Les modes managériales : la dictature du prêt-à-penser [Philippe Gattet]
Alors que l'on vante l'importance de l'innovation et de la pensée créative, la littérature managériale semble avoir pris le contre-pied en imposant une succession de modes uniformisées. Ainsi, le Design Thinking, célébré comme un remède à tous les maux, n'est que la dernière itération de ce phénomène. Et si ces modes managériales n'étaient que du prêt à portée de la pensée, des refuges à la médiocrité, et finalement du prêt à penser à l'efficacité douteuse ? [...]
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00:00Alors que l'on vante l'importance de l'innovation et de la pensée créative, la littérature
00:13managériale semble avoir pris le contre-pied en imposant une succession de modes uniformisés.
00:19Ainsi, le « divine thinking », célébré comme un remède à tous les maux, n'est
00:25que la dernière itération de ce phénomène.
00:28Et si ces modes managérials n'étaient que du prêt-à-porter de la pensée, des
00:32refuges à la médiocrité, et finalement du prêt-à-penser à l'efficacité douteuse
00:38?
00:39Les modes managérials forment un véritable cycle de fascination et de désillusion.
00:44Chaque époque a sa star managériale.
00:47Dans les années 1980, c'était le management par objectif, ou MBO, une approche basée
00:54sur la définition de cibles précises pour maximiser la performance.
00:59Puis est venu le lean management, célébré par sa quête obsessionnelle de la réduction
01:05des gaspillages.
01:06Aujourd'hui, c'est le divine thinking et l'agilité qui dominent le discours.
01:11Chaque théorie est vendue comme une panacée promettant de révolutionner les entreprises
01:17pour finalement laisser place à la déception une fois son effet de mode estompé.
01:23Le divine thinking, par exemple, promettait de réinventer les processus d'innovation
01:28en mettant l'utilisateur au centre des réflexions.
01:31Mais la méthode, à force d'être standardisée et appliquée mécaniquement, s'est vidée
01:36de sa substance.
01:37On observe le même phénomène avec l'agilité, une méthodologie qui, bien qu'utile dans
01:43certains contextes, est trop souvent imposée dans des environnements inadaptés, menant
01:48à des équipes qui se perdent dans des cycles infinis de sprint sans réel progrès.
01:53De fait, le prêt-à-penser est une tyrannie bruyante et bien médiatisée.
01:58La popularité de ces approches découle en partie d'une littérature managériale abondante
02:04et influente.
02:05Des livres comme Good to Great de Jim Collins ou Blue Ocean Strategy de Kim et Mauborgne
02:13offrent des modèles simplifiés promettant des solutions universelles à des problèmes
02:17complexes.
02:18Les managers, en quête de réponses faciles, les adoptent sans remettre en question leur
02:23pertinence.
02:24Le divine thinking, avec ses étapes bien délimitées et ses ateliers de brainstorming,
02:30est lui aussi devenu un outil de conformité, là où il aurait dû stimuler l'innovation.
02:35Cette tendance au prêt-à-penser est inquiétante.
02:39Les entreprises ne parviennent plus à développer une réflexion critique sur leur propre situation
02:45et contexte.
02:46La pression de suivre la dernière mode est telle que toute tentative de s'en écarter
02:52est perçue comme une résistance rétrograde.
02:55Comme le souligne le sociologue David Courpasson, cette tyrannie des modes impose une conformité
03:01silencieuse qui étouffe les vraies initiatives innovatrices et les ruptures potentielles.
03:07Aujourd'hui, le divine thinking, tout comme la méthode agile et son approche dite scrum,
03:13sont omniprésents.
03:15Mais ils vont perdre de leur éclat.
03:17Une nouvelle théorie émergera bientôt, promettant, elle aussi, de résoudre tous
03:23les problèmes.
03:24En réalité, ces modes suivent un cycle bien connu.
03:28Fascination initiale, adoption massive, échec à produire des résultats concrets, puis
03:35rejet ou obsolescence.
03:37En attendant, les managers continuent de surfer sur les modes, et même de mode en mode, sans
03:43jamais remettre en question l'essentiel.
03:46Chaque entreprise est unique et ne peut être gérée avec des recettes préétablies.
03:52Le véritable geste de rupture n'est pas de lire le dernier best-seller managérial,
03:58mais de le défier.