Margherita Sarfatti _ l'Amante Juive de Mussolini - Les Femmes de l'Histoire - D

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Margherita Sarfatti, compagne de Mussolini et très influente auprès de lui, reste une femme presque oubliée dans l’environnement du Duce. Née en 1880 dans un palais du XVème siècle, à la lisière de l’ancien Ghetto de Venise, elle passera le reste de sa jeunesse dans le Palazzo Bembo, sur le Grand Canal. Son père voulut pour sa fille les meilleurs maîtres.

Cela ne l’empêcha pas de devenir une socialiste militante convaincue, puis un des membres les plus écoutés du parti, tout en étant une féministe avant-gardiste ! Son salon, à Milan puis à Rome, attira les plus grands noms parmi les compositeurs, écrivains et artistes italiens et étrangers. Elle aimait collectionner «les gens précieux». En 1923, elle fit inaugurer la première exposition du Novecento par son amant Benito Mussolini.

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00:00 En novembre 1938, j'ai dû précipitamment quitter ma villa du lac de Côme. Munie de
00:20 mon passeport, je demandais à mon chauffeur de me conduire en Suisse. Puis, de Suisse,
00:27 j'ai pris le train pour Paris. Je me suis ensuite rendue en Espagne. À Barcelone, j'ai
00:33 embarqué pour Montevideo en Uruguay, en sachant pourtant que partout où je pourrais aller,
00:39 je ne serais plus jamais à l'abri. L'homme que j'avais aimé pendant plus de 20 ans,
00:46 et qui m'avait aimé passionnément en retour. Cet homme auquel j'avais sacrifié le meilleur
00:52 de moi-même, et pour lequel aujourd'hui ma vie n'était plus rien. J'avais participé,
00:59 moi, Margherita Sarfati, à ce qu'il était devenu, un monstre. Aujourd'hui, il me fallait
01:09 le fuir le plus loin qu'il m'était possible, car il voulait ma mort. Cet homme, c'était
01:17 Benito Mussolini.
01:24 Margherita Sarfati est née en 1880 dans une famille juive de Venise. Son enfance, elle
01:38 l'a passée dans un palais du XVe siècle sur le Grand Canal, le Palazzo Bembo, à la
01:43 lisière de l'ancien ghetto. Je grandis dans un jardin enchanteur sur la lagune. Son père,
01:57 Amadeo Grassini, juif traditionnel mais progressiste, grand avocat d'affaires, fit fortune en participant
02:04 à la création des fameux Vaporetti. Margherita ne fréquente pas l'école. Ses parents lui
02:13 offrent les plus illustres précepteurs de Venise. Elle est nourrie de littérature, d'histoire
02:19 de l'art, de philosophie. Mais la jeune fille se laissera séduire par d'autres idées, moins
02:25 classiques et conformistes.
02:27 Dans la jeunesse italienne, le socialisme fut pour certains une mode, pour d'autres, une
02:36 attitude d'avant-garde, pour la plupart un espoir. L'Italie, qui voit Margherita Sarfati
02:45 grandir et s'épanouir, est une terre en ébullition. C'est le temps du Risorgimento, le rêve
02:52 d'une nouvelle renaissance. L'indépendance et l'unité sont récentes. Venise ne s'est
02:58 libérée du jour austro-hongrois qu'en 1866. Le grand-père de Margherita, Marco Grassini,
03:05 a fait partie de cette génération révolutionnaire, engagée pour la liberté et pour une Italie
03:10 nouvelle et moderne. De quoi nourrir le rêve socialiste de la jeune Margherita.
03:15 J'ai été socialiste à partir de 14 ans, malgré mes parents conservateurs, malgré
03:23 mon palais, la loge à l'opéra. Oui, j'aimais tout cela, mais je l'ai abandonné pour d'autres
03:30 idéaux et pour me marier avec Césare Sarfati. Elle a connu César quand elle avait 6 ou 7
03:40 ans et lui 23. Et alors il s'est arrêté saluer mon arrière-grand-père qui allait
03:48 à l'opéra avec la petite. Et elle était jolie, elle avait une masse de cheveux rouges.
03:52 Elle était surtout jolie quand elle était petite. Et alors il a dit "Alors mademoiselle,
03:57 on va à l'opéra et on aime, qu'est-ce qu'on aime ? Vous aimez, je sais pas moi,
04:03 Rossini, Puccini. Elle a dit "Non, moi je n'aime pas que neuf".
04:08 Césare Sarfati est avocat au Barreau de Venise. Orateur de talent aux ambitions politiques
04:14 affirmées, il se laisse persuader par Margherita, de 14 ans, sa cadette, d'adhérer avec elle
04:21 au parti socialiste italien. Porté par son ambition, le couple occupe rapidement des
04:27 responsabilités au sein de l'appareil du parti. Césare en devient l'avocat officiel.
04:33 Margherita en finance le journal, la Vanti. Une fois elle m'a dit "Moi je n'ai aimé
04:42 que deux hommes". Mais ils étaient tous les deux extraordinaires. Puis c'était
04:45 pas vrai, elle en a aimé beaucoup d'autres. C'est durant la guerre de Libye que j'ai
04:50 entendu nommer pour la première fois mon jeune camarade socialiste, Benito Mussolini.
04:57 Quand en 1911, l'Italie se laisse tenter par l'aventure coloniale en Libye, les socialistes
05:06 italiens, pacifistes, prennent la tête de la contestation. A Forli, une petite ville
05:14 du nord, un jeune militant, Benito Mussolini, directeur d'un petit hebdomadaire provincial
05:20 du parti, se fait remarquer. Fermement opposé à l'intervention italienne en Libye, il
05:26 est emprisonné durant plus de cinq mois. A son sujet, Margherita s'entendit décrire
05:33 par son mari Césare les qualités d'un merveilleux jeune homme maigre à l'éloquence
05:39 abondissante, fougueuse, singulière. Césare Sarfati, sans s'en douter, allait livrer
05:46 sa femme à Benito Mussolini.
