grasset). Un texte érudit, qui ne se prend jamais vraiment au sérieux.
À voir aussiMode, l'émission

Visitez notre site :
http://www.france24.com

Rejoignez nous sur Facebook
https://www.facebook.com/FRANCE24

Suivez nous sur Twitter
https://twitter.com/France24_fr#

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Trouvons à présent notre invité au cœur de La Faux, avec un sujet qui nous concerne tous,
00:05que nous le voulions ou non, qu'il nous ravisse ou qu'il nous indiffère, c'est la mode.
00:09Alors comment en sommes-nous arrivés là ? Des crinolines royales aux pantalons pour femmes ?
00:14Comment expliquer la longévité des maisons bien après la disparition de leur couturier ?
00:20Car ce n'est pas près de s'arrêter.
00:22En 2023, le marché mondial du luxe a connu une année record
00:26avec un poids estimé à 1 500 milliards d'euros.
00:30La mode façonne-t-elle la société ou bien est-elle une opportuniste ?
00:34Loïc Prigent, journaliste et documentariste, s'est demandé comment ce système,
00:38ce modèle économique s'était mis en place.
00:40Son enquête est à lire dans 1000 milliards de rubans.
00:44Voilà ce beau petit livre rouge, La vraie histoire de la mode, c'est chez Grasset.
00:49Bonsoir Loïc Prigent.
00:51Alors nous allons parler évidemment de votre vie brillonnante, histoire de la mode.
00:55C'est très vivant, c'est très joyeux et très sérieux aussi.
00:59Mais je dois dire, ce qui séduit aussi chez vous, c'est ce côté terrien, très ancré.
01:04Comme si vous ne perdiez jamais votre lucidité dans un monde,
01:08dans un milieu qui est parfois souvent hors sol.
01:11Alors comment faites-vous ?
01:12Oui, ils sont lucides aussi, parce que les 1500 milliards,
01:15ils tombent dans l'escarcelle de quelqu'un.
01:16Donc à un moment donné, ça rend lucide.
01:19Ils sont très pragmatiques.
01:21Mais il y a un monde vibrillant qui est le monde des créateurs aussi, des créatifs.
01:26Qui eux sont un peu foufous.
01:27Vous l'avez d'ailleurs relayé dans vos précédents ouvrages avec ces aphorismes.
01:31Malgré eux d'ailleurs, je pense que ce sont des phrases prononcées
01:33sans vouloir être pertinentes et puis elles le deviennent.
01:36Mais c'est vrai qu'on a la sensation que plus c'est hors sol, plus ça fonctionne.
01:39Et je crois que c'est même ça.
01:43En fait, la mode doit être déconnectée pour que ça fonctionne en fait.
01:47Parce qu'il faut qu'il y ait une bizarrerie de départ pour que ce soit différent
01:51et que du coup, on en ait peut-être envie
01:53que la machine à nouveauté fonctionne.
01:56Et en même temps, elle est très pragmatique.
01:57Il y a des inventions très concrètes.
01:58On parle d'industrialisation aussi avec la mode.
02:01On va parler de machines à coudre.
02:02Et oui, c'est possible sur cette antenne.
02:04Revenons tout d'abord sur votre début de carrière.
02:06Vous l'écrivez, ça s'est passé en 97 à Paris.
02:09J'arrive de Pouescat, en Bretagne, un village qui commence par plou.
02:14Ce qui fait de moi un plouc, parce que c'est ce qu'on dit souvent.
02:17Vous êtes un plouc parce que vous venez du fond de la Bretagne.
02:21Tous ces villages qui commencent par plou, il n'y a pas que Pouescat.
02:25C'est le nom de Plougastel.
02:26Exactement, Plougastel.
02:28Sans doute un terme insultant, mais si ça veut dire que l'on vient de l'extérieur
02:30avec un regard différent et d'un village avec les plus belles plages,
02:33alors ça ne me dérange pas.
02:36Est-ce que la mode peut concurrencer ?
02:37Vous qui connaissez, vous êtes né dans ces paysages incroyables.
02:40Est-ce que la mode peut concurrencer ce sublime, cette perfection ?
02:45Il y a beaucoup de naturalisme dans la mode.
02:47Je trouve qu'on trouve beaucoup le vocabulaire, le champ lexical des plantes,
02:50des fleurs, de la beauté, de la nature.
02:52Je me suis demandé si la mode n'essayait pas de concurrencer ceux-là.
02:55Quand on doit décrire la mode,
02:58le vocabulaire de la nature, il est toujours assez bien.
03:02C'est joli violet, les violettes, le langage des fleurs.
03:06Dior l'a beaucoup aimé, Chanel.
03:08Enfin, s'en est beaucoup emparé pour nommer, par exemple, ses robes.
