Peu d’armées dans l’Histoire ont suscité autant de craintes. L’Armée russe fut l’incarnation d’un régime totalitaire, un outil exceptionnel de conquête et de contrôle, une machine de guerre d’une terrible efficacité. En à peine plus de 100 ans d’existence, elle a eu plusieurs vies : l’armée de la révolution sous l’égide de Trotski, née sur les cendres de l’armée impériale ; les grandes purges de l’entre-deux-guerres, folie stalinienne qui a assassiné les plus brillants des cerveaux russes ; le conflit germano-soviétique de 1941 à 1945 qui a précipité l’Armée rouge au bord du gouffre ; la renaissance extraordinaire, la résilience, l’adaptation puis le triomphe sur le champ de bataille, à Stalingrad, Koursk, Berlin. Il y eut par la suite l’armée soviétique qui a fait trembler le monde durant la Guerre froide puis, l’armée russe, celle de la chute du Mur, en 1991, chaotique, misérable, enlisée en Tchétchénie. Enfin, celle de Vladimir Poutine, à partir des années 2000, rénovée, réorganisée, et qui joue aujourd’hui un rôle important dans le nouvel ordre mondial en replaçant la Russie sur l’échiquier des relations internationales.
Histoire et analyse avec Boris Laurent, historien spécialiste en histoire des relations internationales et en histoire militaire, auteur de "L'Histoire de l'armée russe, des tsars à Poutine" paru chez Nouveau Monde.
Histoire et analyse avec Boris Laurent, historien spécialiste en histoire des relations internationales et en histoire militaire, auteur de "L'Histoire de l'armée russe, des tsars à Poutine" paru chez Nouveau Monde.
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00:00:00Depuis 12 ans, TVL fait figure d'exemple face à des médias du système
00:00:04toujours plus soumis aux élites financiarisées.
00:00:07A chaque occasion, TVL a montré son indépendance totale
00:00:11mais aussi sa capacité à lire le monde et à se projeter.
00:00:15Le récent rapport du Congrès américain montre que,
00:00:18durant la crise sanitaire, nous avions raison depuis le début.
00:00:22Et c'est d'ailleurs pour cela que nous étions censurés.
00:00:24Avec la guerre en Ukraine, nous avons refusé les visions manichéennes.
00:00:28TVL a dévoilé les plans meurtriers des néo-conservateurs atlantistes
00:00:32mais aussi de ses firmes américaines BlackRock, Vanguard,
00:00:35JP Morgan, McKinsey et bien d'autres
00:00:37qui agissent en véritables prédateurs avec cette Ukraine
00:00:41rongée par la corruption au sommet de l'État.
00:00:44Ces chiens de guerre n'en ont jamais assez.
00:00:47Ces derniers jours, ils ont applaudi l'arrivée de terroristes islamistes
00:00:50au pouvoir en Syrie.
00:00:52À TVL, nous sommes constants et cohérents.
00:00:57Nous refusons la facilité et le prêt-à-penser
00:01:00pour vous offrir les clés de compréhension d'un monde complexe
00:01:04où les mécanismes de pouvoir cherchent toujours à vous abrutir
00:01:08pour vous asservir.
00:01:09TVL, c'est votre dose de vérité, votre cocktail vitaminé
00:01:13pour renforcer votre libre-arbitre.
00:01:15Mais cette libération ne peut vivre sans vous.
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00:01:27Chaque geste compte.
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00:01:32votre consentement éclairé,
00:01:34et vous vous offrez la liberté de penser.
00:01:37Alors, je compte sur vous.
00:01:54Bonjour à tous.
00:02:23Elle fut durant des décennies l'armée la plus crainte au monde.
00:02:27Pourtant, elle a connu des défaites cinglantes et humiliantes
00:02:30face au Japon, à la Pologne ou à la petite Finlande
00:02:34et bien sûr face à la Wehrmacht.
00:02:36Mais cette armée, l'armée russe, a toujours su se relever,
00:02:39forte de plusieurs millions d'hommes, d'un armement massif
00:02:42et de stratèges d'exception qui ont élaboré au fil du temps
00:02:45une doctrine originale.
00:02:47Avec notre invité de ce jour, Boris Laurent,
00:02:49nous vous proposons non seulement une histoire,
00:02:51mais également une réflexion sur les permanences
00:02:53et les ruptures de l'armée russe.
00:02:55Boris Laurent, bonjour.
00:02:57Vous êtes historien, spécialiste des relations internationales
00:03:00et d'histoire militaire.
00:03:02Vous avez d'ailleurs notamment écrit
00:03:04La guerre totale à l'Est,
00:03:06parue en 2014 chez Nouveau Monde.
00:03:09Mais avant cela, en 2012,
00:03:11vous avez commenté et annoté l'autobiographie
00:03:13du maréchal Paulus,
00:03:15La bataille de Stalingrad,
00:03:17toujours pour Nouveau Monde.
00:03:19Et là, tout dernièrement,
00:03:21chez le même éditeur, vous publiez
00:03:23Une histoire de l'armée russe,
00:03:25des tsars à Poutine.
00:03:27Alors, je vous propose de faire cette émission,
00:03:30de passer présent en trois parties.
00:03:32Tout d'abord, de suivre l'histoire de l'armée russe
00:03:35dans ses heures et malheurs
00:03:37jusqu'à l'effondrement de l'URSS.
00:03:39Puis, nous nous attacherons
00:03:41aux spécificités de cette armée,
00:03:43sa doctrine, ses forces et ses faiblesses.
00:03:46Et enfin, en troisième partie,
00:03:48plus d'actualité, l'ère Poutine
00:03:50et les conflits récents.
00:03:52Comme je disais en introduction,
00:03:54l'armée russe a essuyé
00:03:56des défaites cinglantes.
00:03:58On peut dire que le XXe siècle
00:04:00a plutôt mal commencé face au Japon.
00:04:02L'entrée dans le XXe siècle,
00:04:04est catastrophique pour la Russie,
00:04:06pour l'Empire russe,
00:04:08puisqu'elle a une triple défaite
00:04:10contre l'Empire du Japon.
00:04:12La première, c'est le siège
00:04:14de Port Arthur en 1904,
00:04:16où le Japon met le siège
00:04:18devant le port de Port Arthur
00:04:20qui est donc sur le Pacifique.
00:04:22Et après plusieurs mois de siège,
00:04:24l'armée russe dépose les armes.
00:04:26Deuxième défaite,
00:04:28c'est la bataille de Moutken
00:04:30à terre,
00:04:32toujours dans l'extrême-orient russe,
00:04:34face à l'armée de terre du Japon.
00:04:36Défaite militaire, donc à terre.
00:04:38Et la dernière défaite,
00:04:40c'est la bataille de Tsushima,
00:04:42qui est une bataille navale,
00:04:44où la flotte impériale japonaise
00:04:46détruit la flotte impériale russe
00:04:48en mer,
00:04:50dans le détroit de Tsushima.
00:04:52Donc une entrée dans le XXe siècle,
00:04:54avec trois défaites consécutives
00:04:56et majeures,
00:04:58qui vont plonger la Russie
00:05:00dans une crise assez profonde.
00:05:02Une première crise,
00:05:04et ça va se prolonger jusqu'à la Première Guerre mondiale,
00:05:06même si on en tire quelques enseignements,
00:05:08j'imagine, pour la Première Guerre mondiale.
00:05:10La guerre contre l'Empire du Japon
00:05:12va servir de base
00:05:14pour un renouvellement
00:05:16de la pensée militaire en Russie.
00:05:18Notamment sur ce qui
00:05:20concerne les progrès techniques.
00:05:22Donc on parle
00:05:24de téléphones, télégraphes,
00:05:26chemins de fer, armes plus automatiques.
00:05:28Donc il y a toute une réflexion
00:05:30sur ces nouveautés techniques.
00:05:32Sur l'organisation
00:05:34des masses, également.
00:05:36C'est-à-dire que les Russes
00:05:38se rendent compte que
00:05:40contre le Japon, à terre,
00:05:42il y avait de la masse humaine
00:05:44mais elles étaient très mal organisées.
00:05:46Donc on va réimaginer,
00:05:48repenser l'organisation des armées également.
00:05:50Tout ça va servir
00:05:52de base pour un renouvellement
00:05:54de la pensée militaire en Russie.
00:05:56Ce n'est pas un pays
00:05:58qui est très industrialisé,
00:06:00donc j'imagine que ça pose des problèmes.
00:06:02C'est un pays qui s'est lancé dans
00:06:04l'industrialisation,
00:06:06notamment au regard de ce qui se faisait
00:06:08en Europe de l'Ouest et notamment de l'Allemagne
00:06:10qui est le modèle en Europe.
00:06:12Mais effectivement,
00:06:14il y a beaucoup de retard.
00:06:16Donc la Russie va accélérer
00:06:18dans les productions industrielles,
00:06:20notamment dans les armements,
00:06:22dans la construction navale également.
00:06:24Mais ça sera insuffisant pour rattraper le retard.
00:06:26Et donc cette première guerre mondiale,
00:06:28très rapidement, elle se déroule comment
00:06:30pour l'armée russe ?
00:06:32C'est une armée qui est mal équipée ?
00:06:34Oui.
00:06:36Donc,
00:06:38comme pendant la seconde guerre mondiale,
00:06:40beaucoup de soldats iront au front
00:06:42avec un seul fusil pour deux soldats,
00:06:44par exemple,
00:06:46c'est une armée qui est mal approvisionnée
00:06:48et ça, c'est un défaut
00:06:50dans les chemins de fer,
00:06:52dans les lignes de chemin de fer qui sont beaucoup moins denses
00:06:54qu'en Europe de l'Est. Donc ça, c'est ce qui va causer
00:06:56en partie l'effondrement de l'armée russe.
00:06:58Et donc cet effondrement va conduire,
00:07:00enfin, on ne va pas refaire tout l'enchaînement
00:07:02des révolutions.
00:07:04Je vous propose,
00:07:06il y a les premiers succès de l'armée russe,
00:07:08mais également, l'armée russe va
00:07:10finalement de défaite en défaite.