05:50 J'étais venue le féliciter pour sa nomination comme nouveau directeur du journal L'Aventi
05:57 que je finance en grande partie. Je lui présentais ma démission, comme il se doit, en tant que
06:03 collaboratrice du précédent directeur. Je lui glissais, comme un appel du pied, l'art
06:10 d'aujourd'hui qui est l'expression de notre modernité peut être un excellent
06:13 vecteur de l'action politique. Il me répondit aussi sec, non, l'art n'est pas un argument
06:21 socialiste. Quant aux articles politiques dans le journal que je dirige, je les écris
06:26 moi-même. Puis-je vous lire quelques critiques d'art que j'ai faites pour le journal ? Je
06:33 ne lis que les articles politiques et la philosophie, Nietzsche. Je suis un homme qui cherche, un
06:38 homme qui cherche, mademoiselle.
06:39 À la fin de notre entretien, il me fit comprendre de cette manière indirecte que nous les femmes
06:49 comprenons directement qu'il aimait les blondes dans mon style.
06:52 Mussolini est de trois ans plus jeune que Margherita. « Mon origine populaire, voilà
06:59 mon plus gros atout », lui dit-il. Elle, elle est née fortunée, d'une classe sociale
07:05 à l'opposé de la sienne, immensément cultivée. Tout ce qu'il n'est pas.
07:10 Je crois qu'elle n'était pas snob du tout. Elle avait un réel amour et un très grand
07:17 respect, même romantique pour les gens du peuple.
07:20 Quelques nuits plus tard, dans un concert, il me sembla que deux grands yeux ardents
07:28 me fixaient et me brûlaient, et ce, même avant de me rendre compte que c'était ceux
07:33 de Mussolini.
07:34 Dès les premiers jours de 1913, une relation intime commence entre eux.
07:41 Mon ami, je repense intensément à tout ce que l'autre jour tu m'as fait, et j'ai
07:49 découvert, tu vois, que la faute m'en revient d'un peu. Oui, parce que je n'aurais pas
07:54 dû me laisser aimer, comme je l'ai fait, par trop de tendresse.
07:58 Laisse-moi, chéri, te préparer un refuge pour ton esprit assoiffé de douceur, que
08:04 peut-être inconsciemment tu imagines sans le connaître. Tu y trouveras l'atmosphère
08:09 qui convient pour tous les moments les plus divers de ton esprit. Tu ne me connaîtras
08:13 pas, tu ne m'aimeras pas, j'ose le dire, tu ne te complèteras pas en moi, avec moi,
08:19 de moi, sinon ainsi. Si tu ne ressens pas ce besoin, cela veut dire que le moment n'est
08:26 pas encore arrivé. Mais je patienterai, et je sais qu'il viendra. Je t'aime, je suis
08:33 à toi.
08:35 Mussolini écrit à Margherita Formez l'unité spirituelle des Italiens.
08:42 Créer l'âme italienne est une mission superbe. Mon père ne me laisse aucun bien,
08:48 mais j'hérite de lui un trésor, l'idée socialiste. Je jure de rester fidèle à cet
08:53 idéal jusqu'à mon dernier jour.
08:55 Jette l'encre dans mon port, grand navire n'aimé de gloire, et vogue vers tous les
09:03 océans. Même dans les tempêtes, tu seras en sécurité, parce qu'un fil ténu, mais
09:08 qui ne rompt pas, si Dieu me l'accorde, te tient attaché à la terre ferme. Je t'aime.
09:15 Amen.
09:15 Toute la politique démocratique d'Italie se façonne alors à Milan, dans le salon
09:25 d'Anna Koulishoff, une révolutionnaire russe, réfugiée en Italie et cofondatrice
09:30 du parti socialiste italien. Margherita Sarfati introduit dans ses cercles de l'élite son
09:37 jeune amant, déterminé à lui faire jouer un rôle majeur. Il en avait le potentiel,
09:44 à elle, de le révéler à lui-même.
09:46 Mussolini n'était pas un philosophe, ni un théoricien. Je l'entendais penser à
09:56 voix haute, et très souvent je devais l'aider dans ses raisonnements. Il ne s'embarrassait
10:02 pas à percer la vérité profonde cachée derrière une idée. J'étais là pour ça.
10:06 Tout homme qui sent en lui la force d'entreprendre une vie non commune a besoin
10:14 d'une inspiratrice, d'une consolatrice, vous me comprenez. L'inspiratrice n'est
10:20 pas seulement la mente. Je voudrais être compris d'elle jusqu'au fond de mon âme.
10:25 Je voudrais pouvoir me confier à elle, être aussi stimulé, conseillé, désapprouvé
10:32 si je fais des erreurs.
10:33 J'ai même essayé d'améliorer le style de son crôle, car il nageait comme un tout
10:38 petit qui se mouille dans un bassin, mais il était convaincu qu'il parcourait de
10:42 longues distances.
10:44 Mussolini veut aller plus vite, plus loin. Au printemps 1914, il évoque dans son journal
10:52 son attente d'un nécessaire renouveau, son désir ardent, presque mystique, de quelque
10:57 chose de révolutionnaire. L'Europe s'apprête à lui offrir ce qu'il désire. L'assassinat,
11:05 le 28 juin 1914 à Sarajevo de l'archiduc François Ferdinand d'Autriche, fournit aux
11:11 puissances l'ultime argument pour déclencher une guerre qui se prépare depuis des années.
11:16 Le mot d'ordre socialiste, en Italie comme dans toute l'Europe, est alors la neutralité.
11:24 Mais le socialiste français Jean Jaurès, chef de file des pacifistes, est assassiné
11:29 à Paris le 31 juillet. Le 1er août, la guerre est déclarée. L'Italie, elle, demeure neutre.
11:38 Une position défendue par le parti socialiste et par Benito Mussolini. Mais Margherita
11:44 Sarfati milite vigoureusement pour une intervention de l'Italie aux côtés des alliés français
11:49 et britanniques. Son ardeur finit progressivement par convaincre Mussolini, qui devient alors
11:55 son véritable porte-parole.
