Les marchés des céréales et oléagineux sont de plus en plus difficiles à lire, entre « infobésité » d’un côté et de l’autre manque de données fiables sur la demande, les stocks et les flux. Patricia Le Cadre, directrice du Cereopa et spécialiste des marchés des matières premières agricoles, revient sur cette opacité croissante qui alimente la volatilité des prix.
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00:00Quand on doit acheter ou vendre une marchandise, on ne peut pas acheter ou vendre sans avoir
00:08fait une vraie analyse de marché. C'est super important parce qu'aujourd'hui, on est complètement
00:12noyé sous l'information, on est en pleine infobésité et c'est ce qui entretient de la
00:18volatilité de court terme. On a besoin d'avoir une vision de plus long terme. Ce qu'on fait en
00:23général, c'est l'étude des bilans entre l'offre et la demande. On travaille beaucoup sur l'offre,
00:27il y a beaucoup d'argent dépensé pour savoir où sont les récoltes. Il faut beaucoup se pencher sur
00:33la demande et là, c'est déjà beaucoup plus compliqué d'avoir des informations. Sur l'offre,
00:37la première des choses, c'est qu'il y a beaucoup de stocks en ferme et de plus en plus. Ça s'est
00:43énormément développé au niveau mondial pour plein de raisons différentes. En France, ça s'est
00:48développé, en Europe, mais aussi d'abord en Argentine, au Brésil, un peu partout aux Etats-Unis.
00:53Ça a d'abord permis aux producteurs de ne pas vendre forcément juste en début de récolte et de
01:00passer par les fourches codines des négociants. Mais c'est surtout qu'on a des pays, par exemple,
01:06où il y a une inflation très forte, comme en Argentine, où le soja est devenu la monnaie
01:10nationale. C'est-à-dire qu'on ne sort sa graine de soja que lorsqu'on a besoin d'acheter et qu'on
01:16a une décharge à payer, des choses comme ça. Je dis souvent que la disponibilité,
01:23c'est pas la même chose que le disponible. C'est-à-dire que sur le papier, vous pouvez
01:26avoir plein de marchandises à disposition qui, pour plein de raisons, ne vont pas être là.
01:29Elle ne va pas être là parce que soit, effectivement, elle va rester dans les
01:31fermes et qu'aujourd'hui, il n'y a pas beaucoup de pays où on a de bonnes statistiques sur le
01:35stockage à la ferme. Si on parle de la France, aujourd'hui, il n'y a plus vraiment beaucoup
01:40d'enquêtes qui sont faites parce que ça coûte du temps et de l'argent. Or, on s'est aperçu sur la
01:44dernière campagne, par exemple, que puisqu'on ne couvrait pas des coûts de production, il y a
01:48beaucoup d'agriculteurs qui ont joué la montre et qui ont gardé en ferme. Aujourd'hui, c'est
01:52assez compliqué de se dire quelle est la part de ce qui était en ferme, donc la différence entre
01:57la collecte et ce qu'on estime de la production, qui est restée et qui n'est pas utilisée parce
02:02qu'il y a aussi de l'autoconsommation, bien sûr. Il y a de la frinte, etc. Il y a de la semence à
02:06la ferme. Donc, il faut déjà essayer d'imaginer ce qui serait disponible et ce qu'on pourrait
02:11remettre sur le marché. C'est un élément important parce que, des fois, on peut avoir
02:15un marché haussier, par exemple, parce qu'on pense que la récolte diminue. Mais si on a
02:20beaucoup de stocks à sortir, c'est l'offre qui est importante. L'offre, c'est toujours le stock de
02:24départ plus ce qu'on met sur le marché, la collecte. Et si on ne parle que de production,
02:29on a déjà perdu une moitié de l'information. La deuxième chose, c'est les flux qui sont
02:39de plus en plus compliqués parce que, par exemple, sur les céréales ou même les oléagineux, le plus
02:43grand stock est sur la mer. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, le stock est flottant. Il y a
02:49pas mal d'entreprises qui sont spécialisées dans le suivi des flux de marchandises. Alors,
02:53pas que les matières premières agricoles, mais le charbon, le pétrole, etc. Or, en fait, la
02:58géopolitique fait qu'on rentre dans un monde de plus en plus opaque où, par exemple, les bateaux
03:04de charbon, de blé, etc. qui sortent de Russie ou de mer Noire en général, aujourd'hui, ne sont
03:08plus traçables. Il y a une partie des bateaux qui éteignent leur transpondeur, donc qui ne
03:15renseignent pas leur position, qui ne renseignent pas où ils vont aller. Globalement, aujourd'hui,
03:20par exemple, la Russie a des accords. Il y a du troc, etc. entre un tas de pays. Par exemple,
03:26sur ce qui va vers l'Iran, il y a pas mal de choses où, en fait, on ne sait pas ce qui se
03:29passe. L'information, c'est quand même le nerf de la guerre. Nous, on aimerait suivre ce que fait
03:39la Russie, puisque la Russie, elle exporte surtout pour financer sa guerre, aujourd'hui. Et il y a
03:45beaucoup de choses qui se passent entre différents pays, notamment les BRICS, qui vont rentrer dans
03:50un monde, effectivement, un entre-soi, qui fait qu'il y a beaucoup d'informations qu'on n'aura pas,
03:54parce qu'ils commercent ensemble, souvent sans passer par le dollar. Et le dollar permet
04:01souvent de suivre, en fait, l'activité au niveau du marché mondial. Donc là, on n'a plus ce cas-là
04:05non plus. Et donc, voilà, c'est compliqué de savoir exactement. Alors bien sûr, on sait quand
04:11même pour une grosse partie, mais dans un bilan, ce qui est souvent important, c'est juste les 2-3
04:16millions de tonnes qui font la différence entre un bilan équilibré et qui ne l'est pas. Et on
04:21s'aperçoit quand même que, mois après mois, on réajuste toujours ou l'offre ou la demande dans
04:27les bilans, très a posteriori, mais la volatilité, elle a fait son effet. Et voilà. Et donc, la
04:34géopolitique, c'est quelque chose qui, dans les années à venir, à mon avis, va continuer à
04:39opacifier pas mal des choses. Après, sur la partie des investisseurs et de ce qu'on appelle
04:51la spéculation des marchés, moi, je pense que c'est un faux sujet, dans le sens où les marchés
04:59à terme, c'est une pièce avec deux côtés. Donc, si on n'a pas d'investisseurs, pour amener cette
05:05volatilité, faire en sorte que, dès que vous voulez vendre, vous avez un acheteur en face ou
05:08vice-versa, ces marchés ne fonctionnent pas. Donc, il y a peut-être des bons investisseurs et des
05:12mauvais investisseurs, mais globalement, c'est quand même des marchés qui sont très renseignés,
05:17là, du coup. Et donc, on peut quand même anticiper les choses.