Le 14 juillet 1518, les rues de Strasbourg furent témoins d’un événement inexplicable : une femme se mit à danser sans s’arrêter, sans musique ni raison apparente. Pendant six jours, elle dansa sans relâche. Ce qui semblait être un cas isolé devint rapidement une épidémie, entraînant des centaines d'autres personnes dans cette danse frénétique.
Mais que s'est-il vraiment passé il y a 500 ans dans la capitale alsacienne ? Comment les Strasbourgeois ont-ils réagi face à cette mystérieuse "épidémie de danse" ? Cet épisode, bien plus qu'une simple curiosité historique, nous emmène dans un fascinant voyage à travers l’histoire, les croyances religieuses et les pratiques sociales de l'époque.
Grâce à des archives, des témoignages d’historiens, de médecins et d’experts, ce film explore le phénomène de la chorémanie et questionne les moyens de l'homme pour échapper à son destin, ainsi que les manifestations collectives de résistance à l'oppression.
Mais que s'est-il vraiment passé il y a 500 ans dans la capitale alsacienne ? Comment les Strasbourgeois ont-ils réagi face à cette mystérieuse "épidémie de danse" ? Cet épisode, bien plus qu'une simple curiosité historique, nous emmène dans un fascinant voyage à travers l’histoire, les croyances religieuses et les pratiques sociales de l'époque.
Grâce à des archives, des témoignages d’historiens, de médecins et d’experts, ce film explore le phénomène de la chorémanie et questionne les moyens de l'homme pour échapper à son destin, ainsi que les manifestations collectives de résistance à l'oppression.
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00:00Il faut fouiller dans les réserves de la Bibliothèque Nationale Universitaire, dans
00:29les rayonnages des archives municipales ou départementales pour trouver des preuves
00:33de cette histoire.
00:34Décision du conseil municipal, billets transmis aux corporations de métiers, récits de voyages,
00:42chroniques, les sources sont multiples, mais toutes convergent.
00:46Une femme s'est mise à danser dans les rues de Strasbourg le 14 juillet 1518.
00:54Il y a 500 ans, c'est vrai qu'il s'est passé ici à Strasbourg quelque chose d'assez
00:59extraordinaire dont on trouve trace dans ce registre.
01:04En l'an 1518, huit jours avant la Sainte Marie-Madeleine, une femme se mit à danser.
01:24La danse dura bien six jours, alors le magistrat la fit conduire à Saint-Guy près de Saverne.
01:34Là, elle se calma.
01:36Pendant qu'elle était encore en route, d'autres se mirent à danser au Herrenstall, rue du
01:42Finkville.
01:43Si bien qu'en quatre jours environ, 34 hommes et femmes dansaient.
01:49En un mois, il furent plus de 200 à danser.
01:53On est effectivement face à un mystère.
01:57Un mystère qui accumule les preuves écrites.
02:03On sait qu'une femme s'est mise à danser.
02:06On sait que d'autres personnes l'ont rejointe.
02:08On a les billets rédigés par le conseil municipal pour interdire la danse dans les espaces publics
02:13et demander à chaque corporation de veiller sur ses membres sous peine d'amende.
02:17On sait donc que derrière les façades de ces bâtiments, qui abritaient les corporations
02:25des tanneurs ou des charpentiers, s'agitaient compulsivement des danseurs fous durant l'été
02:311518.
02:32L'été 1518, comment dansait-on dans ces années-là ?
02:43C'est en effet ce qu'on appelle l'âme, l'âme de l'âme, l'âme de l'âme.
03:12Ce genre de danse que l'on aurait pu danser à Strasbourg en 1518, c'est une haute danse.
03:18Autrement dit, c'est une musique qui est relativement rapide, qui est jouée de manière
03:24enjouée.
03:25Et c'est vrai que là, on a utilisé un tempo de piva, et le tempo de piva est le tempo
03:30qui était utilisé par les paysans à cette époque pour jouer leur musique et faire leur
03:35danse.
03:36Les fêtes s'enchaînent les unes après les autres, si on regarde toutes les fêtes
03:59qui existent donc au Moyen-Âge et jusqu'à la Renaissance, il y en a énormément et
04:05chaque fois qu'il y a une fête, on danse.
04:07Alors on danse sur la place du village, on danse partout où on a un petit peu d'espace
04:12pour bouger, donc ça peut être autour d'un arbre, ça peut être dans l'église parce
04:16qu'il pleut et qu'on n'a pas d'autre endroit où se mettre, alors là le curé râle un
04:20petit peu parce qu'il n'a pas prévu, mais on le fait quand même.
04:24On danse dans les champs quand on a fini de travailler, tout le monde danse en fait, et
04:30au niveau du peuple, c'est vraiment quelque chose que l'on fait sans arrêt, sans arrêt.
04:34Nous sommes donc au XVIe siècle dans un monde festif.
04:38Strasbourg est un carrefour européen qui voit défiler les modes au rythme des allées
04:42et venues des cols porteurs.
04:43Strasbourg est une ville riche qui prête de l'argent au roi de France, une ville marchande
04:48qui stocke des réserves de blé pour les disettes, une ville dont la cathédrale sera
04:52le plus haut bâtiment de l'Occident jusqu'au XIXe siècle.
04:55C'est dans ce monde que cette épidémie s'est répandue.
04:59Vite, on s'affole et on convoque les premiers danseurs pour les interroger.
05:04Pris par la danse, ils ne peuvent pas se présenter, mais ce sont leurs accompagnants qui répondent
05:09à leur place.
05:10Alors on a la chance d'avoir effectivement le cas de cinq personnes, le détail où les
05:17parents proches, que ce soit les parents ou un conjoint, racontent ce qui s'est passé
05:21avec la personne qui s'est mise à danser.
05:23C'est tout simplement un compte rendu de ce qui s'est passé et d'audience au niveau
05:28du magistrat de la ville de Strasbourg.
