Depuis le 22 février 2024 se déroule sur notre continent le conflit le plus meurtrier engagé depuis la Seconde Guerre mondiale. Sur son déclenchement, plusieurs analyses reviennent régulièrement : on nous parle d’émancipation nationale, d’oppression coloniale, de lutte démocratique contre la dictature ou encore d’Occident contre l’Eurasie. Mais rares sont les analyses qui visent à resituer le conflit ukrainien dans la longue continuité de l’État russe moderne. Notre invité Jean-Robert Raviot, professeur en études russes et postsoviétiques à l’Université Paris-Nanterre, lui, le fait. Il évoque un logiciel impérial russe, à l’œuvre depuis la fin du XVème siècle, qui permet de mieux comprendre les dynamiques politiques de la Russie d’aujourd’hui, ainsi que la trajectoire du jeune Etat ukrainien, produit de la guerre froide et de l’éclatement de l’URSS en 1991.
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00:00Bonjour à tous, depuis le 24 février 2022 se déroule sur notre continent le conflit
00:26le plus meurtrier engagé depuis la seconde guerre mondiale. Sur son déclenchement plusieurs
00:31analyses reviennent régulièrement. On nous parle d'émancipation nationale, d'oppression
00:36coloniale, de lutte démocratique contre la dictature ou encore d'Occident contre l'Eurasie.
00:41Mais rares sont les analyses qui visent à resituer le conflit ukrainien dans la longue
00:47continuité de l'état russe moderne. Notre invité du jour, lui, le fait. Il évoque
00:52un logiciel impérial russe à l'œuvre depuis la fin du 15e siècle qui permet de mieux
00:57comprendre les dynamiques politiques de la Russie d'aujourd'hui ainsi que la trajectoire
01:02du jeune état ukrainien produit de la guerre froide et de l'éclatement de l'URSS en 1991.
01:08Cette parole rare c'est celle de Jean-Robert Raviot. Jean-Robert Raviot, bonjour.
01:13Bonjour.
01:14Merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes professeur en études russes et
01:19post-soviétiques à l'université Paris-Nanterre. C'est un pays, un empire, on en parlera,
01:24que vous connaissez bien puisque vous avez également dirigé les collèges universitaires
01:29français de Moscou et de Saint-Pétersbourg. Vous êtes l'auteur de plusieurs ouvrages sur
01:34le sujet. Je vais les citer. La civilisation soviétique de l'URSS à la Russie de nos jours,
01:40paru en 2006 chez Ellipse. Toujours chez Ellipse en 2008, Démocratie à la Russe.
01:47Ensuite, Qui dirige la Russie en 2007 chez l'île de repère. Et ensuite à la
01:55Documentation française en 2016, Russie vers une nouvelle guerre froide. Et enfin,
02:01en 2023, Russie, le logiciel impérial russe aux éditions de l'artilleur.
02:10Alors, logiciel impérial russe, quel était l'objectif de ce livre ?
02:14L'objectif, vous l'avez remercié d'ailleurs dans votre présentation, très bien rappelé et très
02:19bien résumé, c'était de donner des clés d'interprétation du conflit en cours qui sortent
02:24des polémiques, je dirais politiques, proprement dites, ou politiciennes presque, ou des
02:31instrumentations idéologiques de part et d'autre, notamment au côté occidental, la diabolisation de
02:37Poutine et de la Russie comme état terroriste, criminel, etc. Et du côté russe, la diabolisation
02:43d'un Occident décadent, pourri et en phase finale de son impérialisme. Donc, sortir de ce conflit
02:50d'interprétation pour restituer la longue histoire, bien que je ne sois pas moi-même strictement
02:57historien, je m'intéresse beaucoup plus à l'histoire du temps présent, mais je pense qu'on ne peut pas
03:02comprendre le conflit en cours entre l'Ukraine et la Russie sans en tirer les fils historiques
03:10dans la longue durée. Donc, remonter dans la longue histoire... Remonter dans la longue histoire, essayer de
03:15montrer les continuités qui vont de cette... Alors, cette invasion russe de l'Ukraine en 2022,
03:21elle s'est souvent présentée comme le début d'une guerre russo-ukrainienne. En fait, c'est le
03:28début de la guerre proprement dite, mais ce n'est pas vraiment le début de la conflictualité. La
03:31conflictualité, si on essaie de remonter le fil de cette conflictualité entre la Russie et l'Ukraine,
03:35on tombe bien sûr sur 2014, donc changement de pouvoir en Ukraine avec des interprétations très
03:41différentes à Moscou et à Kiev. On remonte un peu avant 2014, révolution orange à Kiev en 2005,
03:47et puis on remonte à l'indépendance ukrainienne en 91. Et puis ensuite, on se dit, mais qu'est-ce
03:52qui s'est passé au moment de cette indépendance et quelles étaient les forces politiques qui étaient
03:56à l'œuvre pendant cette chute de l'URSS et l'indépendance ukrainienne ? Et ça nous fait
04:01remonter le fil de l'histoire, je dirais, aux années de la seconde guerre mondiale, puis les
04:08premières années de la guerre froide, etc. Et je pense que sur tous les sujets qui touchent
04:14l'espace post-impérial russe, on peut de cette manière remonter les fils. Alors, bien sûr,
04:22ce n'est pas un livre qui pratique le déterminisme historique. Je ne suis pas en train d'expliquer
04:29que tout est absolument déterminé par l'histoire, mais néanmoins, je pense qu'on ne peut pas
04:33l'ignorer. – Comme l'émission s'appelle Passé-présent, on va retourner dans le passé. Alors,
04:39je vais vous demander d'abord comment est-ce qu'on peut définir ce logiciel ? Est-ce que c'est un
04:42processus logique ? Et vous, vous datez de la fin, la création de ce logiciel, la première version,
04:49si je puis dire, vous le datez de la fin du 15e siècle. – C'est ça, je le date, alors s'il fallait
04:54une date précise, je dirais 1480. Alors, pourquoi 1480 ? La Russie n'existe plus, elle n'existe pas
05:02encore. On est dans une période où il n'y a plus d'État qui s'appelle Russie. On est sorti trois
05:08siècles plus tôt de la Russe de Kiev, de l'État qui a été pour capitale Kiev et qui assemblait,
05:14réunissait sous la souveraineté de Kiev un certain nombre de territoires allant de l'Ukraine
05:21actuelle à la Russie d'Europe actuelle, pour simplifier, allant disons de la mer noire à la
05:26mer blanche, voilà. Grosso modo, mais avec une souveraineté qui n'était pas établie de manière…
05:32Enfin, il y avait en tout et pour tout, peut-être à la fin du 13e siècle, un maximum de 4 millions
05:37d'habitants dans cette zone, donc c'est sur un très vaste territoire. Ensuite, il y a eu le
05:41joug mongol qui a mis fin à l'existence de cet État et qui a en fait morcelé ce territoire en
05:47plusieurs États qui étaient des grands principautés, qui étaient des États Novgorod, Moscou, Vladimir,
05:55etc. Et à partir de la fin du 14e, se met en place une dynamique de rassemblement des terres russes,
06:03on va dire, avec un nouveau centre qui n'est plus Kiev mais qui est Moscou. Et cette dynamique va
06:09s'enclencher, elle va aboutir à ce que vous pourrez appeler une… ce que j'appelle…
06:14Oui, vous avez un terme précis.
06:16Une déclaration d'indépendance de Moscou par rapport à la Horde d'Or, donc pendant plusieurs
06:22siècles, les souverains moscovites et les autres souverains de la Russie ont payé des tribus à la
06:30domination mongole, aux khans. En 1480, le grand prince Ivan III décide de ne plus payer ce tribu
06:37et de s'émanciper de ce joug tataro-mongol. Et donc c'est représenté aujourd'hui comme une
06:44déclaration d'indépendance que j'appelle… c'est représenté dans le… notamment, je pense,
06:48un tableau célèbre du quidat de la fin 19e, donc on est dans une réinterprétation de l'histoire,
06:54comme très souvent, montrant Ivan III déchirant le document sur lequel aurait été rédigé ce traité
07:02de soumission à l'empire mongol, le déchirant sur les marches de la cathédrale de l'adormition
07:09de la Vierge du Kremlin, en disant voilà, maintenant ça y est, nous sommes libres. 1480.
07:13Ivan III, qui est grand prince de Moscou, qui ne sera jamais tsar de Russie, et qui est grand
07:18prince de Moscou, va aussi, par un acte matrimonial très important, épouser en troisième noce,
07:26je crois, Sophie Paléologue, qui est la… pas Zoé Paléogue, qui est donc une princesse byzantine.