11:57 Alors, en juillet 1914, en plein congrès, Mussolini interpelle le parti. Il condamne
12:10 les options pacifistes. Un véritable taulé. Margherita vient à son secours. Elle se lève,
12:19 s'indigne de la barbarie allemande. Émouvante, pathétique, elle dénonce la sauvagerie primitive
12:26 et le viole par l'Allemagne des droits des personnes. Beaucoup, ce soir-là, déchirent
12:32 leur carte d'un parti par trop neutraliste. Mussolini, fasciné par sa maîtresse qui a
12:37 su répondre à ses propres doutes, devient interventionniste militant. Il se fera démissionner
12:44 de la Venti.
12:46 Le 14 novembre 1914 paraît le premier numéro du Popolo d'Italien, le journal qu'il vient
12:55 de créer, financé en grande partie par Margherita.
12:59 Le Popolo appelle à la guerre. L'article a été écrit à quatre mains. Les deux amants
13:06 se livreront dès lors très souvent à cet exercice.
13:09 Durant leur collaboration au Popolo, Margherita s'affirme chaque jour davantage comme la
13:15 conseillère indispensable. Ce « nous » entre elle et son amant, une intimité intellectuelle
13:22 au long cours qui conduira à ce qu'ils nommeront leur solution de rechange totale.
13:27 Mai 1915. L'Italie finalement entre en guerre contre l'Autriche-Hongrie. Les alliés ont
13:38 concédé des promesses. L'Italie, en cas de victoire, récupérera ses territoires
13:44 toujours sous domination austro-hongroise.
13:46 Mussolini rejoint la guerre. Margherita reste aux commandes du Popolo, lui insufflant sa
13:54 ligne éditoriale.
13:55 Blessée sur le front, Mussolini écrit une lettre enflammée à sa maîtresse pour lui
14:00 répéter et son admiration et son désir de se tenir près d'elle.
14:04 « Ta lettre m'a rendu folle, mon amour. Je l'ai lue avec les yeux et avec le cœur,
14:11 avec les lèvres, qui lisait et déposait des baisers en même temps. Je sais que j'ai
14:16 une part de vie à t'offrir et dont je veux t'enrichir et que peut-être tu imagines
14:21 et désires sans le savoir. »
14:22 Des échanges fougueux qui ne font pas oublier la réalité familiale de Benito Mussolini.
14:33 En cette même année 1915, année de feu et de sang, il épouse Raquele, sa compagne,
14:40 et mère de ses enfants et reconnaît le fils de sa seconde maîtresse, Ida d'Alzère.
14:47 Margherita l'a conseillée ainsi.
14:49 Roberto, le fils de Margherita, vient d'avoir 15 ans. Il écrit à sa mère. « Maman, donne-moi
15:04 ta permission et ta bénédiction. Avec elle, j'irai cuirasser contre les bals ennemis.
15:10 Mon fils, tu es dans le cercle des élus, des invincibles. Tu es l'avenir, celui d'une
15:18 Italie nouvelle. »
15:19 Répondant à l'appel de Mussolini qui exhorte dans les pages du Popolo la jeunesse à s'enrôler
15:26 coûte que coûte, Roberto s'est engagé dans le corps des chasseurs alpins. Au matin
15:33 du 28 janvier 1918, le jeune caporal Sarfati reçoit l'ordre de donner l'assaut. Il se
15:41 rue avec ses hommes, baïonnettes pointées. Ils parviennent à prendre une tranchée autrichienne
15:46 par surprise. Soudain, une mitrailleuse se met en action. Roberto, pour la neutraliser,
15:55 s'élance en direction du point de tir. Margherita reçut une mèche de cheveux, une mèche de
16:06 cheveux rouge et or. La voilà mère de tous les fils morts au champ d'honneur. Margherita
16:15 dépose ainsi au pied de son amant le sang de son fils sacrifié. Cesare Sarfati, lui,
16:23 est dévasté. Mussolini, le prédateur, a saccagé sa vie conjugale, détourné l'argent
16:29 de sa femme avec ses journaux et à présent, il lui arrache la chair de sa chair. Cherchant
16:38 la reconnaissance de son sacrifice, Margherita écrit à Gabriele Danunzio, l'illustre poète,
16:46 ami de ses jeunes années vénitiennes. "Mon noble ami, vous souvenez-vous des roses rouges
16:53 parfumées que vous me fîtes porter à Venise, à moi, toute jeune fille admirative de votre
16:58 œuvre ? J'ignorais qu'un jour je devrais les arroser de mon sang. Aidez-moi à surmonter
17:06 mon chagrin, à lutter contre cette mauvaise bête." Danunzio, touché, répondit "C'est
17:16 pour moi comme un acte religieux que de consacrer le nom du petit camarade de 17 ans, héros
17:23 en qui s'exalte et se console notre humanité." Danunzio incarne la colère et la frustration
17:29 de l'Italie humiliée. Certes, l'Italie, aux côtés des alliés, a gagné la guerre,
17:36 mais sa victoire est mutilée. Les terres promises, Trieste, Trente, Listerie, lui échappent.
17:43 À la tête d'une colonne de soldats et d'aventuriers, il occupe brièvement Fiume,
17:50 une ville de la côte croate, que les nationalistes considèrent comme italienne alors que les
17:55 alliés veulent en faire un état libre. Danunzio y est vaincu, mais sa tentative romantique
18:01 et flamboyante renforce son aura. Dès lors, Danunzio se place en véritable rival de Mussolini,
18:09 le seul qui puisse entraver son ascension vers le pouvoir. Mussolini en est conscient,
18:16 il demande à sa maîtresse, intime du commandante, de solliciter pour lui un rendez-vous afin
18:22 de mesurer précisément le danger qu'il représente. Danunzio méprise Mussolini
18:30 et n'a que faire de le voir. « Votre combat est le même », le convainc Margherita,
18:37 « une alliance serait plus constructive qu'une rivalité qui ne dit pas son nom ». Pour
18:43 satisfaire son ami, Danunzio accepte de rencontrer Mussolini.
18:46 Danunzio veut un soulèvement populaire. Pour lui, la nation doit marcher sur Rome et s'insurger
18:57 contre un système dépassé. Mussolini sait que Danunzio peut convaincre le peuple de
19:02 le porter au pouvoir. Aussi, dans le but de le neutraliser, il le persuade d'attendre.
19:08 Le temps ne serait pas encore venu. Au bord du lac de Garde, confiné dans un parc à
19:18 sa gloire, financé par Mussolini, Danunzio dans la tente se contente d'un rôle occulte.