05:29Le premier, c'est celui d'un instituteur qui habitait derrière la place Kleeber, derrière
05:37les Franciscains, Balthasar Burkaor, maître d'école résident derrière les Franciscains,
05:45a été convoqué et on l'a interrogé à ce sujet.
05:48Il dit que son fils Bernhard a regardé les danseurs et a commencé à danser ce matin,
05:56alors qu'il devait le seconder pour faire classe aux enfants.
05:59Il l'a calmé jusqu'après midi.
06:02Après 14 heures, il a voulu aller danser.
06:05Le journalier Anton Esslinger, le mari d'Apollonia, qui participe à la danse à la corporation
06:14des Charpentiers, a été interrogé.
06:16Il déclare qu'il revenait de la moisson quand il a trouvé sa femme en train de sauter
06:22chez eux.
06:24Il lui a demandé à trois reprises comment elle se sentait.
06:27Puis, quand les pauvres gens sont arrivés avec une cornemuse, elle s'est levée et
06:34les a suivies.
06:35Ce sont quand même des cas précis, ce sont des cas qui sont datés des événements.
06:40Ce ne sont pas des choses qui ont été écrites un siècle après, ce sont vraiment des archives
06:44de 1518 au moment même des faits.
06:46Et là, chacun raconte son expérience qu'il a vécue avec un enfant ou avec un conjoint
06:51qui est atteint de ce mal.
06:53Ce sont des choses qui nous permettent de vivre en quelque sorte la scène sur le vif.
07:17Le conseil municipal, composé d'artisans, de nobles et de riches marchands, gouvernait
07:22la ville dans cet imposant bâtiment.
07:24C'était à eux qu'incombait le maintien de l'ordre, si important pour que les affaires
07:28puissent prospérer.
07:29En pleine crise d'épidémie de danse, derrière ces fenêtres, les débats vont être passionnés.
07:34Et pour trancher, on convoque des médecins.
07:37Ils rendent leur diagnostic.
07:40Dans les archives à ce sujet, il est clairement question d'une maladie inhabituelle, une
07:51maladie qui vient de se déclarer.
08:00Et les médecins sont formels, cette maladie est due à une conjonction astrale et à la
08:07chaleur du moment, qui traduisent par l'échauffement du sang, puisqu'elle se déclare au mois
08:12de juillet.
08:13Pour les médecins, il s'agit d'une maladie naturelle qui provient de l'échauffement
08:17du sang.
08:18Mais les pauvres gens souhaitaient qu'on dise des messes pour eux.
08:21Le conseil s'est adressé au vicaire épiscopal qui a répondu, cela lui semble inutile, puisque
08:28les médecins pensent qu'il s'agit d'une maladie naturelle, qu'on essaie des remèdes
08:32naturels.
08:33Mais pour faire quelque chose, dans le sens pour qu'on ne puisse pas lui reprocher de
08:38ne rien faire, il va s'adresser à tous les prédicateurs et leur ordonner qu'en chair,
08:43ils appellent à prier et implorer Dieu pour qu'il envoie sa grâce et sa miséricorde.
08:50Finalement, ce qui nous semble un peu surprenant, c'est que ce soit le conseil, le côté laïc,
08:57qui prend des mesures d'ordre religieux, et qu'on en reste finalement à une théorie
09:02d'une maladie naturelle, qu'on ne va pas chercher derrière le diable ou à quelconque
09:07effet de sorcellerie.
09:08Cinq siècles ont passé, riches de découvertes, qui nous permettent de mieux comprendre les
09:16épidémies.
09:17Pour expliquer cette notion d'épidémie, il faut bien imaginer un processus qui se
09:28propage.
09:29Et le processus qui se propage, l'explication la plus simple, qui n'est pas simpliste,
09:36c'est un germe, une bactérie, un virus.
09:40On a une épidémie de rougeole, on a une épidémie de varicelle, on a des épidémies
09:46autrefois de variole, etc.
09:49Donc là, c'était l'agent qui circulait et qui se transmettait de personne en personne.
09:55Sauf qu'aujourd'hui, la médecine ne connaît pas de bactéries ou de virus qui puissent
10:00contaminer des personnes et les faire danser.
10:02Une autre possibilité serait celle d'une intoxication alimentaire.
10:06C'est la thèse développée en 1945 par Louis Beckmann, un chercheur suédois qui
10:12pense ainsi avoir résolu l'énigme de 1518.
10:15Le coupable serait l'ergot de seigle, un champignon qui pousse quand cette céréale
10:20est humide et dont les effets peuvent entraîner des mouvements incontrôlés.
10:25Quand on prend les données connues maintenant sur la contamination par l'ergot de seigle,
10:35il y a un certain nombre de signes qui sont décrits.
10:38C'est des nausées, des vomissements, des douleurs abdominales.
10:42Or, dans les textes que l'on voit qui rapportent les faits de 1518, vous n'avez pas la description
10:49des phénomènes digestifs, vous n'avez pas les phénomènes neurologiques qui suivent
10:53classiquement.
10:54Donc, on n'est pas dans cet ergotisme aigu.
10:57Donc, rattacher ces dents épidémiques, un phénomène lié à une intoxication, je crois
11:10qu'on peut l'écarter.
11:11Je pense que c'est non pas lié à un phénomène somatique d'intoxication, mais c'est plus
11:19un problème neurologique et plus encore psychiatrique.
11:23Utilisons le terme hystérie, pourquoi pas.
11:31À Paris, c'est à la pitié salpétrière que Charcot a commencé à étudier l'hystérie.
11:36Mais non, c'est à l'Institut de France, siège de l'Académie française, que nous
11:42amène Yves-Marie Berset, historien et académicien qui s'est passionné pour l'hystérie collective.
11:49Le mot hystérie apparaît dans la médecine antique où, très tôt, les médecins ont
12:01distingué l'hystérie comme une maladie, d'abord de la sexualité féminine, puis
12:09un désordre nerveux qui produit ces convulsions, toutes formes de gesticulations qui ne peuvent
12:18pas être simulées, qui sont véritablement un malaise incohércible.
12:23Le terme d'hystérie collective suggère qu'il y a une contagiosité de phénomènes
12:31psychosomatiques.