07:32Quelques années après, quelques décennies après la chute de Constantinople, 1453, 27 ans après,
07:41on a Zoé Paléologue qui franchit la mer Noire, qui arrive à Moscou, qui épouse le grand prince.
07:50Moscou qui est une principauté, on va dire, émergente, c'est un pays émergent à l'époque,
07:54c'est aussi un pays qui est situé, un territoire qui est situé sur des routes commerciales très
07:59importantes, bien avant le joug mongol, ça remonte même à l'antiquité, et elle arrive avec son
08:07patrimoine à la fois financier, qui n'est plus tellement important, mais surtout culturel,
08:12et dynastique. Elle amène à Moscou l'aigle à deux têtes, qui va devenir ensuite le symbole de
08:21l'Empire russe, directement byzantin, et puis elle amène aussi avec elle tout un tas de courtisans
08:27et de membres de sa cour, italiens, grecs, levantains, etc., qui vont participer, je dirais,
08:33à l'ouverture culturelle de Moscou, et qui va, d'ailleurs, beaucoup d'architectes italiens de
08:38l'époque, ce qu'on ignore souvent, c'est que dans le Kremlin, il y a beaucoup d'architectes italiens,
08:42pas uniquement, mais beaucoup. – Vous parlez de la religion orthodoxe,
08:47ça ancre aussi la Russie autour de la religion orthodoxe ?
08:50– Alors, ça ancre la Russie, enfin, je dirais, ce tournant moscovite,
08:55cette émergence de Moscou comme, donc, peu à peu, capitale d'un nouvel État,
09:00qui va progressivement se constituer, se consolider autour de Moscou comme fondement.
09:04Les moscovites vont réunifier, en fait, la Russie autour de Moscou.
09:10Et ça, c'est très important de voir que la dynamique, elle part de Moscou.
09:13– D'ailleurs, vous avez un terme, vous employez le terme de « Mosco-politisme ».
09:17– Voilà, alors, c'est un terme de mon invention, alors, je m'en excuse auprès des lecteurs,
09:21c'est un peu jargonnant, j'aime pas beaucoup le jargon, mais là, j'étais obligé d'y recourir.
09:24– Mais vous en avez autre, vous avez aussi la crème linosanterie.
09:27– Oui, crème linosanterie, c'est un peu, ils marchent ensemble, tous les deux.
09:31– Expliquez-nous les détails.
09:32– Mosco-politisme, c'est une dynamique politique qui part de Moscou,
09:39et qui cherche à agréger toutes les ressources pour construire un pouvoir central à Moscou.
09:44Donc, cette dynamique mosco-politique, elle existe, elle se met en place, en fait, au 15e,
09:5014e, 15e siècle, mais elle va devenir vraiment le logiciel impérial,
09:54avec la fondation, si j'ose dire, d'un véritable État qui va, pas tout de suite se proclamer empire,
10:01mais qui va se glisser dans les oripeaux et dans l'héritage byzantin,
10:07qui a une espèce de volonté de captation de l'héritage byzantin,
10:09d'où l'attachement à l'orthodoxie, c'est-à-dire, l'orthodoxie, c'est la vraie foi,
10:16c'est Constantinople contre les Occidentaux,
10:18ça tombe bien, les Polonais, les voisins, les ennemis occidentaux des Russes sont catholiques,
10:23et ils n'ont qu'une idée, c'est de vouloir convertir Moscou et de la sujeter à Moscou.
10:27Donc, Moscou va se cramponner, si j'ose dire,
10:30s'attacher à être plus orthodoxe que Constantinople elle-même ne l'était,
10:37en récupérant d'abord les symboles politiques, mais aussi religieux,
10:41en captant cet héritage, alors parfois en l'adaptant, mais en le captant.
10:45Et donc, cet ancrage orthodoxe, c'est de mon point de vue un ancrage très politique,
10:51et très géopolitique.
10:52– Qui est toujours d'actualité.
10:53– Qui est toujours d'actualité.
10:55Alors, évidemment, aujourd'hui, le pape François et le catholicisme
10:57ne sont plus considérés comme des ennemis absolus à Moscou,
11:02mais l'orthodoxie aujourd'hui est davantage utilisée,
11:06je dirais, comme soutien à la légitimité du régime actuel,
11:11et à sa légitimité historique, à l'encre dans l'histoire.
11:15Parce qu'il y a une très grande rupture, alors là je vais très vite,
11:17mais c'est la rupture soviétique.
11:19Et donc là, on voit que le pouvoir actuel, et Vladimir Poutine en particulier,
11:23fait un usage très particulier de la parenthèse soviétique.
11:26– On en reparlera un peu plus tard.
11:28Mais la Russie, enfin la Russie de l'Empire russe,
11:31c'est aussi un continent, donc ce n'est pas…
11:32– Absolument.
11:33Alors, c'est ce que j'essaie de montrer, la Russie c'est un État,
11:36donc c'est une dynamique étatique qui va se constituer,
11:39donc au 15ème, 16ème siècle pleinement,
11:42puisque avec non plus Ivan III, mais avec son petit-fils,
11:45Ivan IV dit le terrible, qui va être le dernier de la dynastie des Rurikides
11:51qui remonte à la Russe de Kiev, qui ferme une parenthèse.
11:54Mais il ouvre une nouvelle parenthèse,
11:56qui est celle d'un État russe centralisé autour de Moscou,
11:59avec une armée puissante.
12:01Un État qui a réunifié autour de lui,
12:04sous sa coupe, les principautés de la Russie d'Europe,
12:08en tout cas autour de Moscou, Novgorod, Vladimir, etc.
12:12Et qui va, à partir de 1547-1548,
12:15continuer son expansion territoriale vers l'Est d'abord,
12:19vers la Sibérie, en conquérant en 1552,
12:22pour moi c'est une date clé, 1552.
12:251552, c'est la conquête de l'émirat de Kazan,
12:28qui est un ancien émirat mongol, tatar, musulman,
12:31islamisé au 10ème siècle,
12:33donc on est là dans une civilisation très installée,
12:35avec un État véritablement constitué, etc.
12:40Donc cette conquête, cette annexion de l'État tatar de Kazan,
12:47va être la première paire d'un empire,
12:50alors on a déjà un peu la première paire d'un empire,
12:52historiquement, c'est-à-dire la captation du Byzantine,
12:55c'est la constitution d'un État centralisé, autour de Moscou,
12:58et puis là, cette fois-ci, un véritable empire géopolitique,
13:00au sens où on va agréger et intégrer dans cet empire
13:03des populations qui ne sont ni slaves, ni orthodoxes.
13:07– Quel est le but ?
13:08Est-ce que c'est une volonté expansionniste ?
13:11– C'est une volonté expansionniste,
13:13c'est une volonté aussi de trouver un débouché dans l'expansion,
13:17non seulement politique et militaire, mais également économique,
13:21et en sécurisant, en fait, l'Interlande oriental,
13:26pour pouvoir ensuite mener des batailles et se défendre contre l'Occident.
13:31C'est-à-dire que la Russie a toujours eu un œil à l'Est et un œil à l'Ouest.
13:35– L'aigle total.
13:37– Ce pivot vers l'Est dont on parle aujourd'hui,
13:39c'est un pivot historique, il y a toujours eu cette dualité.
13:43Et donc, cette conquête territoriale, elle va se poursuivre
13:47parce qu'elle permet aussi d'enrichir, de rémunérer,
13:50on va dire, un certain nombre de nobles en terre.
13:53La domination moscovite, vous avez la charge, la noblesse de service,
13:59vous avez la charge de faire la guerre et de défendre le nouvel État.
14:03Mais en même temps, vous avez acquérir des terres,
14:06vous enrichir grâce à nous.
14:09Donc, cette entreprise coloniale de colonisation de la Sibérie,
14:13elle va durer plusieurs siècles, deux siècles environ,
14:16et elle va être menée de manière extrêmement intéressante.
14:17J'en parle un peu, bon, il y a des ouvrages très passionnants
14:20sur la question, auxquels je renvoie, notamment l'ouvrage d'Éric Hessli,
14:25qui pour moi est indépassable sur la conquête de la Sibérie.
14:28Mais j'essaie de montrer comment la Sibérie va devenir,
14:31la conquête de la Sibérie et de l'Extrême-Orient russe
14:33va constituer géopolitiquement cet empire.
14:36Ça, ça va vraiment donner à l'empire de Russie
14:41un Interland plein de ressources,
14:45mais aussi une profondeur géostratégique unique au monde,
14:49en fait, par sa profondeur,
14:51et qui va être une véritable ressource géopolitique jusqu'à aujourd'hui.
14:55– Et du côté de l'Ouest ?
