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Clémentine Charlemaine, sur l'affaire Depardieu, et Gaël Faye, finaliste du Goncourt 2024

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00:00Époque de France, Frédéric parle au procès de Gérard Depardieu.
00:03Evidemment, qui va commencer peut-être en l'absence de l'acteur, raison médicale,
00:08qui pourrait être du coup reporté, mais première comparution devant la justice pour
00:12agression sexuelle de celui qui a été l'incarnation du cinéma français pendant des décennies
00:16et ça pose les questions de sa place désormais dans le cinéma et des changements peut-être
00:21déjà aussi dans les tournages après l'affaire Depardieu et MeToo en général.
00:25Commençons donc par ce procès.
00:27Bonjour Margot Steve.
00:28Bonjour.
00:29Il y a une certitude sur la façon dont il va se dérouler ou pas, mais quelques centaines
00:34de personnes sont présentes devant le tribunal d'ores et déjà.
00:38Oui, rassemblement qui commence à se disperser alors que, vous le disiez, l'audience doit
00:42s'ouvrir dans quelques minutes.
00:44Une centaine de femmes de tous âges sont venues ce midi marquer le coup pour ce premier
00:48grand procès du MeToo Cinéma.
00:51On est là ! On est là !
00:54Rassemblement à l'appel de plusieurs associations dont la Fondation des Femmes, nous toutes,
00:58ou encore les Femen, plusieurs pancartes, victimes, on vous croit, les monstres n'existent
01:03pas, les violeurs si, et un slogan.
01:05Depardieu, t'es foutu, MeToo est dans la rue !
01:09Des femmes venues dire stop à l'impunité qui demeure selon elles dans les affaires
01:13de violences sexuelles.
01:14Sophia Antoine fait partie du collectif Femen.
01:17Sur sa main, elle a écrit « Balance ton Depardieu ».
01:19On est en train de pulvériser ce vieux monde, ce vieux monde rance, ce vieux monde anti-MeToo,
01:23ce monde qui est là en fait avec ses privilèges et ses précarés, ce monde où l'OMERTA
01:30fait loi, on est en train de le pulvériser pour dire aujourd'hui, nous on est dans la
01:34rue et on crie, on dit stop, on arrête ce monde-là, on change les récits, on change
01:39la donne.
01:40Et oui, s'attaquer à Depardieu, c'est très emblématique, c'est très symbolique, mais
01:43il fallait le faire, il fallait oser et bravo encore aux victimes pour leur courage.
01:47Des manifestantes qui s'interrogent évidemment aussi sur l'absence de Gérard Depardieu cet
01:51après-midi.
01:52Parmi elles, Lou, une jeune trentenaire.
01:54C'est encore l'absence, le silence des victimes qui ne vont pas pouvoir faire face à leurs
02:01agresseurs.
02:02Elles ont le courage d'être là, elles ont le courage d'avoir parlé, donc on leur doit
02:08de faire face, les agresseurs doivent maintenant faire face et assumer, prendre leurs responsabilités.
02:13Et comme Lou, la plupart des femmes présentes ici sont persuadées que Gérard Depardieu
02:17cherche juste à se déroguer.
02:19Et l'avocat de Gérard Depardieu, on l'entendait sur France Info ce matin, Margot, invoque
02:22lui donc des raisons médicales et demande le report du procès.
02:25Oui, Maître Jérémy Assous l'a annoncé, vous le disiez ce matin sur France Info, selon
02:29lui, Gérard Depardieu entendait assister au procès, mais ses médecins lui ont interdit
02:33de se présenter à l'audience pour des raisons médicales, dit-il, sans donner plus de détails.
02:37Il demande donc le report de l'audience pour que son client puisse se défendre face à
02:42des accusations mensongères, dit l'avocat.
02:45Deux femmes, une décoratrice de 53 ans et une assistante de 33 ans, dénoncent des agressions
02:49sexuelles sur le tournage du film Les Volets Verts en 2021.
