Comment se réapproprier nos fleuves ? Entretien avec Emma Haziza, Franck Pidoux, Marine Yzquierdo

  • il y a 2 mois
Après une épreuve olympique dans la Seine, dans notre pays qui compte 137 fleuves et 500 rivières, pourra-t-on piquer une tête dans la Loire ou encore dans le Rhône ? Comment se réapproprier nos cours d'eau ? Y a-t-il des plans de reconquête de nos fleuves face à la pollution ?

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00:00Le 17 juillet, la maire de Paris faisait quelques brasses dans la Seine avec Tony Estanguet
00:05sous le crépitement des flashes.
00:06Ça faisait 100 ans que personne n'osait y risquer un orteil.
00:10Depuis, on a des nouvelles quotidiennes de la qualité de l'eau pour cause de triathlons
00:14olympiques et Anne Hidalgo, confiante, affirme même qu'il y aura trois sites de baignade
00:19dans le fleuve l'été prochain.
00:21Plus généralement, dans notre pays qui compte 137 fleuves et 500 rivières, pourra-t-on
00:26piquer une tête dans la Loire ou encore dans le Rhône ?
00:29Y a-t-il des plans de reconquête de nos fleuves face à la pollution ?
00:33On plonge dans le grand bain ce matin avec Emma Aziza.
00:36Bonjour.
00:37Bonjour.
00:38Vous êtes hydrologue, présidente fondatrice de la société Mayan, spécialisée dans
00:42l'adaptation de notre société au changement climatique.
00:45Et puis nous sommes en ligne avec Franck Pidou, directeur du service de l'aménagement
00:53des eaux et de la pêche du canton de Genève, parce qu'on va voir que nos voisins suisses
00:58sont beaucoup plus en avance que nous dans ce domaine.
01:00D'abord, Emma Aziza, le bulletin de santé de nos fleuves et rivières, on en est où
01:06en ce moment par rapport à la pollution ?
01:07Déjà, il y a une vraie prise de conscience, notamment grâce au GIO, de cette baignabilité,
01:15de cette potentialité de vouloir réduire l'ensemble de ces polluants.
01:19C'est quelque chose qui est très récent, parce qu'il faut avoir un petit peu en tête
01:23le fait que le fleuve, durant tout le XIXe siècle, a représenté surtout un danger
01:28crucial.
01:29Pourquoi ?
01:30Parce qu'il y avait des peurs, des peurs notamment de risque d'épidémie, de fièvre
01:33typhoïde.
01:34On a eu en 1832 une très grosse épidémie de choléra.
01:37Donc en fait, le fleuve nous faisait peur et puis surtout, on rejetait tous nos déchets
01:41à ciel ouvert.
01:42Le fleuve était une poubelle et donc, si vous voulez, il y avait tellement d'odeurs
01:46fétides qu'on avait tendance à recouvrir nos cours d'eau.
01:49La Bièvre, par exemple, à Paris, a été entièrement recouverte pour pouvoir avoir
01:54des riverains qui pouvaient vivre avec cette rivière.
01:56Donc notre rapport à la rivière, durant ces dernières décennies, a évolué.
02:02On a eu cette terre industrielle majeure qui a amené de nouveaux polluants et donc on
02:07est devenus, à un moment donné, complètement déconnectés de cette potentialité de baignabilité.
02:12On a fini par oublier en fait.
02:13Voilà, qui devenait quelque part un peu une utopie, j'ai envie de dire.
02:19Oui, c'était une promesse politique de Jacques Chirac à Paris qui datait des années
02:2380.
02:24Et c'était presque un gag à force.
02:26Alors oui, et surtout, les rivières et les fleuves sont surtout le cœur névralgique
02:31économique de nos villes.
02:33On s'est installé à côté de nos fleuves justement parce qu'on avait surtout une
02:38force hydraulique et donc, durant tout le XIXe siècle, on utilisait beaucoup cette
02:43force hydraulique.
02:44Il s'est transformé ensuite en barrage hydroélectrique et aujourd'hui en centrale
02:47nucléaire.
02:48Donc la question de notre rapport aux fleuves, c'est avant tout une question énergétique.
02:51On était très loin de la question de la baignabilité.
02:54Et donc là, on est d'un seul coup en train d'essayer de se réapproprier nos fleuves.