12:32Le malaise d'un va être communiqué, transféré, imité par plusieurs autres.
12:41Je crois que l'épisode qui survient à Strasbourg en 1518, de danse collective compulsive,
12:52ressemble beaucoup aux accès de l'hystérie collective parce qu'on peut suivre exactement
13:01sa propagation, son expansion, à partir d'un cas index unique à quelques dizaines,
13:10puis au maximum, semble-t-il, environ 200 au cours de l'été.
13:15C'est là le type même de la contagion.
13:19En fait, les cas d'hystérie collective traversent l'histoire, traversent les civilisations,
13:24donc des circonstances politiques, sociales, économiques, religieuses, extrêmement différentes.
13:37En 1518, on ne convoque pas l'hystérie collective, on parle d'humeur.
13:42Il y en a quatre, le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire.
13:48Un déséquilibre mineur entraîne des sautes d'humeur.
13:54Un déséquilibre majeur menace la santé.
13:58À Strasbourg, le sang est chaud et il faut réguler cette humeur.
14:03Quel traitement est alors proposé ? Quelle réponse est apportée par les magistrats ?
14:09Le magistrat prend la décision d'accompagner, en quelque sorte, ces gens qui dansent.
14:14Et pour cela, comme nous le dit la chronique de Hieronymus Gebwill, on avait engagé des compagnons,
14:20des hommes robustes qui se relayaient, car ils n'y résistaient pas.
14:24N'était-ce pas là une grande punition de Dieu et un rappel à l'ordre que cette maladie contagieuse
14:29que beaucoup ont contractée, rien qu'en regardant d'autres danser,
14:33si bien que le concierge leur a assigné deux poêles, donc les poêles de corporation où on se réunissait,
14:39et payé des compagnons qui dansaient jour et nuit avec les pauvres gens.
14:45Il y a encore une recommandation en ce qui concerne la musique.
14:48Ce petit billet qui nous est parvenu.
14:51Certains instruments de musique vont être prohibés, comme les timbales, les fifres, les tambours.
14:57Par contre, on pourra leur jouer avec des instruments à cordes,
15:02comme le violon et le lute, ou des orgues positifs.
15:08Ça, c'est autorisé, mais pas les instruments qu'on sous-sonne sans doute de déclencher la maladie
15:14ou d'être susceptible de la déclencher.
15:17Cette interdiction de hauts instruments à Strasbourg, à cette époque-là,
15:34est liée au fait que dès que l'on a un problème, que ce soit un temps de peste, que ce soit une épidémie,
15:42il y a des édits qui disent qu'on ne doit pas danser d'hautes danses,
15:46parce que ça échauffe la bile, ça échauffe les personnes,
15:49et du coup, il y a les petites gouttes de sueur qui risquent de sauter d'un danseur à l'autre,
15:53et si un est malade, l'autre risque d'attraper la maladie.
15:56Donc, on ne devra danser que des danses planes ou basses danses.
16:03La basse danse, ce sont des mouvements glissés, donc bas,
16:08et la haute danse, simplement parce que ce sont des mouvements sautés,
16:14d'où le terme de haut et bas.
16:25La vision de l'Église par rapport à la danse, c'est danse comme David et pas comme Salomé,
16:30c'est-à-dire que la danse ordonnée, la danse des anges,
16:34ça va être permis.
16:36La danse débridée, des paysans qui vont faire un peu n'importe quoi,
16:40ça va être toujours mal perçu par l'Église,
16:42mais aussi par certains nobles qui vont dire,
16:45nous, on a une belle manière de danser, une manière ordonnée,
16:48une manière qui est très travaillée, et ça, c'est la belle danse.
16:51Donc, que ce soit l'Église ou que ce soit la classe noble de l'époque,
16:56la basse danse, c'est la danse, la belle danse, et le reste, bref.
17:04La haute danse, c'est moins important.
17:13En 1493, Albrecht Dürer représente des couples dansants
17:18qui chutent dans une rivière en châtiment de leur attitude irrespectueuse
17:22lors de la fête Dieu.
17:24Les danses, si elles n'étaient pas exécutées correctement,
17:27pouvaient ainsi mener à la malédiction.
17:31500 ans avant les événements de Strasbourg,
17:33en 1018 est née une légende fondatrice
17:36de ce qu'on nommera plus tard les épidémies de danse.
17:39À Kalbich, au sud de Berlin,
17:42des jeunes gens ont préféré danser dans le cimetière
17:44plutôt que d'aller à l'Église.
17:46Le prêtre, offusqué, leur ordonne de participer à la messe.
17:50Mais comme ils refusent de le suivre, il les maudit.
17:53Et comme châtiment, il les condamne à danser sans s'arrêter pendant une année.
17:58Cette histoire a été de nombreuses fois relatée à partir du XIIIe siècle
18:04dans des légendes et des chroniques,
18:07et même localisée en divers endroits.
18:10Elle a souvent été utilisée par les prédicateurs dans les églises
18:15afin d'illustrer les soi-disant dangers de la danse.
18:19Elle est ainsi devenue un modèle
18:22pour expliquer les phénomènes ultérieurs de manie dansante.
18:27Dans le bassin rhénan,
18:30on trouve à partir du XIVe siècle
18:33plus de récits de gens qui dansent ensemble dans les églises,
18:36dans les cimetières ou dans les rues,
18:40et qui manifestement rattachent cette danse
18:45avec l'idée qu'ils doivent danser,
18:48qu'ils ne peuvent pas faire autrement,
18:51et qu'ils dansent involontairement.
18:54Strasbourg, en 1518,
18:57est donc simplement un événement
19:00dans une longue liste de récits sur la danse involontaire.
19:04Alors, quelles auraient pu être les croyances des participants
19:08lorsqu'ils s'adonnaient à ces danses ?
19:11L'idée sous-jacente date de l'époque
19:14où les danseurs de Strasbourg
19:17dansaient ensemble dans les églises.
