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Dans "Tout Public" du mardi 17 septembre 2024, le journaliste Philippe Broussard présente sa série d'articles qui a permis de révéler l'identité du résistant Raoul Minot, les enfants de Sophie Fillières reviennent sur le film que leur mère n'a pas eu le temps de finaliser.

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00:00Avec vous Frédéric Carbone, et on va parler héritage notamment.
00:08Oui, héritage, transmission, amour en fait et reconnaissance pendant une demi-heure.
00:12Nous allons recevoir avec Matteo Maestraci, Agathe et Adam Bonitzer, les enfants de la
00:16réalisatrice Sophie Filière sans qui le dernier film de leur mère, décédé juste
00:20après la fin du tournage, n'aurait peut-être jamais existé, pas sous cette forme-là.
00:24En tout cas, en plus, c'est un film formidable, extrêmement attachant, ma vie, ma gueule,
00:28qui sort demain.
00:29Avant cela, encore donc un souci de transmission, qui grâce à la ténacité d'un journaliste
00:34permet d'inscrire dans la grande histoire, celle de la seconde guerre mondiale, le parcours
00:39d'un homme aux apparences tout à fait ordinaires et qui était un fantôme pendant des décennies.
00:44Bonjour Philippe Broussard.
00:45Bonjour.
00:46C'est vous qui, dans les colonnes du Monde, nous avez raconté cet été, dans une série
00:49passionnante, cette quête et l'épilogue, ces jours derniers, il fait officiellement
00:52rentrer Raoul Minot dans l'histoire de la Résistance, 80 ans après, en tout cas considérée
00:57comme mort pour la France, de la même manière, Philippe Broussard, qu'il y a le soldat
01:01inconnu, pour vous, il y avait le photographe inconnu.
01:05Oui, c'est une histoire qui remonte à 4 ans, pour moi, je ne sais pas s'il faut que
01:08je refasse le film intégralement.
01:10En tout cas, quelques épisodes, par hasard, des photos sont retrouvées sur un marché
01:15opus dans le sud de la France, par une amie qui est passionnée de photos, Stéphanie
01:19Collot, et qui m'appelle et me dit, voilà, j'ai trouvé un album absolument extraordinaire,
01:23il y a 177 photos, prises à Paris entre 40 et 42, visiblement par un amateur et non
01:30pas un professionnel, et prises à une époque où c'est évidemment totalement interdit
01:35par les Allemands et les autorités françaises de prendre des photos en extérieur.
01:40Ça veut dire quelqu'un qui prenait, qui risquait sa vie à chaque fois, parce que
01:44ces photos, en plus, étaient assorties de commentaires à chaque fois ironiques et sardoniques.
01:48Alors, on pourra me dire, oui, il y a d'autres photos, il y a d'autres fonds photos de cette
01:51époque, évidemment, mais ces photos-là étaient l'œuvre de la presse collaborationniste
01:57ou de la propagande allemande.
01:59Là, en l'occurrence, c'est autre chose, c'est d'un tout autre registre.
02:02Ces photos, prises façon paparazzi, j'allais dire, à la volée, dans Paris et en proche
02:08banlieue, eh bien, elles ont la particularité d'être, au dos, datées avec la précision
02:15du lieu, vous pouvez avoir 15 octobre 1941, place de la Concorde.
02:18Et surtout, il y a des commentaires qui leur donnent une dimension politique, ce sont
02:23des mots souvent ironiques, avec parfois des termes un peu d'argot, si j'ose dire.
02:30Jean de Lis, les Fritz visitent Paris pendant que les troupes françaises sont au sport
02:34d'hiver dans les Pyrénées.
02:36C'est ça l'esprit ?
02:37C'est l'esprit, c'est l'esprit, et vous avez d'autres commentaires, par exemple, sur
02:41le fait que des Françaises osent sortir avec des Allemands, et vous avez regardé M.
02:46Fritz, il part à l'hôtel avec deux poulettes.
02:49Donc, cette ironie, cet humour, comment dire, ne compense pas la gravité de la situation.
02:57En toile de fond, on a quand même une ville captive, une ville muette, on a Paris tel
03:01qu'on l'a rarement vu.