00:07:12Oui. Alors ça commence très bien pour l'armée russe,
00:07:14puisqu'elle arrive à percer,
00:07:16à faire une incursion en territoire allemand,
00:07:18en Prusse orientale.
00:07:20Ça va bien se passer également face à l'empire
00:07:22austro-hongrois, mais assez vite,
00:07:24les succès ne seront pas confirmés.
00:07:26Et petit à petit,
00:07:28l'armée impériale va refluer
00:07:30et va connaître d'énormes problèmes
00:07:32d'approvisionnement. Donc là, les chemins de fer en défaut.
00:07:34Et par-dessus, bien sûr,
00:07:36il va y avoir
00:07:38des mutineries. La révolution est
00:07:40en train de germer. Il va y avoir plus
00:07:42d'explosés, notamment dans les rangs
00:07:44de l'armée. Et donc tout ça va
00:07:46précipiter l'effondrement total
00:07:48de l'armée impériale.
00:07:50Les idées bolcheviques se propagent
00:07:52parmi la troupe, j'imagine ?
00:07:54Oui. Chez les officiers également, quand même ?
00:07:56Plus parmi la troupe.
00:07:58Les officiers, ça va être dans un second temps,
00:08:00en fait, qu'ils vont rallier
00:08:02le camp bolchevique, après que la révolution
00:08:04se soit affirmée, se soit bien installée.
00:08:06Mais dans la troupe, effectivement,
00:08:08il y a beaucoup, beaucoup
00:08:10de soldats qui sont sensibles aux
00:08:12idées bolcheviques
00:08:14et qui vont refuser d'aller au combat.
00:08:16Il va y avoir des mutineries,
00:08:18des désertions, et
00:08:20beaucoup d'officiers
00:08:22vont payer le prix,
00:08:24puisqu'ils vont se faire, se feront tuer par leurs troupes,
00:08:26qui refuseront d'aller au combat.
00:08:28Donc, on va arriver,
00:08:30la révolution d'octobre
00:08:32arrive, donc
00:08:34le nouveau pouvoir a d'autres préoccupations
00:08:36que la guerre à l'ouest,
00:08:38c'est donc la paix de
00:08:40Brest-Litovsk,
00:08:42et la Russie rentre dans une
00:08:44guerre civile, et est-ce qu'on peut dire que
00:08:46cette guerre civile est la matrice
00:08:48de l'armée rouge ?
00:08:50Oui, c'est la matrice, puisque c'est là
00:08:52qu'elle va faire ses preuves, finalement.
00:08:54Et ça va être la matrice aussi
00:08:56pour la pensée militaire russe,
00:08:58puisque la guerre civile va se jouer,
00:09:00en fait, va se dérouler sur les
00:09:02grandes étendues de Russie,
00:09:04beaucoup dans les campagnes et non dans les villes,
00:09:06et donc il va falloir réimaginer
00:09:08la manière de combattre sur de très très grandes étendues.
00:09:10D'accord, on en reparlera effectivement
00:09:12dans la seconde partie.
00:09:14Et donc, cette armée rouge, elle se constitue
00:09:16comment ? Qui est à la manœuvre,
00:09:18déjà ? Alors, c'est Trotski
00:09:20qui crée l'armée rouge, mais
00:09:22au départ, il y a un débat qui est assez
00:09:24violent,
00:09:26entre, d'une part, ceux qui considèrent
00:09:28qu'il faut lever une armée de masse,
00:09:30un peu sur le modèle occidental, finalement,
00:09:32et d'autres qui préfèreraient
00:09:34avoir une armée de gardes rouges,
00:09:36plus resserrées,
00:09:38de type police politique,
00:09:40avec des effectifs plus réduits,
00:09:42mais avec des gens extrêmement motivés.
00:09:44Et finalement, c'est Trotski qui l'emporte
00:09:46dans cette bataille
00:09:48organisationnelle, si on veut,
00:09:50qui impose le fait qu'il faut une armée de masse
00:09:52pour lutter à l'intérieur,
00:09:54et, possiblement, à l'extérieur.
00:09:56Donc, cette guerre,
00:09:58blanc contre rouge,
00:10:00pour simplifier,
00:10:02il y a même des verges, des paysans,
00:10:04également,
00:10:06au niveau de l'encadrement.
00:10:08Donc là, on a des officiers de l'armée impériale
00:10:10qui reviennent.
00:10:12Oui, il y a beaucoup d'officiers de l'armée impériale
00:10:14qui ont rallié le camp bolchévique,
00:10:16et qui vont donc participer à l'encadrement,
00:10:18qui vont encadrer les hommes,
00:10:20et ce qui fait que l'armée va tenir, en fait.
00:10:22Elle sera beaucoup plus structurée
00:10:24que chez les blancs, par exemple.
00:10:26Là, c'est la valeur, finalement,
00:10:28du chef
00:10:30qui prévaudra,
00:10:32alors que l'organisation
00:10:34dans les couches inférieures
00:10:36jusqu'aux soldats
00:10:38sera plus chaotique, finalement.
00:10:40Alors, en plus de ça,
00:10:42l'armée blanche va manquer de matériel,
00:10:44d'approvisionnement, et ce qui fait
00:10:46qu'elle va complètement s'effondrer.
00:10:48Alors,
00:10:50les bolchéviques
00:10:52sont au pouvoir,
00:10:54le pouvoir s'installe.
00:10:56Quelle va être la progression de l'armée
00:10:58en termes de développement
00:11:00sous la fin
00:11:02du régime de Lénine,
00:11:04et toute l'ère stalinienne ?
00:11:06On va aller jusqu'en 37-38,
00:11:08parce que 37-38, il y a de nouveau un moment clé.
00:11:10Donc, pendant
00:11:12cette quinzaine d'années,
00:11:14qu'est-ce qu'il se passe ?
00:11:16En réalité, c'est un vrai bouillonnement intellectuel.
00:11:18Il se passe au sein de l'armée russe.
00:11:20Il y a beaucoup
00:11:22d'officiers ralliés aux bolchéviques,
00:11:24des officiers tsaristes,
00:11:26qui vont repenser la manière
00:11:28de faire la guerre au regard
00:11:30de la Première Guerre mondiale, de la guerre contre le Japon d'abord,
00:11:32de la Première Guerre mondiale,
00:11:34de la guerre civile, et de la guerre
00:11:36contre la Pologne, puisque la Russie...
00:11:38Cette guerre contre la Pologne, elle se déroule...
00:11:40C'est dans les années 1920.
00:11:42Donc, l'URSS
00:11:44naissante essaye de repousser
00:11:46ses frontières et de gagner
00:11:48sur l'Ouest, et donc sur la Pologne.
00:11:50Et ça se passe très mal, puisque
00:11:52les armées soviétiques, l'armée rouge,
00:11:54est battue par les Polonais,
00:11:56ce qu'on appelle le miracle de la Vistule,
00:11:58sur la Vistule.
00:12:00Et donc, de tous ces combats,
00:12:06les penseurs russes, soviétiques,
00:12:08vont réfléchir sur l'art de faire la guerre.
00:12:10Ils vont chercher un moyen
00:12:12d'organiser les armées au mieux,
00:12:14pour faire face à de futurs adversaires,
00:12:16comme l'Allemagne par exemple,
00:12:18ou d'autres pays.
00:12:20Ce que nous évoquerons dans la seconde partie,
00:12:22et en termes d'organisation matérielle,
00:12:24technique, là également,
00:12:26il y a un vrai développement...
00:12:28Oui.
00:12:30On fabrique des chars, des avions...
00:12:32Tout ça toujours au regard
00:12:34de ce qui s'est passé les années précédentes,
00:12:36les décennies précédentes.
00:12:38L'étendue de la Russie
00:12:40est considérée comme clé
00:12:42dans la pensée militaire.
00:12:44Et donc, pour évoluer
00:12:46sur un théâtre d'opérations gigantesque,
00:12:48il faut des moyens mécanisés,
00:12:50des moyens blindés.
00:12:52La première guerre mondiale sert d'exemple,
00:12:54avec l'arrivée des blindés.
00:12:56Il faut des moyens aériens pour la reconnaissance,
00:12:58pour des frappes dans la profondeur.
00:13:00Donc on commence à réfléchir à tout ça,
00:13:02et l'industrie se met en marche.
00:13:04Petit à petit, les plans quinquennaux,
00:13:06l'armée américaine,
00:13:08qui veut faire de l'URSS
00:13:10la première puissance industrielle mondiale,
00:13:12ça va jouer à plein pour l'armée, finalement.
00:13:14Je crois qu'ils inventent également
00:13:16l'arme-parachutisme.
00:13:18Il y a un petit film extraordinaire
00:13:20où on voit ces paras qui sortent de l'avion
00:13:22sur l'aile et qui sautent de l'aile.
00:13:24Oui, tout à fait, l'arme aéroportée...
00:13:26Ce sont les premiers paras.
00:13:28Oui, les soviétiques imaginent des troupes spéciales,
00:13:30parachutées derrière les lignes ennemies
00:13:32pour aller frapper dans la profondeur
00:13:34du système adverse.
00:13:36Je voulais m'arrêter en 1937,
00:13:38parce qu'en 1937-1938,
00:13:40il se passe une chose traumatisante
00:13:42pour l'armée,
00:13:44qui sont les grandes purges.
00:13:46D'où viennent-elles ?
00:13:48Qu'est-ce qui pousse Staline
00:13:50à s'attaquer à son armée ?
00:13:52Est-ce qu'il a été victime
00:13:54d'opérations de manipulation
00:13:56de la part des ambrants ?
00:13:58Non, pas du tout.
00:14:00C'est simplement la paranoïa
00:14:02de l'homme,
00:14:04qui voit ses officiers,
00:14:06les généraux,
00:14:08les officiers supérieurs,
00:14:10tous ces penseurs qui enseignent
00:14:12à l'académie militaire,
00:14:14qui se nourrissent
00:14:16de littérature militaire étrangère,
00:14:18allemande aussi, notamment.
00:14:20Lui, il voit un danger,
00:14:22un danger pour son pouvoir.
00:14:24La peur d'être éjecté,
00:14:26par quelqu'un de plus brillant,
00:14:28qui aurait une aura
00:14:30supérieure à la sienne.