02:53Toutes les deux sont présentes aujourd'hui dans la salle d'audience déjà bondée.
02:56Des dizaines de personnes attendent aussi de pouvoir entrer.
02:59A l'intérieur, l'actrice, Anouk Grimbert, est là, elle qui était présente sur ce tournage.
03:04Charlotte Arnoux, une autre femme qui accuse Gérard Depardieu et pour laquelle le parquet
03:08de Paris a demandé un procès, a aussi fait le déplacement pour cette audience.
03:12Un procès qui devrait, sauf surprise, être renvoyé dans les prochaines minutes, puisque
03:16la demande de report de l'acteur est en principe accordée de droit par le tribunal.
03:21Marc Gosty, devant le tribunal correctionnel de Paris, Gérard Depardieu, on l'entend aussi
03:26absent et embarrassant d'une certaine manière pour le cinéma français, qu'il a été omniprésent
03:31par son talent, son pouvoir également pendant des décennies.
03:35Bonjour Thierry Fioril.
03:36Bonjour Frédéric.
03:37Peut-on dire désormais que Depardieu au cinéma, c'est fini ?
03:40Depuis Oumami, sorti en mai 2023, plus rien.
03:44Oumami, film au box-office confidentiel et dont la promotion s'était faite sans Gérard
03:48Depardieu.
03:49Le dernier film notable, c'était Maigret de Patrice Lecomte, sorti en février 2022,
03:54540 000 entrées et un réalisateur qui avait en début d'année été assez emblématique
04:00dans ses réactions du milieu du cinéma français.
04:02Interrogé sur le cas de Depardieu, Patrice Lecomte déclarait que le tournage s'était
04:06passé sans le moindre problème mais qu'aujourd'hui, ni lui, ni personne ne pourrait tourner avec
04:12Depardieu.
04:13On n'a même plus à se poser la question, disait Patrice Lecomte sur LCI, comme de très
04:17nombreuses personnes.
04:18Il avait alors rétroprédalé sur la fameuse tribune, publiée dans Le Figaro, dénonçant
04:22une chasse à l'homme et de conclure quand on me dit qu'il n'est pas exemplaire, je
04:27veux bien le croire.
04:28Et les films existants, Thierry, dans les chaînes de télé par exemple, ont-ils les
04:30droits ? Ils disparaissent eux aussi ?
04:32Non, en début d'année, après la diffusion du documentaire sur complément d'enquête
04:36sur les propos d'Emmanuel Macron et tous les débats autour du cas Gérard Depardieu,
04:41du côté de France Télévisions, on disait réfléchir à l'attitude à adopter.
04:44Pas d'effacement des films où Depardieu est au générique, mais pas de célébrations
04:48ou de soirées spéciales ou de choses comme ça.
04:51En Suisse, par contre, la radio-télévision du service public décide de suspendre la
04:57diffusion des films avec Depardieu quand il tient des rôles principaux.
05:00Je vous rappelle que le ministère de la Culture indique qu'une procédure disciplinaire devait
05:05être engagée en vue d'un éventuel retrait de la Légion d'honneur.
05:09La dissolution est passée par là.
05:10Et les changements ministériels aussi, même si Rachida Tati est restée rue de Valois.
05:14Et puis le musée Grévin a retiré la statue de cire de Gérard Depardieu.
05:19Merci beaucoup Thierry Fiori.
05:20Les décisions dans les minutes qui viennent, sans doute on en fera.
05:23Et à sur France Info, du tribunal correctionnel de Paris, reporté probablement ce premier
05:29procès pour violences sexuelles à l'encontre de Gérard Depardieu qui n'y assiste pas parce
05:34qu'il n'a pas l'état d'y assister de façon médicale, ça ne lui permet pas et
05:38il voudrait lui assister aux audiences.
05:42Bonjour à vous Clémentine Charlemagne du collectif 50-50.