03:12C'est ce qu'on a beaucoup retrouvé aussi dans leurs créations.
03:15Pierre Berger a déclaré, j'aime beaucoup cette phrase que vous citez,
03:19Chanel a libéré les femmes, mais que Saint-Laurent leur a donné du pouvoir.
03:23Il dit même, c'est Saint-Laurent qui a mis les femmes en pantalons.
03:27Et vous ajoutez dans votre texte,
03:30ça me paraît étrange, toutes les femmes de Poules 4 sont en pantalons,
03:33quoique aucun de chez Saint-Laurent.
03:37C'est parce que les designers, les créateurs réécrivent la mode
03:41que vous avez eu envie de retourner aux sources, de vous dire,
03:43allez, concrètement, comment ça a commencé ?
03:45C'est ça, il était de mauvaise foi et du coup, je suis aussi de mauvaise foi.
03:48Il ne faut pas laisser le monopole de la mauvaise foi aux gens de la mode.
03:51Et c'est vraiment une enquête sur, parce que ça m'a intrigué longtemps,
03:54parce que cette phrase, il me l'a dit, je l'entends le dire en 97.
03:57Et je me suis vraiment dit, mais qui a inventé le prêt-à-porter ?
04:00Comment est-ce que ça s'est conçu au départ ?
04:03Et aucune réponse me satisfaisait.
04:05Et du coup, je me suis retrouvé à écrire ce livre.
04:08Et vous avez creusé jusqu'au 19e siècle, vous n'êtes pas remonté plus tôt.
04:13Ce qui vous a intéressé, ce sont les meringues, la crinoline.
04:17C'est un peu ça, ces robes avec, superposées.
04:20On a eu beaucoup de mal à trouver des archives.
04:22On a un peu des...
04:24Là, on la voit bien, on comprend bien le système, quand même.
04:26C'est-à-dire des cerceaux avec des baleines et un système qui va permettre,
04:31qui est quand même une bonne révolution à l'époque,
04:33parce que vos jambes sont soudain libérées,
04:36parce qu'elles étaient vraiment prises sous le poids de plein de jupons
04:39et que ça écorchait les genoux, disent les témoignages de l'époque.
04:42Mais il faut élargir les escaliers quand même, parce qu'on a un peu de mal à passer.
04:44Voilà, parce qu'environnement s'adapte aux tenues.
04:47Il ne faut pas que ce soit pratique. Et la mode gagne.
04:49C'est-à-dire que la mode contre l'architecture, c'est la mode qui va gagner.
04:53C'est à l'archi de s'adapter.
04:54Ça ne va pas être l'inverse.
04:56Il fallait l'arrivée d'une nouvelle reine, dites-vous,
04:58d'une nouvelle maîtresse amoureuse des arts pour faire émerger une tendance,
05:01d'où l'extrême lenteur des cycles de mode pendant plusieurs siècles.
05:05Vous aviez une robe, vous pouviez la garder ensuite pendant des années et des années.
05:08Oui, c'est vrai.
05:09Il n'y avait pas de changement.
05:10C'était très pratique.
05:11Et c'est l'émergence aussi, à cette époque, de la première influenceuse.
05:15On parle de l'impératrice génie.
05:17Qui a un pouvoir vraiment phénoménal,
05:19dont on se sert de façon très politique et économique au départ.
05:22C'est-à-dire que de lui mettre vraiment tout ce tissu de la crinoline sur elle,
05:26on sait que ça va permettre aux soyeux de Lyon,
05:29donc aux industriels du tissu, de vraiment se développer.
05:32C'est une matière qui coûte très, très cher.
05:34Donc, ça va vraiment faire...
05:36Ça va peser dans la balance économique du pays.
05:38Donc, il y a comme ça un truc très politique.
05:41Il y a aussi un truc intime.
05:42Elle a une fausse couche.
05:44On en a beaucoup parlé.
05:45Elle en a souffert.
05:46Elle ne veut pas qu'on l'embête la prochaine fois qu'elle va être enceinte.
05:49Et ça peut paraître paradoxal,
05:51mais a priori, cette robe peut cacher une grossesse au public.
05:55Et comme ça, il y a plein de...
05:56Enfin, on découvre que la crinoline amène avec elle plein de facteurs
06:01intimes, économiques et esthétiques.
06:04De l'environnement aussi.
06:06C'est aussi une femme qui, malgré elle, va provoquer presque quasiment une extinction.
06:11Plusieurs.
06:11Oui, plusieurs. Les oiseaux.
06:13Elle était passionnée d'oiseaux pour ses chapeaux.
06:16Donc, du coup, tous les...
06:17Elle lance une tendance qui la dépasse.