19:20Le monde entier est pris dans une éternelle ronde cosmique
19:24harmonieuse autour de Dieu.
19:27Et quand les hommes veulent entrer en contact avec Dieu,
19:31ils peuvent ou doivent entrer dans cette ronde.
19:35Quand on danse involontairement,
19:38quand on danse de manière non pas harmonieuse,
19:41mais désagréable,
19:44cela montre que l'on a perdu la connexion avec Dieu.
19:48Je pense que cet état d'éloignement de Dieu
19:51prend forme dans ces phénomènes de manie dansante.
19:59Strasbourg n'était donc pas un phénomène isolé.
20:02Les épidémies de danse ont traversé le Moyen-Âge
20:05où des hordes de danseurs fous parcourent les campagnes,
20:09recrutant des artistes,
20:12recrutant des adeptes de ville en ville.
20:15Dans ce tableau, Bruegel décrit en 1564
20:18une procession à Molenbeek de gens possédés par la danse.
20:22Une des explications plausibles du conte du joueur de flûte de Hamelin,
20:26celui qui entraîne les enfants au son de son instrument,
20:30serait une épidémie de danse.
20:33Un nom est donné à cette maladie,
20:36la danse de Saint-Vite ou danse de Saint-Guy.
20:41Ce groupe de statues se trouve dans une chapelle
20:45qui est consacrée au culte de Saint-Guy depuis au moins le XIIIe siècle.
20:50La vie de Saint-Guy est marquée par de multiples exploits,
20:54dont celui qu'on peut admirer dans ce groupe de statues
20:58où le saint est soumis à une épreuve
21:01qui consiste à devoir survivre à l'intérieur d'un chaudron rempli de poids.
21:05Cet événement fait de Saint-Guy le saint désincurable.
21:09On se tourne vers Saint-Guy et vers les chapelles ou les églises consacrées à Saint-Guy
21:14dans tous les cas où la médecine officielle est incapable d'apporter une solution,
21:19comme dans les cas de stérilité, dans les cas de maladie mentale,
21:23dans les cas de choré, de maladies entraînant une agitation,
21:27une agression, un malheur.
21:30Il y avait au moins deux manières d'interpréter et de comprendre la maladie de Saint-Guy.
21:35Une façon populaire qui attribuait la maladie de Saint-Guy à Saint-Guy lui-même,
21:41qui pouvait envoyer cette bougeotte, cette saltation,
21:47à des impis, à quelqu'un d'autre,
21:51qui pouvait envoyer cette bougeotte, cette saltation,
21:56cette saltation à des impis et le même Saint-Guy
22:02qui pouvait libérer le malade de sa maladie.
22:06Et puis l'autre façon d'interpréter cette maladie,
22:10plutôt naturaliste, je dirais,
22:14visait à ancrer la maladie dans le corps, dans les veines, dans le sang,
22:18dans le sang chaud, qui provoquait tout naturellement, je dirais,
22:24une agitation des membres.
22:27Face aux limites de la médecine, la religion offre une réponse et un réconfort.
22:33C'est finalement ce qui s'est passé à Strasbourg en 1518.
22:37Les danseurs et musiciens embauchés pour soigner le sang chaud des danseurs fous n'ont pas suffi.
22:42Il a fallu imaginer une autre réponse.
22:46Et cette réponse se trouvait à 40 kilomètres de Strasbourg,
22:50dans une petite chapelle perdue dans les Vosges.
23:02C'est donc ici même que s'achève le pèlerinage forcé des pauvres danseurs de Strasbourg.
23:08Ici même, c'est-à-dire au sommet de la montagne Saint-Vite,
23:12un des sommets des Vosges savernoises,
23:14au XVIe siècle s'élevait ici une chapelle dont il ne reste qu'un mur,
23:18tout le reste s'étant écroulé.
23:20Une chapelle qui était donc spécialisée pour accueillir les pèlerinages
23:27des personnes qui souffraient de maladies soit nerveuses, soit d'infections vinécologiques.
23:35Et ce pèlerinage était relativement réputé dans l'ensemble de la région.
23:40Il n'est pas étonnant que le magistrat de Strasbourg ait décidé
23:45de faire venir à travers la campagne du Korsberg ces chariots de danseurs.
23:52Et donc nous sommes ici dans la partie souterraine du pèlerinage de Saint-Vite,
24:00cette fameuse grotte qui faisait partie de l'ensemble du pèlerinage encore une fois.
24:05Un des textes des chroniques de Jakob von Königshofen nous éclaire à ce sujet.
24:13Instruction concernant les pauvres personnes qui dansaient et qu'on a envoyées chez Saint-Guy,
24:18Saint-Vite, le vendredi après la Sainte-Marie-Madeleine, donc fin juillet.
24:23Pour commencer, maintenir les malheureux dans les trois groupes dans lesquels ils ont été répartis.
24:30Quand ils s'approcheront de Saverne, trouvez trois ou quatre prêtres qui chanteront chacun
24:36une grande messe pour chaque groupe.
24:40Et à chaque fois qu'une messe aura été chantée pour un groupe,
24:43on devra mener les malheureux de ce groupe faire le tour de l'autel
24:47et chaque malade devra donner un denier et un autre à la quête.
24:52Chaque groupe à son tour devra être mené autour de l'autel de cette manière.
24:56Quand les trois grands messes auront été dites,
25:00les prêtres seront payés correctement selon l'avis du doyen.
25:04Ce rituel impressionnant, quasiment de l'exorcisme,
25:07dans ce décor spectaculaire, a-t-il porté ses fruits ?
25:13Quels sont les textes qui relatent la fin de l'épidémie ?
25:17Les textes sont assez succincts.
25:19Il y a par exemple l'humaniste alsacien Jérôme Gebiler qui indique tout simplement
25:25quand ils eurent fait leur pèlerinage et fini de danser,
25:29ils sont allés à la maison et leur maladie disparut,
25:32comme par miracle bien entendu.