05:47Votre sujet, vous, presque quotidien dans votre collectif, c'est que les choses bougent,
05:52évoluent, avancent sur les tournages, que les femmes se sentent plus en sécurité par
05:58exemple.
05:59Qu'attendez-vous de ce procès sur votre sujet de préoccupation ? Est-ce que ce procès
06:05peut aider à faire avancer les choses ?
06:06Juste pour préciser, au collectif 50-50, on travaille en faveur de l'égalité et
06:14l'inclusion dans le milieu du cinéma et de l'audiovisuel, donc ça va bien au-delà
06:19du fait de se sentir en sécurité pour une femme sur un tournage.
06:23Et en l'occurrence, la question des violences sexuelles, c'est littéralement imposé
06:28au collectif au fil des années après sa création.
06:31Dans le cas de ce procès, j'espère que la justice fera correctement son travail,
06:36je ne sais pas tellement ce que je peux vous dire de plus à cet égard-là.
06:40Et des choses ont déjà été mises en place depuis l'affaire de Pardieu et depuis plus
06:47généralement tout ce qui se passe autour du MeToo dans le cinéma français ?
06:50Oui, le collectif s'est créé en 2018 dans la foulée du mouvement MeToo et dès 2021
06:58ont été mises en place par le CNC, le Centre National du Cinéma, des formations qui visaient
07:06à former les producteurs, les distributeurs, les exploitants de salles de cinéma à la
07:10prévention et à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
07:12Quelques années après, une fois que l'ensemble de l'industrie a quasiment été formée,
07:18on s'est aperçu que malheureusement ça ne suffisait pas d'avoir seulement le gérant
07:21ou la gérante d'une entreprise qui était formée.
07:23Donc, en fin d'année dernière, le ministère de la Culture et le CNC ont annoncé étendre
07:30ces obligations de formation à l'ensemble des équipes de tournage.
07:33Bien sûr, on aimerait que ce soit étendu à l'ensemble des équipes, c'est-à-dire
07:36de préparation et aussi de post-production des films, mais quoi qu'il en soit, c'est
07:41déjà un premier pas vers plus de progrès, plus d'égalité, plus de respect.
07:46Et puis, ce qui est important dans ces formations-là, c'est qu'on apprend à caractériser des
07:51actions sur lesquelles on ne sait parfois pas mettre de mots, ou des sentiments, des
07:57choses qu'on peut avoir vécues sans savoir en fait comment ça s'appelle.
07:59Et en fait, ça permet aussi à l'ensemble des équipes de partager un langage commun
08:04et on espère de faire évoluer les conditions de travail pour être dans un environnement
08:11plus sain, c'est sûr.
08:12Les formations suffisent ou il faut aussi des actions, des méthodes, des pratiques
08:17différentes sur les tournages, des personnes peut-être qui n'étaient pas présentes
08:20et qui pourraient l'être.
08:21Est-ce que ça passe aussi par ça ?
08:23Alors, il y a des formations pour être référent ou référente harcèlement sur les tournages,
08:32mais ces formations sont suivies et pour l'instant, elles sont suivies par les personnes qui souhaitent
08:37les suivre.
08:38C'est-à-dire qu'en fait, on peut être référent ou référente sans avoir suivi
08:40ces formations.
08:41Donc évidemment, nous, on milite en faveur d'une obligation de suivi de cette formation
08:45pour occuper ce poste-là, parce qu'accueillir la parole de quelqu'un qui a supplié une
08:50agression, en fait, ce n'est pas simple, il ne suffit pas juste d'être empathique,
08:55il faut vraiment connaître, avoir un minimum de connaissances en matière de droit et puis
09:00aussi être capable d'encaisser des récits qui sont parfois très violents.
09:05Donc, il faut vraiment avancer sur ces questions.
09:09On estime que ça passe par la formation, ça passe évidemment par la pratique aussi.
