• il y a 3 mois
Claudia Senik, Stéphane Floccari et Jean Viard sont les invités du grand entretien de 8h20 de Christelle Rebière ce samedi, avec cette question : les Jeux peuvent-ils nous réconcilier ?

Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien

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Transcription
00:00Des audiences sur l'Olympe et une ferveur inédite.
00:10Depuis le début des JO, France Télévisions vole de record en record, plus de 23 millions
00:15de téléspectateurs devant la cérémonie d'ouverture et encore on n'a pas le chiffre
00:18des visionnages en replay.
00:20Et depuis le début des compétitions, 54 millions de français ont regardé au moins
00:25une minute des Jeux.
00:26A cela s'ajoutent les performances de nos athlètes, dopées par des ambiances survoltées
00:30sur tous les sites.
00:31On l'a vu hier soir encore à la piscine ou sur les tatamis.
00:33Et pourtant, dans un sondage IFOP, mi-juillet, seuls 35% des personnes interrogées se disaient
00:39satisfaites voire enthousiastes vis-à-vis des JO.
00:43Alors que se passe-t-il ? Pourquoi cet engouement collectif, cette sorte de bonheur national
00:47brut comme il y a un produit intérieur brut ? On sortait d'une période sombre et tendue.
00:52Est-ce qu'on est en train de refaire nation ? D'être fier d'être français ? Ou cela
00:56est-il une simple parenthèse enchantée, comme il y avait eu la France Black Blamber
00:59en 1998 dans la foulée du titre de champion du monde de football ?
01:03Pour en parler ce matin, Claudia Sénic, professeure à l'université Paris-Sorbonne,
01:08à l'école d'économie de Paris, est auteure de « L'économie du bonheur ».
01:11Bonjour.
01:12Bonjour.
01:13Nous sommes aussi en ligne avec Jean Viard, sociologue, directeur de recherche associé
01:16au Cevipof.
01:17Bonjour.
01:18Bonjour.
01:19Et avec Stéphane Flocari.
01:20Bonjour.
01:21Vous êtes agrégé de philosophie, enseignant à l'INSEP, vous avez écrit « Le sport et
01:24moi ».
01:26C'est bien cela.
01:27Bonjour.
01:28Alors, d'abord, êtes-vous surpris par cet engouement collectif qui frôle parfois l'hystérie,
01:32Jean Viard ?
01:33Pas vraiment, je vais vous dire.
01:36Moi, j'avais toujours dit que ça se passerait bien, parce qu'il y avait un tel discours
01:39négatif sur ces jeux.
01:41C'était tellement bien dans les médias de dire que c'était insensé, dangereux,
01:44etc.
01:45Je veux dire, ce pays n'arrête pas de dénigrer tout ce qu'il fait.
01:48La Seine ne serait pas baignable, etc.
01:50Il faut voir, le niveau de bashing, de critique, c'est-à-dire autant une attaque politique
01:55contre M. Macron et Mme Hidalgo, mais ce discours négatif surtout.
01:58Alors ça, c'est la première chose.
02:00Après, c'est vrai qu'on a fait un bon, et que si vous voulez, je pense que la cérémonie
02:04d'ouverture a été tellement grandiose, on peut en discuter certains éléments, mais
02:08ce n'est pas le cœur du problème.
02:09On était tellement contents, parce qu'au fond, c'est les Jeux de la France, parce
02:12que ça se passe, l'arrière-fond, c'est Paris, c'est la France, c'est Versailles,
02:17c'est Marseille.
02:18C'est-à-dire que c'est les premières fois, au fond, où ces Jeux sont autant la représentation
02:23du génie national depuis des siècles.
02:26Et je pense que ça aussi, ça renforce, et puis parlons évidemment pas des athlètes
02:30qui sont merveilleux, mais donc il y a tout ça.
02:32On monte en puissance.
02:33Mais juste une petite chose.