02:59Pourra-t-on se baigner effectivement l'année prochaine dans la Seine ? Dans le Rhône,
03:03il y avait un test qui devait avoir lieu avant l'été.
03:05La Loire, ça reste tout de même très compliqué, c'est des très grands fleuves avec des
03:10débits très variables, avec de très importants dangers.
03:14Oui, il ne faut pas oublier que c'est dangereux quand même de se baigner dans un fleuve.
03:17Beaucoup plus que dans une rivière.
03:18Pourquoi ? Parce qu'on a vraiment des trous d'eau, on a des variabilités très intenses
03:22de débit.
03:23On a notamment des fleuves qui sont régulés en amont par des barrages hydroélectriques.
03:28On peut avoir des lâchers de barrage, c'est-à-dire qu'on peut avoir déjà un choc thermique.
03:32On va avoir ces eaux qui ont été conservées durant l'hiver, qui vont être lâchées
03:36massivement durant l'été.
03:38Donc on a un changement de température.
03:40En fait, tout ça fait qu'à un moment donné, il peut y avoir un danger pour l'homme.
03:43Et donc effectivement, au fur et à mesure de nos décennies, on a écarté cette question
03:48de pouvoir se baigner dans nos fleuves.
03:50Est-ce que le réchauffement climatique accentue encore le phénomène, le problème, la difficulté ?
03:55Alors, le changement climatique et le réchauffement de manière globale a pour effet d'accentuer
04:02la température des fleuves.
04:04On l'a vu en 2022, on atteignait de tels taux de température qu'il y avait des questions
04:11qui étaient remises à un moment donné en jeu, notamment la question nucléaire, puisque
04:16vous savez que les centrales nucléaires prennent de l'eau et ensuite la rejettent beaucoup
04:21plus chaude en sortie.
04:22Et donc, si vous rajoutez 3 degrés en sortie dans une eau qui est déjà très chaude,
04:27alors qu'on a déjà un milieu qui est déjà en souffrance, on a des vraies questions qui
04:31se posent aujourd'hui, parce qu'en augmentant la température, on augmente premièrement
04:38le risque de prolifération et d'eutrophisation, c'est-à-dire cette manière dont le cours
04:43d'eau va s'étouffer, il va manquer d'oxygène et donc en s'étouffant, c'est l'ensemble
04:47des organismes psychologiques qui vont aussi mourir.
04:52Donc en fait, on a vraiment cette question et ce rapport à notre fleuve qui est extrêmement
04:57complexe et surtout quand vous augmentez cette température et que vous diminuez le débit,
05:01parce qu'on a vu par exemple en 2022 des débits extrêmement bas sur la loi, et bien
05:05vous augmentez la quantité de polluants puisqu'ils sont beaucoup moins dilués.
05:10Donc c'est un véritable enjeu majeur de nos sociétés dans les décennies à venir.
05:14Alors, comment fait-on pour les dépolluer justement ces fleuves ? Alors à Paris, on
05:18a vu, il y a eu plein de choses, il y a eu le fameux bassin de rétention d'eau stériliste
05:23mais il y a eu plein d'autres choses.
05:24Oui, exactement.
05:25On a mis déjà des filtres très puissants, ultra-violets pour éliminer notamment tout
05:30ce qui est Echirichia coli, toutes ces bactéries dont on a parlé par rapport aux nageurs.
05:34On a aussi également effectivement mieux géré les péniches, on a mieux raccordé
05:40également tous ces polluants qui en général sont rejetés dans la rivière.
05:44On a découvert qu'en fait les péniches n'étaient pas reliées au réseau d'assainissement.
05:48Les péniches, mais il y avait aussi de nombreuses villes qui n'étaient pas directement reliées,
05:54qui n'étaient pas assez appareillées, qu'il fallait aménager en amont parce que l'eau
05:58qui passe dans la Seine, c'est la résultante de toute l'eau qui s'écoule depuis l'amont
06:02et depuis l'ensemble de ses affluents, depuis Lyon, la Marne, etc.
06:05Et vous allez avoir un certain nombre de villes qui utilisent ces eaux, qui ensuite vont les
06:11utiliser pour des usages domestiques, vont les rejeter, polluer dans des stations d'épuration,
06:18vont les traiter en grande partie mais il reste toujours des polluants.
06:21Les plus grands polluants sur lesquels on a encore de très grandes difficultés, c'est
06:25principalement les résidus médicamenteux.