25:34De la même manière, dans les annales de Sébastien Brandt,
25:38il est dit que toutes ces personnes ont été prises en charge au frais de la ville
25:42et envoyées chez Saint-Guy, au Holstein, près de Saverne,
25:46où la plupart d'entre elles a guéri.
25:49Il n'est pas impossible que les personnes atteintes d'infections nerveuses
25:53aient été impressionnées par le rituel qui était organisé autour d'elles
25:57et que notamment l'aspersion, d'eau bénite, les messes,
26:02les ambulations autour de l'hôtel,
26:04autant des rituels qui devaient être impressionnants pour elles
26:07et ce choc nerveux a peut-être été pour eux le signal d'une guérison.
26:16Voilà donc Strasbourg qui retrouve son calme après deux mois d'épidémie.
26:20On ne verra plus danser derrière ces murs de la Corporation des Charpentiers,
26:24des danseurs fous que rien ne pouvait arrêter.
26:27Ils se sont arrêtés certes,
26:29mais on n'en sait pas plus sur les réelles raisons de cette danse
26:32qu'on a pu lire comme une hystérie collective ou une ronde cosmique perturbée.
26:37Si le mystère reste entier,
26:39ces malheureux sont-ils condamnés à s'agiter sans fin
26:42dans les limbes de l'enfer de la danse ?
26:55Un nouveau personnage entre en scène
26:57qui compte bien mettre un terme à cette décadence,
27:00Paracels.
27:02Paracels est un médecin iconoclaste
27:04qui finira sa vie d'errance à Salzbourg.
27:07Rebelle, exubérant, alcoolique, philosophe,
27:10il est un homme de la vie,
27:12un homme de la vie, un homme de la vie,
27:15un homme de la vie, un homme de la vie,
27:18un homme de la vie, un homme de la vie,
27:20un homme de la vie, un homme de la vie,
27:22Rebelle, exubérant, alcoolique, philosophe, chirurgien,
27:25il fera évoluer la médecine vers une approche moderne
27:28basée sur la biochimie et les expériences sur les corps.
27:32Dans notre histoire, il sera surtout le premier à venir à Strasbourg
27:36enquêter sur le phénomène,
27:38collectant des informations dans les tavernes
27:40où il avait l'habitude de boire.
27:45Toutes ces conclusions sont dans ce petit livre
27:48édité à Strasbourg
27:50pour trembler les mains de Lindsey Drury, chercheuse américaine.
27:55C'est le respect qui me fait trembler.
27:57Et dans ce livre se trouve peut-être le secret des danseurs fous.
28:05Paracelsus a voyagé à Strasbourg après la danse de Saint Guy
28:08qui s'y était déroulée en 1518.
28:11Il est arrivé au début des années 1520.
28:15Paracelsus voulait distinguer la danse de Saint Guy
28:18des saints et des lieux de pèlerinage.
28:23Donc il voulait que la médecine cesse d'associer
28:26le lieu de pèlerinage à un espace de guérison.
28:34Dans ce texte, il pense que la danse de Saint Guy
28:37est liée à des veines du rire à l'intérieur du corps,
28:42dans lesquelles il y a une profonde force vitale.
28:50Ça devient très chaud et débordant d'énergie.
28:53Ça chatouille l'intérieur des veines.
28:57Ce chatouillement interne pousse la personne à y répondre
29:00en riant, en sautant et en bougeant.
29:06Il sépare la danse en différentes catégories.
29:11Il y a la chorea lasciva, sorte de danse lascive
29:16liée à l'idée d'une personne au style de vie hédoniste.
29:23Et puis aussi la danse de style naturalis
29:26qui est déclenchée par des causes naturelles.
29:32Et la chorea imaginativa qui serait la danse causée par l'imagination.
29:37Il donne deux sortes de remèdes pour cela.
29:40Aux personnes atteintes de chorea lasciva,
29:43ils préconisent de les enfermer dans un endroit calme
29:46et mélancolique où elles pourraient se soigner
29:49grâce à leur tristesse et tranquillité.
29:59À mesure qu'elles vont mieux, ils préconisent de réintroduire
30:02peu à peu des éléments plus agréables,
30:05de meilleures conditions de vie.
30:08Pour la chorea naturalis, il fait une liste de médicaments
30:11que l'on peut prendre sous forme d'onguents
30:14ou de solutions à boire.
30:18À défaut d'avoir trouvé le bon traitement contre la danse de sanguine,
30:21Paracel sera le mérite d'avoir pointé dès la Renaissance
30:24la dimension psychologique de cette pathologie.
30:28Le rapport entre le corps et l'émotion
30:31ne peut laisser insensible l'incédrurie, elle-même danseuse.
30:36Il y a certaines choses qui sont vraiment constantes.
30:39Par exemple, il y a des sauts.
30:41C'est très courant dans les histoires sur les manies de la danse
30:44qu'il y ait des sauts, et des roulades au sol, etc.
30:52J'imagine que ces danses ressemblent à n'importe quelle autre danse mystique,
30:57un peu sauvage, constamment en mouvement,
31:00des corps se mouvant dans des postures très différentes.
31:06Mais il y aurait à la fois un sentiment de lâcher prise dans le corps
31:10et une présence, une sorte de joie,
31:13l'expression d'une totale perte de contrôle.
31:26Sincèrement, en tant que danseuse,
31:29l'état d'esprit que je lis ou que j'imagine chez un danseur de sanguine
31:33est un état d'esprit que tout danseur veut vivre.
31:40Dans la danse, il y a toujours cette question de savoir pourquoi on danse,
31:45et il faudrait trouver une raison à cela.
31:49La danse de sanguine est une toute autre facette de la danse,
31:52une danse que l'on ne peut s'empêcher de faire.
31:55L'idée d'être si absorbée par une danse
31:58qu'on ne peut pas s'arrêter,
32:00qu'on n'a pas besoin de réfléchir pour l'incarner.
32:03Je pense que ce serait un état vraiment intéressant à vivre.
32:07Et je pense que la danse de sanguine reste une sorte de conte rêvé pour les danseurs,
32:11un conte qui leur donne l'impression que peut-être,
32:14il fut un temps où cela pouvait arriver.