02:34Si vous regardez les réservations des départs en vacances, du 1er au 15 août, les gens
02:38avaient peu réservés.
02:39Ils ont réservé beaucoup.
02:40C'est-à-dire qu'il y a énormément de gens qui avaient prévu d'être devant les Jeux,
02:44et ça, on ne l'avait pas vu dans les sondages.
02:45C'est vrai.
02:46Seul le sport peut apporter une telle joie collective, Stéphane Flocari ?
02:53Je crois que le sport est effectivement un formidable vecteur d'émotion.
02:58Qu'est-ce que c'est qu'une émotion ? Une émotion, c'est une réaction affective,
03:02intense, très forte, qui est causée par quelque chose que l'on vit.
03:05Alors, on attendait en France, je crois, une clarification politique ces derniers mois.
03:10La France a été sous pression.
03:12Les Français ont su répondre à la tentation des extrêmes en essayant de refaire France.
03:19Et je pense que la grande surprise, en réalité, des dernières semaines, ce n'est pas l'engouement
03:24des Français, ce n'est pas le fait que les Français soient extrêmement émus par
03:28les victoires extraordinaires de leurs champions.
03:30Je crois que vraiment, l'invité d'honneur de ces Jeux, c'est la cérémonie.
03:35On a eu une cérémonie extraordinaire.
03:37On va y revenir, cette cérémonie d'ouverture qui s'était voulue inclusive.
03:42Il y avait une Marseillaise apaisée.
03:44Céline Dion en apothéose qui nous a quand même à tous à peu près tiré les larmes.
03:49L'historien Patrick Boucheron, l'un des co-auteurs de cette cérémonie, disait il y a quelques jours
03:54« Nous avons imaginé cette cérémonie comme un manifeste contre la peur. »
03:58Jean Viard, qu'est-ce que vous en dites ?
04:01Alors, oui, j'entends bien ça.
04:04J'ai beaucoup aimé. Mais après, c'est vrai aussi que si vous voulez, disons que moi qui suis un
04:09provincial et qui écoute quand même beaucoup de choses, j'aurais tendance à dire que le monde du
04:13travail, il manquait un spectacle.
04:15Il manquait un spectacle avec la fierté du paysan, de l'ouvrier.
04:19Peut-être ça fait un peu communiste des années 30.
04:21Mais si vous voulez, je trouvais qu'il y avait un côté, ça manquait.
04:24Et je pense que si vous voulez, ça a chanté toute la France.
04:27Mais au fond, le travail n'était pas très présent.
04:30Or, c'est un enjeu absolument majeur parce que dans l'époque actuelle, on voit bien les ruptures
04:34politiques qu'on a entre au fond la France, on va dire très vite, la France des campagnes et des
04:39petites villes et les métropoles.
04:40C'était un spectacle culturellement un peu métropolitain.
04:43Claudia Sénic, cette cérémonie d'ouverture, elle vous a marqué aussi.
04:46Vous trouvez que tout est parti de là, vous aussi ?
04:49En tout cas, ça a vraiment reçu une énorme approbation, enthousiasme.
04:54Et finalement, on voit que le fait d'accueillir les Jeux olympiques, ça a un effet sur le
04:59prestige du pays et sa visibilité.
05:01Et peut-être cette fois-ci, plus que plus que jamais.
05:03Mais c'est toujours le cas, en fait, même quand on en parlera peut-être.
05:06Mais quand on fait des études pour le mesurer.
05:09Oui, parce que vous avez fait des études sur Londres spécifiquement, sur les Jeux de Londres.
05:12En fait, on avait mis en place un dispositif pour sonder 26 000 personnes à Londres, à
05:19Berlin et à Paris, l'année qui précédait les Jeux olympiques de 2012.
05:23Donc l'été 2011, l'été 2012 et l'été 2013, on a suivi les mêmes personnes pour voir s'il y
05:28avait vraiment un effet des Jeux olympiques, pour le mesurer de manière causale grâce à
05:31cette espèce d'expérience que nous offrait la réalité.