06:28Il y a aujourd'hui très peu de médecins en France qui réfléchissent quand ils font
06:32une ordonnance au fait que cette molécule chimique finira dans la rivière ou dans le
06:37fleuve et donc aura des conséquences sur la faune et la flore.
06:40J'en connais quelques-uns mais très peu encore, ce n'est pas quelque chose qui est
06:43démocratisé.
06:44On a un véritable sujet hormonal, on a des perturbateurs endocriniens très forts qui
06:49sont liés à nos rejets domestiques.
06:51On a notamment tous les problèmes d'ammonia qui sont liés tout simplement à nos lessives.
06:55Peut-être que dans un futur, si nous voulons avoir des rivières et des fleuves qui sont
06:59de qualité, il faudra changer nos méthodes, changer les médicaments qu'on prend et
07:03puis changer la manière dont on lave nos vêtements.
07:05Donc on l'entend, la route est encore longue et pourtant chez nos voisins, on se baigne
07:10à Bâle, à Vienne, à Berlin, à Copenhague.
07:13On prend l'exemple suisse puisque vous êtes avec nous, Franck Pidou, il paraît que vous
07:18vous moquez un peu de nous quand vous voyez la surmédiatisation d'une petite baignade
07:23dans la Seine.
07:24Vous êtes dans le canton de Genève et chez vous, on se baigne depuis très longtemps.
07:28Alors je ne me moque pas de vous ! Alors un point important, finalement Genève, on a suivi
07:37un petit peu le même schéma que suit Paris.
07:41Donc nos amis de Zurich, de Bâle, de Berne se baignent et ont jamais arrêté de se baigner
07:48dans leurs fleuves et finalement c'est eux qui nous ont servi d'exemple et nous les
07:52bains dans le Rhône, typiquement, on les a relancés depuis les années 2008-2009.
07:58Donc ce n'est pas très ancien.
08:00Donc c'est à partir de là qu'on a commencé à faire des aménagements qui permettaient
08:04aux gens d'accéder à l'eau et de se baigner.
08:07Oui mais alors pourquoi on se baigne dans le Rhône ? Du côté suisse et pas dans le
08:11Rhône côté français ?
08:12Mais en fait, il faut se baigner dans nos fleuves.
08:16Alors j'entends ces problèmes de pollution, ça fait des années, des dizaines d'années
08:22qu'on a amélioré la qualité d'eau, en France comme en Suisse.
08:25Par exemple dans les années 70, on ne se baignait plus dans le lac Léman, 70-80, on avait vraiment
08:33une eau de mauvaise qualité et il y a eu un gros travail de fait au niveau de l'assainissement
08:37et grâce à ce gros travail, maintenant finalement le lac Léman c'est une réserve d'eau potable
08:43où on se baigne dedans.
08:44Et ce lac Léman après se déverse et va donner le Rhône.
08:48Donc nos fleuves avec les efforts d'assainissement qui ont été faits sont devenus les endroits
08:52où on peut se baigner.
08:53Alors bien sûr il faut suivre, il faut surveiller les pollutions, il faut améliorer les stations
08:59d'épuration.
09:00Et bien il n'y en a pas beaucoup plus et je dirais donc on fait environ une fois par
09:07semaine ces contrôles sur l'ensemble des plages, une fois même tous les 15 jours.
09:13Donc on contrôle et on voit que la qualité reste relativement constante.
09:18Mais c'est vrai qu'il y a eu un effort d'assainissement de réaliser et il faut aussi se rendre compte
09:23qu'on doit apprendre à se baigner dans nos fleuves.
09:26Typiquement quand on a des épisodes orageux, on peut avoir des déversements parce que les
09:31stations d'épuration ne peuvent pas forcément absorber tout.
09:33Et bien voilà, c'est exactement comme quand on est en haute montagne et il faut accepter
09:38de vivre avec ces fleuves et ces éléments naturels et puis se dire que quelquefois il
09:45peut y avoir des dangers ou des problèmes.
09:47On ne va pas faire descendre une pente de ski très raide juste après que la neige soit
09:52tombée parce qu'on a des risques d'avalanches importants.
09:54Là c'est un petit peu la même chose, on doit apprendre à se rebaigner dans ces endroits
09:57naturels.
09:58Mais il faut se baigner.