06:20Et en France, en Europe, en Russie, en Angleterre, aux Etats-Unis,
06:25c'est vraiment un moment impératif
06:29d'importer tous les oiseaux d'Afrique pour se les mettre sur le chapeau
06:33et faire les plus beaux, les plus sublimes, les plus multicolores chapeaux.
06:37Sauf qu'on est à deux doigts de l'extinction de vraiment dizaines,
06:41voire centaines d'espèces d'oiseaux.
06:43Et donc, grâce à elle, enfin, malgré elle, naît la conscience écologique,
06:46puisque plusieurs femmes vont se lever pour protéger,
06:50heureusement, cet environnement.
06:51Et va naître ensuite la conscience politique, finalement.
06:54La capacité à se mobiliser.
06:56C'est des chercheurs anglais qui ont remarqué,
06:57en faisant des enquêtes sur la société protectrice des oiseaux
07:01qui avait été créée en Angleterre, que c'est cette structure et ces gens,
07:04ces femmes, qui ont ensuite été les héroïnes du mouvement des suffragettes
07:10qui se battaient pour le droit de vote des femmes.
07:13Donc, c'est quand même bon.
07:15Il y a tout dans la mode, grâce ou à cause de la mode.
07:17Exactement.
07:18Enfin, la mode aussi se fiche de la morale des écosystèmes.
07:20Ce n'est pas son problème.
07:21Vous l'écrivez aussi, ce sont aussi vos mots.
07:25Après la crinoline, on commence à sentir un peu engoncés quand même.
07:28Et là arrive, heureusement, Charles Frédéric Wörth, il modifie.
07:33C'est étrange parce qu'il devient le père de la haute couture française,
07:35alors qu'il n'est même pas français.
07:37C'est ça qui est beau.
07:38Et c'est toujours vrai parce que les couturiers, les couturières,
07:41les créateurs et les créatrices françaises de la fashion week parisienne,
07:45ils viennent de partout.
07:46Et je dis français parce que pour moi, ils sont français.
07:48Parce que si tu défiles à Paris, t'es parisien et t'es français.
07:51Mais ils viennent de Belgique, d'Angleterre,
07:53de Japon, des Etats-Unis, de partout.
07:56Et c'est ça qui est magnifique.
07:58Et il invente tout.
07:59Et lui, il invente tout.
08:00Il crée tout.
08:01Pierre Berger crée le calendrier beaucoup plus tard.
08:03Tout à fait.
08:04Voilà. Mais en revanche, et donc, enfin, un instant.
08:07Pierre Berger, le calendrier, c'est lui qui installe le diktat, en fait.
08:10Ce truc fou de défiler une saison avant et de faire cette course en avant.
08:15Oui, mais qui est logique parce que vous montrez, vous créez le désir.
08:18Et ensuite, on a six mois pour concevoir le désir,
08:22c'est-à-dire le produire dans les usines.
08:24Vous suscitez le désir.
08:25C'est une course perpétuelle.
08:27C'est épuisant.
08:28Je ne sais pas comment vous faites.
08:30Je trouve ça épuisant.
08:30Je ne sais pas comment vous faites non plus.
08:32Qu'est-ce qu'il invente alors ?
08:33Vous nous dites.
08:34Les techniques, le sportswear, les mannequins aussi avec sa muse.
08:38Oui, le sportswear, parce qu'il va vraiment même habiller ses clientes
08:41quand elles partent de Paris pour aller en mésaventure,
08:45en vacances, en villégiature, mais en mésaventure aussi, en vacances.
08:48Il leur...
08:50Il invente aussi la très haute couture et des lignes un peu moins chères.
08:55Il invente pas mal d'idées de marketing.
08:58Il invente les ateliers et les étiquettes.
09:02Il invente des étiquettes qu'il signe comme si c'était manuscrit,
09:05comme s'il signait son tableau.
09:07Qu'est-ce qu'il invente d'autre ?
09:07Il invente vraiment, vraiment beaucoup de choses.
09:10Il invente l'immortalité.
09:11C'est ça que j'ai découvert.
09:12Voilà, c'est-à-dire que la maison perdure au-delà du créateur.
09:16C'est un peu fou, ça.
09:17Est-ce que ça a du sens ?
09:20Économiquement, on s'en doute, mais au-delà.
09:23Regardez par exemple Sonia Riquel.
09:24Moi, la mode s'est arrêtée quand Sonia Riquel a vendu sa maison,
09:28d'ailleurs, avant même qu'elle ne décède.
09:29Voilà. Est-ce que ça a du sens ?
09:32Il y a un esprit, Sonia Riquel.
09:33Donc, est-ce que quelqu'un pourrait le faire perdurer ?