05:35Et ce qu'on voit, c'est qu'effectivement, il y a un boost de la satisfaction dans la vie, du
05:40sentiment de bonheur, une baisse de l'anxiété dans les trois villes, mais spécialement à
05:45Londres qui, cette année-là, accueillait les Jeux olympiques.
05:48Paris était normalement favorite, c'est là que ça aurait dû se passer.
05:51Puis au dernier moment, ça a été Londres.
05:53Berlin est également partant.
05:54Donc ces villes étaient assez comparables et on voit donc de manière causale ce pic
05:59d'enthousiasme, de ferveur et de fierté nationale aussi.
06:02Alors voilà, c'était ce que j'allais vous demander.
06:04Cette fierté nationale, les Anglais l'ont ressentie comme nous ?
06:08Ils l'ont ressentie, évidemment, comme...
06:11Avec la même puissance.
06:13On ne l'a pas mesurée cette fois-ci.
06:14Je pense qu'on l'a ressentie vraiment au moins autant cette fois-ci.
06:17C'est vraiment une ferveur énorme, peut-être parce que ça vient en contraste avec une
06:21période assez sombre, avec tous les problèmes que je ne vais pas évoquer ici.
06:25Mais là, justement, il s'agit d'une passion gaie et pas d'une passion triste.
06:29Et il s'agit aussi d'un mouvement collectif qui, pour une fois, et ça fait longtemps, est
06:33positif et inclusif, cohésif, je dirais plutôt, pas inclusif, cohésif plutôt que
06:40divisif. Ce n'est pas un mouvement conflictuel.
06:42C'est un mouvement d'union.
06:45Stéphane Flocari, le sport, c'est de la cohésion ?
06:49Je crois que ce que cette cérémonie a consacré, en réalité, c'est véritablement le
06:54sport comme objet de culture populaire.
06:56Ça, ça me semble très important.
06:58D'habitude, le sport est un cadre, un alibi, éventuellement un prétexte pour laisser
07:03s'exprimer une certaine joie.
07:05Mais je crois que personne ne peut minimiser l'ampleur de ce qui s'est passé avec cette
07:11cérémonie. Pourquoi ?
07:12Parce que le sport est aujourd'hui partie intégrante d'une définition élargie de la
07:16culture populaire. Et il y a effectivement une nouvelle fierté française, diverse, racisée,
07:21féminisée, qui s'est exprimée à travers cette cérémonie.
07:25Mais je crois que s'il y a une spécificité française par rapport à Londres, ce qui se
07:29passe à Paris aujourd'hui, c'est que nous sommes quand même le pays de la révolution
07:32française. L'évocation de Marie-Antoinette avait un petit peu fait grincer des dents.
07:38Mais ce qui caractérise la France, c'est qu'il s'y passe toujours quelque chose de
07:42local, mais qui a une résonance universelle.
07:45Et depuis les Lumières, c'est ça qui nous porte.
07:48Moi, je crois que la France, elle est en train de gagner la médaille d'or de
07:51l'universalisme ou en tout cas de confirmer qu'elle est le grand pays de l'égalité entre
07:55les hommes. On a vu des enfants issus de la diversité,
07:59issus de l'outre-mer, venir ouvrir cette cérémonie.
08:02On a vu des grands tableaux avec l'évocation de tous les styles artistiques, tous les
08:07genres artistiques, depuis le disco, le métal, le hip hop, les animés, le chant
08:11lyrique, les jeux vidéo.
08:13Alors, effectivement, il n'y avait pas le travail.
08:15Jean Viard a raison, on pourrait regretter ça parce que ça fait partie de la culture
08:19française. En même temps, l'une des choses qui définit le sport, c'est que c'est une
08:23activité improductive et séparée du reste du champ social.
08:26Donc là, les Français ont une respiration, ils ont un ballon d'oxygène.