03:03C'est l'inverse de la propagande, de Paris qui vit avec des Allemands si bien accueillis.
03:06Qu'est-ce qu'elles nous apprennent, du coup, ces photos, qu'on n'avait pas vues, qu'on
03:09ne connaissait pas ?
03:10Elles nous apprennent, ce qui m'a le plus surpris, c'est à quel point la ville, notamment
03:16dans les premiers mois de l'occupation, est déserte.
03:18Les Parisiens sont un peu absents, les Allemands, les nazis sont omniprésents.
03:23Et on se demande, du coup, comment notre photographe peut être si près d'eux.
03:28Et ça a été ma recherche pendant quatre ans.
03:31Souvent à l'Arc de Triomphe, je parlais de cela, souvent à l'Arc de Triomphe, ou
03:34à la Concorde, devant des bâtiments emblématiques des Allemands.
03:38En gros, on est dans l'ouest parisien, l'ouest allemand, j'allais dire, puisque ce sont
03:42les lieux de pouvoir qu'ils ont tout de suite préemptés, d'une certaine manière.
03:45Et ce qui est extraordinaire avec ce fond photo, c'est qu'au-delà des 377 de l'album,
03:50je m'aperçois ensuite qu'il y en a, dans d'autres fonds, plusieurs centaines d'autres,
03:54et on est sur un total de environ 700 photos, sous réserve d'en trouver d'autres dans
03:58les mois à venir.
03:59Mais là, dans l'immédiat, environ 700 photos.
04:01Les historiens que je consulte me disent « mais c'est extraordinaire, incroyable, on ne sait
04:06pas d'où tout cela vient ». Donc à partir de là commence toute une phase de l'enquête
04:10qui consiste à dire qui était ce photographe.
04:12Absolument, c'est ça votre quête.
04:14Alors là, on ne va pas raconter tous les épisodes, je renvoie nos auditeurs à la
04:17passionnante enquête qu'on peut trouver sur le site du Monde.
04:20Bien évidemment, on lit ça comme une série policière, il y a une vendeuse du printemps,
04:25il est au printemps, il travaille au printemps ce monsieur, un agent de la Résistance, un
04:28immeuble à courbe voie qu'on visite, le fantôme peu à peu sort de l'ombre, c'est en fait
04:34un employé du printemps qui développait ses photos dans le grand magasin en se faisant
04:39passer pour quelqu'un qui collaborait avec les Allemands, qui travaillait pour les Allemands.
04:41En gros, c'est ça et j'ai fini par découvrir, grâce à l'aide des archivistes du printemps
04:46et à d'autres personnes, parce que c'est une enquête qui a fini par prendre beaucoup
04:50de place dans ma vie, jusqu'au 12 avril dernier et ce jour-là, grâce encore une fois aux
04:54archivistes du printemps, j'arrive à identifier cette personne qui s'appelait Raoul Minot,
05:00qui vivait à courbe voie, quartier de Bécon avec son épouse Marthe qui était elle-même
05:05employée au printemps et la grande passion de Raoul Minot dans la vie, c'était de prendre
05:10des photos.
05:11Et quand les Allemands arrivent, il prend son petit appareil photo, un Kodak modèle
05:16Brownie pour les initier, et il commence à prendre des photos interdites.
05:20Je ne peux pas garantir qu'il est seul à en prendre, je pense qu'il a eu des complices,
05:24mais en tout cas, il est l'acteur principal de cet acte de courage insensé.
05:28Il est dénoncé, il est déporté, il ne meurt pas dans les camps de concentration
05:33mais dans ce qu'on appelle les morts en marchant une fois la libération du camp de
05:37Brunewald.
05:38Alors il est dénoncé, j'ai la lettre de dénonciation, postée Garcin-Lazard juste
05:42à côté du printemps, on peut supposer que quelqu'un en interne l'a trahi.
05:46Il est effectivement arrêté, son appareil photo est saisi, les photos sont saisies à
05:50son domicile de Bécon, il est envoyé à Compiègne, puis à Mauthausen, puis à Brunewald.