00:14:32Donc, il décide de signer l'ordre
00:14:34de purger l'armée.
00:14:36L'armée, ça va du général
00:14:38jusqu'aux soldats.
00:14:40C'est une purge qui est terrible,
00:14:42puisqu'il y a des milliers,
00:14:44des dizaines de milliers...
00:14:46On estime à combien le nombre ?
00:14:48Le nombre exact, je ne sais pas,
00:14:50mais il y a des centaines de milliers
00:14:52de gens qui sont soit exécutés,
00:14:54soit déportés en Sibérie.
00:14:56Et donc, tous ces penseurs
00:14:58qui faisaient la richesse intellectuelle
00:15:00de l'armée soviétique
00:15:02vont être, pour la plupart, exécutés.
00:15:04Ce qui fait que l'armée est décapitée ?
00:15:06L'armée est complètement décapitée.
00:15:08Et elle va le payer, face notamment à la Finlande ?
00:15:10Elle va le payer face à l'Allemagne.
00:15:12D'abord à la Finlande.
00:15:14Il y a une émulation, quand même,
00:15:16la guerre d'hiver.
00:15:18Qu'est-ce qui pousse la Russie
00:15:20à attaquer la Finlande ?
00:15:22La Russie, l'URSS,
00:15:24cherche toujours
00:15:26à étendre ses frontières
00:15:28et à garantir la protection
00:15:30de son territoire par un glacis
00:15:32protecteur. Donc elle va aller chercher
00:15:34ce glacis du côté de la Finlande,
00:15:36essayer de récupérer ou d'annexer
00:15:38des territoires en Finlande.
00:15:40Au départ, ça va très mal se passer
00:15:42puisqu'elle va essuyer
00:15:44deux très lourdes défaites
00:15:46contre une armée
00:15:48qui est toute petite, finalement.
00:15:50Donc cette défaite, on l'explique par
00:15:52l'absence d'encadrement,
00:15:54des matériels. Ils sont bien équipés,
00:15:56j'imagine, ces Russes.
00:15:58Oui, ils sont bien équipés, mais il y a un problème
00:16:00dans la doctrine, dans l'emploi des forces.
00:16:02Finalement,
00:16:04les Soviétiques ont tout misé
00:16:06sur l'offensive sans vraiment réfléchir,
00:16:08en pensant que la masse ferait le travail
00:16:10et ferait plier la Finlande.
00:16:12En fait, pas du tout.
00:16:14Donc c'est plus des commissaires politiques
00:16:16qui ont imaginé cette offensive que des véritables
00:16:18stratèges militaires.
00:16:20Vous dites qu'en 1941, l'armée rouge
00:16:22est au bord du gouffre.
00:16:24Oui, tout à fait. En 1941,
00:16:26quand l'Allemagne enfonce la porte
00:16:28et envahit l'URSS,
00:16:30elle n'a plus
00:16:32de penseurs, elle n'a plus d'officiers
00:16:34bien formés, puisqu'ils ont tous été exécutés
00:16:36ou ils sont tous en prison, en Sibérie.
00:16:38Donc elle se fait
00:16:40complètement surprendre par l'armée
00:16:42allemande,
00:16:44qui, rappelons-le quand même,
00:16:46rompt le pacte de non-agression
00:16:48et attaque sans déclaration de guerre.
00:16:50Et
00:16:52l'armée
00:16:54se fait enfoncer
00:16:56et on date le sursaut. Il y a un sursaut.
00:16:58À quel moment ce sursaut intervient ?
00:17:00Le sursaut intervient en 1942.
00:17:02En 1942.
00:17:04Toute l'année 1941, finalement,
00:17:06il y a un enchaînement de grands encerclements
00:17:08où les Allemands parviennent à capturer
00:17:10des centaines de milliers d'hommes.
00:17:12Donc il y a Avias-Mabry,
00:17:14Anska, Kiev notamment.
00:17:16L'année 1942, les Allemands
00:17:18tentent de faire la même chose.
00:17:20Sauf que les Soviétiques ne se laissent plus du tout
00:17:22enfermer dans les chaudrons
00:17:24allemands
00:17:26et donc commencent à refluer.
00:17:28Donc ça va être
00:17:30la grande retraite jusqu'à
00:17:32la grande barrière du Caucase
00:17:34où là, Staline
00:17:36donnera l'ordre de ne plus...
00:17:38Donc Staline prend vraiment conscience
00:17:40que les choses vont très mal et
00:17:42on rappelle
00:17:44des officiers. Ceux qui ont été tués, c'est plus difficile,
00:17:46ceux qui sont au goulag...
00:17:48Oui, on commence à vider les prisons.
00:17:50On a requinqué
00:17:52les officiers malmenés par le
00:17:54NKVD et on les remet
00:17:56à la tête d'unité.
00:17:58Et là on voit vraiment la différence.
00:18:00Il y a une différence à partir de Stalingrad.
00:18:02C'est la fin 1942.
00:18:04A partir de novembre 1942, les Soviétiques
00:18:06imaginent une série
00:18:08d'opérations tout à fait
00:18:10brillantes, notamment à Stalingrad
00:18:12pour encercler la 6ème armée de Paulus
00:18:14à Stalingrad.
00:18:16Et à partir de là,
00:18:18l'armée soviétique
00:18:20c'est la 2ème phase
00:18:22de l'armée soviétique.
00:18:24Elle renaît de ses cendres finalement
00:18:26et elle passe vraiment à l'offensive.
00:18:28Elle va prendre un coup de revers
00:18:30durant l'hiver 1943
00:18:32où elle va se faire battre
00:18:34par un génie
00:18:36allemand, von Manstein.
00:18:38Mais à partir de la bataille de Kursk,
00:18:40c'est plié, c'est terminé.
00:18:42Et là, on peut vraiment parler
00:18:44de rouleau compresseur russe
00:18:46qui ne s'arrêtera qu'à Berlin.
00:18:48Là, on est vraiment dans la masse.
00:18:50On est dans la masse et on est aussi
00:18:52dans une pensée qui va être
00:18:54supérieure à celle de l'europosan.
00:18:56Que vous allez nous expliquer.
00:18:58Après la guerre,
00:19:00l'URSS devient
00:19:02une superpuissance.
00:19:04Elle occupe
00:19:06toute l'armée,
00:19:08pardon, toute l'Europe de l'Est.
00:19:10Et donc là,
00:19:12il lui faut une armée à la mesure
00:19:14de son empire qui est un véritable
00:19:16empire continental.
00:19:18Que devient cette armée
00:19:20entre 1945
00:19:22et 1991 ?
00:19:24On va s'arrêter à la chute
00:19:26de l'URSS.
00:19:28Elle grossit encore ?
00:19:30Oui, c'est une armée qui est pléthorique.
00:19:32On compte jusqu'à 6 millions
00:19:34d'uniformes
00:19:36dont 2 millions
00:19:38et encore plus de soldats
00:19:40prêts à aller au combat.
00:19:42C'est une armée
00:19:44essentiellement continentale.
00:19:46Une armée de terre
00:19:48qui est vraiment surpuissante.
00:19:50Qui est un véritable rouleau compresseur.
00:19:52Qui est très bien équipée,
00:19:54qui a des matériels performants,
00:19:56qui a des matériels eux aussi
00:19:58pléthoriques, parce que l'industrie
00:20:00produit beaucoup.
00:20:02Chars, avions,
00:20:04camions, tout ce qui fait
00:20:06la panoplie d'une armée de terre
00:20:08efficace.
00:20:10C'est la première armée du monde.
00:20:12Est-ce que c'est une armée,
00:20:14parce qu'on en parlait lorsque nous avons
00:20:16préparé cet entretien, c'est une armée
00:20:18qui faisait peur, certes, mais est-ce que
00:20:20cette peur était réelle ou est-ce que c'était un épouvantail ?
00:20:22C'est une peur qui était...
00:20:24C'est vrai que l'armée soviétique,
00:20:26de son nom, à partir de 1946,
00:20:28elle change de nom, elle s'appelle l'armée soviétique,
00:20:30et puis l'armée rouge.
00:20:32Elle est crainte par le monde entier
00:20:34et notamment par l'Europe de l'Ouest,
00:20:36qui est finalement aux portes
00:20:38du pacte de Varsovie,
00:20:40et ces craintes sont
00:20:42justifiées.
00:20:44C'est-à-dire qu'on a du matériel performant
00:20:46qui fonctionne ?
00:20:48On a des
00:20:50unités pléthoriques,
00:20:52on a une pensée
00:20:54qui est originale,
00:20:56qui se différencie vraiment de la pensée occidentale,
00:20:58et tous
00:21:00ces ingrédients en font
00:21:02une armée absolument redoutable
00:21:04qui était prête,
00:21:06pas loin, de déferler
00:21:08sur l'Europe de l'Ouest.
00:21:10En 1979, c'est l'invasion
00:21:12de l'Afghanistan et là,
00:21:14l'armée soviétique
00:21:16prend un rude coup.
00:21:18Elle se lance dans une opération
00:21:20qui ne correspond pas finalement à sa doctrine.
00:21:22C'est une opération
00:21:24qui n'a rien à voir
00:21:26avec le format
00:21:28de son armée,
00:21:30de sa doctrine, effectivement,
00:21:32puisqu'on rentre dans
00:21:34le type de guerre
00:21:36de type guérilla.
00:21:38On va
00:21:40traquer les rebelles
00:21:42dans les montagnes, c'est les embuscades,
00:21:44c'est les opérations
00:21:46coup de poing, les coups de main,
00:21:48et donc l'armée soviétique
00:21:50n'est pas du tout taillée pour ça.
00:21:52Au départ, l'invasion de l'Afghanistan
00:21:54se passe bien,
00:21:56et puis petit à petit, ça se passe très mal,
00:21:58et donc l'armée soviétique
00:22:00est obligée de repenser
00:22:02sa doctrine, de repenser
00:22:04sa manière d'agir sur un théâtre d'opération
00:22:06très compliqué, avec aussi des voisins
00:22:08qui compliquent
00:22:10encore la donne, puisque
00:22:12notamment le Pakistan
00:22:14qui héberge
00:22:16une partie des rebelles.