08:30L'idée de cette montgolfière qui s'élève, qui nous donne de la légèreté, avec de
08:34l'air chaud, qui nous fait un peu monter.
08:37On a vu, il a flotté pendant cette cérémonie, il pleuvait.
08:40Et alors, qui retiendra la pluie ?
08:42Personne. Parce que ce qui s'est passé était chaud, était beau.
08:46Moi, j'ai été très, très ému par la cérémonie jusqu'au bout.
08:49J'ai trouvé les enchaînements très réussis.
08:51Alors ?
08:52Non, mais depuis, il y a une espèce de ferveur collective qui monte aussi à la faveur
08:56du résultat de nos athlètes, Stéphane Flocari.
08:58Bien sûr, nos athlètes sont flamboyants.
09:01Bon, on est en première semaine.
09:03Donc, en première semaine, on a des sports qui nous sont très favorables.
09:06Oui, après l'athlétisme, ça va un peu moins bien.
09:08On est d'accord, mais quand même.
09:09Ça va être plus difficile.
09:11Ah non, non, mais c'est extraordinaire, parce qu'on a un nouveau phénomène.
09:14On a un passage de relais olympique extraordinaire entre Teddy, le patron,
09:19et le nouveau gosse doré du sport mondial, qui est Léon Marchand, qui est un garçon
09:25bluffant. Et en plus, quand on l'entend parler, quand on l'entend raconter son
09:30histoire, parler de sa relation à son père, à son sport, quand on voit les études qu'il
09:35a faites. Moi, je suis professeur à l'INSEP et je suis en permanence en train de
09:38défendre le double projet, avec énormément de sportifs, d'ailleurs, qui sont au jeu
09:42et que j'ai eus comme élève à l'INSEP.
09:44Je suis épaté par ce garçon, pas seulement parce qu'il nage plus vite que les
09:48autres, mais parce qu'en plus, il est incroyablement intelligent.
09:51Jean Villard, est-ce que vous aussi, vous diriez que la France respire en ce moment ?
09:55Oui, ça, je crois que c'est incontestable.
09:56Il y a une fierté, moi, je dirais plutôt patriotique parce que j'ai tendance à
09:59préférer le patriotisme au nationalisme.
10:02Mais je pense qu'il y a une fierté patriotique.
10:04Je suis absolument d'accord avec ce qui a été dit, y compris, on a l'impression que
10:07c'est le génie français qui s'exprime.
10:08C'est un peu idiot, cette formule, mais parce qu'à la fois, il y a évidemment
10:11l'architecture, il y a les spectacles.
10:13En plus, il y a des chanteuses magnifiques qui n'étaient pas français.
10:15C'est pas un spectacle franco-français.
10:16Il y a eu des grands chanteurs, vous l'avez cité, Madame Dion, etc.
10:20Donc, c'est important de dire ça.
10:22Et c'est vrai aussi, une chose qu'il faut dire quand même, c'est que le
10:25spectacle, j'allais dire, il y a des gens de toutes les couleurs et les
10:28athlètes sont de toutes les couleurs, de peau.
10:30Et c'est important de le dire dans le contexte actuel, c'est à dire qu'on est
10:33capable de se rassembler tous ensemble et on oublie qu'effectivement, il y en a
10:37qui trouvent quatre ou dix immigrés, etc.
10:39Un immigré qui gagne, c'est un français, si je peux dire une formule aussi
10:42absurde. Et donc, d'une certaine façon, je pense que la fierté nationale d'une
10:45société de diversité, d'une société dont la force est dans la diversité, c'est
10:49pas que la diversité, c'est un péché, c'est que la diversité, c'est une force
10:53et notamment, évidemment, dans le sport et notamment parce que le sport,
10:56notamment dans les quartiers populaires, est un des vecteurs très forts de
10:59lien social, notamment pour les garçons.
