C'est un procès hors norme : François Thierry, ancien patron de l'Office des stupéfiants, est jugé devant la Cour criminelle du Rhône pour avoir organisé la fausse garde à vue d'un informateur et favorisé l'importation en France de plusieurs tonnes de cannabis. Écoutez l'analyse de Frédéric Ploquin, journaliste spécialiste du grand banditisme, auteur de "Confessions d'un patriote corse : des services secrets français au FLNC" (éditions Fayard).
Regardez L'invité pour tout comprendre avec Yves Calvi du 23 septembre 2024.
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00:00Yves Calvi et Agnès Bonfillon, RTL Soir.
00:04C'est un procès hors normes, l'ancien patron de la lutte anti-drogue François Thierry.
00:08Comparé depuis aujourd'hui à Lyon, ce brillant commissaire de police est accusé d'ailleurs d'avoir eu des recours à des méthodes totalement illégales.
00:15On retrouve Plana Radenovic du service police justice d'RTL. Bonsoir Plana.
00:19Que reproche-t-on précisément à l'ancien chef de l'office des stups ?
00:24Ce que la justice reproche à François Thierry, c'est d'avoir rédigé un faux procès verbal pour justifier la prétendue garde à vue d'un indique.
00:32On est le 2 avril 2012, début de soirée, des voitures banalisées attendent devant la prison de Nancy.
00:37Les policiers viennent chercher un détenu très spécial.
00:40Il s'agit de Sofiane Ambly, c'est un baron de la drogue, c'est aussi un indique, donc un informateur de la police.
00:46Et ce soir-là, il va faire une garde à vue particulière dans un hôtel chic à Paris, où il dîne même au restaurant avec François Thierry.
00:53Surtout, ce qui alerte les magistrats, c'est qu'aucun procès verbal, rien n'est rédigé au cours de cette soi-disant garde à vue.
00:59En fait, toute cette opération a servi à piloter ce qu'on appelle une livraison surveillée.
01:04C'est une livraison de cannabis, 6 tonnes, du Maroc vers l'Espagne.
01:08François Thierry, lui, plaide la zone grise.
01:11Il dit que plusieurs magistrats du parquet connaissaient les contours de l'opération,
01:15mais les informations transmises étaient trop parcellaires, lui reproche l'accusation.
01:19François Thierry, en cours, en théorie, jusqu'à 15 ans de réclusion.
01:22Merci beaucoup, Plenar Adénovitch.
01:24Bonsoir, Frédéric Ploquin.
01:25Vous êtes journaliste, enquêteur, spécialiste du grand banditisme.
01:28Merci beaucoup de nous rejoindre dans RTL Soir.
01:31Nous venons de l'entendre, ce sont les méthodes de François Thierry qui posent problème, et notamment vis-à-vis des indics.
01:36Alors déjà, qui sont ces sources et à quoi servent-elles ?
01:39Ça sert à quoi, les indics ?
01:41Effectivement, François Thierry a des ennuis, mais je voudrais quand même dire qu'il avait, en termes d'indic, précisément décroché le jackpot.
01:48C'est-à-dire qu'en fait, il avait réussi à se faire sortir de prison en Espagne, quelqu'un qui était au cœur du trafic de cannabis entre le Maroc et la France.
01:57Et il l'a traité, enfin en fait, il l'a tissé, parce que c'est ça, toute la question quand vous recrutez un indic, c'est que vous devez tisser une relation un peu personnelle quand vous êtes policier avec cet individu.
02:09Et ce commissaire qui dirige donc l'office des centrales des stups se retrouve à un moment donné à table, à la maison, en famille, dans la famille de ce Sophia d'Ambly.
02:20Il y a un lien personnel qui se crée, et c'est là tout le danger, tout le risque qu'il y a dans le traitement des indics.
02:25C'est que c'est d'abord quelque chose de très humain, et vous allez devoir convaincre un voyou quand même de vous donner, de faire tomber des voyous pour vous.
02:35En échange de quoi ? Forcément, c'est ça le principe premier, c'est donnant-donnant.
02:41Vous ne pouvez pas convaincre un voyou de vous donner tous ses complices, si en échange il n'a rien à gagner.
02:47Donc soit il peut gagner, je ne sais pas, une remise en liberté, soit il peut gagner...
02:51Et là en l'occurrence, c'est toute la difficulté, en l'occurrence cet indicateur continuait lui évidemment à trafiquer du shit pour lui-même, sauf que ce n'était pas au gramme mais à la tonne.
03:03Donc il y a cinq tonnes qui étaient saisies, il y a peut-être deux tonnes qui passaient sur le marché.
03:09Mais quand vous traitez un indic dans une petite cité de quartier et que vous le laissez repartir avec ses barrettes, proportionnellement, là on est tout en haut.