09:59Si l'homme se baigne en fait, on va se battre pour avoir une bonne qualité d'eau et si
10:04on se bat pour avoir une bonne qualité d'eau, on aura des fleuves qui sont intéressants.
10:08Je prenais la comparaison il y a 100 ans pour savoir s'ils n'ont pas été potables,
10:11on mettait une truite dedans et puis on surveillait qu'elles ne tombent pas malades.
10:14Finalement maintenant, nous on est devenu la truite et pour que nos fleuves soient propres
10:18et qu'on puisse se baigner, si les hommes sont dedans, a priori l'eau sera propre
10:22et nos fleuves seront en bonne santé.
10:23Donc on rentre dans un cycle et il faut accepter.
10:26C'est du bon sens.
10:27Il y a aussi une question juridique qui pourrait expliquer la différence entre la France et
10:31la Suisse.
10:32Rappelez-vous, se baigner c'est une responsabilité individuelle alors qu'en France, en cas
10:36d'effet secondaire, on peut se retourner contre les autorités.
10:39Ça et Aziza, c'est une différence fondamentale.
10:42Oui c'est fondamental.
10:43Déjà lorsqu'on est en Suisse, on est en tête amont du bassin du Rhône, donc c'est
10:48plus simple de se baigner toujours à l'amont d'un fleuve qu'à l'aval puisqu'on récupère
10:52moins de polluants.
10:53Donc il y a tout de même beaucoup plus de danger jusqu'à Arles, jusqu'à son embouchure.
10:57Mais au-delà de ça, effectivement, je crois que c'est vraiment une question de pédagogie
11:02qui est totalement différente.
11:03Quand vous allez à Bal sur le Rhin, on voit qu'il y a effectivement un ensemble de personnes
11:09qui viennent se baigner.
11:10Mais par contre, on a déjà des décennies de travaux qui ont été faits.
11:15C'est-à-dire que l'effort qui a été mis en place à Paris dernièrement, il est
11:18déjà actif parce qu'il y avait eu un énorme, un grave accident chimique avec 20 tonnes
11:25de pesticides qui avaient été rejetées à l'époque et qui avaient engendré un tel
11:29choc qu'on s'est dit qu'il faut transformer les choses.
11:32Et donc, ce travail que l'on voit aujourd'hui, on voit les gens se baigner de manière assez
11:35naturelle, c'est tout de même le résultat d'un effort de plusieurs décennies.
11:40Ce n'a pas été le cas depuis toujours, c'est quelque chose qui est très récent.
11:45Et puis surtout, que ce soit sur le Danube, sur la Vienne, partout, il y a des efforts
11:51qui sont faits pour améliorer la baignade.
11:54Par exemple, on va avoir des bateaux tondeuses qui vont racler les algues pour éviter que
11:59les baigneurs se sentent mal.
12:02On va avoir des applications pour pouvoir mesurer la température de l'eau.
12:06On va pouvoir aussi avoir le niveau de l'eau et connaître exactement les zones de baignade
12:11dédiées.
12:12Donc, on a un travail qui est fait, qui peut inspirer d'ailleurs Paris pour l'année
12:16prochaine.
12:17Mais en tous les cas, ce travail n'est pas arrivé par magie.
12:18Il faut bien comprendre que 80% de tous les fleuves dans le monde reçoivent l'intégralité
12:23de nos déchets humains directement dans le fleuve.
12:26Et il ne faut pas imaginer que c'est simplement en Asie ou en Afrique.
12:29On peut aller aux Etats-Unis, le Mississippi est un des fleuves les plus pollués.
12:33Le Brésil, c'est absolument catastrophique, les résultats qu'on a aujourd'hui de pollution
12:39chimique dans nos fleuves.
12:40Donc, nos fleuves ne sont que le reflet de nos sociétés et de nos modes de fonctionnement
12:45industriels, de nos eaux usées, de toutes nos consommations.
12:50Et donc, dès que vous avez en plus une forte pluie, vous allez avoir une accélération
12:53de ces polluants.
12:54Donc, le défi est majeur.
12:56Et des fortes pluies, il y en a de plus en plus avec le réchauffement climatique.
12:59Alors, ça dépend des années.
13:00Mais effectivement, cette année, on s'est retrouvés dans des formes de rivières atmosphériques
13:04depuis la fin du mois de décembre jusqu'à aujourd'hui, qui franchement nous ont mis
13:08dans une situation très particulière.