19:24 Là, il prêche sa révolte pour un ordre nouveau, en petit comité, au sein d'un curieux
19:32 temple. Siégeant sur un trône de pierre, le poète-soldat rédige un projet de constitution
19:41 qui préfigure à bien des égards celle du futur État fasciste.
19:45 De son côté, Mussolini n'attend pas. Le 23 mars 1919, devant une assistance rassemblée
19:54 à Grand'Penne, il annonce la création des premiers faisceaux de combat. Une milice paramilitaire
20:00 inspirée des mouvements paysans et prolétaires italiens de la fin du XIXe siècle, créée
20:05 alors pour lutter contre les patrons rapaces et les grands propriétaires terriens.
20:09 De ces faisceaux naîtront les chemises noires. Le fascisme est en marche. Mais le rassemblement
20:16 est trop faible. Mussolini accuse le coup. Marguerita Pigmalion redouble d'attention.
20:22 Elle l'invite dans sa maison du Soldo, au lac de Combe.
20:28 "Il fallait qu'il admette que cette idéologie nouvelle avait besoin d'une véritable théorie.
20:33 Je devais lui faire conserver à l'esprit que le fascisme d'aujourd'hui devait être
20:39 la réalisation du socialisme révolutionnaire d'alors. Nous ne pouvions renoncer."
20:44 Pour le détendre un peu, elle lui offre un brevet de pilote. Il survole amoureux, leur
20:52 Italie. Elle lui murmure à l'oreille que celui qui dure a toujours raison et le presse
20:58 de retourner sur la voie de la conquête du pouvoir.
21:00 Deux ans plus tard, les élections de 1921 sonnent l'heure de la revanche. Les faisceaux
21:11 raflent 35 sièges. Mussolini est élu à la tête du nouveau groupe parlementaire. Marguerita
21:18 l'aide à préparer son premier discours. "Je suis anti-parlementariste, anti-démocratique
21:26 et anti-socialiste. La seule alternative ou une tyrannie anarchique imminente et sanglante
21:34 avec toutes les horreurs d'une guerre civile ou un gouvernement fort avec la possibilité
21:39 qu'ils deviennent dictatorial. Marcher, marcher ou pourrir, je sais que tu marcheras. Je t'aime
21:50 mon amour et je m'approche du téléphone pour te téléphoner. Seulement d'entendre
21:55 ta voix me donne le vertige. L'homme fort ne peut aimer qu'une femme de sa trempe,
22:01 de son niveau, dont l'obéissance ne soit pas passive mais active. La femme qui aime
22:07 ne devient pas la chose mais la personne de l'aimer."
22:12 L'Italie peine à se relever de la guerre. L'Etat est ruiné. L'appareil industriel
22:20 détruit. Les campagnes dévastées. La monarchie parlementaire est incapable de faire face
22:26 aux enjeux. La crise est économique, sociale et politique. Le parti socialiste perd de
22:33 l'influence au profit du nouveau parti communiste, né dans la foulée de la révolution en Russie.
22:39 Les mouvements sociaux se radicalisent. Les faisceaux de Mussolini sont appelés pour mater
22:45 les grèves dans les usines. Mussolini crée à Rome son parti fasciste pour encadrer
22:52 les faisceaux. Il compte 320 000 adhérents.
22:55 Le 24 octobre 1922, il prononce un discours devant 40 000 chemises noires. Avec les mots
23:06 de Margherita, il interpelle le roi. "Où vous nous donnez le pouvoir ? Où nous foncerons
23:14 sur Rome et prendrons à la gorge la misérable classe politique dominante ?"
23:18 Durant leur idylle au Soldo, ils mettent au point le plan de la marche sur Rome, fixé
23:27 au 27 octobre. Ils n'envisagent pas un putsch mais une démonstration de force, destinée
23:33 à contraindre le roi Victor Emmanuel III à confier à Mussolini le pouvoir légalement.
23:39 Dans les villes du nord et du centre, les chemises noires s'emparent des centres névralgiques,
23:46 postes, gares, préfectures. 25 000 hommes convergent sur Rome comme le rêvait Danunzio.
23:53 Mais subitement, Mussolini redoute l'intervention de l'armée et décide de tout arrêter.
23:58 Il propose même à Margherita de partir tous les deux pour suivre leur romance en Suisse.
24:04 Furieuse, elle l'oblige à rejoindre les putschistes. Pas question qu'ils se défilent.
24:09 Elle lui paye même son billet de train pour Rome.
24:12 Le 29 octobre 1922, le roi Victor Emmanuel III donne l'Italie aux fascistes. Il confie
24:31 le nouveau gouvernement à Mussolini, comme Margherita l'a envisagé. Alors, elle rêve
24:39 de leur couple gouvernant à deux. Elle se voit en conseillère du président, dans l'ombre,
24:45 une reine sans couronne. Portée par la passion amoureuse autant que par ses convictions patriotiques,
24:52 Margherita œuvre au triomphe de l'homme qui doit construire, pense-t-elle, une Italie nouvelle.
24:58 "Pense à la tâche immense qu'ensemble nous devons accomplir. La réalisation d'un
25:05 nouvel ordre de chevalerie, porteur de justice, créateur des utopies universelles. J'ai fait
25:13 le serment d'être à toi. Je t'en ai fait le serment, mon seigneur et mon époux, mon
25:18 chef et mon amant. Avec une fidélité absolue et une dévotion de milicienne, d'italienne,
25:26 de citoyenne, de mère, d'amante. Je suis fière de toi, oui."
25:32 Mais grisé par sa victoire, ivre de son pouvoir nouveau, Mussolini s'empresse de délaisser
25:49 sa maîtresse. Ulcérée, meurtrie, elle lui crie son indignation.
25:55 "Tu es un homme extrêmement sensible mais très fort et comme tous les impétueux, tu
26:01 jettes le trop plein dehors. Mais moi, je suis une nature lente, une nature tout en dedans.
26:09 La douleur, l'angoisse et même la rébellion pénètrent en moi. Peu à peu, elles pénètrent
26:16 jusqu'au fond et me laissent briser en miettes. Je suis fatiguée de t'aimer, fatiguée
26:23 que tu fasses de mon amour un tapis que tu prends plaisir à piétiner."