14:57– Alors du côté de l'Ouest, on est à l'époque…
14:58– Il y a le Sud, ils ont commencé dans quel sens ?
15:00– Alors d'abord l'Est, ensuite l'Ouest, c'est-à-dire l'Europe,
15:03ensuite troisième phase d'expansion vers le Sud,
15:06et là, elle est plus tardive, l'expansion vers le Sud,
15:10elle commence au début du XIXe siècle,
15:12enfin, pas tout à fait,
15:14elle commence en fait au XVIIe, XVIIIe avec la conquête de l'Aztep,
15:17et ce qui est aujourd'hui le Kazakhstan, le Nord-Kazakhstan,
15:20mais elle va se reprendre à la fin du XVIIIe sous Catherine II,
15:26notamment avec la prise de la côte de la mer Noire,
15:30la fondation d'Odessa, la mise sous tutelle russe de la Crimée,
15:35toute cette Nouvelle Russie, Nouvelle Russie,
15:37un terme qui revient aujourd'hui dans le discours,
15:41la fondation de villes comme Mélitopol, Mariupol,
15:44tout ça c'est en pleine actualité,
15:46ce sont des villes et des territoires qui ont été conquis par la Russie
15:49à la fin du XVIIIe,
15:50puis ensuite on a la conquête du Caucase au début du XIXe,
15:53et celle de l'Asie centrale du Sud,
15:57l'actuel Ouzbékistan, Tadjikistan, Kyrgyzstan et Turkménistan,
16:02à la fin du XIXe.
16:05Donc en fait, cette conquête territoriale en plusieurs étapes
16:08fait de la Russie un empire continental,
16:11marqué par sa continentalité,
16:12mais également une grande puissance mondiale,
16:15d'abord européenne, alors ça c'est acté on va dire en 1815,
16:19avec le congrès de Vienne et la présence d'Alexandre Ier
16:22en personne au congrès,
16:24et puis ensuite une puissance globale,
16:25puisque lorsque la Russie va s'étendre vers l'Asie centrale,
16:29elle va devenir la voisine d'un autre empire global,
16:33enfin de l'empire global britannique, en Inde.
16:37Et là, les deux pays, à la fin du XIXe,
16:39vont rapidement être en conflit
16:41dans une zone particulièrement stratégique de cette région,
16:45qui jouxse à la fois l'Inde britannique et l'Asie centrale russe,
16:48qui est l'Afghanistan, qui est devenu un territoire dont on...
16:53En fait, dès la fin du XIXe siècle,
16:55et même le milieu du XIXe siècle,
16:57commence, je dirais d'un point de vue géopolitique,
16:59une ère dans laquelle nous sommes toujours, en réalité.
17:03Alors, est-ce que c'est aussi une forme de vouloir sécuriser
17:06tous les confins, toutes les marches de l'empire ?
17:10Alors, sécuriser, c'est une gagère,
17:12parce que c'est très complexe, voilà.
17:15Donc, la sécurisation n'est jamais acquise.
17:18Donc, ce que j'essaie d'expliquer est ce qui fait,
17:21je dirais, la particularité de la manière
17:24dont l'État russe va exercer sa puissance
17:27et va, en fait, projeter sa puissance,
17:28du point de vue géopolitique.
17:29C'est à la fois une militarisation forte du pouvoir
17:35et de la stratégie, disons, on va dire,
17:38la stratégie géopolitique générale,
17:39c'est-à-dire le militaire est essentiel,
17:41parce qu'effectivement, il faut sécuriser ses confins,
17:44mais il faut aussi assurer, surtout, la sécurité de Moscou,
17:48qui est vraiment, je dirais, le centre du pouvoir,
17:51et il faut que l'État russe soit solide.
17:54Et la solidité de cet État russe n'est jamais acquise, voilà.
17:58Et je dirais que c'est particulièrement intéressant
18:01de souligner ce que j'essaie de faire dans le livre,
18:03j'espère que ça transparaît bien,
18:05que les dirigeants eux-mêmes ont conscience
18:07de la grande fragilité de l'État,
18:10de ses faiblesses, de ses impasses,
18:13de ses faiblesses, notamment, intrinsèques.
18:15Quelles sont ces faiblesses ? C'est l'immensité, justement ?
18:17L'immensité et la gestion d'un territoire aussi vaste
18:19qui est extrêmement complexe à gérer.
18:21En termes de quoi ? De communication ?
18:22En termes de communication, en termes de peuplement, d'abord.
18:25C'est un enjeu, on a beaucoup de territoires,
18:27mais très peu peuplés, surtout la Sibérie.
18:30Comment peupler ce territoire ?
18:32Ce n'est pas le tout d'avoir conquis militairement
18:34telle place forte, etc.
18:35Il faut encore maintenir cette présence.
18:38On n'a pas de colonisation à la manière des Occidentaux ?
18:40Alors, on a beaucoup moins, d'abord.
18:42On a une colonisation, mais qui est insuffisante, voilà.
18:45Et puis surtout, il n'y a pas de population,
18:46très peu de population, c'est très épargne.
18:49On a trouvé, je cite, je crois dans le livre à un moment,
18:54un auteur russe sur lequel j'ai pas mal travaillé,
18:57qui est un auteur du XIXe siècle,
18:58et qui s'est beaucoup intéressé à la Sibérie,
19:01et qui était d'ailleurs lui-même un partisan
19:05de l'autonomie politique de la Sibérie au sein de l'Empire russe.
19:08On est en 1848-1850.
19:10Et il va dire, écoutez, voilà, le problème,
19:13pourquoi est-ce qu'il faut l'autonomie de notre province,
19:15ou constituer une forme d'autonomie politique ?
19:17Parce que, tout simplement, lorsque le Tsar, à Saint-Pétersbourg,
19:21encore une fois, on est en 1850, envoie un ordre,
19:24ou lorsqu'on reçoit des ordres,
19:27lorsque le gouverneur général d'Irkoutsk reçoit des ordres,
19:30il les reçoit avec un décalage de dix jours.
19:34Donc, aujourd'hui, bien sûr, il y a Internet, tout ça a changé.
19:37Mais néanmoins, un des débats les plus...
19:44Une actualité récurrente en Russie, c'est la question de la télémédecine.
19:48Vous voyez, aujourd'hui, au XXIe siècle.
19:50En 2018, lorsque Poutine faisait campagne pour se faire réélire,
19:53on lui a glissé à l'oreille qu'il fallait peut-être parler un peu de questions sociales,
19:58que l'Ukraine et la Syrie, ça va cinq minutes,
20:00mais les gens ont envie de savoir pourquoi les salaires n'augmentent pas suffisamment,
20:06et surtout pourquoi il y a une désertion des services publics dans plein de régions.
20:09Et il avait donc axé sa campagne sur ces questions d'utilisation du numérique
20:15pour assurer des services publics dans des territoires éloignés.
20:18Et c'est vrai qu'aujourd'hui, la Russie est un pays qui a beaucoup de mal à maintenir une égalité.
20:23– Ça a fonctionné ? – D'ailleurs, il n'y en a pas.
20:25Ça fonctionne, mais quand on se promène en Russie,
20:27on s'aperçoit très vite qu'il n'y a pas d'égalité des territoires.
20:31Il n'y a nulle part d'égalité des territoires.
20:33C'est d'ailleurs un mythe.
20:35Mais il y a une très très grande disparité socio-économique des territoires,
20:38et c'est aussi un facteur de fragilité de l'unité de l'État.
20:42Donc l'unité n'est jamais acquise.
20:44C'est d'ailleurs une raison pour laquelle, à mon avis,
20:46le parti de Poutine s'appelle Russie Unie,
20:49parce que c'est l'objectif, c'est qu'elle soit unie.
20:51Mais elle est très difficilement…
20:53Enfin, cette union ne relève pas la simple proclamation.
20:56C'est vraiment une politique qui doit être mise en œuvre.
20:59– Mais est-ce que cet État fort est une constante du logiciel impérial russe depuis…
21:03– Moi je dirais pas que c'est un État fort,
21:05moi je dirais que c'est un pouvoir fort.
21:06– C'est une colonne vertébrale.
21:07– Il y a un pouvoir fort avec un État qui n'est pas si fort que ça.
21:11– Qui est efficace.
21:12– Qui est-ce qui a ses faiblesses ?
21:13Qui est-ce en efficacité ?
21:15J'irais par exemple, l'État russe aujourd'hui fonctionne beaucoup mieux
21:18que l'État des années 90, c'est une évidence.
21:21Ou même que l'État soviétique de la fin de la période Gorbatchev.
21:25Mais il n'y a pas de période où on peut dire qu'il y a un État fort,
21:30et un pouvoir fort, et parfois même totalitaire,
21:32extrêmement violent et utilisant la violence politique comme dans les années 30.
