Sandrine Roudeix : L'Heure des Livres (Émission du 06/09/2024)

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Anne Fulda reçoit Sandrine Roudeix pour son livre «Le Silence des ogres» dans #HDLivres

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Transcript
00:00Bienvenue à l'Heure des Livres, Sandrine Rodex.
00:02Vous êtes scénariste, vous êtes photographe également,
00:06vous êtes écrivain, romancière.
00:08Vous publiez votre sixième livre, un sixième roman,
00:11qui s'appelle Le silence des ogres,
00:13un livre qui est paru chez Calman Levy,
00:15un livre dans lequel vous explorez essentiellement
00:18les questions liées à la paternité,
00:20l'absence de père plutôt que l'absence-présence de père.
00:24Décidément, la famille, c'est le creuset de tout.
00:29Dans votre livre, la narratrice, vous, visiblement,
00:34est troublée alors qu'elle signe dans un salon
00:36et qu'un homme vient à sa rencontre
00:40et lui, il lui sort un prénom, Patrice.
00:43Patrice, c'est justement le nom du père.
00:47C'est ça.
00:48Pourquoi avez-vous décidé de choisir ce thème ?
00:52Comme vous l'avez dit, Anne, c'est mon histoire.
00:55C'est un livre que je porte en moi depuis plus de 20 ans.
00:58C'est mon sixième livre, donc j'en ai écrit d'autres,
01:01tout en sachant que tôt ou tard, il fallait que j'y viendrais,
01:07à essayer de raconter ce que c'est qu'être une fille sans père,
01:10grandir dans une société où la figure paternelle
01:14est essentielle, a longtemps été fondamentale.
01:17Lorsqu'on n'a pas été reconnu à la naissance,
01:20lorsqu'on est ce qu'on appelle une bâtarde,
01:23comment on peut se construire ?
01:24Et donc, ma narratrice, qui, en effet, et moi,
01:28mais toujours, lorsqu'on écrit, on transforme
01:30et on met une certaine distance.
01:32J'en reviens à écrire sur moi comme j'écrirais sur elle.
01:36Ma narratrice se pose la question de savoir
01:38si on a toujours besoin d'un père à l'âge adulte.
01:41Lorsque cet homme vient la voir à un salon du livre
01:45et qu'il se présente comme un ami de Patrice,
01:49au départ, elle rigole, elle pense que c'est un Patrice,
01:53et il la regarde dans les yeux et lui dit Patrice.
01:56Et là, elle s'effondre et elle se rend compte
01:59que ce qu'elle pensait derrière elle,
02:01c'est-à-dire cette absence de père,
02:04cette construction, elle a 48 ans,
02:06elle pense que sa vie va bien, elle est équilibrée,
02:09elle est heureuse, amoureuse, eh bien non.
02:11C'est pas si simple que ça.
02:13C'est pas si simple que ça.
02:15En plus, ce père, elle l'a rencontrée,
02:17tard, la première fois, à 19 ans,
02:20et elle l'a vue une dizaine de fois.
02:23Et en fait, c'est presque un inconnu pour elle.
02:27Ce qui est curieux, c'est qu'en fait,
02:29elle se rend compte que...
02:30Elle compte le nombre de fois où elle l'a vue.
02:33Elle se rend compte qu'elle ne se rappelle pas vraiment
02:37ce qui s'est passé et pourquoi il ne se parle plus depuis 20 ans.
02:40Donc, elle décide de mener l'enquête
02:42pour essayer de partir à la recherche de ses souvenirs
02:47et à la recherche de ce qu'elle a étouffé.
02:49Parce que nos souvenirs se jouent de nous.
02:51La mémoire se reconstitue en permanence.
02:54Et donc, elle va mener l'enquête sur son père
02:57et évidemment, à travers son père,
02:59sur elle-même et sur son rapport aux hommes.
03:01Bien sûr, parce qu'évidemment,