05:57Et quand les camps sont libérés, il se retrouve dans les fameuses marches de la mort, et à
06:03ce moment-là, d'autres prisonniers français essaient de l'aider parce qu'il est à bout
06:09de force, il est sans doute malade du typhus.
06:11Quand les Américains finissent par sauver les rescapés, il fait partie du lot, il ne
06:18survivra pas à ces blessures, donc il est mort en homme libre, mais profondément blessé
06:24et malade.
06:25Et recherché par sa femme, sa compagne.
06:26Et là, ce sont des éléments que j'ai pu recueillir ce week-end et publier sur le site
06:30du journal.
06:31Mais effectivement, Marthe, son épouse, elle aussi employée au printemps, s'est battue
06:36pendant des années pour essayer de savoir ce qu'il était devenu.
06:38Elle a écrit aux ambassades, aux ministres, à des tas de personnalités, et malheureusement
06:44elle n'a jamais pu savoir où était son corps.
06:46Aujourd'hui encore, on ne sait pas où est son corps.
06:48Avec votre quête, vous avez donné un nom à ce monsieur, une histoire, un visage, la
06:54photo, et puis maintenant une reconnaissance, parce que ça aussi c'est une histoire de
06:57rencontre sans doute due à votre enquête.
06:59L'Office national d'anciens combattants, dont l'historien Arnaud Papillon est en ligne
07:03avec nous, bonjour.
07:04Oui, bonjour.
07:05A permis que cet homme-là sorte de son statut de fantôme d'une certaine manière.
07:10Vous avez retrouvé, vous, une photo, un document de ce monsieur, de ce Raoul Minot, dans vos
07:16archives.
07:17Oui, alors effectivement, moi je travaille à l'Office national des combattants et victimes
07:20de guerre, et j'ai été contacté par Monsieur Broussard il y a quelques temps, qui continuait
07:24effectivement sa quête, et en contactant le département reconnaissance et réparation,
07:30qui a un certain nombre de dossiers d'archives à Caen, et en faisant le lien avec celles
07:34qui étaient détenues par le SHD, puisque pour le coup ce sont des archives du service
07:37historique de la défense, et je crois qu'on ne souviendra jamais l'importance vraiment
07:41essentielle des archives en France, eh bien on est parvenu effectivement à retrouver
07:46un dossier, le dossier en fait qui avait été constitué par sa meuf, qui était à la recherche
07:50effectivement de son mari, qui voulait savoir ce qu'il était devenu, et à l'intérieur
07:54de ce dossier, coup de chance, hasard et coup de chance, effectivement, une photographie
07:57de Raoul Nino.
07:58Et vous l'avez fait d'autant plus que je crois, je ne trahis pas le secret, vous aviez
08:02été vous-même absolument frappé, passionné par cette histoire-là.
08:06Ah mais tout à fait, moi quand Monsieur Broussard m'a appelé au départ, bon, voilà, j'étais
08:11dans mon travail, quelqu'un qui recherche des renseignements sur une personne, je notais
08:15ça machinalement, en me disant voilà, j'allais faire les recherches, et à un moment donné
08:18je lui demande « mais vous êtes ayant droit ou autre ? » et là il m'explique « non
08:21mais j'ai fait une série d'enquêtes, et d'un seul coup ça a fait il, c'est une
08:24série que j'ai lue, que j'ai dévorée effectivement pendant l'été, j'ai trouvé
08:27ça passionnant, c'était tout à fait ce que vous disiez, une véritable enquête policière
08:31qui est fascinante, et d'un seul coup avoir la possibilité, si vous voulez, d'intervenir
08:35dans cette histoire, de faire quelque chose pour la reconnaissance de ce monsieur, c'était
08:41vraiment fabuleux, donc je l'ai fait de façon très très heureuse, et avec l'énorme satisfaction
08:46de déboucher effectivement sur la découverte de cette photographie.
08:51Et désormais, grâce à vous, et c'est pas rien, il est reconnu, ce monsieur sera
08:55halluminé comme « mort pour la France » ?