09:13C'est-à-dire que oui, une formation de quelques heures ne suffit pas et ce qui est plutôt
09:18positif en la matière, en ce qui concerne les formations à venir qui devraient être
09:23mises en place en fin d'année ou début d'année 2025, c'est que les équipes de tournage vont
09:29les suivre pendant un temps à chaque fois qu'il y a un tournage.
09:31Donc, je pense qu'entendre les choses une première fois, une deuxième fois, une troisième
09:36fois permettront peut-être de les intégrer et de faire évoluer les comportements.
09:40Ce qui est très important aussi, c'est de passer par une remise en question de ses
09:43propres comportements.
09:44Parce que nous, ce qu'on cherche à faire, c'est vraiment à faire en sorte que l'ensemble
09:49des personnes, l'ensemble de la société évidemment plus largement, qu'on se remette
09:55en question, qu'on soit capable de se dire ok, à quoi j'ai participé en fait ? De
09:59quoi j'ai été témoin ? Qu'est-ce que j'ai fait moi-même ?
10:03Thierry Samitier-Leclerc Des prises de conscience individuelles qui
10:06ont des conséquences collectives, c'est ça que vous nous dites.
10:08Exactement.
10:09Et de pouvoir en fait se dire qu'on participe à un changement sans mettre de côté le
10:16fait que personne n'a eu un comportement parfait depuis toujours, parce que culturellement
10:21les choses ne sont pas construites de façon exemplaire en matière de violence.
10:25Et donc évidemment qu'en fait tout le monde dans notre milieu a forcément été témoin
10:30ou a participé ou a été victime de violences, il n'y a personne qui en est épargné.
10:35On entend ici ou là des témoignages d'actrices, d'IESE, dire qu'on commence à sentir des
10:39changements sur les tournages.
10:41On comprend, vous écoutez, qu'on est au début d'un processus, mais est-ce que vous
10:43le sentez ça aussi ? Est-ce que vous avez des retours de cet ordre-là ?
10:46Oui, on a parfois des retours qui nous disent « on a eu telle situation sur un tournage
10:53et voilà comment ça a été géré ». Et en fait, par exemple, parfois, « la honte
10:58a pu changer de camp sur un ou deux tournages, j'ai eu ce genre de récit ». Il y en a
11:03d'autres aussi qui nous disent « tel outil a pu être utilisé, c'est super, on a réussi
11:09à réagir ». Et puis malheureusement, en fait, on a encore beaucoup de récits qui
11:14témoignent d'un grand vide aussi de comment réagir en cas de problème en fait.
11:20Et même si on a mis en place des boîtes à outils, on a mis en place un livre blanc,
11:26il y a des ressources qui existent pour qu'on sache quoi faire quand il y a un problème,
11:30le fait est que c'est tellement compliqué de savoir comment réagir parce que ce n'est
11:39pas ce à quoi on est formé que pour l'instant, on a quand même une majorité malheureusement
11:44de récits assez dramatiques.
11:46On espère vraiment en avoir de moins en moins et on espère évidemment qu'on aura de plus
11:50en plus de récits qui nous apportent des solutions.
11:52J'imagine que votre recommandation, c'est que s'il y a des choses à dire, elles soient
11:56dites dès qu'elles se passent et pas attendre la fin du tournage ?
11:59C'est compliqué de recommander ça parce qu'en fait la sidération est difficilement
12:07maîtrisable.
12:08Donc si une personne est en état de sidération, c'est très compliqué de lui dire tu aurais
12:14dû parler avant parce qu'en fait on ne maîtrise pas ses réactions.
12:16Non, ce n'est pas que tu aurais dû, tu peux être entendu, c'est évidemment pas
12:19culpabilisé.
12:20Évidemment que ce qu'on espère en fait c'est créer un climat qui mette les équipes
12:25suffisamment en confiance pour qu'elles se disent en fait si j'ai quelque chose
12:29à dire, je peux être entendu et aussi les équipes qu'elles soient aussi dans une
12:35situation dans laquelle elles se disent en fait je ne peux pas faire tout ce que je veux
12:38parce que ce n'est pas non plus possible.