11:01Donc, effectivement, c'est un moment essentiel de construction de la fierté
11:05nationale. Et je pense que ça, c'est important parce qu'il y a une gestion
11:07heureuse de la beauté.
11:09C'est beau. On est heureux parce que c'est beau, évidemment.
11:11Mais en même temps, ça a un sens extrêmement puissant, particulièrement
11:15dans le contexte actuel qui renvoie évidemment à la Coupe du monde de foot.
11:18Claudia Sénic.
11:19Oui, exactement. D'abord, juste pour revenir en arrière sur le travail.
11:22Le travail n'a pas été représenté dans la cérémonie au sens où on verrait des
11:25travailleurs, etc. Mais là, les athlètes, le public rend
11:29hommage au travail énorme, inouï,
11:33que les athlètes ont dû fournir pour se préparer, pour arriver à ce point
11:36qui est presque surhumain. C'est ça qui est complètement extraordinaire.
11:40Donc, le travail est là quand même. Bien sûr, on pourrait dire que c'est du
11:42loisir. Jean Viard dirait ça, le sport, mais c'est du travail.
11:46Au réalité, il y a du travail dans le loisir.
11:49Je ne séparerai pas les deux.
11:50Vous qui êtes économiste, Claudia Sénic, est-ce qu'on pourrait parler de
11:53bonheur national brut aujourd'hui ?
11:55Bonheur, c'est sûr. Bonheur parce qu'il y a cette fierté nationale
11:59qui, effectivement, concerne tout le monde.
12:03Nationale aussi parce que ce sont nos athlètes, les médailles, etc.
12:07Mais c'est aussi international. Les Jeux olympiques, c'est comme un rallye,
12:10c'est comme un potelage. Chacun l'organise à son tour et c'est une grande fête
12:13qui dure tout le temps, tous les quatre ans.
12:15Donc, c'est à la fois national et international.
12:17Et en fait, c'est ça qui me frappe.
12:19Je regardais les compétitions, enfin moi, ce que j'aime, gymnastique, artistique.
12:23Donc, à la fois, c'est la compétition, il va y avoir des gagnants et des perdants.
12:28Et donc, on voit parmi les athlètes, certains jubilent, d'autres pleurent.
12:33Et tout le public est complètement en liesse.
12:36Et donc, la compétition et en même temps, créer une fierté qui unit, qui divise pas.
12:40C'est pas conflictuel.
12:42On voit, d'une part, qu'on aime tellement ça.
12:45On aime tellement voir des gens qui se surpassent, voir des...
12:49Mais comment on est passé ?
12:50Et en même temps, c'est pas divisif.
12:52Les gens vont pas se battre, au contraire, parce que c'est une compétition
12:55dans les règles de l'art, en suivant la charte olympique, avec le respect des autres.
13:00Et c'est pas une compétition avec agressivité, au contraire.
13:04C'est plutôt dans l'harmonie.
13:05C'est tout à fait spécifique.
13:06On parle souvent des méfaits de la concurrence, etc.
13:08Et là, on voit que finalement, ça se retourne en quelque chose d'extrêmement positif.
13:13On est passé d'un extrême à l'autre, si j'ose dire.
13:15Janvier, en un mois à peine.
13:17On a oublié qu'il y a un mois, on était dans un état assez dépressif quand même.
13:22Oui, non, mais ça, ça nous fait du bien.
13:24Parce que la période précédente a été extrêmement difficile.
13:27Mais je voudrais insister sur une chose qui est magnifique dans ces spectacles,
13:30c'est qu'on valorise évidemment les gagnants, mais on est solidaires des perdants.
13:34Et si vous voulez, dans nos sociétés où on ne valorise souvent que les gagnants,
13:37les perdants, pour moi, c'est les gens qui votent Front National dans les villages.
13:41C'est-à-dire, ils se sentent abandonnés.
13:42Là, dans le sport, là, on voit très bien que quand quelqu'un se perd,
13:46même qu'il pleure, etc., on est ému, j'allais dire, presque autant que par un gagnant.