00:22:18Pour Moscou,
00:22:20ça devient très compliqué à gérer,
00:22:22cette guerre, mais petit à petit,
00:22:24au fond, elle va faire un peu comme
00:22:26les Américains au Vietnam, qui ont été
00:22:28au départ dépassés par
00:22:30ce type de guerre,
00:22:32et elle va
00:22:34s'adapter au terrain,
00:22:36elle va aussi miser beaucoup
00:22:38par exemple sur l'hélicoptère,
00:22:40comme les Américains au Vietnam, comme les Français en Algérie,
00:22:42et elle va créer des unités
00:22:44spécialisées avec des
00:22:46combinaisons de matériel
00:22:48performant pour
00:22:50aller se battre en haute montagne, etc.
00:22:52Ce qui est surprenant et paradoxal,
00:22:54c'est que cette armée
00:22:56russe se trouve confrontée à une guérilla,
00:22:58alors que dans le monde entier, ce sont surtout
00:23:00des guérillas communistes qui ont harcelé
00:23:02les Américains, notamment.
00:23:04Ils avaient un modèle sous les yeux
00:23:06qu'ils n'ont pas compris.
00:23:08Et en plus,
00:23:10toutes les guérillas communistes, la plupart,
00:23:12sont financées par Moscou,
00:23:14et il y a des conseillers militaires
00:23:16qui sont là pour former les rebelles,
00:23:18avec des livraisons d'armes aussi.
00:23:22Est-ce qu'on peut vraiment parler
00:23:24de traumatisme afghan pour l'armée,
00:23:26enfin même pour la société
00:23:28soviétique dans son ensemble ?
00:23:30Ça a participé ?
00:23:32Je pense qu'on peut
00:23:34considérer, oui,
00:23:36la guerre en Afghanistan a participé
00:23:38à la chute de l'URSS,
00:23:40en sapant les
00:23:42fondations même
00:23:44du régime.
00:23:46C'est une des causes
00:23:48qui expliquent l'effondrement
00:23:50de l'URSS.
00:23:52Et au sein de la société,
00:23:54c'est un véritable traumatisme,
00:23:56au même titre que le Vietnam
00:23:58a été un traumatisme pour les Américains.
00:24:00J'ai pas arrêté de vous interrompre
00:24:02à chaque fois que vous vouliez parler
00:24:04de la pensée russe en disant
00:24:06qu'on en reparlerait,
00:24:08donc on va en parler.
00:24:10On va s'arrêter maintenant
00:24:12sur les spécificités de cette armée.
00:24:14Ce qui fait sa permanence,
00:24:16même s'il y a des ruptures
00:24:18c'est la création de l'armée rouge
00:24:20après la guerre civile.
00:24:22Cette pensée originale,
00:24:24cette doctrine originale,
00:24:26par qui, pourquoi,
00:24:28quels enseignements ont-ils tiré
00:24:30des précédents conflits
00:24:32et du terrain, bien évidemment.
00:24:34Dès la fin du 19ème siècle,
00:24:36des militaires, des penseurs
00:24:38militaires russes,
00:24:40au regard de ce qui se faisait avant,
00:24:42notamment pendant les guerres
00:24:44napoléoniennes et pendant les guerres
00:24:46russes, notamment contre la France.
00:24:48En regardant tout ça,
00:24:50les russes ont essayé
00:24:52de trouver une espèce
00:24:54de chaînon manquant
00:24:56entre, d'une part, la stratégie,
00:24:58donc ce qui fixe
00:25:00les objectifs,
00:25:02la finalité d'une guerre,
00:25:04et la tactique,
00:25:06qui est la gestion
00:25:08du champ de bataille, si on peut.
00:25:10Donc on est soit dans le très grand,
00:25:12la stratégie, donc les buts globaux,
00:25:14soit la tactique,
00:25:16le petit, le champ de bataille,
00:25:18la bataille. Et donc,
00:25:20entre les deux, il y a un énorme fossé,
00:25:22et c'est très difficile
00:25:24d'organiser et de gérer
00:25:26des armées entre ces deux
00:25:28concepts, qui sont très éloignés
00:25:30l'un de l'autre. Et donc,
00:25:32les russes ont commencé à réfléchir là-dessus.
00:25:34Et donc, à sortir de ce qui se faisait
00:25:36en Occident,
00:25:38où l'Occident
00:25:40était très attaché à la tactique,
00:25:42donc à l'art
00:25:44de battre son adversaire sur le champ de bataille,
00:25:46par la bataille.
00:25:48Les russes, pardon,
00:25:50réfléchissent avec
00:25:52une ère nouvelle qui est en train de s'ouvrir
00:25:54à l'orée du XXème siècle. C'est-à-dire
00:25:56que la nation est de plus en plus
00:25:58peuplée, l'industrie
00:26:00est de plus en plus forte,
00:26:02et l'État est
00:26:04de plus en plus fort également.
00:26:06En considérant cette trilogie,
00:26:08les russes estiment
00:26:10qu'il n'est plus possible de battre un pays
00:26:12adverse
00:26:14sur le champ de bataille, en une bataille
00:26:16ou en mille batailles, comme
00:26:18l'a fait Napoléon,
00:26:20comme les Prussiens l'ont fait
00:26:22contre les Français.
00:26:24– Et donc là, on n'est pas effectivement dans la doctrine
00:26:26de la bataille décisive. – Voilà, il n'y a plus de bataille,
00:26:28c'est plus possible. Il faut changer de paradigme,
00:26:30il faut changer de logiciel complètement.
00:26:32Et donc, ils vont se mettre à réfléchir
00:26:34à comment, justement, est-ce qu'on bat
00:26:36un adversaire
00:26:38sans forcément détruire
00:26:40ses hommes sur le champ de bataille.
00:26:42Et donc, c'est ce que les
00:26:44russes vont appeler l'art opératif,
00:26:46qui est une espèce de
00:26:48ce chaînon manquant
00:26:50entre la grande stratégie et la tactique
00:26:52qui est en fait plus un outil,
00:26:54c'est-à-dire, comment est-ce qu'on organise
00:26:56nos armées sur le champ de bataille ?
00:26:58Avec quel type de matériel ?
00:27:00Pour quel type de mission ?
00:27:02Sur quel espace ?
00:27:04À quel moment ?
00:27:06Toutes ces questions, en fait,
00:27:08forgent, finalement, cet art opératif.
00:27:10Et donc, les penseurs
00:27:12vont continuer
00:27:14de réfléchir à tout ça, notamment dans les années 20,
00:27:16avec des penseurs comme
00:27:18Svetchin, qui est le plus connu,
00:27:20penseur soviétique,
00:27:22qui va, finalement,
00:27:26finaliser cette pensée,
00:27:28la structurer.
00:27:30Et donc, pour expliquer
00:27:32l'art opératif, je vais prendre l'analogie…
00:27:34Voilà, expliquez-nous, il faut du concret.
00:27:36Voilà, alors l'analogie,
00:27:38je vais prendre celle de Benoît Billan,
00:27:40qui est un excellent historien français
00:27:42et que je conseille la lecture
00:27:44de ses ouvrages, et notamment un de ses derniers
00:27:46sur l'art opératif, qu'il a écrit avec Jean Lopez.
00:27:48Il compare
00:27:50l'art opératif au harnachement
00:27:52du cheval.
00:27:54Le cavalier, c'est la stratégie.
00:27:56Le cheval, c'est la tactique.
00:27:58Et pour que la stratégie reste sur son cheval,
00:28:00lui fasse prendre le meilleur chemin
00:28:02pour arriver à l'objectif
00:28:04sans tomber, il faut un
00:28:06harnachement, des étriers,
00:28:08etc. Et bien, c'est ça, l'art opératif.
00:28:10C'est ce qui permet au cavalier de rester
00:28:12sur son cheval et de le manœuvrer.
00:28:14Donc,
00:28:16des hommes comme Zveitchin,
00:28:18Yserson,
00:28:20Triandafilov, Varfolomeev,
00:28:22tous ces penseurs
00:28:24soviétiques, ou Tukhachevsky,
00:28:26vont,
00:28:28finalement, structurer cette pensée,
00:28:30organiser l'armée,
00:28:32réfléchir à l'organisation de l'armée,
00:28:34à quel type d'unité. On parlait des unités aéroportées
00:28:36tout à l'heure. L'unité aéroportée
00:28:38fait partie de...
00:28:40le type d'unité classique que les
00:28:42soviétiques veulent employer dans un système
00:28:44opératif, pour aller taper dans la
00:28:46profondeur du système adverse. Le but
00:28:48final, ce n'est plus
00:28:50de détruire l'ennemi biologiquement
00:28:52sur le champ de bataille. Ça, c'est les Allemands
00:28:54qui vont essayer de faire ça. Le but, c'est
00:28:56de décapiter
00:28:58les centres de pouvoir, les centres de commandement,
00:29:00les centres de production industrielle, et de
00:29:02rendre, finalement, l'adversaire inopérant.
00:29:04Donc, on peut dire que c'est ça,
00:29:06l'art opératif. C'est ce qui permet
00:29:08de faire tout ça, pour atteindre les buts
00:29:10fixés par le politique.
00:29:12D'accord. Et donc, cet art opératif, on a vu qu'en Finlande,
00:29:14il n'avait pas du tout été appliqué, finalement.
00:29:16C'est pour ça qu'ils se sont plantés.
00:29:18Également,
00:29:20lors de l'opération Barbarossa,
00:29:22il se retrouve pris de court. Mais là, on a expliqué
00:29:24pourquoi. Donc, au moment de...
00:29:26En 1942, on revient à cet art opératif
00:29:28et c'est là où il fait ses preuves ?
00:29:30Oui. Alors, en 1942,
00:29:32à partir du reflux
00:29:34de l'armée soviétique vers la grande barrière du
00:29:36Caucase, au moment où les Allemands s'approchent
00:29:38de Rostov-sur-le-Don,
00:29:40font sauter le verrou à Rostov,
00:29:42et l'objectif, c'est les puits de pétrole du Caucase,
00:29:44s'approchent dangereusement
00:29:46du Caucase,
00:29:48il y a deux généraux
00:29:50qui ont les faveurs de Staline.