12:39Que ça fonctionne dans les deux sens, c'est-à-dire que les personnes qui ont tendance à être
12:45abusives, qu'elles aient d'abord dans un premier temps une remise en question puis
12:50dans un second temps une réflexion autour du fait que non on ne peut pas agir n'importe
12:54comment.
12:55Les personnes qui se trouvent dans des positions où elles sont victimes de violences, qu'elles
13:00se disent en fait là je sais qu'il y a un moyen de réagir à ça et que je ne vais
13:04pas foutre en l'air ma carrière, que je ne vais pas foutre en l'air un tournage.
13:08Voilà.
13:09C'est donc que ce soit l'affaire de tous.
13:12Merci beaucoup Clémentine Charlemagne du Collectif 50-50 d'avoir été sur France
13:15Info.
13:16A cette heure-ci, dans une semaine exactement, on connaîtra le prix Goncourt 2024 et d'ici
13:26là, sur France Info, on continue, Frédéric a donné la parole à celles et ceux qui peuvent
13:30y prétendre.
13:31Et aujourd'hui quelqu'un qui connaît déjà le dernier carré du Goncourt et ce petit
13:34frisson.
13:35Bonjour Gaël Faille.
13:36Bonjour.
13:37Vous avez en effet été déjà dans l'ultime sélection pour votre premier roman Petit
13:41Pays et là avec Jacques Aranda chez Grasset, vous poursuivez votre exploration intime avec
13:45une portée universelle des répercussions du génocide au Rwanda.
13:48Je précise que vous vivez désormais dans ce pays avant de prendre le temps d'évoquer
13:53ce livre.
13:54Votre état d'esprit ces jours-ci, c'est quoi ? C'est sérénité, excitation, un
13:58peu d'angoisse ?
13:59C'est un peu tout ça en même temps.
14:01J'essaye de ne pas trop y penser mais je reçois un certain nombre de messages tous
14:06les jours avec des doigts croisés qui me ramènent à ça.
14:12Vivement l'antiprocess.
14:13Exactement.
14:14En tout cas, le deuxième roman, on a l'habitude de dire que c'est le plus difficile pour
14:18un écrivain.
14:19Là, les lecteurs, on le sait, sont largement au rendez-vous comme pour Petit Pays.
14:22La critique élogieuse, cette sélection dans l'ultime carré du concours, c'est déjà
14:27un acquis, une façon de vous dire, voilà, si j'avais le moindre doute, je suis un écrivain.
14:32Le deuxième roman, il est aussi un beau roman.
14:34Bien reçu.
14:35Oui, c'est vrai qu'un deuxième roman, surtout après une réception, un succès
14:40comme ce fut le cas pour Petit Pays, mon premier roman, la marche était vraiment haute
14:46et ça a été assez compliqué de m'y remettre et d'oublier tout ce qui s'était passé
14:52avec ce premier roman.
14:54Et donc oui, maintenant je suis rassuré parce que les gens viennent en librairie, le roman
15:02trouve son public et donc voilà, les prix, c'est la petite cerise en plus sur le gâteau
15:09mais là, oui, je suis déjà rassuré par la réception et la vie du roman.
15:14Et ce qui a changé entre l'écriture du premier roman et celle du deuxième, c'est
15:18que depuis vous êtes installé au Rwanda, vous n'y vivez pas à 100% du temps mais
15:22vous y vivez beaucoup.
15:23Est-ce que vous auriez pu écrire ce livre qui est vraiment parole de survivant, briser
15:29une forme de silence, voir à quoi peut ressembler l'avenir si vous n'aviez pas vécu au Rwanda ?
15:34Non, je n'aurais pas pu écrire ce roman si je ne vivais pas au Rwanda parce que c'est
15:42une réalité qui échappe à la personne qui ne fait que passer.