09:36Oui, parce qu'il y a un féminisme, Sonia Riquel,
09:41qui est hyper contemporain, toujours aujourd'hui.
09:43Et ce qu'elle a inventé, c'est-à-dire d'enlever les ourlets,
09:45de pouvoir aller au théâtre, avec les poches.
09:48Moi, j'adore, elle avait fait des poches pour aller au théâtre
09:51où il n'y avait pas de fond.
09:52Comme ça, la personne avec vous pouvait en profiter
09:56pendant le spectacle qui durait un peu trop longtemps.
09:58Fallait être bien accompagnée.
09:59Tellement bonne idée.
10:00La mode libère.
10:02Oui, évidemment, c'est pas toujours évident au théâtre.
10:05Parfois, enfin bref, on est d'accord.
10:06La mode libère-t-elle les femmes ou bien raconte-t-elle
10:09les évolutions de la société, en somme ?
10:11Parce qu'on a souvent dit, ça libère, mais est-ce que c'est vraiment le cas ?
10:15En fait, elle obéit aussi aux femmes,
10:18parce que si les femmes ont envie d'être libérées, la mode va le faire.
10:22Mais là, en ce moment, il y a un retour vers des choses assez corsetées, finalement.
10:26Et ça marche, c'est une envie aussi.
10:29Donc oui, la mode dicte, mais...
10:34Par exemple, les minijupes, moi, j'ai vraiment entendu...
10:37Il y a eu un baston entre Marie-Quent et Courrèges
10:40pour savoir qui a fait la minijupe en premier.
10:42Et apparemment, c'est les clientes, quand même, qui allaient dans les...
10:46C'est peut-être les clientes qui allaient dans les...
10:47Raccourcis.
10:48Ouais, tous les samedis, elles disaient un peu plus court, un peu plus court
10:50aux venteuses qui étaient un peu...
10:52Wow !
10:53Et donc, c'est les clientes qui ont donné le signal.
10:56On peut révolutionner la mode quand on a raison,
10:58au bon moment, au bon endroit, écrivez-vous.
11:00Pour Barthélémy Thimonier, c'était un peu trop tôt.
11:04Vous ne le connaissez pas, c'est normal.
11:06Et pourtant, c'est l'inventeur de la machine à coudre.
11:09Il n'est pas passé à la postérité parce qu'il est arrivé beaucoup trop tôt.
11:11C'est assez dingue.
11:12Il a quelques rues à son manche, il me semble.
11:14Je crois qu'il y a peut-être même un musée dans son village natal.
11:17Mais ouais, il devrait avoir des avenues, pas des rues.
11:20Il a inventé la machine à coudre.
11:21Il n'a pas réussi parce qu'en fait, il y a eu une levée de...
11:24Une mobilisation parce qu'avec son industrialisation,
11:29sa capacité à industrialiser tout d'un coup la couture,
11:31il mettait au chômage des personnes et donc les ouvriers sont mobilisés contre lui.
11:34Et ont cassé les 80 premières machines.
11:37Ce qui est absolument désolant.
11:39Celle qui met du mouvement, celle qui dézingue le corset,
11:41dites-vous, c'est Gabrielle Chanel.
11:44Vous commencez à l'évoquer.
11:46Révolutionnaire, quoi.
11:48Et j'ai été frappé parce que quand on visite les expositions de mode et tout ça,
11:54les premiers vêtements de Gabrielle Chanel,
11:57ils ne sont pas du tout spectaculaires.
12:00C'est d'une sobriété complètement dingue.
12:02Elle n'est pas du tout complètement dingue, c'est juste sobre.
12:05Et en fait, c'est dingue que...
12:07Aujourd'hui, on ne se rend pas compte.
12:08On se dit limite qu'on est en train de voir un t-shirt.
12:11Alors qu'à l'époque, il y avait tellement les fameux mille milliards de rubans.
12:15On se les mettait sur la tête et elle, elle dit non, on a l'aise.
12:19Basta, on a l'aise, on n'a pas besoin de ça.
12:21On va on va lever les bras, les amis.
12:24On va être à l'aise, on va jouer au tennis.
12:27Bon, on imagine qu'à un prochain opus, voilà, c'est ça pour la suite,
12:30parce qu'il se passe énormément de choses à Gabrielle Chanel.
12:34Et puis, c'est la naissance vraiment de Dior, de l'an 20.
12:37Vous aurez beaucoup de choses à raconter.
12:39On vous recevra à nouveau sur ce plateau parce que là, j'ai dû écourter.
12:43Mais il y avait mille choses à évoquer, de nombreuses anecdotes à lire
12:47dans votre livre et puis, comme on dit chez nous, qu'est n'avons-nous?
12:51À bientôt, c'est ce qu'on dit dans le Finistère.

Recommandations