00:29:52C'est le général Zhukov,
00:29:54qui est l'homme qui a pensé la contre-offensive
00:29:56de l'hiver 1941-1942,
00:29:58et l'autre général, c'est Wasilewski.
00:30:00Ces deux généraux vont imaginer
00:30:02une série d'opérations.
00:30:04Et Staline, pour une fois, va les écouter.
00:30:06Donc, ce sont des généraux qui, eux,
00:30:08connaissent l'art opératif, qui l'ont appris...
00:30:10Voilà, qui l'ont appris,
00:30:12qui l'ont
00:30:14mis en pratique, d'une certaine manière,
00:30:16avant les grandes purges,
00:30:18et qui, là,
00:30:20le ressortent des tiroirs, si vous voulez.
00:30:22Et donc, ils vont imaginer
00:30:24cette superbe opération, qui est l'opération Uranus,
00:30:26qui va encercler la 6ème armée
00:30:28autour de Stalingrad,
00:30:30avec des axes de pénétration
00:30:32très profonds sur les flancs
00:30:34les plus exposés de l'armée allemande,
00:30:36avec un art, ce qu'on appelle
00:30:38la masquerowka, qui est l'art de masquer
00:30:40ses intentions à l'ennemi, puisque les Allemands ne verront rien
00:30:42des millions d'hommes
00:30:44qui seront acheminés autour de Stalingrad.
00:30:46Ça va être
00:30:48un coup de massue
00:30:50au mois de novembre, puisque
00:30:52les Allemands n'auront rien vu venir.
00:30:54Et donc, à partir de la bataille
00:30:56de Stalingrad, de la victoire de Stalingrad,
00:30:58on peut dire que l'art opératif fait un retour
00:31:00dans la pensée militaire,
00:31:02et il est mis en pratique
00:31:04dans l'armée soviétique.
00:31:06Ça sera le cas, notamment, à Kursk,
00:31:10où, après avoir absorbé le choc
00:31:12de l'offensive allemande, les soviétiques
00:31:14vont mener des opérations
00:31:16de diversion qui vont leur permettre
00:31:18de mener deux grandes contre-offensives
00:31:20qui vont faire refluer
00:31:22l'armée allemande
00:31:24pour de bon, finalement.
00:31:26– Et cet art opératif est aussi dicté par
00:31:28le terrain, par l'immensité
00:31:30de l'Empire.
00:31:32Oui, on peut parler
00:31:34d'Empire continental, on parlait de tyrannie
00:31:36des distances,
00:31:38et du contrôle des confins.
00:31:40Tout ça est très logique ?
00:31:42– Absolument. Cette pensée a été
00:31:44nourrie par la géographie.
00:31:46Et notamment, les exemples
00:31:48pendant la guerre civile,
00:31:50se battre sur des terrains gigantesques
00:31:52en race campagne.
00:31:54Et donc,
00:31:56l'art opératif,
00:31:58la vision de l'art opératif,
00:32:00ce n'est plus se limiter à la ligne de front, finalement.
00:32:02C'est d'aller chercher très très loin,
00:32:04dans la profondeur adverse,
00:32:06500, 1000 kilomètres,
00:32:08pour aller frapper les points névralgiques
00:32:10de l'armée adverse dans la profondeur.
00:32:12Et donc ça, les soviétiques l'ont complètement intégré.
00:32:14Ce que n'ont pas fait les allemands, par exemple.
00:32:16– Est-ce qu'on peut considérer
00:32:18que c'est une véritable révolution
00:32:20dans la pensée militaire ?
00:32:22Et est-ce que d'autres armées,
00:32:24alors là vous pouvez arriver
00:32:26jusqu'à aujourd'hui,
00:32:28est-ce que d'autres armées se sont inspirées
00:32:30et ont intégré ce fameux art opératif ?
00:32:32– Oui, c'est une véritable révolution,
00:32:34puisque c'est un vrai découplage
00:32:36avec la pensée occidentale.
00:32:38C'est-à-dire que les russes vont créer
00:32:40leur propre pensée militaire.
00:32:42Évidemment c'est assez rare.
00:32:44Donc c'est une pensée qui va faire ses preuves.
00:32:46Notamment pendant la seconde guerre mondiale.
00:32:48Nos armées aujourd'hui
00:32:50ont complètement intégré,
00:32:52depuis les années 80,
00:32:54alors les Etats-Unis ont été les premiers,
00:32:56ont complètement intégré l'art opératif.
00:32:58Donc c'est du combat inter-armes,
00:33:00du combat dans la profondeur,
00:33:02le fait de ne pas forcément saigner l'adversaire
00:33:04mais de le paralyser.
00:33:06Alors aujourd'hui on est dans les 5 domaines,
00:33:08le spatial, le cyber, tout ça est intégré.
00:33:10Mais on a une pensée opérative, oui.
00:33:12En France, au sein de l'OTAN,
00:33:14aux Etats-Unis.
00:33:16– C'est ce qu'on appelle chez nous les plans opérationnels, c'est ça ?
00:33:18– Oui, alors le terme opérationnel,
00:33:20c'est vrai que les Américains appellent ça opérationnel,
00:33:22mais en fait on parle vraiment d'opératif.
00:33:24– D'opératif, d'accord.
00:33:26– Mais tout ça finalement a été découvert,
00:33:28et ça c'est intéressant,
00:33:30ça a été découvert
00:33:32par les Britanniques et les Américains
00:33:34dans les années 70.
00:33:36Cet art opératif.
00:33:38Comment et pourquoi l'armée soviétique ?
00:33:40L'armée rouge a battu l'Allemagne,
00:33:42cette armée qui était censée être la meilleure du monde.
00:33:44Donc les Américains ne comprenaient pas vraiment,
00:33:46les Britanniques non plus.
00:33:48Il y a eu une vraie crise au sein des Etats-majors américains,
00:33:50notamment après la guerre du Vietnam,
00:33:52où tous les jeux de guerre
00:33:54qui étaient réalisés au sein de l'OTAN
00:33:56et aux Etats-Unis contre le pacte de Varsovie
00:33:58étaient des jeux de guerre perdants
00:34:00pour l'OTAN et les Etats-Unis.
00:34:02– Donc on revient à la menace dont on parlait tout à l'heure.
00:34:04– Et donc l'Ouest ne comprenait pas pourquoi.
00:34:08Comment cette armée soviétique,
00:34:10ce pacte de Varsovie,
00:34:12pouvait gagner à tous les coups dans ces jeux de guerre.
00:34:14Et donc c'est des historiens,
00:34:16britanniques d'abord, puis américains,
00:34:18qui ont percé le secret finalement de cet art opératif
00:34:20en reprenant toutes les batailles de la seconde guerre mondiale,
00:34:22en ayant accès à des archives qui étaient jusque-là…
00:34:24– Oui parce qu'il n'y avait pas de publication,
00:34:26j'imagine que ces généraux-là
00:34:28n'écrivaient pas chez Nouveau Monde,
00:34:30l'art opératif.
00:34:32– Oui et puis quand il y avait publication,
00:34:34il y avait des publications,
00:34:36notamment dans les revues militaires soviétiques,
00:34:38puisque l'armée soviétique
00:34:40est très libre de sa parole,
00:34:42elle a toujours pu parler, écrire, publier,
00:34:44mais tout ça était bien sûr très contrôlé.
00:34:48Et finalement, l'Ouest est complètement passé à côté de ce phénomène
00:34:52parce qu'il a été complètement intoxiqué
00:34:54par d'anciens membres de la Wehrmacht
00:34:56qui ont rédigé des rapports
00:34:58pour l'armée américaine,
00:35:00je pense notamment au général Franz Halder
00:35:02qui était le chef d'état-major d'armée allemand,
00:35:06qui rédigeait des rapports
00:35:08qui étaient complètement faux.
00:35:10Et donc les Américains ont gobé tout ça.
00:35:14Et ce sont les Britanniques, les premiers,
00:35:16John Erickson notamment,
00:35:18qui ont percé ce secret
00:35:20en découvrant comment l'armée soviétique,
00:35:22l'armée rouge,
00:35:24organisait ses armées,
00:35:26comment elle préparait ses opérations,
00:35:28quels étaient ses objectifs, etc.
00:35:30– Et cet opératif a évolué pendant la guerre froide j'imagine,
00:35:34mais en fonction de quoi ?
00:35:36Des techniques ?
00:35:38– Oui, il a beaucoup évolué en fonction de la technique,
00:35:40de la technologie et notamment du nucléaire.
00:35:42Donc il y a eu au départ
00:35:44une adaptation de l'art opératif à l'ère nucléaire
00:35:48avec des opérations menées en théâtre contaminé.
00:35:52Les soviétiques avaient imaginé des unités spécialisées
00:35:56pour reprendre le terrain des terrains contaminés, etc.
00:35:58Après il y a eu une espèce de reflux à l'ère Khrouchev,
00:36:02puisque Khrouchev misait beaucoup sur le nucléaire en fait.
00:36:06C'était tout pour le nucléaire
00:36:08et le conventionnel a perdu un petit peu de son prestige
00:36:12et il y a eu un reflux dans la pensée.
00:36:14Et c'est revenu après la fin de Khrouchev
00:36:16avec notamment la doctrine de Maréchal Ogarkov
00:36:20qui lui s'appuyait beaucoup sur les nouvelles technologies.
00:36:24Et sur le terrain même,
00:36:26comment fonctionne cette armée russe par exemple ?
00:36:30Est-ce qu'il y a une vraie adaptation au terrain ou aux circonstances,
00:36:32comme dans l'armée allemande
00:36:34où à un petit échelon on peut prendre des initiatives ?
00:36:38Est-ce que c'est une armée qui est pleine d'initiatives
00:36:40ou au contraire qui est très hiérarchisée et très monolithique ?
00:36:45Oui, c'est une armée qui est beaucoup plus monolithique que les nôtres.
00:36:50Nos armées sont basées,
00:36:54l'esprit d'initiative est favorisé.
00:36:57C'est surtout une caractéristique de l'armée allemande ?
00:36:59C'est une caractéristique qui est prussienne au départ,
00:37:02qui a évolué, qui s'est enrichie pendant la première guerre mondiale
00:37:06et surtout pendant la seconde guerre mondiale.