13:10On n'a pas eu vraiment beaucoup de chance parce qu'on aurait pu avoir une eau de bien
13:13meilleure qualité.
13:14Vu les travaux qui ont même été menés en avant, quand on voit cette station d'Austerlitz,
13:19qui permet de récupérer un des plus grands polluants, qui est l'eau de ruissellement.
13:23Puisqu'on a des villes totalement imperméables, on n'a pas laissé la place au cycle de
13:27l'eau dans la ville.
13:28Donc, comme il n'y a pas de verticalité possible, on n'a pas cette eau qui peut
13:31pénétrer pour rejoindre des nappes.
13:33Les eaux ruissellent massivement.
13:35Et comme on ne sait pas garder le trop plein, eh bien, on rejette l'ensemble de cette
13:39eau.
13:40Sauf qu'elle est remplie d'hydrocarbures, de tous les déchets qui sont issus de nos
13:43pneus.
13:44En fait, il existe un certain nombre de polluants dont on n'a pas conscience.
13:47Et pour travailler sur le fleuve, il faudrait que nous travaillions, par exemple, sur nos
13:51toitures.
13:52Il faudrait que nous puissions recréer cette verticalité.
13:54C'est-à-dire des villes qui soient absolument perméables, qui retrouvent ce lien avec
14:00le cycle de l'eau, qui ne le coupent pas.
14:02Une ville, c'est une sorte de cuirasse.
14:03On a oublié le sol qu'il y a dessous, on a oublié la nappe qu'il y a dessous.
14:07Et donc, il va falloir recréer cette connexion, parce que des exemples ont été menés à
14:10travers le monde, et nous montrent qu'en l'espace d'un an, si vous réussissez
14:15à désimperméabiliser l'intégralité d'une ville, vous pouvez gagner 90% de la qualité
14:20du cours d'eau, parce que l'eau de pluie s'infiltre dans les sols, et ensuite vient
14:26alimenter la rivière à travers la nappe, et pas directement en récupérant l'ensemble
14:31des polluants.
14:32Pour moi, c'est vraiment le plus grand défi qu'on a, parce qu'on réglera en grande
14:35partie les grands enjeux du changement climatique, notamment avec les îlots de chaleur urbains,
14:40et puis notamment ce défi de la qualité de nos cours d'eau.
14:42Et puis, il y a une autre piste juridique cette fois, ce que l'on appelle le Parlement
14:47de Loire, et nous sommes en ligne avec Marine Ischierdo, bonjour.
14:51Bonjour.
14:52Vous êtes avocate, merci d'être avec nous.
14:55Avocate et membre de l'association Notre Affaire à Tous, vous plaidez pour la reconnaissance
15:00des fleuves comme des entités vivantes.
15:03Expliquez-nous ce que ça signifie, et ce que ça change.
15:05Alors, des entités naturelles, en fait, qui seraient sujets de droit.
15:10Pourquoi ?
15:11Parce qu'on constate que tous nos écosystèmes aquatiques sont en mauvais état écologique
15:15et sont en train de disparaître, et que la biodiversité, en général, est en train
15:18de s'effondrer.
15:19Alors, on a plusieurs possibilités.
15:21La première, ce serait de renforcer le droit existant, le droit de l'environnement, voire
15:25tout simplement l'appliquer, avoir des sanctions plus désuasives, etc.
15:29C'est nécessaire, et c'est ce que nous souhaitons tous.
15:32Mais, même si on renforce le droit de l'environnement, on reste dans une approche assez anthropocentrée
15:37et utilitariste, où la nature est perçue comme une ressource que l'homme peut librement
15:41exploiter pour ses propres bénéfices.
15:43Et Maziza a donné l'exemple, justement, des centrins nucléaires, où on prélève
15:46de l'eau et on rejette de l'eau encore plus chaude.
15:48Donc, une deuxième possibilité, qui est complémentaire à la première, ce serait
15:52de changer de paradigme juridique et de sortir de ce cadre conceptuel dominant, assez anthropocentré,
15:58pour se décentrer, nous les humains, et reconnaître des droits à la nature, à des fleurs, à
16:03des lacs, à des glaciers.
16:04C'est-à-dire, penser autrement ?