15:48Pour rentrer dans la réalité rwandaise, il faut y vivre, il faut côtoyer les gens,
15:54il faut passer du temps avec les personnes, prendre des verres le soir au cabaret pour
16:01entendre ce que disent les cœurs parce qu'il y a la vitrine d'un pays, ce que le pays
16:07montre aux étrangers de passage.
16:10Le pays le plus high-tech de l'Afrique, en toute forme d'un nouveau modèle.
16:15Voilà, il y a toute cette image de ce Rwanda moderne, de ce Rwanda qui se reconstruit avec
16:20des mots comme « reconstruction », « résilience » et qui finissent par faire un peu écran
16:28à la réalité intime des uns et des autres.
16:32Et donc, oui, de vivre sur place, ça me permet d'explorer aussi cette dimension humaine
16:38qui m'échappait lorsque je ne faisais que passer.
16:41Entendre ce que disent les cœurs, vous nous dites, mais aussi ce qui ne se dit pas, ou
16:46en tout cas ce qui est tellement difficile à exprimer.
16:48Je vous cite page 135, « L'indicible, ce n'est pas la violence du génocide, c'est
16:53la force des survivants à poursuivre leur existence malgré tout.
16:57»
16:58Est-ce que c'est ça que vous avez voulu exprimer, cet indicible-là ?
17:00Oui, parce qu'on parle souvent de la violence de son point culminant, comme un génocide,
17:06de ce moment-là, alors que moi, ce qui m'interroge le plus, ce n'est pas tant la capacité
17:12des êtres humains à produire du chaos, à produire de la souffrance, parce que ça,
17:20tous les jours, on le voit, mais la capacité à refaire société entre les bourreaux et
17:25les victimes, à apprendre à nouveau, à vivre ensemble, à cohabiter.
17:30Mais il y a la culpabilité des survivants, d'une certaine manière, et la difficulté
17:32à en parler.
17:33Cet indicible-là, ces paroles qui ne viennent pas, avec la mer, avec tant de gens.
17:37Oui, c'est ça, c'est ce que disent les silences, et comment ils s'expriment en
17:43fonction de chaque personne et de son histoire.
17:47Parce qu'entre un bourreau, un enfant de bourreau, une victime, un enfant de victime,
17:54chacun a une réalité et chacun doit composer avec ça.
17:58C'est aussi pour ça que ce roman donne la parole à plusieurs générations et à plusieurs
18:03voix différentes.
18:04Ce qui frappe, on va en parler des voix différentes, des quatre générations, des voix de la jeunesse,
18:08mais ce qui frappe quand on lit ce roman, Jacques Aranda, Gaëlle Feille, c'est qu'il
18:12y a l'horreur du génocide et la douceur de votre écriture.
18:15C'est cet équilibre-là, a priori impossible, en tout cas infiniment compliqué, que vous
18:20avez essayé de tenir.
18:22Je crois que c'est tout simplement ma manière d'être, ma manière de créer, d'écrire.
18:29Je viens d'une histoire tellement violente que pour continuer à avancer dans mon existence,
18:37j'ai trouvé des outils merveilleux qui sont les outils de la création et surtout l'écriture.
18:43C'est une thérapie ?
18:44Une thérapie, c'est...
18:45En tout cas, c'est une façon de survivre en vous-même ?
18:47En tout cas, c'est ma façon à moi de continuer de cheminer dans l'existence en gardant foi
18:55en mon prochain et en me disant qu'il y a de l'espoir parce que c'est vrai que quand
19:02on vient de ce type de violence d'histoire si intense, on pourrait très rapidement ne
19:10plus croire en l'autre et donc moi ça me sert à ça, c'est à réactiver tous les
19:16matins mon espoir, ma forme, ma croyance en l'être humain.
19:23C'est ça l'écriture et c'est aussi la leçon que m'offre le Rwanda parce que ça
19:29pourrait être un vœu pieux de le dire comme ça dans le vent mais les survivants et les
19:34survivantes que je côtoie me illustrent tous les jours cette capacité à continuer à vivre.