32:19Après avoir dansé dans ce cimetière,
32:21notre chercheuse américaine sera certainement maudite
32:24et condamnée à danser pendant une année comme les jeunes de Kölbick.
32:30Alors que Paracelsus s'éteint en Autriche,
32:33à la même époque se répand dans le sud de l'Italie
32:36une pratique de danse convulsive,
32:38proche de ce que pouvaient être les Corémanies.
32:41Et dans ce cas, l'explication est claire,
32:44du moins au XVIIe siècle.
32:46Il y a un coupable désigné.
32:48C'est une araignée qui niche dans les pierres
32:51et qui vient mordre les jeunes femmes.
32:53Possédées par son venin,
32:55elles doivent danser pour guérir,
32:57danser la tarantelle.
33:00...
33:08Le tarantisme est un rituel de possession
33:12qui porte à la trance.
33:14Ce cheminement est guidé
33:16grâce à une thérapie musicale.
33:20Lorsqu'on découvre celui qui a été possédé par la tarantule,
33:24à terre, immobile,
33:26on le soumet alors à des tentatives.
33:28On administre au malade une première musique,
33:31puis une autre,
33:33jusqu'à ce que l'on trouve la bonne musique,
33:35celle qui fera réagir le patient.
33:40On continue donc à administrer cette musique
33:42pendant des jours et des jours,
33:44jusqu'à ce que le patient se relève
33:46et passe de la phase au sol,
33:48de l'immobilité, à la phase debout,
33:50celle de la danse,
33:52du déchaînement de toutes les énergies qu'il retrouve.
33:55Et avec la transpiration,
33:57il expulse le poison de la tarantule.
33:59Nous dirons, puisqu'il s'agit de possession,
34:02qu'il expulse également l'esprit même de la tarantule qui le possède.
34:06...
34:26...
34:51Ensuite, voici un autre pas
34:53que l'on voit toujours dans les fêtes traditionnelles.
34:56C'est un pas sauté,
34:58un pas très amusant car c'est celui que font les enfants
35:00quand ils jouent.
35:02Il sert à se déplacer dans l'espace,
35:04le pas sauté.
35:06...
35:14Ce qui relie tous ces différents pas,
35:16c'est le rythme rapide, constant.
35:18On ne s'arrête jamais
35:20tant qu'il y a de la musique.
35:23On maintient toujours un battement constant
35:26qui sert à soutenir la base de la danse incessante.
35:33C'est une danse qui part de la joie.
35:35Elle part pour exorciser une douleur.
35:37Elle part parce qu'elle est nécessaire.
35:41...
35:52Le rythme de la danse
35:54est un rythme ternaire.
35:56Disons que c'est donc un genre de rythme
35:58qui te porte à la transe.
36:00C'est l'étape suivante.
36:02Quand cette danse s'exécute
36:04pendant des heures et des heures,
36:06des jours et des jours,
36:08cela peut t'amener
36:10à perdre l'équilibre
36:12ou à le retrouver.
36:14C'est une danse curative.
36:16Elle sert à se sentir mieux,
36:18à améliorer son état.
36:20Elle sert à se réjouir
36:22et à vivre mieux.
36:24...
36:55La tarantelle est devenue
36:57une danse folklorique et populaire.
36:59On ne trouve plus de tarantules
37:01sous les pierres,
37:03mais sur les étals des marchés.
37:12Le rite du tarantisme
37:14a des origines très anciennes,
37:16très archaïques.
37:18On pense que ces origines
37:20remontent à la Grèce antique.
37:22C'était des fêtes
37:24que l'on avait l'habitude
37:26de célébrer à l'époque
37:28en l'honneur de Dionysos de Bacchus.
37:30On fêtait, on buvait.
37:32Ces événements étaient
37:34de nature orgiaque.
37:36Afin de pouvoir continuer
37:38à les célébrer sans que
37:40l'Eglise ne les interdise,
37:42on a accusé cette petite araignée
37:44et sa morsure.
37:46A cause de cette araignée,
37:48l'Eglise ne pouvait rien dire.
37:50Et ces femmes,
37:52même si elles n'avaient pas
37:54vraiment été mordues,
37:56pouvaient danser.
37:58Elles pouvaient se déshabiller.
38:00On peut dire que c'est ça
38:02l'essence du véritable tarantisme.
38:08La danse a clairement
38:10cette fonction exutoire.
38:12Dans un contexte où l'Eglise
38:14contraint les corps,
38:16trouver une excuse pour danser
38:18n'est-ce pas ce qui s'est passé
38:20dans la tête des danseurs de Strasbourg ?
38:30En 1517,
38:32eut lieu à Strasbourg
38:34la première dissection officielle.
38:36Le docteur Von Brackenau
38:38y a longuement observé
38:40les entrailles d'un condamné à mort.
38:42Si une année plus tard,
38:44en 1518,
38:46on avait pu lire dans le cerveau
38:48des danseurs,
38:50qu'aurait-on découvert ?
38:56Aujourd'hui,
38:58grâce aux neurosciences,
39:00nous avons une meilleure compréhension
39:02des troubles fonctionnels.
39:08Une dimension psychologique
39:10qui est importante
39:12dans beaucoup de cas
39:14où des symptômes fonctionnels apparaissent,
39:16c'est de libérer une certaine tension,
39:18une certaine anxiété,
39:22selon certains psychiatres,
39:24d'échapper à des contraintes
39:26de la vie réelle,
39:30avec différents buts,
39:32peut-être simplement le fait d'appeler à l'aide,
39:34qu'on s'occupe de soi,
39:36mais aussi simplement
39:38comme exutoire,
39:40fuite de la réalité,
39:42ou retrouver un état
39:44qui, pour différentes raisons,
39:46rassure le patient
39:48ou permet d'exprimer certaines émotions
39:50d'une manière qui ne peut pas être exprimée autrement.
