• le mois dernier
Xerfi Canal a reçu Jean-Philippe Timsit, professeur associé à l’emlyon business school, pour parler de la tactique et de l’exécution.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

Category

🗞
News
Transcription
00:00Bonjour Jean-Philippe Thimsit. Bonjour Jean-Philippe. Jean-Philippe Thimsit,
00:12professeur de stratégie au Saint-Guillemet Digital et à l'Union Business School. Tout à fait.
00:16Voilà, vous nous dites en gros, il faut vraiment updater le logiciel, il faut faire la grande mise
00:21à jour. Et dans la grande mise à jour, il y a une idée ancienne, mais qui revient, parce que ce n'est
00:26pas nouveau quand même que la stratégie, c'est un art d'exécution. D'abord, c'est Napoléon de
00:31mémoire. Ce n'est pas nouveau, mais ce que vous nous dites, c'est que c'est maintenant, c'est
00:35clair, c'est l'essentiel et l'intendance suivra, c'est fini. C'est vraiment fini. On n'est plus
00:40un dirigeant si on pense ça. Vous allez loin là-dessus. Les enjeux sont considérables quand
00:46on parle de stratégie. La plupart du temps, quand on pense stratégie opérationnellement dans les
00:51faits, effectivement, en fait, on pense tactique. Clausewitz de la guerre dit, une bonne stratégie,
00:57l'art de la stratégie, c'est l'art de positionner ses troupes. Et donc, en fait, rien qu'en disant
01:01ça, ce qu'il explique, c'est que le cœur de la stratégie n'est pas dans la conceptualisation en
01:06amont, mais plutôt dans le fait de procéder au positionnement des troupes. Alors, ce terme là,
01:11position, il n'est pas hasardeux, parce que c'est le terme que Porter a repris ensuite quand il
01:15parlait de positionner une offre. Et c'est une des contributions importantes, pour le coup,
01:19de Michael Porter. Oui, effectivement, en stratégie, on positionne une offre. Mais ça veut dire quoi,
01:23positionner une offre ? Ça veut dire qu'il va y avoir toute une phase de conceptualisation en amont,
01:27en amont. Cette phase de conceptualisation, elle va reposer sur un diagnostic, une analyse de
01:33l'environnement, une compréhension du comportement des gens. Enfin, il y a plein de leviers. Mais
01:38tant qu'on fait ça, on n'a encore rien fait, en fait. On a réfléchi, on a manipulé de l'information,
01:43de la data, on l'a remonté, on a fait des entretiens qualitatifs, fait des études
01:48quantitatives, on a utilisé des méthodes statistiques, on a nettoyé des bases de données,
01:51on a fait plein de choses très, très savantes, très, très sophistiquées, pour lesquelles il
01:55faut être vraiment intelligent, il faut avoir un doctorat ou avoir fait des études d'ingénieur.
02:01C'est super, mais pour l'instant, on n'a rien fait. On n'est dans le fantasme, en fait. On est encore
02:06dans nos têtes, on est dans ce qu'on espère réaliser. Quand on produit un modèle statistique
02:09très avancé, qu'est-ce qu'on fait ? On garde des données, on enlève d'autres, on change les
02:14paramètres, on modifie un peu. On est encore dans nos têtes, on n'a encore rien fait, on n'est pas
02:18encore confronté à la réalité. Puis ensuite, il y a la décision. Qu'est-ce qu'on va faire ? Là encore,
02:23on est encore dans nos têtes, on est sur un joli coin de table, en train de dessiner des jolis
02:27schémas. La vraie confrontation à la réalité, elle se produit dans la phase d'exécution. Et c'est
02:33pour ça que dans la plupart des livres de stratégie, on ne parle pas d'exécution. Parce qu'en fait,
02:36cette confrontation à la réalité, quand on parle pour de vrai, quand on fait vraiment la stratégie,
02:41elle est douloureuse. Parce qu'en fait, la plupart des plans stratégiques qui ont été conçus,
02:46ils échouent. Ils n'existent pas au premier coup de canon, disaient les militaires. Mais jamais ! Quand