08:57Alors, grâce à moi oui, enfin je ne dirais pas, c'est-à-dire qu'effectivement, j'ai
09:02fait sa demande de reconnaissance, et effectivement le statut de « mort pour la France » lui
09:06a été accordé par un arrêté, donc signé par la directrice de l'Office national des
09:11combattants des tigres de guerre, Mme Verviers-Jouclas, effectivement oui, et c'était une grande
09:17fierté d'avoir fait cette demande pour moi.
09:18Et il faut savoir, Philippe Broussard, que le visage n'était pas connu, le nom beaucoup
09:22moins, mais il y avait des archives sur Raoul Minot, et à une époque, sa femme voulait
09:27qu'il soit reconnu comme « mort pour la France », ça n'avait pas été le cas.
09:30Ça n'avait pas été le cas, et il y a une inscription sur le caveau familial en mémoire
09:34de Raoul Minot « mort pour la France » en Allemagne, mais je pense qu'à l'époque
09:37c'est la famille qui l'avait fait d'initiative, parce qu'il faut savoir que quand son épouse
09:40avait fait des demandes pour obtenir des indemnités ou une pension ou quelque chose, elle a reçu
09:45un courrier dont j'ai la copie, absolument terrible, où l'administration, en des termes
09:50très froids, lui dit « écoutez, l'intéressé », en parlant de son mari décédé, « il
09:55n'y a aucune preuve qu'il a eu des activités anti-allemandes ». Mais c'est un scandale
09:59absolu.
10:00Faire 700 photos des Allemands dans Paris occupés, ce n'est pas une activité anti-allemande.
10:05C'est de la résistance.
10:06Mais c'est de la résistance, qui échappe au cadre classique, gaulliste ou communiste,
10:10aux structures habituelles et connues.
10:13On est dans la résistance individuelle, ordinaire, d'un anonyme, mais c'est de la résistance
10:18avec un grand R.
10:19Arnaud Papillon, vous validez, l'historien, c'est de la résistance et connaître ces
10:23parcours-là permet aussi de mieux connaître la réalité de ces années-là.
10:28Ah oui, tout à fait, je crois qu'on mesure mieux aussi maintenant, justement, avec le
10:31recul, toute l'importance historique et mémoriale de ce lot de photographies.
10:36Et je crois que, voilà, une exposition de ces photographies, pour le coup, il faudrait
10:40voir dans quelle mesure c'est possible, mais ce serait effectivement très intéressant.
10:44C'est l'épilogue, Philippe Broussard, de l'histoire ou elle continue ?
10:46Non, elle va continuer.
10:47Parce qu'il reste encore beaucoup de questions ?
10:50Oui, il y a des questions, il y a une part de mystère, je pense qu'il y avait des complices.
10:53Je pense que ce Grand Magasin, le printemps, était un huis clos assez extraordinaire.
10:59Moi, en enquêtant sur le printemps, j'avais l'impression d'être dans un village français
11:02mais version Grand Magasin.
11:04Vous êtes dans Paris avec des collabos, des héros, des hommes, des femmes, des traîtres
11:10qui envoient des lettres anonymes et puis, in fine, ce héros qui sort de l'oubli.
11:14Merci beaucoup, Philippe Broussard.
11:16Je renvoie nos auditeurs à votre formidable série dans le Journal de Monde, série d'été
11:20qui se poursuit à l'automne et qui se poursuivra peut-être à l'hiver et ensuite.
11:24Merci également beaucoup à vous, M. Papillon, qui avait permis dans votre office national
11:32des anciens combattants de donner la reconnaissance qu'ils méritent à Raoul Minot.
11:36Et une autre histoire de transmission dans quelques secondes, le temps du Fil-Info, 13h45, Armand Pérou, Logar.
11:43Dominique Pellicot assume être un violeur et demande pardon.
11:46Le Septuagénaire s'est exprimé pour la première fois ce matin devant la cour criminelle d'Avignon
11:51au sujet des viols de Mazan, viol de son ex-épouse qu'il droguait et qu'il a livré à des dizaines
11:56d'hommes pendant 10 ans.
11:57Elle ne méritait pas ça, a ajouté le Septuagénaire.