39:52Lorsque les symptômes sont collectifs,
39:54on peut imaginer que l'épidémie
39:56répond peut-être à des anxiétés
39:58plus collectives
40:00ou à une situation plus générale
40:02et vient, quelque part,
40:04comme exutoire
40:06pour un certain nombre de personnes,
40:08pour exprimer des choses
40:10qui ne sont peut-être pas exprimables autrement
40:12pour des raisons de société, de religion,
40:14économique.
40:16Cette gravure emblématique
40:18datant du XVIe siècle
40:20montre comment un médecin
40:22extrait les idées noires
40:24de l'esprit d'un patient.
40:26A défaut de cette machine,
40:28les Strasbourgeois de 1518
40:30auraient utilisé la danse
40:33Hieronymus Gebweiler,
40:35dans ses chroniques, écrivait
40:37« J'ai vu de mes propres yeux
40:39une femme danser six jours d'affilée.
40:41N'était-ce pas là
40:43une grande punition que cette maladie contagieuse
40:45que beaucoup ont contractée
40:47rien qu'en regardant d'autres danser ? »
40:49Pour cet humaniste, témoin direct,
40:51la contagion était une réalité
40:53qu'on constate.
40:57Pour la neuroscience,
40:59la contagion est une réalité qu'on étudie
41:01et qu'on peut comprendre.
41:13Comment utiliser les neurosciences
41:15pour comprendre cette histoire de contagion
41:17et d'implication du corps ?
41:19La piste la plus prometteuse, il me semble,
41:21c'est celle des neurones miroirs.
41:23Les neurones miroirs ont été enregistrés
41:25pour la première fois de manière fortuite
41:27dans le cortex prémoteur du macaque,
41:29dans une tâche de préhension.
41:31Le macaque devait attraper un objet
41:33et pendant la pause,
41:35l'expérimentateur, qui avait une petite faim,
41:37va attraper lui-même
41:39un des grains de raisin qui servait
41:41pendant l'expérience.
41:43Le singe voit l'expérimentateur
41:45faire ce geste de préhension
41:47et les mêmes neurones
41:49se mettent à décharger de la même manière.
41:51Ces mêmes neurones s'occupent
41:53à la fois du codage de l'action du singe
41:55et du codage de l'autre
41:57en faisant la même action.
41:59Et ça, ça a été une révolution dans les neurosciences
42:01parce que ça permet de comprendre
42:03ce que c'est que la théorie de l'esprit,
42:05c'est-à-dire comprendre les états mentaux d'autrui.
42:07Comment je sais ce que vous savez ?
42:09Comment je sais ce que vous ressentez ?
42:11Parce que je vais utiliser les mêmes neurones,
42:13ces neurones miroirs,
42:15que ceux que j'utiliserai si moi-même
42:17je faisais l'action ou si moi-même
42:19je ressentais ces mêmes émotions.
42:21L'expérience IRM, c'est une expérience
42:23dont le but, c'est de montrer
42:25que quand on regarde quelqu'un
42:27qui exprime des émotions,
42:29on va activer dans son cerveau
42:31les mêmes régions cérébrales
42:33que celles qu'on aurait activées
42:35pour ressentir soi-même
42:37les mêmes émotions.
42:47Sabri, on va commencer les images.
42:49C'est parti, ça commence.
43:01Il faut simplement les regarder
43:03et regarder le point de fixation également.
43:05Donc si on voit quelqu'un
43:07qui exprime de la peur,
43:09on va activer l'amygdale,
43:11qui est la structure cérébrale qui est impliquée
43:13le plus souvent quand soi-même,
43:15on ressent de la peur.
43:17Ça permet de montrer que
43:19comprendre les sentiments d'autrui,
43:21les émotions d'autrui,
43:23passe par l'activation des structures cérébrales
43:25que l'on utilise nous-même
43:27pour ressentir ces mêmes émotions.
43:29Ça fait peur et c'est fascinant
43:31cette histoire de contagion émotionnelle.
43:33Mais est-ce que ça explique tout
43:35pour nos danseurs fous ?
43:37À la lumière de ce que l'on sait maintenant
43:39en neurosciences sur la relation du corps
43:41de l'esprit et des émotions,
43:43la cognition des émotions,
43:45comprendre comment ce phénomène
43:47se propage de proche en proche
43:49à l'échelle de quelques minutes.
43:51Mais je n'arrive toujours pas
43:53à comprendre comment ça a pu se prolonger
43:55pendant des jours et des semaines.
43:57Pour moi, ça reste totalement mystérieux.
44:07Hieronymus Geibweiler
44:09finissait sa chronique en disant
44:11« Il faudrait se souvenir de ces événements
44:13pendant mille ans ».
44:17On se souvenait encore
44:19de cet événement au XIXe siècle.
44:21C'est à cette époque
44:23que l'illustrateur alsacien
44:25Charles Spindler reprend
44:27l'épisode de Corémani de 1518
44:29pour le remettre au goût du jour.
44:31Le XIXe siècle
44:33est un moment charnière
44:35dans la compréhension des épidémies de danse.
44:37Ce siècle, qui analyse
44:39l'hystérie grâce aux travaux de Charcot,
44:41voit naître aussi
44:43la psychologie sociale
44:45qui cherche à décortiquer les mouvements de foule.
44:47C'est peut-être la clé
44:49pour comprendre la contagion.
44:51La psychologie sociale naît à la fin du XIXe siècle
44:53autour d'une réflexion
44:55sur les comportements de foule,
44:57de foule révolutionnaire,
44:59d'émeute.
45:01On veut essayer de comprendre
45:03pourquoi l'individu
45:05qui paraît rationnel quand il est seul
45:07se met à agir comme une bête.
45:09Ce sont les termes à l'époque
45:11de certains grands psychologues sociaux
45:13ou psychologues des foules.
45:15Très rapidement, quand on a essayé de comprendre
45:17pourquoi les gens en groupe
45:19se mettent à faire n'importe quoi,
45:21à agir de manière extrême,
45:23de manière polarisée,
45:25on a utilisé des métaphores du monde médical,
45:27en parlant d'épidémie,
45:29en parlant de contagion.