00:37:09On l'a vu pendant la campagne de France notamment.
00:37:11Du général jusqu'aux soldats,
00:37:14on laisse liberté d'action pour remplir la mission.
00:37:18En Russie, il n'y a pas du tout cet esprit d'initiative.
00:37:22C'est très vertical et on suit les ordres jusqu'au bout
00:37:27et sans chercher à non pas les contourner
00:37:31mais à les adapter finalement au terrain,
00:37:34au comportement de l'adversaire, etc.
00:37:37J'imagine qu'il y avait aussi le poids des commissaires politiques
00:37:39qui ne devaient pas être faciles non plus pour les officiers.
00:37:43Oui, il ne fallait pas sortir du rang
00:37:45parce que tout de suite, le commissaire politique
00:37:48avait autorité pour exécuter, même dégrader.
00:37:53Ils restent jusqu'au bout les commissaires politiques dans l'armée russe ?
00:37:56Jusqu'à la chute ?
00:37:58Ils ont été très présents pendant la seconde guerre mondiale
00:38:02parce qu'on était dans une situation assez dramatique.
00:38:05Malgré tout, malgré la boucherie qu'ils ont pu organiser,
00:38:11la crainte du commissaire politique finalement
00:38:14faisait que les gens allaient quand même au combat.
00:38:17Après, il y a toujours eu un regard politique
00:38:21sur ce qu'ils faisaient dans l'armée.
00:38:24Le pouvoir politique au Kremlin à Moscou
00:38:26est très attentif à ce que les gens ne sortent pas du rang
00:38:29et à ce que l'esprit ne soit pas trop corrompu
00:38:32par des idées extérieures à la doctrine soviétique.
00:38:37Contrairement également aux armées occidentales,
00:38:41parce que j'ai lu, c'est une hiérarchie un peu différente,
00:38:44c'est-à-dire que le corps des sous-officiers est très réduit.
00:38:48C'est quasi absent.
00:38:50Est-ce que c'est un avantage ou un inconvénient ?
00:38:53C'est un énorme inconvénient parce que les sous-offs,
00:38:56ce sont les chevilles rouillères finalement dans l'armée.
00:39:00C'est eux qui veillent aussi à la cohésion de la troupe,
00:39:03c'est eux qui forment la troupe, c'est eux qui diffusent les ordres,
00:39:06qui discutent avec leurs soldats.
00:39:08Donc il y a un véritable échange dans les deux sens
00:39:11et vers le sous-off et du sous-off vers son officier.
00:39:15Donc il y a une discussion qui est permanente finalement.
00:39:18Alors c'est vrai que dans l'armée russe, il n'y a pas ça, ou très peu.
00:39:22Donc il y a une espèce de rupture dans la chaîne de commandement
00:39:26et ce qui fait que beaucoup de soldats parfois se sont retrouvés
00:39:29sans savoir quoi faire parce que les ordres ne parvenaient pas
00:39:32ou ils étaient mal perçus, mal compris.
00:39:36Donc ça arrive très souvent, oui.
00:39:38– D'accord, donc encore une spécificité de l'armée russe.
00:39:41Maintenant on va arriver aux années Poutine
00:39:44qui commencent plutôt mal pour l'armée, enfin pour la marine principalement
00:39:48avec la tragédie du Cours.
00:39:50Mais donc le nouveau président russe, lui, va entamer,
00:39:54alors on va passer sur les années Helsing qui sont catastrophiques,
00:39:57tout s'écroule de toute façon, y compris l'armée.
00:40:01Est-ce qu'on peut vraiment parler de renouveau de l'armée russe
00:40:05à partir de quand ?
00:40:07– Dès 2000 en fait, dès que Vladimir Poutine arrive au pouvoir.
00:40:12C'est vrai qu'il hérite d'une société complètement chaotique,
00:40:17d'une armée en lambeaux avec des taux de suicide hallucinants,
00:40:24avec un alcoolisme chronique dans toutes les couches de l'armée.
00:40:30Donc il y a de la corruption, il y a des trafics d'armes,
00:40:35on vend des armes, on prélève des armes dans les stocks pour les vendre
00:40:38pour faire de l'argent parce qu'il n'y a plus d'argent du tout.
00:40:41Les gens ne sont pas payés.
00:40:43Et donc il décide de redresser tout ça.
00:40:45Finalement ça a toujours été son programme.
00:40:48Et donc il va remettre de l'ordre dans l'armée,
00:40:50enfin dans la société en général et dans l'armée en particulier.
00:40:53Et il va restructurer tout ça.
00:40:55Donc le renouveau de l'armée russe commence au début des années 2000
00:41:00avec l'arrivée de Poutine au pouvoir.
00:41:02En revanche il va s'engager dans ce qu'on pourrait appeler chez nous des OPEX
00:41:05qui ne sont pas forcément des réussites.
00:41:09Alors il y a la Tchétchénie, la deuxième guerre de Tchétchénie.
00:41:14La première était une catastrophe.
00:41:18La première était une catastrophe incroyable
00:41:21et donc la deuxième ça va être très rude comme guerre.
00:41:26On parle de crime, on parle de torture.
00:41:30C'est une guerre absolument atroce mais il va la gagner.
00:41:34Et finalement ça va lui permettre aussi d'asseoir son pouvoir,
00:41:38de rester aux commandes et de montrer que c'est un chef d'état qui est fort.
00:41:43Donc ça c'est la première qui se solde par une victoire.
00:41:48Alors en Géorgie, pareil, Poutine va envoyer des troupes.
00:41:53Donc il y a la crise dans ces territoires caucasiens.
00:41:57Certains veulent faire sécession et sortir du giron géorgien
00:42:01pour être rattachés à la Russie.
00:42:03Et donc Poutine va envoyer des troupes.
00:42:05Il va lancer une campagne, une opération militaire en Géorgie,
00:42:08en 2008, la guerre des cinq jours,
00:42:10qui va se solder par une victoire.
00:42:12Alors tout n'a pas été parfait dans le déroulement de cette opération russe.
00:42:16C'est la première fois que les Russes vont lancer des guerres cyber.
00:42:20Tentatives de déstabilisation, de désinformation.
00:42:23Alors ça n'a pas très bien marché mais finalement c'est l'acte de naissance,
00:42:27on peut dire, de ce type d'opérations dans l'armée russe.
00:42:31Qui vont après devenir plutôt assez efficaces dans ce genre d'opérations.
00:42:36– Que ce soit en Tchétchénie ou en Géorgie,
00:42:39là on est de nouveau dans une guerre asymétrique ou c'est plutôt… ?
00:42:42– Alors sur la Tchétchénie, on est plus dans une guerre asymétrique.
00:42:47Puisque l'armée russe va devoir se battre contre des groupes de rebelles
00:42:53qui vont se cacher dans les montagnes, un peu sur le modèle type guérilla.
00:42:57Alors en Géorgie par contre, c'est état contre état.
00:43:01Donc là on est plus dans du conventionnel.
00:43:04Mais cette opération n'aura pas l'envergure d'une opération type seconde guerre mondiale non plus.
00:43:11– On n'est pas dans la masse.
00:43:13– On n'est plus dans ce système-là de toute façon.
00:43:15– Alors il nous reste quelques minutes.
00:43:18Donc on ne peut pas ne pas parler de l'Ukraine, bien évidemment.
00:43:24Donc vous décrivez, vous, Ukraine acte 1, Ukraine acte 2.
00:43:29Alors j'irais même plus loin en disant Ukraine acte 1,
00:43:31effectivement en 2014 le Donbass et puis Ukraine 2,
00:43:36on peut diviser encore en deux parties.
00:43:39Très rapidement, la première opération en Ukraine en 2014 dans le Donbass,
00:43:44là ça se caractérise comment ?
00:43:46– Alors il y a le Donbass et il y a la Crimée.
00:43:48– Oui, la Crimée aussi.
00:43:49– Alors la Crimée c'est opération type force spéciale,
00:43:54donc sans marquage militaire sur les uniformes, désinformation massive.
00:43:59Donc les soldats russes s'emparent assez facilement du port de Sébastopol
00:44:04et commencent à prendre place dans les points clés de Crimée,
00:44:08sans résistance vraiment.
00:44:10Donc là il y a une énorme campagne de désinformation
00:44:13où les soldats ukrainiens en fait ont préféré,
00:44:16se sont laissés un peu démoralisés et ont préféré ne pas combattre.
00:44:22Et dans le Donbass on est plus sur force spéciale aussi,
00:44:26conseil militaire matériel pour appuyer les séparatistes.
00:44:31Donc c'est un non-engagement, en tout cas c'est un engagement
00:44:35qui n'est pas officiel, mais en sous-main,
00:44:37Moscou appuie complètement les séparatistes
00:44:42avec conseillers force spéciale et matériel, et urgent bien sûr.
00:44:47– Donc on arrive en 2022 avec l'opération spéciale,
00:44:52qu'on peut presque qualifier d'opération défensive,
00:44:55enfin ça vous allez peut-être nous expliquer ça.
00:44:58Donc il y a la première intervention en février 2022,
00:45:02là on est sur quel modèle ?
00:45:04Quel est le plan ?
00:45:06– Alors le plan initial c'est de…
00:45:11L'objectif final au fond, il me semble,
00:45:15parce qu'on a tout un tas de théories qui circulent sur l'objectif,
00:45:20veut-il envahir toute l'Ukraine partiellement etc.
00:45:24L'objectif c'est de désarmer l'Ukraine,
00:45:27c'est de l'empêcher qu'elle entre dans l'OTAN,
00:45:30de l'empêcher qu'elle ait une armée de masse et bien équipée.
00:45:36Alors c'était l'objectif initial, souvenez-vous des accords de Minsk,
00:45:41c'était au tout départ on voulait finlandiser l'Ukraine,
00:45:44c'est à en faire comme la Finlande après la seconde guerre mondiale,
00:45:47un état neutre finalement, qui ne serve aucun intérêt,
00:45:50mais malgré tout qui reste une chasse gardée de la Russie,
00:45:53puisque c'est son étranger proche.
00:45:55Et il y a un lien, je dirais presque émotionnel, entre la Russie et l'Ukraine.