21:37Mais l'État fort en Russie est toujours une espèce de volonté politique,
21:44il faut cultiver la force parce que sinon on va s'écrouler.
21:48Voilà, c'est ça, je dirais, qui est dans toutes les têtes.
21:53Et certainement, alors je ne suis pas dans la tête de Poutine,
21:55je n'ai pas la prétention, mais je suis persuadé,
21:58en étudiant ses discours, sur lesquels je travaille pas mal,
22:01parce que je suis en train d'écrire une petite biographie de lui,
22:05c'est vraiment un thème récurrent, la fragilité de l'État.
22:13Donc, il ne faut pas confondre l'État et le pouvoir.
22:17Le pouvoir est fort pour que l'État soit le plus fort possible,
22:20mais c'est jamais acquis.
22:22– Et tous ces peuples de l'Empire russe,
22:25aujourd'hui de la Fédération de Russie, avant de l'URSS,
22:30donc il y a le peuple russe lui-même,
22:32on n'est pas dans un empire ethnocentré ?
22:34– Alors, c'est très compliqué d'utiliser toutes ces notions
22:38d'ethnocentrisme, d'ethnie, de nation, etc. dans le domaine russe,
22:43parce que la notion de nation, elle est très européenne.
22:48Et je dirais que la notion de nation,
22:49elle correspond bien à une réalité dans les pays baltes.
22:52Là, il y a des nations baltes,
22:53c'est une notion qui est parfaitement légitime.
22:57Elle marche très bien aussi dans le cadre de la Géorgie,
22:59ou de l'Arménie, ou même d'Azerbaïdjan, ou même de l'Ukraine.
23:03Moi, je fais partie des gens qui pensent
23:05qu'il y a une véritable nation ukrainienne,
23:08en tout cas, il y a une dynamique nationale en Ukraine,
23:12depuis la fin du XIXe, enfin en Ukraine,
23:15dans les territoires ukrainiens, soit polonais, soit russes.
23:18Mais pour ce qui est de la Russie, c'est complexe,
23:20parce que le peuple russe, la nation russe,
23:24c'est une notion que je n'emploierai pas,
23:27ce n'est pas une ethnie, c'est très complexe.
23:30Alors, elle existe, il y a un peuple russe,
23:34ethniquement, on peut retracer,
23:36mais en réalité, très vite, le peuple russe
23:40se mélange avec des éléments qui ne sont pas russes,
23:43Tatarou-Mongols, etc.
23:45Et aujourd'hui, le peuple de la Fédération de Russie,
23:48comme le dit la Constitution,
23:49on ne parle pas de peuple russe,
23:51mais de peuple de la Fédération de Russie,
23:53c'est une agrégation d'ethnies, de religions et de peuples
23:58qui sont, pour les uns, tout à fait dissociables,
24:03les Tchétchènes, bon,
24:05mais il y a aussi beaucoup de personnes
24:07qui sont, on va dire, d'origine multiethnique.
24:11Alors, le ciment, il y a eu deux ciments historiques
24:14de la Russie, trois ciments,
24:17l'État, bien sûr, mais au-delà de l'État,
24:20il y a la langue, très importante,
24:23la langue russe est une langue qui est aujourd'hui
24:25parlée par l'ensemble des Russes
24:27et d'une grande partie des pays,
24:30enfin, des habitants des pays qui jouent la Russie,
24:33qui sont d'anciennes républiques soviétiques.
24:35Cette langue russe, ce qu'il faut savoir,
24:39en dépit de la très très grande vastitude du territoire,
24:43elle varie très très peu, il n'y a pas d'accent régionaux,
24:46un petit peu, il y a des petits accents dans le Sud,
24:48le Kouban, tout ça, on entend des choses très caractéristiques,
24:51qui ressemblent d'ailleurs un peu à l'accent
24:53qu'on a en Ukraine occidentale, orientale,
24:55mais il n'y a beaucoup moins de différences linguistiques
25:00encore aujourd'hui à l'oreille qu'en Allemagne ou qu'en Italie,
25:05où là, les dialectes sont encore très présents.
25:07Il n'y a pas, la langue est unifiée,
25:08c'est un facteur d'unification la langue, très très fort.
25:11– Qui date de l'époque soviétique ?
25:12– Donc la Russification, elle date de l'époque soviétique,
25:15pourquoi ? Parce qu'à l'époque impériale, au 19ème siècle,
25:19il y avait très peu de mobilité géographique des populations,
25:21donc chacun était dans son village, etc.
25:23Seules les élites, par exemple, géorgiennes ou tatars,
25:27apprenaient le russe pour s'intégrer,
25:30pour entrer, je dirais, dans la mécanique élitaire
25:33du pouvoir de Saint-Pétersbourg, mais à l'époque soviétique.
25:37Qu'est-ce qui se passe dans les années 20 ?
25:38C'est un giga migration dans tous les sens,
25:41il y avait les années 30, c'est une période de brassage considérable,
25:45brassage, la révolution va…
25:47enfin bon, je pourrais revenir là-dessus si ça vous intéresse,
25:49c'est très intéressant.
25:50C'est là qu'il va se fabriquer, je dirais, un nouveau substrat.
25:52On va en parler, parce que je voulais parler des grandes crises, justement, en 1741-1941.
25:56Et donc on est aujourd'hui, le peuple russe d'aujourd'hui,
25:58c'est vraiment un peuple slavo-tataro,
26:03mais évidemment, unifié par la langue, unifié par l'État,
26:06unifié par des symboles, et unifié par un patriotisme,
26:10qui reste très fort, c'est quelque chose que je développe beaucoup,
26:13parce que c'est une réalité qu'il faut bien comprendre.
26:16Le patriotisme en Russie, ce n'est pas juste des patriotes,
26:22comme en France, où c'est plutôt la droite,
26:24ou des gens un peu souverainistes, etc.
26:26C'est vraiment un phénomène, tout le monde est patriote,
26:29presque tout le monde.
26:31Quel que soit l'échiquier politique.
26:35Les communistes, a fortiori.
26:37Et donc, ce qui veut dire que ce patriotisme,
26:39il a pour socle, la Seconde Guerre mondiale, la période soviétique.
26:44Le patriotisme russe d'aujourd'hui,
26:46c'est, en fait, le patriotisme soviétique de l'après-guerre.
26:51– Justement, le logiciel, on peut dire que récemment,
26:53il a connu trois gros bugs, donc 1917, on est d'en parler,
26:57donc 1941, où vraiment l'État était très faible.
27:02– Ah oui, on est passé près de la catastrophe quand même.
27:05– Et puis les années 1990, sur lesquelles on passait un attrapement.
27:09Donc 41, est-ce qu'on peut dire 17, c'était une grosse rupture ?
27:12– Ah oui, c'est une grosse rupture, 17.
27:14Bien sûr, c'est l'éclatement de l'État,
27:16c'est la chute de la dynastie Romanov qui tenait le pays depuis 1613,
27:20plus exactement.
27:20– Mais d'un autre côté, l'État s'est reconstitué assez vite.
27:23– Alors, assez vite, mais au prix quand même d'une…
27:25à peu près 7 ou 8 millions de morts de la guerre civile.
27:28Donc, ce n'était pas une mince affaire,
27:30et ça a profondément divisé les Russes,
27:32et ça a profondément exclu une partie de la Russie,
27:35et notamment une partie de la noblesse russe, l'aristocratie,
27:37qui soit morte sur les champs de bataille,
27:40soit a été exilée et a été expulsée, c'est un vrai traumatisme.
27:45Donc, oui, l'État s'est reconstruit sous la férule des bolcheviques,
27:52c'est eux qui ont reconstruit l'État.
27:54– Mais toujours en suivant le logiciel.
27:56– Ah, en reprenant le logiciel.
27:57Alors, en reprenant le logiciel, centralisation politique, Moscou,
28:00d'ailleurs très symboliquement on va replacer la capitale à Moscou en 1918,
28:04ce qui à mon avis est un symbole pas volontaire,
28:07ce n'était pas volontaire de la part des bolcheviques de s'inscrire dans la tradition.
28:11Vous savez que la capitale a été déplacée en 1703,
28:14la capitale a été déplacée à Saint-Pétersbourg,
28:16ville construite par Pierre le Grand,
28:18mais on revient à Moscou et on va se replacer
28:22dans une dynamique de reconquête des territoires,
28:25au nom de la révolution, au nom de la révolution mondiale,
28:28du socialisme, du communisme, etc.
28:29Mais la politique qui est menée va être celle
28:33d'une recomposition géopolitique du territoire au maximum de ses possibilités.