13:50Et ça, c'est très important de valoriser les gagnants et les perdants.
13:53Ça veut dire qu'effectivement, tout le monde fait groupe autour d'eux.
13:56Et ça, je trouve ça, si vous voulez, cette double place, elle me semble très importante.
13:59Et du coup, oui, je respecte que c'est une compétition qui nous plaît,
14:04qui nous ravit, qui nous séduit.
14:05Mais ce n'est pas l'apologie du plus fort, puisqu'il y a aussi les Jeux paralympiques, etc.
14:09Donc, chacun peut vraiment donner son maximum et atteindre un niveau d'excellence
14:15dans son domaine, à son niveau, avec ses moyens.
14:17Et donc, c'est ça qui est très cohésif.
14:19Vous êtes d'accord avec ça, j'imagine, Stéphane Flocari ?
14:23Oui, oui, je pense que ce qui vient d'être dit est un concentré de la définition
14:27de ce qu'est le sport moderne, en fait.
14:29Le sport, c'est une activité qui est apparue en Angleterre entre la fin du 18e siècle
14:34et le milieu du 19e siècle, et qui, effectivement, a cette capacité
14:38à fédérer les hommes dans des activités qui sont réglées,
14:42qui sont compétitives et qui fournissent de la fierté.
14:46Moi, je suis d'accord aussi avec tout ce qui a été dit.
14:49Il y a une note, quand même, que je voudrais ajouter,
14:51qui me semble importante dans ce tableau.
14:53C'est que cette cérémonie et ces Jeux olympiques,
14:57ils ont été organisés d'une manière, à mon avis, intelligente
15:00et de sorte à faire rayonner la France.
15:02Et on voit qu'aujourd'hui, que ceux qui ont écrit,
15:05ceux qui ont scénarisé, par exemple, la cérémonie, sont attaqués.
15:09C'est le cas de Thomas Joly, qui est défendu hier par le président de la République en personne.
15:13Qui est victime de cyberharcèlement.
15:15Exactement. Fanny Herrero qui l'a scénarisé.
15:18La DJ Barbara Butch aussi.
15:20Tout à fait, qui est attaquée sur les réseaux sociaux.
15:23Donc, je pense qu'à un moment, la bulle éclatera.
15:26Ce n'est pas grave, c'est normal.
15:27On va retourner à notre vie normale.
15:29Sauf que les Jeux, effectivement, nous donnent un moment où on peut se regarder.
15:34On peut regarder le fait d'être français et la France autrement.
15:37Et on peut se regarder aussi psychologiquement et moralement différemment.
15:41Moi, une des choses qui m'a incroyablement ému,
15:44ce sont effectivement les larmes de certains sportifs.
15:48Encore une fois, par exemple, la gymnastique française.
15:50Toute l'équipe, ce sont mes anciennes élèves.
15:53Je les ai vues dépitées, démontées.
15:55Elles travaillent du matin au soir.
15:57Elles essayent de se dépasser.
15:58Elles font des régimes et elles perdent.
16:01Mais c'est aussi ça, le sport.
16:02Et alors, que dire des larmes de la japonaise au judo abbé,
16:06qui est sortie en larmes, faisant une crise quasiment d'hystérie
16:10dans les bras de son entraîneur au bord du tatami.
16:15Alors voilà, on voit tout le spectre des émotions humaines
16:18et on voit ce que nous sommes, en fait.
16:19Nous sommes des êtres.
16:20En fait, on se projette, on se projette à travers eux.
16:22On se projette en eux, bien sûr.
16:24On voit nos inconstances, nos joies, nos attentes, nos déceptions.
16:27Et il faut vivre, il faut avancer, il faut faire avec.
16:30Jean Viard, est-ce qu'on est en train de refaire Nation
16:33ou est-ce que c'est juste, à votre avis, une parenthèse enchantée ?