03:03lorsqu'une fille qui n'a pas de père,
03:05cela impacte obligatoirement la manière
03:07de ses relations avec les autres hommes.
03:09Donc, comme vous le dites,
03:10elle essaie de reconstituer des moments qu'elle n'a pas vécus,
03:13notamment la rencontre entre sa mère et son père,
03:17qui est plus jeune que votre mère, que sa mère.
03:21Et qui, d'ailleurs, à l'époque,
03:23il y a toute une interrogation autour du fait
03:25qu'il était mineur d'une certaine façon,
03:27puisqu'il avait 17 ans,
03:28que c'était avant la majorité à 18 ans, en 1974.
03:32Donc, il y a toute une interrogation là-dessus aussi.
03:34En fait, lorsqu'on commence à se poser des questions
03:37sur nos origines, on ouvre toutes les portes.
03:39Il y a les portes qui restent fermées,
03:41il y a celles qui s'ouvrent un peu,
03:43qui s'ouvrent complètement.
03:44Et forcément, la mémoire fantasme.
03:47Et c'est pour ça que j'ai mis autant de temps
03:49à trouver comment aborder ce livre, ce roman,
03:53parce qu'il m'a fallu du temps pour me rendre compte
03:55que c'est l'histoire du petit poussé et de l'ogre,
03:58avec un enfant qui est abandonné par ses parents,
04:00dans la forêt, ses parents qui pensent bien faire,
04:03pour x raisons, ils n'arrivent plus à le nourrir,
04:05ils pensent qu'il pourra mieux se débrouiller seul que sans eux,
04:08et l'enfant qui a peur de croiser l'ogre,
04:11l'ogre qui risque d'être dévorant et de faire peur.
04:14Et donc, toute l'histoire d'une fille avec son père,
04:16d'une fille qui n'a pas connu son père,
04:18mal connue ou pas assez connue,
04:20parce que je parle des filles sans père comme moi,
04:23qui n'ont pas eu de père dès la naissance,
04:25mais il y a aussi toutes les femmes et les filles
04:27qui vivent avec des pères absents, à la maison,
04:30mais pas là, ils se déploient à l'extérieur,
04:32dans le boulot, dans les voyages.
04:34Et donc, le père est une figure
04:36qui reste très, très fondatrice
04:40pour une jeune femme.
04:41Et d'ailleurs, la preuve, c'est que cette figure
04:44est très présente lors des rendez-vous réguliers
04:46qu'elle a avec sa psychologue.
04:48D'une certaine façon, omniprésent.
04:50Voilà, parce que c'était une quête du père,
04:52d'elle-même, mais aussi une quête des mots.
04:55La quête à travers les mots qu'on nous raconte
04:57quand on est enfant, dans les contes,
04:59les premières histoires qu'on entend,
05:01et les mots qu'on entend et qu'on prononce
05:04chez un psychanalyste.
05:05Et ces mots qui reconstruisent,
05:07ces mots qui mettent de l'encre,
05:09de la voix, du sens,
05:12dans les blancs, dans le vide,
05:14dans le silence.
05:16Ce qui est amusant, c'est qu'à la fin,
05:17vous remerciez le coeur des filles sans père,
05:20parmi lesquelles Olympe de Gouges,
05:22Violette Leduc, Marilyn Monroe,
05:24Maria Schneider.
05:25En ont-elles en commun ?
05:26En dehors du fait qu'elles...
05:28Je pense que c'était une façon de dire,
05:30pour moi, qu'on était nombreuses,
05:33très, très nombreuses,
05:35en France et ailleurs, à avoir grandi
05:38sans la figure complice et proche d'un père,
05:41et que, pour autant, on peut en faire quelque chose.
05:44En tout cas, c'est à lire.
05:46-"Le silence des ogres", paru chez Calman Levy.
05:48Merci, Sandrine Rodex.
05:50Merci, Anne Fulda.

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