26:30 Mussolini n'avait que faire de la jalousie de Margherita. En général, un trait de violon
26:35 suffisait à la calmer et si jour après jour, il lui signifiait qu'il se passerait bien
26:40 d'elle, l'histoire allait en décider autrement.
26:44 Le 12 juin 1924, Giacomo Matteotti, jeune et brillant député socialiste, adversaire
26:55 farouche du programme mussolinien, est kidnappé. Quelques jours plus tard, on découvre son
27:01 cadavre. Très vite, Mussolini est considéré comme le commanditaire du meurtre. L'opposition
27:09 demande sa démission. Il nie. L'affaire devient nationale. Pour Mussolini, cette vague
27:16 d'émotions collectives est la première d'une tempête destinée à le noyer. Le bateau
27:22 du fascisme est sur le point de couler, le destin a joué sa carte en faveur de mes ennemis.
27:28 Margherita le rassure.
27:31 "Mon chéri, tu sais bien que beaucoup de parties qui semblaient perdues ont fini par
27:37 se retourner au dernier moment. Tiens bon."
27:41 Peu importe à Margherita que Mussolini soit le commanditaire du meurtre ou qu'il s'agisse
27:47 d'une bavure hypothèse la plus probable. Elle n'a pas peur de la violence, qui est
27:52 un moyen nécessaire à l'élite, seule capable de gouverner pour imposer sa volonté,
27:58 dit-elle. Elle le convainc qu'un crime d'état se justifie et s'assume s'il revêt un
28:05 contenu politique acceptable.
28:08 La mort de Matteotti fut la preuve des preuves. Nous, Italiens, étions destinés à Mussolini.
28:16 Car si nous avions une ombre d'un homme ayant la moitié de l'envergure d'un chef d'état,
28:22 Mussolini aurait de lui-même quitté la scène sous les sifflements du public. Ce ne fut pas
28:28 le cas. Il était là, seul. Nous avions besoin de lui. Après la guerre, le pays était destiné
28:34 à la tyrannie, sous une forme ou sous une autre, mais de toute façon à la tyrannie.
28:43 L'automne 1924, au moment où l'idole vacille sous le flot des soupçons, afin d'imposer
28:50 au plus grand nombre l'image d'un chef sauveur de l'Italie, Margherita entreprend
28:55 la rédaction de Dux, une biographie glorieuse de son amant. Sous sa plume, Mussolini renoue
29:03 avec la gloire des Césars et des Augustes. Dux est, sous toutes ses facettes, écrit
29:09 du point de vue de la conseillère intime. Brouillant constamment les frontières entre
29:14 le politique et l'homme privé, elle laisse entendre qu'elle seule connaît le grand
29:19 personnage, jusque dans le mystère de ses intentions.
29:23 L'ouvrage est un succès d'édition. Mussolini bénéficie d'une formidable promotion
29:31 internationale. Et le nom de Margherita Sarfati fait le tour du monde. Son prestige
29:38 à elle plane sur celui de sa créature.
29:42 Oui, je suis fière de toi. Pour ce que tu es, non pour ce que tu parais. Ma fierté
29:51 va jusqu'au fanatisme, jusqu'à la folie, pour ta valeur intrinsèque et non pour ce
29:55 fétichisme de la foule envers toi. Même si tu es le nouveau César, même si tu es
30:02 le digne successeur d'Auguste, c'est de cet homme du peuple qui a su s'élever à
30:07 la force de ses bras, de sa conscience, de son écoute, dont je suis le plus fier.
30:13 Pour Margherita Sarfati, le nouveau pouvoir s'inscrit comme héritier des Césars et
30:36 des Augustes, s'inspire de l'imagerie impériale et de ses fastes. Elle convoque
30:41 l'archéologie à son service. Elle obtient du Duce un budget mirifique pour remuer Rome
30:48 en tous sens et retrouver les grands trophées de l'Empire.
30:52 Mussolini se prend aussitôt de passion pour les démolitions. Margherita le pousse à
30:59 retrouver à tout prix la statue colossale d'Auguste enfouie dans les sous-sols de la
31:03 cité impériale. Il s'écrit « Dans cinq ans, Rome devra sembler puissante à tous
31:10 les gens de la terre, comme elle le fut au temps du premier empire d'Auguste. »
31:14 Ainsi, Margherita se taille le rôle qu'elle souhaite au plus haut niveau dans le sillage
31:21 de son amant. Pendant dix ans, elle va exercer sur la vie culturelle et politique du pays
31:26 un pouvoir d'influence absolument déterminant.
31:30 En 1925, Mussolini la nomme à la tête de la délégation italienne lors de l'Exposition
31:36 internationale des arts décoratifs à Paris. La voilà chargée de la première opération
31:41 de promotion de l'Italie fasciste à l'étranger. Mais le pavillon italien promu par Margherita
31:47 et signé Brazzini est la risée des critiques.
31:51 Margherita assume. Cet épais parallèle épipède, arc de triomphe aveugle, placé à côté
31:59 du pavillon de Le Corbusier, fait figure de tombeau de l'art.
32:03 Margherita comprend la leçon et opère, il dit qu'au, un tournant à 180 degrés.
32:09 L'architecture rationaliste est pour l'Italie la voie à suivre, fait-elle brusquement entendre.
32:16 À son retour, elle commande au jeune architecte Terragni la maison du fascisme de Combes,
32:22 aujourd'hui célébrée comme un chef-d'œuvre de l'architecture fonctionnaliste.
32:27 En ce temps d'indiscipline, l'art doit devenir la discipline, écrit-elle dans le Popolo.
32:33 En ce sens, elle imagine un nouveau courant artistique qui séduit et réunit architectes,
32:38 sculpteurs et peintres parmi les plus en vogue.
32:41 Elle le nommera Novecento.
32:46 Ce sont eux qui feront grande l'Italie artistique,
32:51 de demain.
32:54 Mouvement pictural réaliste, le Novecento doit relier l'héritage classique à la modernité,
33:06 créer de nouveaux mythes et régénérer les anciens.
33:10 Margherita veut imposer aux artistes de se plier à une mission patriotique.