12:00Éric Coquerel et Charles de Courson ressortent en colère de Matignon, le président et le
12:05rapporteur général de la Commission des Finances de l'Assemblée, étaient venus réclamer
12:08les lettres plafond qui fixent les crédits pour les ministères en 2025.
12:11Ils sont ressortis sans les documents demandés.
12:14Le bureau de l'Assemblée nationale, lui, valide la procédure de destitution d'Emmanuel Macron.
12:19Procédure initiée par la France Insoumise, elle est maintenant transmise à la Commission des Lois.
12:23Il pourrait y avoir un débat dans l'hémicycle dans quelques semaines, mais cette destitution
12:27n'a quasiment aucune chance d'aboutir.
12:30La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a dévoilé ce matin
12:33la composition de son équipe, 27 commissaires européens.
12:36Le Français Stéphane Séjourné sera chargé de la stratégie industrielle.
12:40L'Italien Raffaele Fito, membre du gouvernement d'extrême-droite de Giorgia Meloni, obtient
12:45lui un titre de vice-président au sein du nouvel exécutif européen.
12:49La France envoie deux Canadaires au Portugal pour aider les pompiers portugais.
12:53Le pays fait face à de gigantesques incendies dans le nord, ils ont fait trois morts et
12:57détruit plus de 10 000 hectares de végétation.
13:00Et puis du foot ce soir, première journée de la Ligue des champions de Nouvelle Formule.
13:03Quatre clubs français sont engagés.
13:05Ce soir, c'est Lille qui ouvre le bal à 21h sur le terrain du Sporting Portugal.
13:12Le cinéma est une aventure collective, parfois c'est un cliché de le dire, mais pour ma
13:16vie, ma gueule, qui sort demain sur les écrans, c'est une évidence, aventure collective autant
13:20qu'intime et familiale, puisque Sophie Filière, la réalisatrice de ce film, est décédée
13:25juste après la fin du tournage, que se sont posées les questions, que faire maintenant,
13:30comment ce film va-t-il exister, quelle forme va-t-il prendre, et c'est là qu'interviennent
13:34les deux enfants de Sophie Filière, deux des enfants, Agathe et Adam Bonitzer, qui
13:38sont avec nous dans ce studio et je les en remercie sincèrement.
13:41Bonjour à tous les deux.
13:42Bonjour, merci à vous.
13:43Le cinéma, vous connaissez, actrice Agathe Bonitzer, vous avez fait des courts-métrages
13:47Adam Bonitzer.
13:48J'ai fait un court-métrage.
13:49C'était une évidence de faire ça, une fois que le film était là, tourné, suivre
13:56le montage, s'assurer qu'il arrive.
13:58C'était une demande de notre mère, ce n'est pas nous qui avons voulu, c'est vraiment
14:01elle qui nous a demandé de terminer le film.
14:04Si vous voulez, on était avec elle à l'hôpital après le tournage et quand on a su, en même
14:10temps qu'elle, qu'elle ne pourrait pas terminer le film, elle nous a demandé à
14:13nous, très spontanément, et elle en a parlé à sa productrice en même temps, de reprendre
14:18le montage du film et d'assurer la post-production avec tous les collaborateurs et collaboratrices
14:23qu'elle avait choisis déjà au préalable pour cette post-production.
14:26Une responsabilité énorme, Madame Bonitzer, mais il n'y a pas le choix d'une certaine
14:30manière.
14:31Oui, non, il n'y a pas le choix et c'est vrai qu'elle a considéré qu'on était les
14:34plus proches de son âme pour terminer ce film.
14:39Elle a dit à sa productrice, Julie Salvador, qu'on avait le même nord comme le nord d'une
14:43boussole.
14:44Et c'est vrai, à partir du moment où c'était une évidence pour elle, c'était aussi une
14:47évidence pour nous et pour ses collaborateurs et collaboratrices.
14:50Oui, en fait, il y a plusieurs entrées dans ce film, deux pôles, son histoire, ce qui
14:56l'entoure, son contenu, vous en avez parlé, les deux ne devant pas forcément se concurrencer
15:00ou se remplacer l'un et l'autre.