03:18François Thierry avait infiltré le sommet du trafic de stupéfiants et de cannabis, ce qui était plutôt une grande réussite sur le papier.
03:27Il faut une relation de confiance, vous le disiez, comment sont recrutés les indics ?
03:32A priori, vous seriez surpris d'apprendre le nombre de très grands voyous connus qui ont accepté à un moment donné de dealer avec le grand flic qu'ils avaient en face d'eux.
03:43Le recrutement, il démarre en général au cours d'une garde à vue.
03:47Le voyou est tombé, il s'est fait arrêter, il reconnaît que la police a gagné sur ce coup-là.
03:52Et après, c'est toute une mécanique humaine qui se met en jeu.
03:55Cette mécanique humaine se développe dans une espèce de zone un peu floue où on ne sait pas très bien jusqu'où on va aller.
04:06La grande difficulté, c'est le dosage, c'est de savoir qui domine qui au final.
04:12Parce que si vous n'êtes pas très costaud face à ces trafiquants, à ces grands voyous, c'est eux qui, à un moment donné, prennent la main et vous dominent.
04:20Et là, vous avez perdu.
04:22Frédéric Ploquin, il paraît que les règles ont évolué récemment.
04:26Je voulais vous poser cette question.
04:28Ces indiques fournissent des informations en échange de quoi ?
04:31Par exemple, est-ce qu'ils sont payés ?
04:33Jusqu'en 2004, il y a 20 ans, c'était le grand flou artistique.
04:38En 2004, on a créé une espèce de premier cadre officiel où on a dit qu'à partir de maintenant,
04:45on allait leur donner des primes de l'argent qui allait être répertorié.
04:49Ce n'est pas de l'argent qui échappe à tout contrôle.
04:51Et surtout, ensuite, on a créé en France un bureau, ce qu'on appelle le bureau des sources,
04:57un bureau central des sources où les indicateurs ne sont pas répertoriés sous leur nom.
05:03Parce que ça, ils ne l'accepteraient pas.
05:05Ça serait trop risqué.
05:07Mais sous un numéro qui renvoie à un nom.
05:10C'est pour éviter les piratages et les choses comme ça.
05:12Parce qu'imaginez bien, si on vous dit que vous êtes un grand voyou ou un grand trafiquant de distribution,
05:17vous allez donner tous vos petits camarades, mais votre nom va figurer dans le fichier, etc.
05:22On peut imaginer que ça suscite des réticences.
05:25Oui, moi, je serais réticent.
05:27Quel statut a l'indic, Frédéric Ploquin ? Est-ce qu'il peut être protégé ?
05:30Vous parliez des cas un petit peu délicats.
05:33Pour moi, cette question que vous posez est aussi importante que qui protège le policier qui traite l'indic.
05:40La première difficulté, c'est que l'indic n'est pas protégé.
05:44Il prend des risques inconsidérés qui sont liés à son trafic.
05:50Il vit dans l'illégalité.
05:52Mais la principale question pour moi aujourd'hui,
05:55et je pense que c'est la question de tous ceux qui veulent lutter contre le crime organisé.
05:59On nous dit que la lutte contre le crime organisé, c'est un grand défi que doit enlever la démocratie.
06:05Mais dans ce cas, il faut se donner un peu les moyens.
06:07Et toute la difficulté, c'est de protéger ces policiers qui, quelque part, se salissent les mains pour nous.
06:14Et globalement, en France, on est quand même avec une classe politique qui s'en lave un peu les mains.
06:18Donc vous pensez que François Thierry est une victime ? Pardonnez-moi, c'est notre dernière question.
06:22Écoutez, il va se défendre. On va voir comment il se défend.
06:26Moi, j'ai décortiqué cette affaire soigneusement.
06:30Je pense que le fait de l'avoir neutralisé comme ça a été fait,
06:34peut-être parce qu'il n'avait pas tout dit au magistrat, c'est ce qui apparaît.
06:36Lui dit qu'il avait tout dit. Est-ce qu'il avait tout dit ou pas ? On le verra.
06:40Mais si vous voulez, le fait est qu'après sa neutralisation, l'Office centrale des stups a été débaptisé.
06:47C'est devenu l'OFAS. On est reparti sur autre chose.
06:50Et je pense que pendant deux ou trois ans, qui s'est régalé et qui s'est frotté les mains ?
06:54Ce sont les trafiquants de stupéfiants.
06:55Merci beaucoup Frédéric Bloquin.
06:57Votre dernier livre, Confession d'un patriote corse, 40 ans d'attentats, raconté par un ancien chef militaire du FLNC,
07:03sort le 30 octobre prochain. Ce sera aux éditions Fayard.
07:06Et ce sera là aussi passionnant.
07:08Tout autre chose maintenant, il n'est ni Corse, ni revendeur de drogue.
07:11Marc-Antoine Lebret est avec nous dans un instant.