00:46:01Et dans la pensée.
00:46:03Tous les Russes, ou beaucoup en tout cas, considèrent l'Ukraine
00:46:06comme faisant presque partie de la Russie, le berceau de la Russie.
00:46:11Donc l'idée c'est de désarmer cette Ukraine.
00:46:14Alors pour ça l'opération, à mon avis, c'est une opération de décapitation,
00:46:19donc élimination du gouvernement.
00:46:22Donc on élimine Zelensky, on fait sauter le gouvernement,
00:46:26et on le remplace par un gouvernement à la main de Moscou,
00:46:30ou en tout cas beaucoup plus conciliant avec Moscou qu'avec l'Ouest.
00:46:34On voit il y a autour de 170 000 hommes qui sont engagés,
00:46:39c'est pas une armée d'invasion du tout.
00:46:41Donc on sait qu'il y avait des agents infiltrés dans Kiev,
00:46:47qui avaient pour mission d'éliminer Zelensky et le gouvernement.
00:46:51Donc ils n'ont jamais trouvé Zelensky et les membres du gouvernement.
00:46:55Il y a eu une opération aéroportée sur Ostomel, l'aérodrome d'Ostomel,
00:46:59pour sécuriser l'aéroport, ça s'est mal passé aussi.
00:47:04Tout a été prévu pour finalement lancer un coup de main,
00:47:08et pas une opération d'envergure type invasion quoi.
00:47:13Donc là ça s'est mal passé puisque l'armée ukrainienne de 2022...
00:47:17– Pourquoi cet échec ?
00:47:18– Parce que l'armée ukrainienne de 2022, d'abord c'est plus celle de 2014,
00:47:22donc elle est beaucoup mieux formée, elle est beaucoup mieux équipée.
00:47:25Elle a été mise au courant par les services de renseignement américains et britanniques,
00:47:29ce qui fait par exemple qu'elle a pu déplacer un grand nombre de ses batteries antiaériennes,
00:47:35ce qui fait que les opérations aériennes russes ont été mises en échec assez vite,
00:47:40puisqu'ils n'ont jamais trouvé toutes ses batteries.
00:47:45Et donc son organisation même, de l'armée ukrainienne,
00:47:50a permis de mener des contre-attaques très efficaces.
00:47:53Une armée qui, pour le coup, donne beaucoup de liberté d'action à ses soldats.
00:47:57Et donc cet esprit d'initiative finalement, avec un bon matériel,
00:48:03a permis de contenir et de repousser la pénétration russe en territoire ukrainien.
00:48:09D'où un changement de stratégie de la part de l'état-major russe.
00:48:14Comment va fonctionner maintenant ?
00:48:17Pendant toute l'année 2022, ça ne s'est pas bien passé.
00:48:23Il y a eu la contre-offensive ukrainienne qui, pour le coup, a fait beaucoup de mal à l'armée russe.
00:48:28Donc les russes ont revu leur copie.
00:48:30Et donc ils se sont mis en position défensive.
00:48:34Là où ils n'avaient plus besoin, au fond, pour temporiser,
00:48:39donc ils se sont enquistés.
00:48:41Ils ont dressé des lignes de défense très efficaces.
00:48:45Et ils ont commencé le grignotage, à grignoter dans le Donbass notamment.
00:48:49C'est-à-dire y aller par petits bons successifs,
00:48:52en grignotant les villages, les petites bourgades, les villes,
00:48:56pour éroder l'armée ukrainienne en fait.
00:48:58Mais toujours en tapant en profondeur également, là on est encore dans la doctrine...
00:49:02Alors l'objectif également c'est de casser l'arrière de l'Ukrainien.
00:49:09On bombarde les centrales électriques.
00:49:12Voilà, on bombarde les centrales électriques, on bombarde des villes.
00:49:17Donc tout ça s'est fait aussi pour casser le moral de la population,
00:49:20pour casser tout le système électrique, tout le réseau électrique ukrainien.
00:49:25Donc là oui, on tape dans la profondeur.
00:49:28D'accord, donc là on est dans l'attrition, c'est-à-dire qu'on...
00:49:30Là on est revenu, en fait on est complètement dans l'attrition.
00:49:34La Russie sait qu'elle est plus forte en termes d'hommes,
00:49:37en termes de matériel et de production industrielle.
00:49:40Elle sait qu'elle est plus forte que son opposant.
00:49:43Donc elle va jouer sur ça.
00:49:45Et l'attrition finalement, c'est une...
00:49:47La théorie de l'attrition, elle a été portée par tous les penseurs soviétiques des années 20,
00:49:51notamment Svetchin, qui refusait lui l'annihilation du fort au fort.
00:49:57C'est complètement inutile.
00:49:59Ce qu'a essayé de faire la Wehrmacht en URSS par exemple,
00:50:02où elle s'est complètement cassée les dents.
00:50:04Donc lui, il plaidait pour...
00:50:06Du fort au fort, on plaide pour l'attrition.
00:50:08C'est-à-dire on érode, on érode, on érode.
00:50:10Physiquement, matériellement, économiquement, son adversaire,
00:50:14pour lui faire mettre un genou à terre.
00:50:16Donc c'est ce que fait la Russie aujourd'hui.
00:50:18Écoutez, l'avenir nous dira ce qu'il en est.
00:50:21C'est difficile encore pour l'instant, même si on peut faire peut-être des pronostics.
00:50:24Je ne sais pas, on ne va pas forcément s'y risquer.
00:50:27Je renvoie donc pour cette histoire fort intéressante de l'armée russe
00:50:33aux éditions Nouveau Monde.
00:50:35Boris Laurent, merci infiniment d'être venu nous parler.
00:50:40Mais avant de nous quitter, je vais vous donner un conseil de visite
00:50:44qui vous emmènera à Meaux, au musée de la Grande Guerre,
00:50:48qui est à mon avis le meilleur musée, avec le mémorial de Verdun,
00:50:52le meilleur musée consacré au premier conflit mondial
00:50:55par la richesse de ses collections et de sa sonographie
00:50:58déployée sur 3000 m² qui comprend des avions, des chars, des canons,
00:51:02des véhicules ainsi que des objets du quotidien,
00:51:05sans oublier une collection incroyable d'uniformes.
00:51:07Et si je vous en parle, c'est que le musée vient d'ouvrir une salle,
00:51:10en extérieur celle-ci, puisqu'il s'agit de la reconstitution,
00:51:14grandeur nature, d'une tranchée dans laquelle le public est invité
00:51:18à se promener pour mieux comprendre comment fonctionnait le système.
00:51:22Inaugurée le 11 novembre dernier, cette reconstitution d'un réalisme saisissant
00:51:27vous permettra de vous immerger dans l'univers des poilus de 14-18.
00:51:31Tout y est, ou presque.
00:51:32Les postes d'artillerie, de mitrailleuse, d'observation ou d'écoute,
00:51:35vous pourrez monter sur un créneau de tir, ou bien rentrer dans une cagna,
00:51:39un abri ou encore un poste de secours et une visite dont l'immersion
00:51:43est renforcée par une ambiance sonore avec des explosions, des cris,
00:51:47des sifflements de balles et une vue impressionnante sur un Ommansland ravagé,
00:51:51jonché de cadavres et de débris.
00:51:54C'était Passer Présent, l'émission historique de TVL,
00:51:58présentée en partenariat avec la revue d'Histoire Européenne.
00:52:02Vous allez maintenant retrouver Christophe Orlan et sa petite histoire,
00:52:05mais n'oubliez pas, avant de nous quitter, de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
00:52:09et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
00:52:12Merci et à bientôt.
00:52:17La France a connu dans son histoire
00:52:46trois grandes politiques de fortification massive.
00:52:50Il y a eu sous Louis XIV, bien entendu, le plan Vauban avec ses forteresses
00:52:54disposées à la frontière pour défendre le précaré français.
00:52:58Il y a eu le plan Serré des rivières en 1874.
00:53:02Et il y a eu la ligne Maginot.
00:53:04Et c'est ce troisième plan qui nous intéresse,
00:53:06parce que les deux premiers étaient justifiables par un contexte international
00:53:10menaçant pour notre intégrité, pour nos frontières.
00:53:14Et ce troisième, la ligne Maginot, qui est construite dans l'entre-deux-guerres,
00:53:17eh bien, il ne se justifie pas tant que ça.
00:53:20La France et ses alliés viennent de remporter une victoire sans appel sur l'Allemagne.
00:53:24L'Allemagne est totalement ruinée.
00:53:26Elle est divisée par les guerres civiles.
00:53:28Et en plus, le traité de Versailles lui inflige de lourdes conditions,
00:53:32dont avoir une armée très réduite, de moins de 100 000 hommes.
00:53:35Et en plus, la Rhénanie a été démilitarisée.
00:53:38Donc il n'y a pas vraiment de menaces.
00:53:40Et pourtant, la France va quand même se doter d'un grand projet de fortification
00:53:44qui va s'appeler la ligne Maginot,
00:53:46et qui va couvrir les frontières du Nord-Est.
00:53:48Mais pourquoi ce projet ?
00:53:50Et a-t-il été efficace ?
00:53:51C'est ce que nous allons voir aujourd'hui.
00:53:53Parce que malgré tout ce qu'on vient de dire,
00:53:55l'Allemagne y affaiblit,
00:53:56eh bien, il y a quand même deux écoles qui s'affrontent.
00:53:58Et il y a quand même un contexte qui s'y prête.
00:54:00Par exemple, il est question de protéger définitivement,
00:54:03de sacraliser les territoires d'Alsace et de Moselle
00:54:07qu'on vient tout juste de récupérer.
00:54:09Il y a une idée qui est très imprégnée dans les esprits à l'époque,
00:54:12c'est le fameux « plus jamais ça »,
00:54:13« plus jamais une telle boucherie que lors de la Première Guerre Mondiale ».
00:54:16Donc on veut un peu se protéger.
00:54:18Comme je l'ai dit, il y a deux camps qui s'affrontent.
00:54:20Il y a les tenants de la manœuvre,
00:54:22donc mobiles,
00:54:23qui sont défendus notamment par Joffre et par Foch.