28:38On lâche la Finlande, on lâche la Pologne, on lâche les Pays Baltes,
28:41on lâche provisoirement la Transcaucasie pour la reprendre,
28:44par des coups d'État en 1921,
28:46mais on va reconstituer la profondeur territoriale
28:50et une URSS qui va devenir l'héritière de la Russie.
28:54Mais une héritière, non pas juridique, en rien,
28:58mais une héritière géopolitique, uniquement.
29:00– Et donc en 1941, vous dites, on passe tout près de la catastrophe,
29:04du côté russe, parce qu'on a un état faible au moment de l'invasion…
29:09– On a un état affaibli par l'éponge qu'avait menée Staline.
29:12Bon, à partir de 1936, il y a une mécanique infernale
29:16qui se met en place à Moscou, qu'on appelle les procès de Moscou,
29:19qui vont toucher des millions de personnes.
29:21Ce n'est pas jus, les premiers procès sont très ciblés,
29:24d'abord on éménite les vieux bolcheviks, c'est une purge interne du parti,
29:29et puis on va purger beaucoup de secteurs, secteur par secteur,
29:33secteur économique par secteur économique,
29:35et en 1938 intervient la grande purge de l'armée
29:37qui va priver l'armée soviétique, je ne sais plus exactement,
29:40je parle sous le contrôle de Jean Lopez et d'autres grands spécialistes,
29:43je crois que c'est à peu près un tiers des officiers soviétiques
29:45qui va disparaître dans les purges en 1938.
29:46Disparaître, c'est-à-dire soit être fusillé, soit être envoyé dans les camps.
29:51Donc, on est en 1941, l'armée est très affaiblie.
29:55En septembre 1941, l'armée allemande se trouve à 30 km du Kremlin, quand même.
30:04Si ça, ce n'est pas un affaiblissement de l'état russe,
30:08et j'ai bien expliqué, moscopolitisme et kremlinocentrisme,
30:11kremlinocentrisme, c'est la centralisation autour du chef de l'état,
30:15du Kremlin ou du chef du parti, peu importe, des pouvoirs.
30:17Là, les Allemands sont à 30 km du Kremlin, plus près que...
30:23Napoléon n'a jamais été du Kremlin, il a regardé de loin, il ne s'est pas approché.
30:27Donc, ce qui veut dire qu'en réalité, oui, on est passé près de la catastrophe.
30:33Et ce qui a été mal compris en Occident après-guerre,
30:37c'est que...
30:39Ce qui est toujours mal compris, je pense, c'est que cette invasion allemande,
30:43elle est bien sûr vue comme la propagande officielle,
30:48et la rhétorique officielle parle de fascisme, en fait.
30:51En Russie, on parle de fascisme pour l'ensemble, les nazis sont aussi des fascistes.
30:55Germano-fascisme, comme on disait à l'époque soviétique.
30:58Alors, ce germano-fascisme, en fait, c'est une des matérialisations historiques
31:05d'une hostilité occidentale à l'égard de la Russie.
31:08Ce n'est pas juste les nazis.
31:11Ce qui permet aujourd'hui, par exemple, à la rhétorique officielle russe
31:16de faire passe, enfin, disons, d'assimiler le pouvoir de Kiev
31:21dans la continuité de ce germano-fascisme.
31:24Il s'appuie non pas, il s'appuie sur une propagande et une construction de la rhétorique historique,
31:29d'une part, mais il s'appuie aussi sur une menace
31:33perçue comme venant de l'Occident.
31:35L'Occident est dangereux.
31:37Et c'est une menace qui continue pour eux d'exister.
31:40Et en 90, là, on a également un gros traumatisme.
31:45Alors, c'est 91 et effectivement, les années 90, c'est un gros traumatisme aussi.
31:49Alors là, ce n'est plus, je dirais, la révolution, c'est l'implosion.
31:55C'est cette révolution gorbatchevienne qui a complètement échoué.
31:59L'État est très désorienté.
32:01L'organisation économique est complètement par terre.
32:04Et la politique étrangère est sans dessus de saut.
32:07Donc là, on sort du logiciel.
32:08Alors là, on sort du logiciel, tout en...
32:14Mais l'État éclate, l'URSS éclate, il y a plusieurs États.
32:18Ça veut dire que Gorbatchev n'avait pas compris le logiciel ?
32:20Non.
32:21Je pense que, comme beaucoup de gens, il tenait le logiciel pour acquis.
32:25Et je pense que si Gorbatchev a été aussi loin dans ses réformes,
32:31en dépit des avertissements qu'il recevait,
32:34parce qu'aujourd'hui, on commence à avoir un peu accès aux archives de cette période.
32:38Il y a déjà pas mal de collègues russes qui ont écrit des choses très intéressantes
32:42à partir des archives du comité central, auxquelles ils ont accès,
32:44nous, pas encore, des années 80.
32:47On voit que, sans cesse, pendant la perestroïka, Gorbatchev recevait des alertes,
32:54notamment du KGB, qui lui disait,
32:55« Mais attendez, qu'est-ce qui se passe dans tes usines ?
32:57Qu'est-ce qui se passe là ? »
32:59Je pense qu'il était déconnecté, tout simplement.
33:01Très déconnecté de la réalité du pays.
33:04Et qu'il a tout basé sur ce pari,
33:10ce que j'appelle le pari de Gorbatchev, le bouquin,
33:12qui est de dire, voilà, on va désarmer,
33:14on va montrer à l'Occident qu'on ne présente plus un danger.
33:18En espérant qu'en face...
33:19On liquide le bloc, on démocratise à l'intérieur,
33:22on fait des réformes économiques,
33:23et ils verront qu'on est de bonne volonté, de bonne foi,
33:25et ils vont désarmer, eux aussi.
33:27Voilà, mauvaise pioche, si j'ose dire.
33:29Et très mauvaise anticipation.
33:31Il y avait, dans l'appareil du comité central du parti,
33:35notamment au département international,
33:36qui regroupait les top diplomates de l'URSS,
33:41des gens qui disaient à Gorbatchev,
33:42« Attention, même plus qu'attention,
33:44qu'il était extrêmement critiqué
33:46à l'intérieur des instances suprêmes du parti.
33:48Mais il a quand même précipité cette logique de décomposition.
33:52– Et comment fait Poutine lorsqu'il accède au pouvoir ?
33:54Comment fait-il pour réactiver le logiciel ?
33:57– Alors il va réactiver le logiciel qui a été débattu avant.
34:00– On a la parenthèse Yeltsin.
34:01– Alors Yeltsin a fait ce qu'il a pu.
34:02Il est toujours un peu, je dirais, passé par perte des profits,
34:07Boris Nikolaïevitch, mais moi je le défends beaucoup Yeltsin.
34:11Pourquoi ? Parce que c'est quelqu'un qui s'est trouvé
34:12dans une situation extrêmement difficile.
34:15Et qui était aussi au cœur...
34:17Enfin, il a dû arbitrer entre des conflits considérables.
34:21Dans une situation où la Russie était très affaiblie,
34:23très pauvre et très dépendante des créditeurs occidentaux.
34:26Il a fait ce qu'il a pu et il a maintenu
34:28une sorte d'unité de l'État extrêmement fragile.
34:32C'est la période, pendant les années 90, c'est passionnant
34:34parce que c'est la période où on voit tous les mécanismes anciens,
34:38je dirais, surgir, apparaître au grand jour.
34:40Et tous les mécanismes nouveaux qu'on voit aujourd'hui se mettre en place.
34:44Donc pour moi, c'est la période historique charnière
34:48et qui sera, pour les historiens,
34:50une période absolument passionnante à étudier.
34:52On va attendre les années 2030, 2040,
34:55où on commencera à avoir de matériaux vraiment inédits.
34:57Il va maintenir une unité en se fondant sur l'idée
35:01qu'on va aménager une espèce de démocratie,
35:05de négociation permanente entre le pouvoir central et les entités fédérées.
35:10Donc c'est ce que j'appelle le fédéralisme différentiel.
35:12Alors c'est évidemment très fragile, ça dépend beaucoup,
35:15mais c'est une forme de crime l'innocentrisme aussi.
35:17Une forme de crime l'innocentrisme non autoritaire
35:21qui a ses limites parce que, évidemment,
35:23c'est très difficile de gérer à nouveau.
35:25On s'aperçoit de la fragilité de l'État russe
35:27parce qu'à ce moment-là, on s'aperçoit que l'État russe n'a plus...
35:30que le Kremlin a de beaucoup moins la main sur les politiques
35:33qui sont mises en place dans les régions.
35:35Par exemple, dans les années 90,
35:37des régions assez puissantes économiquement vont dire
35:39« Nous, on veut avoir notre propre fiscalité. »
35:42Et puisqu'on reverse à Moscou une partie importante de notre budget,
35:47on veut aussi garder une partie importante
35:49pour avoir une autonomie plus large.