33:16 Et pour inaugurer son mouvement, elle prépare un discours pour Mussolini.
33:20 Mais le duce préfère improviser que se laisser dicter ses mots.
33:25 « Je suis moi aussi un artiste, mais pour ma part l'art de mener les hommes est bien supérieur à tout autre. »
33:34 Margherita Pygmalion voit sa créature marquer les limites de son jeu.
33:41 Pourtant, c'est sur son insistance que Mussolini s'était rasé la moustache,
33:45 qu'il s'était fait faire des costumes de bonne coupe.
33:48 Elle avait eu un mal fou à lui faire renoncer au guêtre,
33:51 mais il s'était plié finalement au port de la chaussure fine
33:54 et au rituel de l'habit à la Scala.
33:58 Il y avait une lettre de Mussolini qui était très méchante.
34:05 Elle disait « ne vous permettez pas madame de m'attribuer des goûts qui ne sont pas les miens »
34:12 ou quelque chose comme ça, mais enfin très dure, très méchante.
34:15 Ne désirant pas voir l'influence de Margherita s'amplifier davantage,
34:20 Mussolini lui retire peu à peu ses prérogatives,
34:23 d'abord en matière artistique, au sujet du Novecento,
34:26 ou au sujet de la Biennale, dont elle était membre au cours de son édition.
34:30 Grand nombre la considéraient comme la femme la plus intelligente d'Italie.
34:35 Après sa rupture d'avec Mussolini, le pays entamera une longue agonie,
34:39 qui aura pour conséquence d'être dévorée par le loup allemand,
34:43 dont elle avait pourtant tout fait pour convaincre Mussolini de s'en éloigner.
34:48 L'ensemble des historiens de l'après-guerre ommaient de mentionner son frère,
34:53 qui avait été un des plus grands des acteurs de la guerre.
34:57 L'ensemble des historiens de l'après-guerre ommaient de mentionner son rôle.
35:01 Margherita visionnaire, Margherita Cassandre, Margherita fantôme
35:05 traversera l'histoire en anonyme,
35:08 comme sur cette rare image filmée que nous connaissons d'elle.
35:12 C'est une femme qui n'avait pas de pouvoir.
35:16 Son pouvoir était complètement dérivé,
35:18 tandis que le pouvoir qu'elle a acquis, si vous voulez,
35:21 ou l'influence auprès d'artistes et d'autres,
35:24 a été plutôt bénéfique.
35:27 Elle a défendu le modernisme en Italie, d'après ce que je comprends,
35:30 au lieu de rentrer dans l'académisme plus plat.
35:34 Mais enfin, elle n'avait pas de pouvoir.
35:36 Son pouvoir, les femmes n'ont pas de pouvoir.
35:39 Elles n'avaient pas de base, elles n'avaient rien.
35:42 C'était la maîtresse de Mussolini.
35:44 Une maîtresse dont l'influence était mise en péril chaque jour davantage.
35:51 Le mon dieu, le Duce qui joue aux généreux patriarches
35:54 au milieu de son heureuse famille.
35:56 Pauvre de nous.
35:58 Maintenant, oui, nous sommes foutus.
36:01 La famille du Duce fait obstacle à Margherita, qui ne peut lutter.
36:07 Et quand Donna Rachelle, l'épouse légitime,
36:10 décide de quitter son village pour s'installer à Rome avec sa progéniture,
36:14 Margherita, amère, pressante,
36:17 précipite la fin de ses rêves et de son influence.
36:20 Rachelle un soir poursuit Mussolini un pistolet à la main
36:25 pour le forcer à brûler les lettres de son dragon en robe de velours.
36:29 Rachelle obtient même l'éviction du dragon, du journal Le Port-Polan,
36:35 qui refuse désormais à Margherita ses articles,
36:38 bien qu'elle continue de le financer.
36:41 Mais là ne s'arrête pas sa mise à l'écart.
36:46 Le 24 avril 1930,
36:48 Mussolini marie sa fille aînée, Edda,
36:51 au comte Galeazzo Ciano,
36:53 héritier d'une famille puissante mais corrompue.
36:57 Margherita comprend dès lors que ses jours de pouvoir sont comptés.
37:01 Ciano, le gendre, entend bien devenir le dauphin.
37:06 J'ai passé deux heures, je dis bien deux heures chez vous,
37:14 et quel bénéfice pour ma réputation et ma dignité ?
37:17 Tout cela pour être torturée par une série de sévices immérités.
37:22 Les douleurs que vous causez aux autres sont très faciles à supporter pour vous.
37:27 Depuis que Rachelle s'était installée chez son mari, Villa Torlogna,
37:33 Margherita avait dû déménager dans le voisinage, via dei Villini.
37:38 Mais malgré la rupture consommée, Mussolini ne pouvait se passer d'elle,
37:42 de ses talents de diplomate, de son intelligence, de sa clairvoyance.
37:46 Elle accepta de faire de son appartement une véritable ambassade secrète.
37:51 Ma grand-mère faisait de grandes fêtes, et alors un soir,
37:55 Mussolini a téléphoné en disant qu'il voulait la voir.
37:58 Et ma mère, qui était une femme très traditionnelle, m'a dit,
38:03 elle avait si peu de dignité qu'elle y a couru,
38:07 en s'imaginant Dieu sait quoi, parce que...
38:10 Et alors elle a laissé ma mère en hôtesse de sa fête.
38:15 Et puis elle est revenue et elle a dit à mon père, il ne comprend rien.
38:19 C'est ainsi que Margherita Sarfati, la maîtresse juive du Duce,
38:25 reçoit à sa demande Goering en mai 1931.
38:30 Alors que Mussolini prétend encore officiellement refuser tout contact avec les nazis,
38:36 Margherita joue le jeu bien qu'elle ne soit pas dupe du danger.
38:40 Un rapprochement avec l'Allemagne serait fatal pour le projet du renouveau de l'Italie,
38:46 tel qu'elle le rêve encore.
38:48 Ce serait un dévoiement absolu.
38:51 La fin de tout.
38:53 C'est durant la même époque qu'elle reçoit, via De Villigny,
38:58 la visite de son ami Alma Mahler.