16:06Penser autrement, et donc, la reconnaître des droits.
16:08Donc, ces droits, pour des fleuves, ce sera, par exemple, le droit d'exister, de s'écouler
16:12librement, de remplir ses fonctions écologiques essentielles, ou encore de se régénérer.
16:16Et donc, avec les droits à la nature, les fleuves, par exemple, vont ainsi passer du
16:20statut d'objet à celui de sujet de droit, et pouvoir agir directement en justice, par
16:26l'intermédiaire de représentants désignés, pour faire valoir leurs droits.
16:29Et aujourd'hui, il existe tout un mouvement mondial des droits à la nature, qui sont
16:34reconnus dans une vingtaine de pays.
16:36Notamment la Nouvelle-Zélande, le Canada.
16:38Nouvelle-Zélande, effectivement, pour le fleuve Anganoui, mais aussi chez nos voisins,
16:42en Europe, en Espagne, qui a adopté une loi en 2022, qui reconnaît la lagune Marménor
16:47comme un sujet de droit, doté d'une personnalité juridique.
16:50Et un fleuve Corse vient d'obtenir des droits, je crois ?
16:54Alors, une déclaration, en fait, le fleuve Tavignano, en Corse, qui est le deuxième
17:00fleuve de Corse, c'est une initiative qu'on accompagne avec Notre Affaire à Tous depuis
17:042021.
17:05Donc, ce fleuve est menacé par un projet de centre d'enfouissement de déchets ménagers
17:11assimilés, de terres améantifères, dans un meurtre du fleuve, sur un terrain qui est
17:16géologiquement instable.
17:17Et donc, le collectif Tavignano, vivez-vous, s'est battu pendant cinq ans en justice
17:21pour faire annuler ce projet, et a perdu.
17:23Et donc, ils ont décidé d'agir sur le terrain des droits à la nature.
17:27Et on les a aidés, avec Notre Affaire à Tous, à rédiger et proclamer la déclaration
17:31des droits du fleuve Tavignano, qui est aujourd'hui un instrument de mobilisation citoyenne et
17:36politique, puisqu'il est également soutenu par des élus locaux.
17:40Aujourd'hui, il y a une trentaine de communes, ainsi que la ville de Bastia et la collectivité
17:44de Corse, qui ont adopté des motions pour soutenir la déclaration des droits du fleuve
17:48Tavignano.
17:49Donc, les choses sont en train de bouger, si je vous entends bien.
17:54Emma Aziza, c'est essentiel, cet outil juridique, aussi, pour protéger nos fleuves ?
17:59Moi, ça me semble extrêmement intéressant, d'un moment donné, changer de positionnement
18:03et de regarder la rivière en tant qu'élément qui peut, à un moment donné, se défendre
18:08elle aussi.
18:09Pourquoi ? Parce que nos ressources en eau sont aujourd'hui, finalement, au milieu
18:14d'un ensemble de sphères qui vont avoir leurs propres intérêts.
18:18L'industriel a son intérêt par rapport à son besoin en eau.
18:22L'eau domestique est un sujet essentiel dans nos sociétés.
18:26On voit d'ailleurs que des villes à travers le monde sont en déficit absolument alarmant
18:31en ce moment et pourraient basculer dans ce jour zéro où on manquerait d'eau.
18:35Et donc, en fait, la question de l'eau est avant tout, surtout, une question économique.
18:38On pense très souvent, très peu à la question de la biodiversité, à finalement retrouver
18:44un petit peu cette caractéristique.
18:46Je sais qu'il y a énormément de mouvements qui ont tendance à réagir très fortement
18:53en disant on a déjà le droit de l'environnement en France, on a déjà tout, oui, mais on
18:57ne l'applique pas.
18:58Et donc, on ne l'applique pas complètement.
18:59Le bon état écologique des cours d'eau, qui était cette myriade qu'on imaginait
19:03en 2000, on est en 2024, il n'est toujours pas présent.
19:06Donc, je trouve intéressant, ne serait-ce que philosophiquement, à un moment donné
19:09ou dans une posture, de se retourner, de se dire finalement, est-ce que ce fleuve a aussi
19:14le droit d'avoir une personnalité juridique et de se défendre ?
19:16Et de défendre et de dépolluer les deux urgences du moment.
19:19Merci, merci à vous trois d'avoir été les invités de France Inter ce matin.

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