00:54:26Et il y a les tenants d'un projet de nouveau système de fortification
00:54:29défendu notamment par Pétain.
00:54:31De 1925 à 1929, c'est Paul Painlevé qui est ministre de la guerre.
00:54:36Et lui, c'est un farouche partisan de la fortification.
00:54:39Pourquoi ?
00:54:40Pour les raisons que je viens d'expliquer tout à l'heure,
00:54:42mais aussi le service militaire est en train d'être diminué,
00:54:45de même que l'armée de métiers,
00:54:47et il faut, en cas de nouveau conflit, pouvoir faire face immédiatement.
00:55:06Le frontier avec l'Allemagne
00:55:21Un rapport de 1926 préconise donc de protéger la frontière avec l'Allemagne
00:55:26avec trois régions fortifiées,
00:55:28celle de Metz,
00:55:29celle de la Lothaire
00:55:30et celle de Belfort.
00:55:31Et pour ce qui est de la frontière avec l'Italie,
00:55:33il y a les Alpes,
00:55:34c'est une frontière naturelle assez imposante,
00:55:36mais les Alpes, comme on le sait, peuvent être franchies,
00:55:39spéciale dédicace à Hannibal et à Napoléon,
00:55:42donc on choisit d'y placer cinq zones fortifiées.
00:55:45Il n'est plus question, évidemment, comme à l'époque,
00:55:47de construire un grand mur ou un énorme fort qui ferait toute la frontière.
00:55:51Là, on privilégie des grosses zones fortifiées
00:55:54reliées par des souterrains en étoile
00:55:56afin d'assurer une continuité du feu.
00:55:59Le projet de loi qui va naître de ce rapport de 1926
00:56:03sera défendu en 1929 par le nouveau ministre André Maginot
00:56:07qui est un ancien combattant et un grand invalide de guerre
00:56:10et la loi, paraîtra, sera promulguée en 1930.
00:56:13Les travaux ont commencé déjà en 1928
00:56:16et vont se terminer en 1934.
00:56:19Pendant ce temps, le contexte international
00:56:21qui ne justifiait pas la création de cette zone fortifiée avant
00:56:25évolue et va finalement le justifier
00:56:27parce qu'en 1933, Hitler est chancelier du Reich,
00:56:30il se retire de la Société des Nations,
00:56:32en 1935, il choisit de remilitariser,
00:56:35de redonner une armée à l'Allemagne
00:56:37et en 1936, en réaction au pacte franco-soviétique,
00:56:40il remilitarise la Rhénanie
00:56:42et je vous renvoie à l'autre épisode,
00:56:44le précédent épisode de La Petite Histoire,
00:56:46consacré à ce sujet.
00:56:48Vous pourrez y voir notamment comment les dirigeants français,
00:56:51notre belle démocratie à la veille des élections
00:56:53n'a pas osé broncher
00:56:55et comment nos dirigeants, déjà tétanisés par les élections,
00:56:58ont été également tétanisés
00:57:00parce qu'ils ne pouvaient rien entreprendre
00:57:02sans le feu vert de l'Angleterre.
00:57:04Couille molle, excusez-moi, ça m'a échappé.
00:57:06Alors cette ligne Maginot qui a été terminée en 1934,
00:57:08qu'est-ce que ça donne ?
00:57:10Au départ, elle devait être discontinue,
00:57:12finalement elle donnera un système quasi-continu.
00:57:14Il y a 25 secteurs fortifiés,
00:57:165 dans le nord,
00:57:1817 le long de la frontière du nord-est et de l'est
00:57:20et 3 dans les Alpes.
00:57:22A partir de 1932,
00:57:24donc avant la finition des travaux,
00:57:26on va décider de mettre en place
00:57:28des troupes de forteresses
00:57:30pour servir dans ces systèmes fortifiés,
00:57:32pour servir même comme dans un navire
00:57:34puisque ce sera de véritables brigades,
00:57:36de véritables équipages pour chaque fort
00:57:38et ces troupes sont
00:57:40l'élite de l'armée.
00:57:42Par exemple, en 1935,
00:57:44les troupes de la frontière nord-est,
00:57:46les troupes affectées aux zones fortifiées et aux forts,
00:57:48seront au nombre de 53 500,
00:57:50ce qui est considérable
00:57:52et ce qui se fait évidemment aux dépens
00:57:54des troupes de campagne, de l'armée de campagne
00:57:56et ça va poser des problèmes à certains.
00:58:25Autant se le dire tout de suite,
00:58:27la ligne Maginot est un véritable chef-d'œuvre
00:58:29d'ingénierie, d'organisation,
00:58:31de technique.
00:58:33Je vous invite à aller la visiter
00:58:35si vous n'avez jamais eu l'occasion.
00:58:37Moi, j'ai eu cette chance quand j'étais plus jeune,
00:58:39c'est vraiment très impressionnant.
00:58:41Mais je vous l'ai dit, ça présente
00:58:43quelques problèmes.
00:58:45Premièrement, affecter des troupes aux forteresses
00:58:47se fait aux dépens de l'armée de campagne.
00:58:49Deuxièmement, ça a participé à la sclérose
00:58:51de la pensée militaire française
00:58:53et ensuite ça a donné l'illusion
00:58:55à tout le monde qu'on était à l'abri.
00:58:57Mais quel a été son rôle ?
00:58:59A-t-elle été efficace pendant la guerre ?
00:59:01C'est ça qui nous intéresse.
00:59:03On a souvent cette image assez simpliste
00:59:05de la ligne Maginot et des Allemands
00:59:07qui s'éverturaient à la contourner.
00:59:09Mais ça ne s'est pas passé comme ça.
00:59:11Les Allemands sont entrés en Belgique
00:59:13et ils ne pouvaient pas faire autrement
00:59:15tout simplement parce que leur plan
00:59:17c'était pas de contourner la ligne Maginot,
00:59:19c'était d'y attirer les armées alliées
00:59:22Ça c'est une chose, mais il y a une deuxième raison
00:59:24qui me fait dire que les Allemands n'auraient pas pu
00:59:26faire autrement que passer par le Nord
00:59:28et par la Belgique. Pourquoi ? Parce qu'Hitler
00:59:30voulait tout simplement s'assurer
00:59:32la maîtrise des côtes de la mer du Nord
00:59:34et de la Manche, pour protéger l'Allemagne
00:59:36et les industries allemandes de l'aviation
00:59:38britannique, et ensuite pour maintenir
00:59:40les Anglais à portée de tir
00:59:42et les amener, les contraindre, à négocier.
00:59:44Une fois qu'Hitler aurait négocié
00:59:46avec les Anglais, il aurait pu se retourner
00:59:48et faire face à la France.
00:59:50Enfin, pour finir, il y a bien une troisième raison
00:59:52c'est que les plaines de la Belgique
00:59:54vous savez, le plat pays
00:59:56les plaines de ce Nord de la France
00:59:58étaient disposées à accueillir les divisions
01:00:00blindées allemandes, qui étaient vraiment le
01:00:02fer de lance de l'armée allemande
01:00:04et il n'était pas possible dans les coins
01:00:06assez montagneux de la Lorraine, des Vosges,
01:00:08de l'Alsace. C'était uniquement possible
01:00:10dans le Nord, la Belgique, et c'est pour cela
01:00:12que les Allemands ont été
01:00:14tout naturellement dirigés vers cette partie.
01:00:16Et on voit bien là, avec ces
01:00:18trois exemples, que la ligne
01:00:20Maginot n'entre pas du tout en ligne de compte.
01:00:22Ligne Maginot ou pas, le plan d'attaque
01:00:24allemand aurait été le même.
01:00:26Et ainsi, une fois qu'elle a été tournée, ensuite
01:00:28la ligne Maginot n'a eu plus qu'à se rendre,
01:00:30malgré la bravoure de ses défenseurs.
01:00:32Elle est restée inviolée, mais une fois tournée,
01:00:34il ne lui restait plus qu'à se rendre.
01:00:36Mais sa présence, justement,
01:00:38a posé des problèmes, puisqu'elle concentrait
01:00:40une partie de l'armée, les troupes de
01:00:42forteresse, qui auraient pu être utilisées ailleurs.
01:00:44La question n'est donc pas de savoir
01:00:46si la ligne Maginot porte l'intégralité
01:00:48de la défaite sur ses épaules,
01:00:50c'est entièrement faux, ce n'est pas uniquement
01:00:52sa faute, mais de savoir en quoi
01:00:54elle y a contribué. Et là, on peut bien dire
01:00:56qu'elle y a contribué en immobilisant
01:00:58autant de dizaines de milliers d'hommes
01:01:00pour sa défense, et surtout
01:01:02en immobilisant le groupe d'armée numéro 2
01:01:04qui était stationné juste derrière
01:01:06elle, et qui n'a absolument pas bougé
01:01:08lors des offensives allemandes à l'ouest.
01:01:10Et avec ses 800 chars, il aurait été bien plus
01:01:12utile que planté là, derrière la ligne Maginot.
01:01:14Il aurait pu servir en réserve et participer
01:01:16à cette guerre de mouvements
01:01:18qui n'aura finalement pas eu lieu,
01:01:20ou pas beaucoup. Pour conclure, à quoi
01:01:22a servi la ligne Maginot ? Je vous l'ai dit, elle ne
01:01:24porte pas l'entièreté des responsabilités
01:01:26de la défaite sur ses épaules,
01:01:28les allemands n'avaient pas d'autre choix que de la contourner,
01:01:30et ce n'est pas aussi simple,
01:01:32ce n'était pas un plan prévu à l'avance,
01:01:34ses soldats ont fait preuve de bravoure,
01:01:36etc. Donc à quoi a-t-elle servi,
01:01:38finalement ? Eh bien, à couvrir
01:01:40au mieux, à couvrir l'aile droite
01:01:42de l'armée française, mais
01:01:44pas davantage, malheureusement.
01:01:46Merci à tous d'avoir suivi ce nouvel épisode
01:01:48de La Petite Histoire, je vous retrouve avec
01:01:50plaisir tous les mardis pour une nouvelle
01:01:52vidéo sur TV Liberté,
01:01:54et tous les vendredis en audio sur
01:01:56Radio Liberté. A bientôt !