16:36Disons que c'est un bon point.
16:38On fait un pas.
16:39C'est pour ça que j'avais comparé à la Coupe du monde de football.
16:41On va y venir, bien sûr.
16:42Après, ce n'est pas définitif.
16:43Mais ce que je voudrais dire, c'est que ça va aussi dépendre,
16:45j'allais dire, du service après-vente.
16:47Vous voyez, la Tour Eiffel, on a oublié que c'était pour l'exposition universelle le 1900.
16:51Les Jeux Olympiques de 2024, c'est aussi important.
16:53Donc, est-ce qu'on va savoir marquer dans le corps charnel de la ville
16:56par des anneaux permanents,
16:58mais par exemple, que le nom des grands artistes, des grands sportifs
17:01deviennent des noms de rue dans tous nos petits villages ?
17:04C'est-à-dire, est-ce qu'on va savoir faire de cet événement
17:06une inscription dans le corps charnel de la patrie, si on peut le dire comme ça ?
17:09Et est-ce que le politique va se dire, attends quand même,
17:12essayons d'être français avant de nous angler de cette façon ?
17:15Excusez-moi, c'est vulgaire depuis quelque temps.
17:17Et donc, est-ce que là, ils vont monter en qualité en se sentant,
17:20en se disant, il faudrait quand même qu'on se mette au niveau ?
17:22Ou est-ce que ça n'aura pas d'effet ?
17:23S'ils sont capables de le faire, ça peut avoir un effet plus long.
17:26Sinon, ça sera plus court.
17:27Claudia Sényc ?
17:29Oui, tout à fait d'accord.
17:31Dans l'étude qu'on avait conduite, on voyait que sur les Jeux de Londres en 2012,
17:35ce boost de satisfaction, de joie, etc.
17:38avait disparu un an après.
17:40C'est normal, il se passe d'autres choses dans la vie des gens.
17:41Et en fait, ce qui les rend heureux, c'est surtout leur vie privée,
17:45les événements plus lointains les affectent, puis passent.
17:48Mais il y a moyen de quand même marquer ça,
17:50essayer d'ancrer un peu le souvenir de cette liesse, de cette fierté.
17:54Et comment peut-on faire ?
17:55Non, mais comme ce que dit Jean-Guy, à part faire des artefacts,
17:58des rues, donner des noms de rues, etc.
18:00Mais vous parliez de bonheur du national brut.
18:04En fait, dans cette étude, pour essayer de démontrer les choses,
18:07pour essayer de montrer que oui, il y a un surcroît de bonheur
18:10et ça a une certaine valeur, on voudrait savoir quelle valeur.
18:12On peut essayer de calculer des équivalents monétaires,
18:14c'est-à-dire quel aurait été le revenu qu'il aurait fallu donner aux gens
18:17pour produire le même effet, pour les rendre aussi heureux
18:20que les Jeux Olympiques.
18:21Et en fait, notre étude pour 2012, c'est que ça a créé au niveau de l'Angleterre
18:26l'équivalent, c'était entre 3 et 7 milliards de livres sterling,
18:30donc encore plus en euros.
18:32Donc, c'est une espèce de bonheur national brut qui est l'équivalent de ces milliards d'euros.
18:37Donc, c'est des milliards d'euros de bonheur national brut.
18:40On en vient à France 98, on avait célébré la France Black Blomber,
18:44cette France multiculturelle symbolisée par la composition de l'équipe de France.
18:48On pensait à l'époque qu'on était devenu un modèle d'intégration.
18:52Et finalement, Jean Viard, c'était juste un élan ?
18:55Non, c'est un moment.
18:56Vous savez, la société française a une acceptation de l'étranger,
19:01y compris de son utilité culturelle, etc.,
19:03qui augmente de manière constante depuis 40 ans.
19:05Il y a eu un recul depuis un an, c'est vrai, quand on a parlé de la loi sur l'immigration.