15:02Et quand je suis allé le voir à Cannes, il était présenté en ouverture de la dernière
15:05quinzaine des cinéastes, je pensais aller voir le dernier film de Sophie Filière, hélas
15:09au propre comme au figuré, quelque chose de forcément autobiographique vu son titre.
15:13J'ai d'abord été cueilli par l'immense émotion qu'il y avait ce soir-là dans la
15:16salle, il y avait l'équipe du film, dont nos deux invités sur scène, honnêtement
15:19celui qui à cet instant n'avait pas la larme à l'oeil était un fiéfé salaud.
15:23Et ensuite seulement, on a découvert le film fort et beau, à la fois immensément attachant
15:28et absurde, du 100% Filière, par nature difficile à résumer.
15:31On suit Barbarie Bichette, autrice contrariée, qui trouve des slogans pour la pub, elle ment
15:35beaucoup, elle croise à peine ses enfants avec qui elle est très maladroite, elle couvre
15:39à la fois une dépression et une grave maladie.
15:41On rit, on pleure et on est, je pèse mes mots, et je pense que c'est unanime, époustouflé
15:46par la performance d'Agnès Jaoui dans le rôle principal.
15:48On va évidemment parler d'Agnès Jaoui, continuons de parler de votre mère, Agathe
15:52et Adam Bolliger, parce que ça n'est pas un film testament, ça n'est pas une autobiographie,
15:58mais elle est là totalement, votre mère, dans tous ses plans et dans tout ce personnage
16:02que joue Agnès Jaoui.
16:03Oui absolument, déjà elle a écrit le film, elle n'était pas malade quand elle a écrit
16:08le film et ça c'est intéressant de le savoir quand on voit le film parce qu'il y a une
16:12sorte de vertige qui se crée à cause du contexte.
16:16Et après, ce n'est pas une autobiographie, c'est quand même une sorte d'autoportrait
16:22je dirais.
16:23Tous ces films sont souvent des autoportraits plus ou moins décalés, ce film-là est sans
16:27doute peut-être le plus autobiographique, elle a mis beaucoup de choses d'elle dedans,
16:32et puis ne serait-ce que certains décors, les costumes du personnage, tout ça a été
16:38voulu.
16:39On va écouter un petit extrait justement, le personnage est chez son psy, qui je crois
16:44est le psy de votre mère, on écoute cet extrait.
16:48Cette fille qui avait une diction très recherchée, une voix extrêmement aigre, ou nazillarde,
16:55en tout cas très certainement exaspérante, je l'entendais dire, ah mais ce n'est pas
17:02ma nature, c'est vraiment pas ma nature, elle en avait plein la bouche de sa nature.
17:09Et je ne savais plus si moi-même je savais quelle était ma nature.
17:13J'ai paniqué, je me suis dit, j'ai 55 ans et je ne sais toujours pas quelle est ma nature.
17:20On est sans doute là dans quelque chose d'assez autobiographique, elle est ma nature ou qu'elle
17:24est ma place, le décalage de Sophie Figueres, flagrant dans son cinéma et dans ce qu'elle
17:28est.
17:29Oui et c'est ça que raconte le film, c'est quelqu'un qui cherche sa nature, qui cherche
17:33si elle a une nature, et effectivement, à la fin, sans rien dévoiler, elle la trouve
17:38d'une façon un peu détournée.
17:39C'est un film, enfin moi je l'ai vu en permanence, alors peut-être parce qu'on connaît malheureusement
17:45l'histoire et la fin, on regarde avec un sourire attendri en permanence.
17:51Je ne sais pas si c'est votre cas Mathéo aussi ?
17:53Oui, bien sûr, bien sûr, et oui c'est vraiment un mélange, mais très agréable parce qu'il
18:00peut paraître comme ça antinomique, de sourire et de larmes, d'émotions et de drôleries
18:05à la fois.
18:06Ce qui est étonnant c'est que quand on est dans les salles, on a fait quelques avant-premières,
18:11souvent on entend à la fois des gens rire et se moucher aux mêmes endroits, dans la
18:17même scène ou à la même réplique.