39:02 La oeuvre du compositeur est porteuse d'un dossier confidentiel contenant
39:06 de nombreuses lettres d'intellectuels européens
39:08 qui dénoncent la situation pour les juifs en Allemagne.
39:11 Alma pense que Mussolini est le seul en Europe à pouvoir persuader Hitler
39:15 de mettre fin à sa politique anti-juive,
39:18 et que Margherita est la seule à pouvoir convaincre Mussolini d'intervenir auprès du Führer.
39:23 Quelques jours plus tard, Margherita reçue par Mussolini lui transmet le dossier.
39:30 Dès que Margherita quitte la pièce, le document est jeté à la poubelle.
39:35 Devant l'indifférence de son ancien amant et dans l'appréhension
39:41 qu'un tournant décisif va se prendre en Europe,
39:44 Margherita a besoin de prendre le large, d'aller voir plus grand, en Amérique.
39:49 « Je ne désire qu'une chose, quitter la terre,
39:54 impatiente d'être en tête à tête avec la mer.
39:57 La mer seule, sans rien qui rompe la ligne sublime de l'horizon.
40:01 Oh mer ma patrie, j'ai soif d'eau nouvelle,
40:06 je suis impatiente d'un ciel nouveau, d'odeurs, de couleurs. »
40:11 Elle, qui ne lâche jamais, voudrait tellement détourner Mussolini de ses tentations allemandes
40:18 et l'inciter à se rapprocher du nouveau président américain, Franklin Roosevelt.
40:24 Ce dernier multiplie d'ailleurs les gestes d'ouverture envers Mussolini.
40:29 Margherita s'est organisée une tournée à la hauteur de son besoin d'évasion.
40:35 New York, Philadelphie, Boston, Chicago, la Floride, la Californie.
40:44 Elle, qui se veut l'ambassadrice loyale du fascisme, réussit à séduire l'Amérique,
40:49 jusqu'à la Maison Blanche.
40:52 Le président la reçoit.
40:54 Après quoi, elle revient en Italie chargée d'une mission d'importance.
40:58 Roosevelt compte sur Mussolini pour empêcher l'Allemagne d'annexer l'Autriche
41:02 et sur Margherita pour le persuader d'agir en ce sens.
41:07 « Le jour où je le vis à Rome, il rentrait de Venise où il avait rencontré Hitler
41:13 et moi des États-Unis où j'avais eu un long entretien avec Roosevelt.
41:17 Vous ne voulez donc rien entendre à propos de l'Amérique ?
41:21 » Mussolini m'interrompit brusquement.
41:24 « Votre Amérique ne m'intéresse pas. L'Amérique n'a militairement aucune importance.
41:30 Tant d'arrogance et d'indifférence. J'étais horrifiée. Je pleurais amèrement. »
41:38 Des années auparavant, Mussolini m'avait asséné que les valeurs spirituelles ne servent à rien.
41:47 Dante, Léonard, Galilée, Michel-Ange, quand il fait pour l'Italie, quand il laisse derrière eux...
41:56 « Le peuple italien qui est le protagoniste de sa histoire. »
42:01 « Dans dix ans, on peut le dire, sans faire des prophètes, l'Europe sera changée. »
42:18 « Aujourd'hui, je vous dis que ce siècle, le 10e ou le 20e, sera le siècle de la fascisme. »
42:31 Le 16 février 1938, Mussolini déclare que les mouvements antifascistes de par le monde étaient le plus souvent dirigés par des Juifs.
42:39 Et qu'en Italie, il ne sera pas permis aux Juifs d'exercer ce genre d'influence.
42:45 Moins d'un mois plus tard, les troupes allemandes entrent à Vienne.
42:48 Margherita allume la radio. Mussolini a approuvé l'Anschluss.
42:53 Le speaker cite le télégramme du Führer remerciant le Duce.
42:57 Margherita fond en larmes.
42:59 Dès le mois de juillet 1938, les Juifs étrangers sont expulsés d'Italie.
43:04 Au 1er septembre, professeurs, instituteurs et enfants juifs sont chassés des écoles, bientôt des universités.
43:12 « Je vais donner un autre tour de vis », annonce Mussolini.
43:15 Quelques jours plus tard, le nom de Margherita Sarfati figure avec d'autres Juifs, dont Moravia, De Benedetti, dans une longue liste d'auteurs non souhaités en Italie.
43:26 Du 9 au 10 novembre 1938, la nuit de cristal éclate en Allemagne.
43:32 Le lendemain, Mussolini estima le moment favorable à un autre tour de vis.
43:40 « En 1936, je fus saisie d'une vision prophétique.
43:43 Si ces deux hommes, Hitler et Mussolini, ne meurent pas rapidement, je vois du sang, du sang, des fleuves de sang se répandre sur le monde. »
43:54 Deux ans plus tard, en mai 1938, le loup allemand était là, tapis dans l'ombre, bientôt au devant de la Seine.
44:03 Selon la vision de Margherita, le sang allait se répandre sur l'Europe.
44:08 À l'aube de ce matin de novembre 1938, Margherita Sarfati roule à travers les petites routes de montagne, passe sans encombre la frontière suisse.
44:17 « Va-t'en, sale Juive ! »
44:21 Raisonnera à ses oreilles durant des semaines, des mois, des années.
44:26 « Mussolini a bougé ciel et terre pour que je revienne.
44:34 Il ne pouvait rester calme face au fait que moi, je me sois moqué de son pouvoir omnipotent en sortant sereinement de sa sphère tyrannique.
44:42 Il m'a fait mille promesses pour que je rentre à Rome, promesses que je n'ai pas crues.
44:47 Ensuite de quoi, il n'a pu éviter de laisser planer des menaces qui n'ont servi qu'à renforcer encore plus ma décision de rester au loin.
44:58 Le Ruguem a offert son hospitalité, l'Argentine le flot de sa vitalité tonifiante.
45:04 Je restais là, sur ces généreuses terres d'Amérique, officiellement silencieuses face au fascisme. »
45:22 Le 26 septembre 1940, Mussolini signa un pacte avec Hitler.
45:28 Un pacte qui devait le conduire à sa perte, comme Margherita l'avait prédit.