45:31L'idée était de comprendre
45:33la source de ces mots, la source de ce mal.
45:35L'individu seul agissant
45:37de manière parfaitement raisonnable et raisonnée,
45:39pourquoi, quand il était en groupe,
45:41il était malade,
45:43pourquoi il était contaminé.
45:45L'élément déclencheur, cette première femme
45:47qui va se mettre à danser,
45:49va entraîner une forme d'imitation,
45:51certains disent une contagion,
45:53autour d'autres personnes
45:55qui vont se saisir de son comportement
45:57pour exprimer eux-mêmes
45:59qui une revendication particulière,
46:01qui une simple imitation
46:03de ce premier comportement,
46:05qui encore
46:07une envie
46:09subite de faire la même chose.
46:11L'étape suivante
46:13qui va avoir lieu
46:15tourne autour de l'interdiction
46:17de ce type de comportement.
46:19À partir du moment où on décide d'interdire
46:21quelque chose, le comportement
46:23qui pouvait être jugé parfois anecdotique
46:25ou insignifiant,
46:27va prendre une nouvelle signification.
46:29Si une autorité que l'on juge
46:31ou non légitime décide
46:33d'interdire ce comportement,
46:35cela signifie donc que pour cette autorité-là,
46:37le comportement a une importance.
46:39Cela explique que dans beaucoup de domaines
46:41de la vie politique ou publique,
46:43l'interdiction est toujours
46:45l'étape ultime.
46:47Cette ville riche qu'était Strasbourg
46:49en 1518 a donc pris peur,
46:51au point d'interdire les danses
46:53et certains instruments.
46:55Peur que son ordre soit déstabilisé.
46:57Peur que ses corporations
46:59ne puissent plus prospérer.
47:03Le XIXe siècle
47:05nous apprend encore d'autres choses
47:07sur ces épidémies de danse.
47:09Car ce siècle commence à comprendre
47:11les épidémies.
47:13C'est à Londres, en 1854,
47:15que John Snow,
47:17en analysant des sources d'eau,
47:19comprend la propagation
47:21des épidémies de choléra.
47:23Ces travaux vont donner naissance
47:25à l'épidémiologie.
47:27C'est à Londres que Kélina Gottman
47:29étudie aussi les épidémies de danse
47:31et nous en donne sa vision
47:33très personnelle et iconoclaste.
47:37Dans ce type d'amphithéâtre
47:39avaient lieu, au XIXe siècle,
47:41les premières conférences
47:43qui évoquaient ces épisodes
47:45de manie dansante.
47:47C'est un épisode qui me semble
47:49se rattacher à tout un tas de cas
47:51où des pratiques préchrétiennes
47:53qui souvent se rapportaient
47:55à des questions de fêtes,
47:57à des questions de danse,
47:59les fêtes de Saint-Jean,
48:01les fêtes paroissiales.
48:03Ce but a une institutionnalisation
48:05de la religion qui veut
48:07que les gens soient
48:09plus cadrés.
48:11On peut voir ce qui est lu
48:13comme étant une maladie
48:15comme étant une contestation.
48:17C'est un refus
48:19de se laisser gérer
48:21corporellement, socialement.
48:23D'une certaine façon,
48:25la corémanie, c'est vraiment un mythe
48:27à mesure où il n'y a jamais vraiment
48:29eu une épidémie de la danse.
48:31À chaque fois, on a
48:33des documents qui attestent
48:35des mouvements peut-être un petit peu
48:37irréguliers, mais pas maladifs.
48:39Si on revient sur l'épisode
48:41de Strasbourg, par exemple,
48:43ce qu'on voit en creusant les documents municipaux,
48:45c'est que c'est un père
48:47qui ne veut pas que son fils aille danser
48:49parce qu'il doit le surveiller.
48:51Il ne peut pas parce qu'il est professeur,
48:53il est instituteur.
48:55C'est une femme qui veut aller
48:57danser, qui veut partir avec un musicien.
48:59C'est son mari qui n'est pas content
49:01et qui veut donc que
49:03la municipalité vienne
49:05la contraindre. Mais en fait,
49:07dans ces deux cas-là,
49:09ce sont des gens qui veulent
49:11aller danser et
49:13ce n'est pas du tout une maladie.
49:15Ce n'est pas du tout
49:17une épidémie.
49:19C'est là où la métaphore
49:21ou l'image de l'épidémie
49:23touche à
49:25un langage médical
49:27tout en décrivant
49:29l'idée de beaucoup de gens
49:31qui veulent faire quelque chose
49:33et l'idée que ça serait contagieux.
49:35Mais en fait, il n'y a aucun,
49:37ni socialement ni médicalement,
49:39de véritable contagion.
49:41Il y a un enthousiasme.
49:43À mon avis, on peut absolument rapprocher
49:45une maladie d'ensemble
49:47soi-disant dans un village
49:49du Moyen-Âge avec
49:51l'arrivée du rock'n'roll dans
49:53une petite ville américaine.
49:55Ces enthousiasmes-là sont décrits
49:57comme étant des espèces
49:59quasiment des pestes.
50:01C'est là où ce langage-là
50:03des épidémies et des pestes
50:05revient encore
50:07pour décrire
50:09ces mouvements culturels
50:11tout à fait normaux.
50:13Chaque siècle a offert sa propre lecture
50:15de ces phénomènes dansés.
50:17Rupture d'un ordre cosmique,
50:19intoxication alimentaire,
50:21contestation sociale,
50:23moyens exutoires,
50:25épidémies menaçantes,
50:27voire phénomènes de mode.
50:29Aujourd'hui, où pourrait-on trouver
50:31des épidémies de danse ?
50:33Elles ne se répandraient peut-être plus
50:35dans les rues des villes,
50:37mais iraient contaminer le net ?
50:39Il est vrai que si, dans 500 ans,
50:41des chercheurs se penchaient sur ces images
50:43sans en connaître le contexte,
50:45ils ne pourraient qu'en conclure
50:47qu'il n'y a pas d'épidémies.