19:43Il y a quatre générations au moins dans votre livre, il y a un personnage qui est
19:47absolument formidable, la Réa-Grand-Mère, c'est la sagesse, c'est celle qui permet
19:53aussi la transmission, c'est celle qui permet aussi la douceur de votre livre d'une certaine
19:57manière.
19:58Oui, je pense que Rosalie, elle a connu les rois, elle a connu la Réa-Grand-Mère, l'époque
20:04du roi du Rwanda avant la colonisation, tout à fait, elle a la mémoire du Rwanda pré-colonial
20:12et donc elle peut transmettre à son arrière-petite-fille, Stella, une histoire qui n'est pas une histoire
20:23fallacieuse parce que malheureusement, pendant 100 ans, les Rwandais ont vécu avec une histoire
20:28fallacieuse la création des ethnies à travers la colonisation.
20:33C'est les Allemands puis les Belges qui disent qu'il y a des Hutus et des Tutsis et vous
20:36n'êtes pas pareil.
20:37Exactement et donc les Rwandais et les Rwandaises ont vécu à travers une grille de lecture
20:42qui les a déracinés à l'intérieur même de leur propre pays, de leur propre culture
20:48et donc c'est comment réapprendre à vivre ensemble et avoir un regard juste sur soi-même.
20:55Il y a les voix de la jeunesse aussi, il y a Stella que l'on suit depuis sa naissance,
21:01après le génocide, jusqu'à l'âge adulte, beaucoup de discussions avec d'autres jeunes.
21:04Nous, il ressort beaucoup de choses, comment vivre après, commémorer, oui, mais est-ce
21:09que ça suffit de commémorer ?
21:11Et cette phrase-là aussi, j'aimerais vivre léger de temps en temps, ça reste impossible.
21:15C'est impossible de vivre léger au Rwanda quand on a 20 ans aujourd'hui ?
21:18Je pense que c'est comme partout finalement le Rwanda, c'est comme partout ailleurs,
21:26c'est-à-dire on peut vivre léger mais on a conscience en vivant léger qu'on est
21:30dans une forme de déni parce qu'il y a une réalité et la réalité rwandaise c'est
21:35la mémoire, c'est la lourdeur de cette mémoire-là qui est là et qui transpire
21:40dans toutes les relations, dans tous les interstices des relations humaines et donc oui, le génocide
21:49est présent encore aujourd'hui, même 30 ans après, et donc cette jeunesse-là, elle
21:54est dans cette tension-là entre un désir d'avenir, un désir de vivre léger, mais
22:01la grande histoire se rappelle tous les jours à elle.
22:04Vous êtes au bout de votre quête personnelle après ces deux livres, Gail Faille, il en
22:09reste beaucoup.
22:10J'espère, on n'est jamais au bout d'une quête mais en tout cas je pense que ça a
22:15permis d'éclaircir un peu ma relation à ce pays, ma relation complexe à ce pays.
22:20Mais vous y restez au Rwanda, votre avenir est au Rwanda.
22:23Mon avenir est au Rwanda et en France parce que je suis issu de ces deux pays et c'est
22:31ces deux pays que je porte en moi, donc voilà, c'est marcher sur mes deux pieds que d'être
22:37dans ces deux pays.
22:38Vous êtes prêt à écrire un livre qui ne sera pas sur le Rwanda ?
22:40J'en fais le vœu.
22:43Vous en êtes capable aujourd'hui ?
22:46Bien sûr, je pense que j'ai beaucoup de ressources en moi, mais il faut aller les
22:52trouver, les creuser.
22:53Ça sera votre deuxième premier roman.
22:55Certainement.
22:56Et il sera formidable, on l'attend.
22:58Merci beaucoup Gail Faille d'être passé par le studio de France Info.
23:01Jacques Aranda, publié chez Grasset et je vous précise Marie que jeudi, on recevra
23:10le dernier carré du Goncourt, Sandrine Collette, pour son livre Madeleine avant l'aube.

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