19:08Donc, faisons attention et n'oublions jamais que le couscous,
19:11c'est le plat préféré des Français et que tout ça y a contribué.
19:14Nous, on ne voit que l'élection politique, donc les votes.
19:16Il faut faire attention à la société.
19:18Comment ? Vous êtes en train de nous dire que l'élection,
19:20c'est un miroir déformant de ce que nous sommes ?
19:23Non, mais ça veut dire que les gens qui votent pour l'extrême droite,
19:25il y en a qui aiment le couscous, il y en a même qui ne sont pas racistes.
19:27Enfin, je veux dire, parce qu'on a des catégories qui font qu'il faut faire attention à ça.
19:31La société française, dans les chiffres, n'est pas, si vous voulez,
19:35ça veut dire que la majorité des gens sont plus accueillants qu'avant.
19:38Et je pense que la Coupe du monde de foot, disons, a plutôt un petit effet dans ça.
19:41C'est un chemin un peu long qui a des tas d'éléments.
19:44Là, dans la période actuelle,
19:46on n'est pas effectivement tout à fait dans l'immigration parce qu'au fond,
19:48c'est fondamentalement la France, y compris, je pense que la question,
19:51et d'ailleurs, sur la scène, c'était ça aussi, la présence du patrimoine était gigantesque.
19:56Et donc, si vous voulez, c'est autant une oeuvre d'art qu'une oeuvre de sport
19:59et d'art depuis des siècles, enfin, depuis Versailles, on va dire,
20:02depuis la rade de Marseille.
20:04Donc, si vous voulez, cette alliance entre l'art et le sport, c'est ça qui fait la magie.
20:08Et là, on a sorti au fond le sport des stades
20:10et on l'a mis directement dans la vie du quotidien.
20:13C'est la première fois qu'on fait ça.
20:14Et donc, quand j'ai dit génie français, c'est une formule un peu ancienne,
20:19mais c'est ça qu'on a valorisé plus que la diversité des corps,
20:22parce que c'est la diversité des corps, des architectures, des esthétiques, des musiques, etc.
20:26Juste pour conclure, et ce sera plus fort que nos divisions,
20:29pendant combien de temps, à votre avis ?
20:32Écoutez, je vous dis, c'est l'indépendant de l'après-vente qui va être fait.
20:34Ça va jouer sur quelques semaines, quelques mois.
20:36Moi, j'espère que les politiques vont être capables de se dire,
20:39après un truc aussi génial, on va arrêter de faire les cons, si je peux me permettre.
20:45Qu'est-ce que vous en dites, Stéphane Flocari, pour conclure rapidement ?
20:49Je pense que tout ça, ça interroge ce qu'on appelle le modèle républicain de l'assimilation.
20:56Jusqu'à présent, l'assimilation se faisait plutôt à marche forcée,
21:00en gommant les origines et en gommant les différences.
21:02Là, je crois qu'on a un espoir.
21:04On a l'occasion peut-être d'un nouveau type d'intégration de tout et de tous,
21:08pas simplement fondé sur la couleur, mais peut-être aussi sur le genre.
21:11Et je crois que si le sport nous apprend quelque chose,
21:14c'est que nous sommes tous des hommes, nous sommes tous des femmes,
21:16nous sommes tous qui nous voulons être.
21:19Et qu'en réalité, la biologie avait raison.
21:22Il n'y a pas de race humaine, il n'y a que des êtres humains.
21:25Et le sport, c'est l'occasion de rappeler ça.
21:28Et nous vibrons tous ensemble.
21:29Merci.
21:30En tout cas, on voit que c'est vraiment optimiste, les Jeux Olympiques.
21:33Merci infiniment, Claudia Sénic, Stéphane Flocari et Jean Viard.
21:36Jean Viard, je précise le nom de votre dernier ouvrage,
21:39le titre Pour une société du compromis, paru aux éditions de l'eau.
21:42Bonne journée à vous trois.

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