35:51Yeltsin va accepter ça.
35:53Il va accepter de négocier, en fait,
35:55une fiscalité, si j'ose dire, différentielle
35:57avec chaque région.
35:59Ce qui fait que sur tout le territoire de la Fédération de Russie,
36:01vous avez une situation juridique et fiscale inextricable.
36:03Un investisseur étranger arrive et dit
36:05« Je voudrais investir dans telle région. »
36:07« Ah oui, mais dans telle région, il y a tel et tel statut, etc. »
36:09C'était ingérable, en fait, à terme.
36:11Qu'est-ce que va faire Poutine ?
36:13Il va marcher dans les traces de Yeltsin,
36:15mais il va remettre un coup de Kremlin
36:17de l'innocentrisme centralisé
36:19et remettre tout ça à ce qu'il va appeler
36:21le rétablissement
36:23de la verticale du pouvoir.
36:25Je pense que ça se passe
36:27de commentaire.
36:29Et recentralisation administrative, fiscale.
36:31Et c'est vraiment la matrice de la politique
36:33de Poutine, c'est cette recentralisation
36:35administrative et fiscale
36:37qui va ensuite, évidemment, évoluer
36:39sur 20 ans
36:41vers une recentralisation politique.
36:43D'ailleurs, dans tous les délires
36:45des spécialistes, des poutinistes,
36:47on compare aujourd'hui à
36:49Staline, on compare à un dictateur.
36:51Est-ce qu'il réécrit l'histoire
36:53aussi de la période
36:55communiste ?
36:57Alors, c'est intéressant. Il réécrit l'histoire
36:59à sa manière, bien sûr. Oui, c'est pas
37:01de la manière soviétique.
37:03Parce qu'à plusieurs reprises,
37:05Poutine a donné
37:07des signes
37:09de la distance qu'il a avec l'histoire
37:11de l'URSS. Alors, Staline,
37:13aujourd'hui, est une personnalité
37:15intouchable
37:17pour ce qui est de la période 41-45.
37:19Grande guerre patriotique.
37:21Unité autour du chef
37:23de l'État, vainqueur
37:25de la Seconde Guerre mondiale, ce qui est quand même
37:27très discutable.
37:29Les historiens le savent, mais enfin,
37:31ça marche. Mais il est intouchable
37:33entre 41-45.
37:35On est toujours dans le culte des anciens combattants.
37:37On est toujours dans le culte des anciens combattants.
37:39On est un peu plus...
37:41Pendant les années 90, il y a eu une vraie
37:43redécouverte de l'histoire
37:45des purges des années 30 et
37:47des exactions, des violences
37:49du régime bolchevique dans les années 20 et puis
37:51surtout 30. Tout ça est
37:53maintenant mis un peu, je dirais,
37:55sous silence. Je dirais pas que c'est
37:57complètement étouffé, mais il se trouve que
37:59la plupart des personnes qui sont actives
38:01à la fois dans l'entretien
38:03par les historiens, mais aussi
38:05ceux qui
38:07restituent
38:09ce patrimoine historique des années 30
38:11et la mémoire, notamment, des déportés
38:13et des victimes, sont
38:15très anti-Poutine.
38:17Donc, de cette
38:19configuration-là, ça fait qu'ils ont
38:21beaucoup moins la voix. Il y a, par exemple, l'Association
38:23Mémoriale, qui est la première association
38:25constituée pour restituer la mémoire
38:27des déportés du Goulag
38:29dans les années...
38:31Association constituée, pardon, les années 80.
38:33Et
38:35sous le coup de la loi sur les agents étrangers,
38:37elle a fermé, quasiment interdite,
38:39etc. Donc, ça, c'est un vrai problème.
38:41Donc, il y a, effectivement,
38:43une réhabilitation
38:45ou plus exactement, Staline
38:47n'a jamais été considéré...
38:49Staline 41-45 n'a jamais été touché.
38:51Même par Yeltsin.
38:53Par contre, le Staline des années 30
38:55était évidemment démantelé.
38:57Le stalinisme, il est beaucoup moins aujourd'hui.
38:59Par contre, ce qui est intéressant,
39:01c'est le positionnement
39:03de Poutine sur la période
39:05de la Révolution.
39:07Et ça, c'était en 2017, il y a eu le centenaire.
39:09Et c'est absolument...
39:11Il n'y a eu aucune commémoration. Aucune.
39:13Voilà. Aucune commémoration.
39:15Et lorsque vous allez au musée,
39:17dans l'espèce de parc historique,
39:19l'espèce de musée multimédia
39:21à Moscou, il y en a maintenant partout
39:23dans toute la Russie,
39:25qui présente, en fait, avec des montages
39:27sous une forme contemporaine,
39:29vidéos, documents d'archives,
39:31c'est une espèce de promenade
39:33comme ça. C'est une espèce de lavilette
39:35historique.
39:37On a une présentation
39:39de cette période intéressante où on voit effectivement
39:41très peu la Révolution. On explique
39:43que c'est un coup d'État.
39:45On met des documents montrant qu'effectivement
39:47Lénine et ses camarades
39:49étaient probablement
39:51payés par les Allemands.
39:53C'est clairement dit. Et par contre,
39:55on a deux salles entières sur la mémoire
39:57de la famille de Nicolas II.
39:59Nous allons maintenant aborder
40:01le conflit récent, comme je disais
40:03en introduction, depuis le 24 février
40:052022, l'invasion
40:07de l'Ukraine par les troupes
40:09soviétiques. On n'appelle pas ça une guerre là-bas.
40:11Les troupes russes, pardon.
40:13On n'appelle pas ça une guerre là-bas. C'est une opération spéciale.
40:15Est-ce que cette opération spéciale
40:17rentre dans le cadre du logiciel ?
40:19Est-ce qu'on peut dire que le logiciel
40:21a été réactivé également par les
40:23occidentaux ?
40:25Premièrement, est-ce que
40:27l'opération spéciale est une guerre ?
40:29Oui, en fait.
40:31Depuis quelques mois,
40:33à la télé,
40:35même officielle, le mot
40:37« guerre » s'échappe de temps en temps.
40:39Ça ne provoque pas.
40:41Au début, c'était strictement interdit.
40:43Ah oui, c'était totalement interdit et prohibé.
40:45Cette guerre, cette invasion
40:47russe, c'est une invasion.
40:49Les troupes russes entrent dans l'Ukraine.
40:51Non seulement, elles ont fait une entrée
40:53dans les territoires sécessionnistes
40:55de l'Ukraine orientale, mais aussi
40:57dans les territoires non sécessionnistes.
40:59C'est clair, il n'y a pas de doute.
41:01Maintenant, lorsqu'on cherche à savoir
41:03dans quelles séquences historiques on s'inscrit,
41:05on peut choisir de réduire la focale
41:07et de dire qu'on est dans une période
41:09nouvelle puisque jusqu'à
41:112022,
41:13la Russie soutenait les sécessionnistes
41:15de l'Est de l'Ukraine,
41:17mais en même temps ne les soutenait
41:19pas de manière très ouverte
41:21et il n'y avait pas de violation
41:23de la souveraineté, etc.
41:25Et donc, là, on est dans une rupture.
41:27Moi, ce que je pense,
41:29c'est qu'on est, du point de vue
41:31du logiciel impérial, on est complètement
41:33dans la logique du logiciel impérial où
41:35l'objectif n'est pas
41:37de conquérir
41:39les territoires supplémentaires,
41:41mais l'objectif est de sécuriser
41:43l'État russe, donc
41:45krémlinocentrisme, moscopolitisme
41:47et sécurisation. Pourquoi ?
41:49Parce que depuis
41:512014, de manière
41:53vraiment ouverte, mais un peu
41:55avant déjà, l'Ukraine,
41:57qui est un des deux principaux
41:59voisins de la Russie, enfin les trois principaux
42:01voisins de la Russie, il y a le Kazakhstan, la Chine
42:03et l'Ukraine, qui sont les grandes frontières.
42:05L'Ukraine, c'est un pays
42:07à la fois très proche de la Russie
42:09culturellement, linguistiquement, religieusement,
42:11tout ce que vous voulez. C'est un pays avec lequel
42:13les Russes, en fait,
42:15il y a beaucoup de gens en Russie
42:17qui ont des origines ukrainiennes,
42:19qui ont des Ukrainiens dans leur famille, et inversement.
42:21Donc ce sont les deux populations très mélangées
42:23qui ne se perçoivent pas
42:25comme des étrangers tout à fait.
