• avant-hier
Pour avoir simplement critiqué le pouvoir ou la guerre en Ukraine, ils sont plus d'un millier de Russes à avoir été placés en détention dans leur pays. Parmi eux, trois des principaux opposants politiques à Vladimir Poutine. Une équipe de Ligne Rouge a pu les rencontrer après qu'ils ont fait l'objet en août dernier d'un échange de prisonniers digne de la guerre froide. Ils racontent des conditions de détention qui rappellent les sinistres goulags de l'époque soviétique. "Russie, dans les geôles de Poutine", un document de Quentin Baulier, Michaëlle Gagnet et Elodie Noiret. 

Category

🗞
News
Transcription
00:00La dernière fois que nous l'avions rencontré, c'était à Paris en avril 2022, quelques semaines à peine après l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
00:11Vladimir Karamurza est alors entourné en Occident. Devant notre caméra, il annonce qu'il s'apprête à rentrer à Moscou.
00:20Lui qui a déjà survécu à deux tentatives d'empoisonnement est bien conscient qu'il se jette ainsi dans la gueule du loup.
00:30Je suis un homme vivant, je ne suis pas un super-héros. Ce n'est pas plaisant quand quelqu'un essaie de te tuer.
00:39Beaucoup de mes collègues, beaucoup de mes amis sont en prison. Et on sait qui est le prix pour s'opposer au régime de Poutine. Moi, je le sais très bien, personnellement.
00:49Mais c'est tout simplement une question de principe. Je suis un homme politique russe.
00:53Je crois que le plus grand cadeau qu'on pourrait donner à M. Poutine, ce serait de quitter le pays et rester à l'étranger. Moi, je ne veux pas le donner en cadeau comme ça.
01:08Quelques jours à peine après cette interview, Karamurza est arrêté à Moscou.
01:14J'ai été arrêté parce que je suis contre la guerre que Vladimir Poutine mène contre l'Ukraine. Parce que je pense que c'est une guerre criminelle, que c'est une guerre agressive.
01:25C'est une guerre menée par un dictateur pour ses propres buts politiques. Et que pendant cette guerre, on voit des crimes horribles, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, des crimes contre la population civile.
01:44Et je parlais de tout ça, ouvrement, publiquement, parce que je suis un homme politique d'opposition russe.
01:49Pendant les mois qui suivent son arrestation, Vladimir Karamurza enchaîne les procès.
01:57Même par les standards généraux du régime de Vladimir Poutine, qui ne sont pas très hauts, je dois dire, c'était une farce complète.
02:04En Russie de Vladimir Poutine, il n'y a pas de justice indépendante, surtout dans les cas politiques.
02:10Toutes les décisions sont prises au Kremlin, pas par les juges.
02:18En avril 2023, Vladimir Karamurza est condamné à 25 ans de détention pour haute trahison.
02:24C'est la peine la plus sévère jamais infligée à un opposant politique à Poutine.
02:31Vladimir Karamurza est envoyé dans une colonie pénitentiaire à Omsk, en Sibérie, à 2700 kilomètres de Moscou.
02:40Le voyage dure trois semaines dans des wagons spéciaux de ce type, les mêmes qu'à l'époque du goulag.
02:49Omsk est connu pour son adhérence, je dirais, fanatique à la discipline, aux règles.
03:04Quand j'étais réveillé à 5 heures du matin par l'île nationale de la Russie, sur la radio, je devais rattacher mon sommier à un mur.
03:13Et pendant toute la journée, je ne pouvais que m'asseoir de temps en temps sur cette petite chaise vraiment confortable qui est dans le mur,
03:24où je marchais simplement comme ça, comme ça, dans le rond.
03:30Un vague sommier qui se rabat, un tabouret scellé, des toilettes à la turque dans un coin,
03:36des conditions qu'il partage avec d'autres opposants politiques en Bastille.
03:39Ilya Yashin, lui, se dit encore marqué par la taille extrêmement réduite de la cellule.
03:46Le problème, c'est que vous ne pouvez même pas marcher dans cette cellule, parce que vous faites deux pas et vous touchez le mur.
03:53C'est comme une boîte de béton de 2,50 mètres par 3,50 mètres avec une petite fenêtre à hauteur,
03:57des barreaux à l'extérieur, des barreaux à l'intérieur, et des barbelés.
04:02Donc il n'y avait presque pas de lumière du soleil.
04:06Les rares images de l'intérieur des prisons russes, comme celle-ci, ont plus de 10 ans.
04:12Impossible de tourner aujourd'hui.
04:15Le déroulé des journées obéit à des règles très strictes.
04:19Manger, prendre sa douche, lire un livre, tout est minuté, encadré, surveillé.
04:26Interdiction d'écrire plus d'une heure et demie par jour, il faut ensuite rendre feuille et stylo.
04:31Et parfois, comme a pu le constater Andrei Pivovarov, arrêté en mai 2021, les directives confinent à l'absurde.
04:41Tous les jours pendant trois heures, je devais rester assis.
04:45Je n'avais le droit ni de lire, ni d'écrire, ni de dormir.
04:49Je devais écouter les haut-parleurs qui diffusaient une lecture du règlement intérieur de la prison.
04:53C'était une voix nasillarde qui tournait en boucle. C'était ennuyeux, écœurant et inutile.
05:19Et la nuit n'apporte aucun réconfort.
05:23Le sommier fait très mal au dos.
05:28Ce n'est pas une planche, c'est un cadre de métal avec des traverses métalliques recouvertes d'un matelas très fin.
05:35Et quand vous êtes allongé dessus, votre colonne vertébrale fait des vagues.
05:39Mon dos, pour être franc, a beaucoup souffert.
05:42Et si j'avais dû rester plus longtemps en prison, j'aurais fini invalide.

Recommandations