18:19Et c'est vrai que c'est un peu ce qui caractérise le cinéma de notre mère, c'est qu'elle est
18:23toujours sur la crête des émotions, enfin à la lisière du rire et des larmes et selon
18:28l'histoire de chacun ou chacune, ça provoque des rires ou des sanglots.
18:32Disons un mot d'Agnès Jaoui, parce que oui, il a, même plus qu'un mot, Mathéo a absolument
18:37raison, je ne sais pas si c'est le rôle de la vie d'Agnès Jaoui, elle en est une des
18:40très beaux, mais il y a une espèce là aussi d'évidence, d'identification à ce personnage,
18:46vous avez une proximité Sophie, votre mère est Agnès Jaoui ?
18:49À la base non, notre mère connaissait pas Agnès Jaoui personnellement, elle a écrit
18:54le scénario sans penser à quelqu'un forcément, ce qui paraît étonnant parce qu'elle l'incarne
18:58tellement bien Agnès dans le film, mais peu après avoir écrit le scénario, elle a pensé
19:04à Agnès, elle lui a fait lire, Agnès a adoré le scénario, elle a adoré le titre, et ouais
19:10elles se sont rencontrées, je pense que cette rencontre, elles se sont rencontrées aussi
19:15sur un plan mental, spirituel, moral, et voilà, je pense que le film est le résultat aussi
19:21de cette rencontre, Agnès a beaucoup apporté par son jeu.
19:23Ça fait plusieurs années quand même que vos familles voisinent artistiquement, vous
19:27avez joué Agathe dans Au bout du compte d'Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacry a joué
19:31pour votre père, Pascal Bonitzer, mais elles n'étaient pas forcément amies avant cela.
19:36Mais c'est vrai que moi je connaissais bien Jean-Pierre Bacry, j'ai quand même fait trois
19:39films avec lui et Agnès pour avoir joué dans Au bout du compte, mais non, notre mère
19:46et Agnès, évidemment notre mère connaissait Agnès comme actrice et comme réalisatrice,
19:50mais elles ne s'étaient jamais vraiment rencontrées dans la vie.
19:53Et l'actrice que vous êtes, Agathe Bonitzer, comment elle regarde l'actrice Agnès Jaoui
19:57dans ce film ?
19:58Comme une spectatrice émerveillée, avec grande estime et admiration, je la trouve
20:07exceptionnelle dans le film.
20:08Et en plus, on a vu le film quand même pas mal de fois et à chaque fois je vois des
20:11choses nouvelles.
20:12La capacité des silences, la capacité d'un décalage permanent, mais tout le temps là
20:18et tout le temps présente comme ça.
20:20Oui, elle a eu une façon de s'approprier l'écriture de notre mère, vraiment magistrale.
20:28Mathéo Mastrachit disait ce que ça représentait lors de la présentation à Cannes, à la
20:33caserne des réalisateurs, et évidemment l'émotion et sans doute la difficulté aussi
20:37pour vous.
20:38Au moment où le film sort sur les écrans, on va être partagé avec les spectateurs,
20:43vous êtes dans quel état d'esprit ?
20:44Je crois qu'on est serein, on a envie que le film plaise et que les gens aillent le
20:51voir, mais on est très fiers du résultat.
20:54On est très contents du film et on espère que les spectateurs aussi.
21:00Oui, c'est exactement ça.
21:02J'ai l'impression que quand on voit le film, on se dit que c'était le film qu'il fallait
21:08que ce soit.
21:09En tout cas, moi quand je vois le film, je me dis ok, c'est le film et j'ai l'impression
21:13que si notre mère le voyait maintenant, elle serait satisfaite, c'est peut-être pas exactement
21:18ce qu'elle aurait fait plan par plan.
21:20Vous vous demandez ça ?
21:21Est-ce qu'on a respecté ce qu'elle aurait fait ?
21:23On se l'est demandé, ça faisait partie du travail, mais quelque part, on a aussi assez
21:29vite expédié cette question parce qu'à partir du moment où elle nous donnait sa
21:32confiance, ça nous donnait confiance en elle et ça faisait partie presque de sa mise en
21:36scène, de nous choisir, de nous demander de terminer le film, c'était son choix de
21:41metteuse en scène et voilà, elle nous choisissait comme ses collaborateurs et actrices.