42:27Entre les Russes et les
42:29Kazakhs, par contre, c'est beaucoup plus simple.
42:31Mais les Russes
42:33et les Ukrainiens, c'est plus complexe.
42:35Cette séquence historique,
42:37elle doit être aussi replacée
42:39dans une séquence plus vaste,
42:41à mon sens, qui est la séquence de la fin de la guerre froide
42:43et de l'après-guerre froide.
42:45L'Ukraine a été perçue
42:47à Moscou, d'une manière grandissante
42:49comme un territoire
42:51de plus en plus sous l'influence
42:53des États-Unis et de l'Occident,
42:55et de plus en plus comme une sorte de cheval de Troie
42:57qu'on conseillait,
42:59dont on soutenait
43:01les forces opposées
43:03aux forces, disons,
43:05politiques. Il y avait
43:07deux camps, on a coutume de dire,
43:09c'est un peu simplifié, mais le camp pro-russe
43:11et le camp pro-occidental, c'est très
43:13simplifié, mais on va partir
43:15là-dessus. Effectivement,
43:17le camp pro-russe de
43:19Yanukovitch, soutenu par
43:21le Kremlin bien sûr,
43:23n'était pas si pro-russe que ça.
43:25Ils avaient pour objectif de faire une diplomatie
43:27qui reste
43:29alliée à la Russie, mais qui s'ouvre aussi
43:31en même temps à l'Union Européenne et à l'Occident.
43:33C'est devenu impossible en 2014.
43:35Puisque, de part et d'autre,
43:37l'Ukraine voulait
43:39en quelque sorte être à la fois un pied dans l'Union Européenne
43:41et un pied dans l'Union Asiatique. On a vu
43:43que d'un point de vue géopolitique, des deux côtés,
43:45c'était impossible. Et c'est là qu'on a commencé
43:47à être dans une logique vraiment de
43:49confrontation. Il y a eu le vote des sanctions occidentales
43:51américaines puis européennes
43:53contre la Russie en 2014.
43:55Et c'est devenu
43:57un... Dès le départ,
43:59c'était un conflit
44:03russo-ukrainien, mais aussi
44:05un conflit russo-occidental en Ukraine.
44:07Voilà. Et donc on est dans le cadre d'un conflit
44:09défensif. Alors pour la Russie,
44:11oui bien sûr, pour la Russie, c'est un conflit
44:13défensif. Parce que c'est lutter contre
44:15un pays qui est en train de devenir
44:17un danger,
44:19non pas en tant que tel, mais un
44:21danger parce qu'il est
44:23instrumentalisé par les Occidentaux,
44:25armé par les Occidentaux. On sait que
44:27depuis 2014, après le changement de pouvoir,
44:29le SBU, donc le bâtiment
44:31des services de renseignement ukrainien
44:33a été...
44:35dispose d'un étage
44:37avec des services occidentaux qui travaillent
44:39d'arrache-pied. On sait aujourd'hui que dans cette guerre,
44:41les Ukrainiens, on le sait, c'est tout à fait officiel,
44:43sont soutenus militairement
44:45et du point de vue du renseignement par
44:47les pays de l'OTAN. Donc on
44:49n'est plus du tout dans une guerre russo-ukrainienne aujourd'hui.
44:51Et Poutine joue
44:53sur le temps long, toujours ? Oui, bien sûr.
44:55Donc cela
44:57nous affaiblit.
44:59C'est-à-dire, Poutine,
45:01la Russie, c'est même pas seulement Poutine.
45:03Admettons que Poutine meure par exemple demain
45:05et qu'il soit remplacé. Bon. Ce qui n'est pas
45:07à souhaiter du point de vue occidental, parce que
45:09ce serait pire pour les Occidentaux.
45:11Mais admettons.
45:13Bon. Je pense que
45:15le successeur appliquerait exactement la même politique.
45:17Qui est une politique très claire,
45:19très bien définie. Alors elle n'est pas
45:21très claire sur le plan tactique.
45:23Mais sur le plan, disons,
45:25géopolitique, elle est absolument claire.
45:27Elle est limpide. Côté occidental, on ne sait pas
45:29ce qu'on veut. Et c'est ça la différence.
45:31C'est que les Russes savent très bien ce qu'ils veulent faire
45:33et ce qu'ils veulent obtenir. Neutralisation
45:35d'Ukraine, démilitarisation,
45:37anéantissement de la capacité destructrice
45:39ou du danger ukrainien.
45:41Ce qui est perçu comme le danger ukrainien. C'est quoi le danger
45:43ukrainien ? C'est le fait que des armes
45:45et que
45:47cette terre ukrainienne devienne une terre
45:49disons
45:51où soient disposées des armes hostiles à la Russie.
45:53C'est assez clair.
45:55Reprise en main de la mer Noire aussi,
45:57accessoirement, c'est très important. On n'en a pas parlé, mais c'est très
45:59important. Bon. C'est ça les objectifs
46:01russes. C'est pas de gagner une région
46:03ou deux, etc. Côté occidental,
46:05les objectifs, c'est d'affaiblir la Russie.
46:07Mais pourquoi faire ? Qu'est-ce qu'il y a derrière ?
46:09Voilà. Et à vrai dire,
46:11j'ai beau écouter très attentivement
46:13président américain, président français,
46:15chancelier allemand,
46:17j'ai toujours pas compris
46:19quel était l'objectif. Est-ce que
46:21l'Ukraine est considérée comme un territoire
46:23extrêmement, géoéconomiquement
46:25tellement important qu'il faut
46:27absolument investir des sommes
46:29très importantes dans la défense de ce
46:31territoire ? Bon.
46:33J'ai pas l'impression. C'est quoi le but ?
46:35Voilà. On a une guerre qui est menée
46:37par, d'un côté,
46:39le Kremlin, qui se situe dans sa
46:41continuité de ce logiciel impérial
46:43dont les objectifs sont
46:45assez facilement définissables,
46:47contre
46:49une coalition de puissance occidentale
46:51dont les objectifs sont pas définis.
46:53Et bien, écoutez,
46:55je renvoie les téléspectateurs
46:57à votre ouvrage, où on trouvera beaucoup plus
46:59compléments d'informations.
47:01Ça nous permet vraiment de
47:03mieux comprendre la
47:05situation. Jean-Robert Raviot, merci
47:07infiniment. Je rappelle donc votre livre,
47:09Le logiciel impérial russe,
47:11sorti aux éditions de L'Artilleur.
47:13Merci beaucoup pour votre invitation.
47:15Je vous en prie. C'était Passez Présent,
47:17l'émission historique de TVL,
47:19réalisée en partenariat avec la
47:21Revue d'Histoire Européenne.
47:23Vous allez maintenant retrouver Christophe Erlan
47:25et La Petite Histoire. Mais n'oubliez pas,
47:27avant de nous quitter, de cliquer sur le pouce levé
47:29de la vidéo et de vous abonner à notre
47:31chaîne de YouTube. Merci et à bientôt.
47:51Bon, aujourd'hui, on a du
47:53boulot. A l'occasion de la sortie de ce
47:55hors-série de la nouvelle Revue d'Histoire
47:57sur le sujet Être minoritaire
47:59en Terre d'Islam, nous allons nous
48:01intéresser à la question de
48:03l'Espagne musulmane et du
48:05mensonge de la cohabitation heureuse
48:07et harmonieuse. Vous voyez, c'est bien connu en
48:09Terre d'Islam, c'est le bonheur total.
48:11On rigole, on danse, on rit. Quand
48:13on parle de l'Espagne musulmane, on parle
48:15bien sûr de la période pendant laquelle l'Espagne
48:17à l'Andalouse a été occupée
48:19par les musulmans. Ça va de l'invasion
48:21de l'Hispania Visigothique en
48:23711 jusqu'à la fin de la Reconquista
48:25en 1492.
48:27Et aujourd'hui, on nous présente, les spécialistes
48:29français nous présentent en tout cas cette
48:31période d'occupation musulmane
48:33comme une période harmonieuse
48:35où régnait l'amitié, la convivialité,
48:37l'échange culturel et
48:39religieux, et mon cul sur la commode, etc.
48:41Cette question, pour les historiens d'aujourd'hui,
48:43idéologisée à l'extrême,
48:45a pris la dimension d'un véritable enjeu
48:47culturel. On veut nous faire croire à une
48:49cohabitation harmonieuse et pacifique
48:51entre juifs, chrétiens et musulmans
48:53de la même manière qu'aujourd'hui, on veut nous
48:55faire gober les mêmes sornettes concernant les
48:57flux migratoires qui nous touchent. Alors,
48:59l'Espagne musulmane à l'Andalouse est-elle
49:01un exemple de vivre ensemble ?
49:03Non.