02:51on choisit un prix, ça ne marche pas. En fait, ce qu'il faut comprendre, c'est que ça n'existe pas
02:56ce modèle d'entreprise qui est « je conçois une offre, je lève des fonds, je produis, puis je
03:03vends ». Ça, c'est ce que les banques vendent, c'est ce que les investisseurs avec les jolis
03:09business plans qui nous vendent sur leur site de 30 ou 50 pages vendent. Dans la réalité,
03:13ça ne se produit jamais comme ça. Aucune entreprise à succès ne s'est construite de cette manière-là.
03:19Dans la réalité, qu'est-ce qui se passe ? Le créateur, il a une idée d'entreprise. Il
03:23commence à en parler autour de lui. Il commence à comprendre comment les clients réagiraient.
03:27Et puis, il le change. Et puis, il le modifie encore. Et puis, ça émerge de la réalité. Et
03:34c'est de la réalité par la relation avec les individus qui composent la demande potentielle.
03:39C'est comme ça que va émerger l'offre. L'offre est une réponse. L'offre, ce n'est pas la variable
03:46explicative, c'est la variable à expliquer. L'offre, c'est la conséquence du raisonnement.
03:52C'est-à-dire que l'offre est la conséquence de toute l'analyse qu'on a conduite. On ne commence
03:57pas par l'offre. On ne se dit pas « j'ai envie de vendre ça, je vais chercher des clients ». Ça
04:01ne marche jamais, ça. Ce qu'on fait, c'est qu'on a identifié des clients avec un problème dans un
04:07périmètre qui nous intéresse. Et on a identifié leurs problèmes et on se dit « ces gens-là,
04:12je peux être capable de leur proposer une offre qui les satisfiera plus, mieux, plus longtemps,
04:20quels que soient les adjectifs que vous utilisez, que les concurrents. Et je pense que je peux
04:25essayer de faire ça. » Et donc, c'est comme ça qu'il faut penser. Mais à partir du moment où
04:29on pense comme ça, on mêle deux concepts qui sont traités de manière distincte mais qui sont
04:35en fait les deux faces d'une même pièce, c'est la stratégie et la tactique. La stratégie, c'est
04:39un horizon temporel de trois ans, cinq ans, qui est le raisonnement qu'on va propulser notre
04:44entreprise dans le futur. La tactique, c'est un horizon temporel de six, huit mois. C'est ce
04:48qu'on va faire tout de suite. C'est par exemple une campagne publicitaire. En fait, les deux vont
04:51ensemble. Il n'y a pas de séparation, ce n'est pas itératif, ce n'est pas l'un puis l'autre. Parce
04:55que la tactique, les actions tactiques, le choix d'un prix par exemple, et le succès ou l'échec vont
05:00nous donner des informations sur le comportement de l'audience. Et donc, les décisions tactiques,
05:03elles vont affecter le raisonnement stratégique. Donc, si on traite les deux de manière indifférente,
05:09de manière différenciée, où la main droite ne parle plus à la main gauche, qu'est-ce qui se
05:13passe ? On n'apprend plus, on arrête d'apprendre, on arrête d'évoluer, on arrête de changer. La
05:17tactique, c'est l'exécution, au sens pur du terme. La stratégie, c'est comment on va exécuter,
05:22qu'est-ce qu'on va exécuter, comment on va le faire ? Les deux vont ensemble. C'est qu'on a
05:26tendance à penser que la stratégie, c'est noble, c'est l'art du dirigeant, et la tactique, c'est
05:30sale, c'est le commercial ou l'assistant marketing. Dans la réalité, les deux vont ensemble tout le
05:36temps, systématiquement, et ils sont même dans certains modèles automatisables. Quand on
05:41déplatformise un dispositif de création de valeur, on peut automatiser une grande partie de la tactique.
05:46Il faut comprendre que l'essence même de la strat, c'est son ancrage dans la réalité,
05:53pas conceptuel, c'est son ancrage dans la réalité. Merci Jean-Philippe. C'est un grand plaisir.

Recommandations