21:47Mais vous l'étiez avant ? Vous étiez associée au projet ou pas du tout ? Vous l'avez découvert
21:52à ce moment-là ?
21:53On était très proche de notre mère de manière générale, on était très proche de son travail
21:58parce qu'on connaissait très bien tous ses films et on était proche d'elle-même géographiquement.
22:03Moi j'habitais sur le même palier, Adam a vécu avec notre mère longtemps parce qu'on
22:08a presque dix ans d'écart.
22:10Donc oui, on connaissait très bien le projet, on connaissait le scénario, elle nous partageait
22:16toujours son travail et sa vie d'ailleurs de manière générale, mais on n'était
22:20pas présents au tournage par exemple.
22:22Donc c'est vrai qu'on a découvert le film quasiment en visionnant les rushs un mois
22:27après sa mort.
22:28C'était assez fou, mais c'était bien aussi.
22:31On a un peu parlé tout à l'heure, avant d'arriver en studio, du film en rentaine,
22:36vous m'avez dit quelque chose de très intéressant.
22:37Je m'émerveillais de la rythmique comique, des répliques d'Agnès Jaoui et de la drôlerie
22:46du film.
22:47Vous m'avez dit oui, mais il n'y a pas que dans ce film-là, dans toute l'oeuvre
22:50de notre mère, il y a eu ce décalage, ce côté un peu absurde.
22:53Je prends un autre exemple, dans le film, à un moment donné, elle est à la clinique,
22:57elle appelle tout le personnel de la clinique, le même surnom de Fanfan.
23:01Et effectivement, on peut élargir, en partant de Ma vie, Ma gueule, à l'oeuvre de votre
23:09mère, pour ceux qui nous écouteraient, qui ne la connaîtraient pas, qui auraient envie
23:11de la découvrir, en rappelant que ce sont des choses, cette patte qu'on a retrouvée
23:17dans tous ces films, et qu'on peut même redécouvrir à la Cinémathèque en ce moment.
23:21Oui, et ce film, c'est le parachèvement d'une oeuvre qui est vraiment une, en fait,
23:27tous les films se suivent avec des liens très forts, c'est toujours elle qui est représentée
23:37dans tous les films.
23:38Oui, les films se suivent et se répondent aussi, c'est-à-dire qu'on trouve des échos
23:42entre les films.
23:43Comme tu dis, c'est vraiment une oeuvre une, au sens où elle est entière et les
23:47films méritent de se voir ensemble, et c'est l'occasion d'une rétrospective à la Cinémathèque
23:55française qui démarre demain soir, avec Grande Petite, le tout premier film de notre
24:00mère, qui date de 1993, je crois, avec Judith Godrej, qui sera présentée par Judith Godrej
24:05d'ailleurs demain soir.
24:06Pendant une semaine.
24:07Pendant une semaine, les sept longs métrages et une dizaine de courts métrages, dont beaucoup
24:11sont inédits.
24:12Vous avez participé de façon imprévue à l'oeuvre de votre mère via ce film, vous
24:17en avez de la fierté ?
24:18Oui.
24:19Beaucoup.
24:20On est très fiers, on est très fiers d'être ses enfants, je crois.
24:24On est très contents, on vous remercie vraiment Mathieu.
24:27Oui, juste une, parce qu'on fait aussi des recommandations culturelles dans l'émission,
24:30pour prolonger ce qu'on disait sur l'oeuvre de votre mère, il y a un livre, Sophie Filière,
24:34l'endroit de l'envers, co-écrit par Charlotte Garzon, Quentin Meyvel, Dominique Toulat,
24:38qui vient de sortir, édité par Playlist Society, qui est un très bel objet, donc
24:42j'en profite pour le recommander également, pardonnez-moi.
24:44Merci Mathieu.
24:45Agathe et Adam Bonitzer, merci beaucoup d'être venus.
24:48Merci à vous.
24:49La surfance info, Ma vie, ma gueule, qui sort demain sur les écrans.
24:51On pleure, on rit, on sourit tout le temps pendant un peu plus d'une heure et demie.

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