49:05Comme le montrent aujourd'hui les historiens sérieux
49:07qui veulent bien s'intéresser de près
49:09et objectivement au sujet,
49:11comme par exemple Rafael Sanchez
49:13Sos, les musulmans ont
49:15implanté un régime très pervers qui n'a eu
49:17de cesse d'humilier et de persécuter
49:19les juifs et les chrétiens. Un autre
49:21historien a fait un remarquable travail
49:23sur le sujet, il s'agit de Séraphin
49:25van Roole, donc
49:27Séraphin, je m'excuse, pour l'espagnol
49:29tout ce que je sais c'est que les J se prononcent
49:31R, donc Séraphin
49:33van Roole. Pour lui, il s'agit tout simplement
49:35d'un régime, le régime mis en place par
49:37les musulmans, qui s'apparente à l'Apartheid
49:39en Afrique du Sud. Alors, on est déjà loin
49:41de la cohabitation heureuse. Certes, il y a
49:43eu des échanges culturels, et ça c'est normal,
49:45proximité oblige, mais pour lui, il
49:47s'agissait d'une période terrifiante
49:49pour les minorités, en terre d'islam,
49:51en terre nouvellement conquise.
49:53Cet historien prend à rebrousse-poil
49:55l'idéologie dominante qui veut nous montrer
49:57Al-Andalus comme étant une terre riche,
49:59pacifique, raffinée,
50:01qui a en plus apporté toute
50:03la culture de ce Moyen-Âge. Et cette
50:05civilisation supérieure,
50:07elle aurait chuté à partir du moment où
50:09les royaumes chrétiens du Nord, ces barbares
50:11incultes, auraient repris
50:13possession de ces terres.
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50:41Musique
50:43On va commencer par le commencement.
50:45De 711 à 756,
50:47il s'agit d'une véritable orgie
50:49de sang. Et pas seulement envers les juifs
50:51et les chrétiens, mais entre musulmans.
50:53Il y a des tensions et des rixes entre
50:55la caste arabe, qui est minoritaire
50:57mais qui a le pouvoir, et les
50:59berbères, qui sont majoritaires mais qui ont été
51:01écartés de ce pouvoir. Et concernant
51:03les 4 à 5 millions d'hispanos romains
51:05et d'hispanos visigots, ils ont très vite
51:07détesté l'envahisseur qui a dû faire
51:09face à de nombreuses révoltes. Alors quand
51:11les musulmans parvenaient à s'entendre entre eux,
51:13ils envoyaient des armées contre les chrétiens
51:15mais la plupart du temps, quand ils étaient en conflit,
51:17ils se contentaient de rasias sanglantes.
51:19Mais le ton va se durcir crescendo
51:21à chaque fois suite à l'arrivée
51:23de croyants plus fondamentalistes
51:25qui reprochaient à ceux déjà sur place
51:27de ne pas avoir assez islamisé
51:29le pays. On a eu les Omeyades en
51:31756, les Almoravides
51:33en 1086 et
51:35les Almohades en 1145.
51:37Et sous le règne de tous ces
51:39dirigeants éclairés, on peut citer
51:41de nombreuses persécutions anti-chrétiennes
51:43comme à Cordoue au IXe siècle
51:45ou encore le massacre des frères
51:47missionnaires qui avaient osé pénétrer dans
51:49Grenade pour prêcher la parole du Christ.
51:51On peut encore citer la déportation
51:53des chrétiens en Afrique ou encore
51:55les pogroms lancés contre les juifs.
51:57Et si on se réfère aux chroniques de l'époque,
51:59tant musulmanes que chrétiennes, eh bien
52:01on nous parle d'un état de guerre permanent.
52:03Et aujourd'hui, par magie, c'est devenu
52:05un état de paix et un modèle de vivre ensemble.
52:07Mais bon, allez comprendre. Le plus étonnant
52:09dans tout ça, c'est qu'on nous présente à l'Andalouse
52:11comme un état multiconfessionnel,
52:13multiculturel, alors qu'il était avant tout
52:15et surtout un état musulman
52:17de langue arabe. C'est tout.
52:19Concernant les chrétiens qui étaient
52:21restés sur place, eh bien ils ont été islamisés
52:23de force et pour les chrétiens
52:25et les juifs qui restaient, ils étaient
52:27tolérés au début, puis acceptés
52:29en fonction des circonstances.
52:31Voilà, je me suis mal levé le matin, je suis de mauvaise
52:33humeur, j'ai mal à la gorge, un petit
52:35pogrom, une petite déportation
52:37et tout s'arrange. Un royaume
52:39de paix.
52:41Absolue. Comme je le disais, il y avait la majorité
52:43de la population d'Al-Andalouse
52:45qui était islamisée pour 90%
52:47d'entre eux au XIIe siècle
52:49et concernant les minorités,
52:51certes, ils avaient le droit à l'existence
52:53en fonction des circonstances,
52:55mais une ségrégation de faits
52:57était placée entre les musulmans et eux.
52:59Ce qui a conduit l'historien que j'ai cité
53:01tout à l'heure à parler d'un régime
53:03qui s'apparente à celui de l'Apartheid
53:05en Afrique du Sud. Le vivre ensemble, mais
53:07derrière un mur quand même.
53:37Pour ce qui est des droits
53:39qu'avaient les chrétiens en cette terre musulmane,
53:41on s'aperçoit que
53:43ce sont des droits tout à fait
53:45honorables et pas du tout
53:47discriminatoires. Le musulman avait le droit
53:49de se déplacer à cheval alors que le chrétien
53:51était lui monté sur un âne.
53:53C'est super, on appréciera le geste.
53:55L'église, quand elle n'était pas rasée
53:57bien sûr, devait être plus petite
53:59que la mosquée. Le chrétien d'Imi
54:01devait payer un impôt supérieur
54:03et les amendes qui le touchaient étaient également
54:05supérieures. Par exemple, elles étaient
54:07inférieures de moitié pour les musulmans.
54:09Ça c'est cadeau, c'est les allocs.
54:11Les mariages mixtes étaient bien sûr interdits
54:13et on nous dit également qu'un chrétien
54:15qui tuait un musulman, même en cas
54:17de légitime défense, était condamné
54:19à mort. Ça c'était radical.
54:21Par contre, dans le cas inverse, si un musulman
54:23tue un chrétien gratuitement comme ça,
54:25parce qu'il avait mal à la gorge, pas de problème.
54:27Un chrétien n'avait pas le droit d'avoir
54:29une maison plus haute que celle d'un musulman,
54:31il n'avait pas le droit d'avoir des serviteurs
54:33musulmans et il devait se lever
54:35quand un musulman entrait dans une pièce.
54:37Non mais là, c'est la moindre des choses, quand même.
54:39Voilà. Voilà le portrait
54:41de la société multiculturelle
54:43où règne le vivre-ensemble et l'harmonie
54:45que nous vantent nos idéologues
54:47d'aujourd'hui. C'est beau, c'est beau.
54:49Je finirai par un dernier mot concernant
54:51l'héritage musulman, que les musulmans
54:53auraient légué à l'Europe médiévale et qui
54:55auraient fait toute la culture médiévale.
54:57Je vais citer l'historien Van Rool.
54:59Pour lui, qu'on le veuille ou non,
55:01sur le plan religieux, l'Europe
55:03n'a pratiquement rien pris de l'islam,
55:05ni les dogmes, ni des arguments
55:07théologiques, ni des références
55:09textuelles. Elle n'a rien pris non plus
55:11dans le domaine juridique, institutionnel
55:13ou politique. Et concernant
55:15la culture populaire traditionnelle
55:17espagnole, à laquelle on a prêté de
55:19nombreuses influences musulmanes,
55:21eh bien ces influences sont tout à fait marginales.
55:23Elles ont été marginales surtout
55:25par rapport à l'immense héritage latin
55:27et chrétien qui constitue la
55:29majorité de ces sources.
55:31Voilà, c'est tout pour aujourd'hui sur ce sujet.
55:33Si vous voulez en savoir plus sur
55:35d'autres situations, comme par exemple dans les
55:37Balkans ou même concernant les chrétiens d'Orient,
55:39sur le fait de savoir ce que c'est de
55:41vivre en terre d'islam en étant minoritaire,
55:43je vous conseille bien entendu
55:45ce numéro de la nouvelle revue
55:47d'histoire hors série,
55:49Dalandalous au chrétien d'Orient, être minoritaire
55:51en terre d'islam. Merci à
55:53tous d'avoir suivi ce nouvel épisode de
55:55La Petite Histoire. J'espère qu'il vous a plu.
55:57Je vous dis à bientôt pour de nouvelles aventures
55:59sur TV Liberty.