45:33 Durant toute la durée du conflit, qui déchira l'Europe puis l'ensemble du monde, Margherita gardera le silence,
45:44 ne prenant jamais parti contre le fascisme, ni contre la personne de Benito Mussolini.
45:51 « Je sais que ma conduite et mon silence ont été mal interprétés.
45:55 Je peux le déplorer, mais cela aurait voulu dire parler, alors que ma fille Fiametta était restée en Italie à la merci de Mussolini.
46:03 Mon silence contre la vie de ma fille, voilà comment il me tenait. »
46:16 Margherita aura passé les six années de guerre, loin de la guerre.
46:21 Son exil en Argentine aura été son salut.
46:24 Certainement, si elle était restée en Europe, elle aurait connu un sort aussi tragique que celui de sa remplaçante, Clara Petacci,
46:32 la dernière maîtresse du Duce, exécutée sommairement avec lui par les partisans.
46:41 Le scandale le plus notoire de la vie du Duce est celui de Clara Petacci.
46:46 Avec elle, en 1945, il tenta de fuir l'Italie.
46:52 Ils se firent passer pour un romantique couple d'amoureux.
46:56 Mais les patriotes italiens découvrirent la supercherie.
47:00 Elle voulut désespérément se glisser contre lui, cherchant sa protection.
47:06 Lui, au lieu de la protéger, demandait grâce pour lui seul, offrant, sur un ton mélodramatique, un empire en échange de sa vie.
47:14 À mon avis, Mussolini échoua, car il a trahi son propre drapeau.
47:24 En transformant sa lumière en une flamme dévorante, il a conquis la vie de Clara Petacci.
47:32 En transformant sa lumière en une flamme dévorante, il a converti le fascisme en une déformation grotesque, en une antithèse tragique de lui-même.
47:41 Après la mort de Mussolini, Margherita Sarfatti attendit encore deux années avant de rentrer en Italie, retrouver le lac de Combe et sa maison du Soldo.
47:56 Elle y restera, pour ainsi dire, en quarantaine volontaire, près de 14 ans.
48:02 Je trouve qu'elle s'est conduite finalement en rentrant en Italie avec beaucoup de dignité.
48:06 Et alors elle m'a dit "écoute, nous on trouvait aussi que la démocratie parlementaire ça sert à rien.
48:12 C'était terrible, c'est encore une magnifique casse, ça sert à rien, mais on n'a jamais rien trouvé de mieux. Alors fais pas la même erreur."
48:21 C'était une juive qui se voulait vraiment italienne, je pense, et elle aurait voulu que l'Italie soit quelque chose de bien.
48:30 Que l'Italie soit quelque chose d'autre, mais je pense que l'Italie avait représenté aussi beaucoup de choses pour les Juifs de Venise.
48:36 L'Italie n'avait pas été voulue par tellement de gens, et les Juifs de Venise avaient voulu ce nouveau pays.
48:43 Mon silence a protégé ma fille quelques années, jusqu'à ce que la monstreuse république nazi-fasciste avec laquelle Mussolini s'est mis à ensanglanter encore plus l'Italie persécute les Juifs.
48:59 Par miracle, ma fille Fiametta put en réchapper et se sauver.
49:03 Mais je tremble encore en pensant à ce qui aurait pu lui arriver.
49:08 Ce qui est arrivé à sa soeur, Nella Grassini, déportée à Auschwitz avec l'ensemble des Juifs de Venise.
49:24 Mussolini prit possession de la vie et de la volonté de beaucoup de patriotes enthousiastes en mettant le mot "Italie" au-dessus de tout.
49:31 C'est pour cela que nous l'avions suivi.
49:34 Quand il commença à dire "l'Italie et moi", cela nous paraissait naturel pour un premier ministre issu d'une révolution du peuple.
49:44 C'est en 1930 qu'il inversa les mots "moi" et "l'Italie" et commença à nous décevoir amèrement.
49:53 Trois ou quatre ans plus tard, il disait seulement "moi, le Duce".
49:59 Le rêve d'un fascisme idéal, Margherita avait dû l'abandonner face aux inclinaisons tyranniques de Mussolini.
50:08 Le pays est vaincu sur tous les fronts.
50:12 L'aventure du fascisme mussolinien s'achève misérablement.
50:21 J'ai cru, naïve, et cela a été ma faute, que Mussolini était capable d'incarner le bon tyran.
50:27 Je l'ai cru plus intelligent, plus juste que les autres candidats standardisés des masses électorales.
50:34 Je n'oublierai jamais ce qu'il me confia à Rome à cette époque que nous nous émions, une froide nuit de novembre 1926.
50:43 Tout en regardant comme hypnotiser la pluie, il me décrivit une vision qu'il avait eu enfant.
50:51 Un homme vêtu de noir le regardait en souriant.
50:55 "Je te connais, Mussolini. Tu as de grandes choses à accomplir.
51:00 Je suis le démon et j'ai voulu venir te voir pour t'aider.
51:04 Tous les dons du monde peuvent être tiens. Tu dois en choisir un. Que veux-tu ? La richesse ?
51:10 Non, je ne veux pas d'argent. Je hais les riches et dénigre leurs richesses.
51:16 Et toi alors ? Les femmes ? Oui, j'aime les femmes. Mais les femmes ne sont pas l'objet principal de mon désir.
51:22 Que veux-tu alors ? Le pouvoir, criai-je.
51:27 Et je répétais de toutes mes forces, le pouvoir, le pouvoir, le pouvoir.
51:34 Ce sera donc le pouvoir, lui répondit le démon. Ton pouvoir sera le plus grand pouvoir sur terre."
51:42 Entre 1947, date de son retour d'Argentine, et 1961, date de sa mort,
51:49 Margherita Sarfati ne prononça plus ni le mot fascisme, ni le nom de Mussolini.
51:57 Le journaliste de la France, Jean-Marie de Bordeaux, a été un des premiers à le voir.
52:03 Il a été un des premiers à le voir.
52:07 Il a été un des premiers à le voir.
52:11 Il a été un des premiers à le voir.
52:15 Il a été un des premiers à le voir.
52:20 Il a été un des premiers à le voir.
52:26 Il a été un des premiers à le voir.
52:31 Sous-titrage Société Radio-Canada

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