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L'extrême droit a-t-elle définitivement gagné en France la bataille des idées ? Etienne Ollion et Luc Rouban sont les invités du Grand Entretien ce mercredi 30 octobre de France Inter.

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00:00L'extrême droite a-t-elle définitivement gagné en France ? La bataille des idées,
00:12son arrivée au pouvoir n'est-elle qu'une question de temps ? Et quelles sont les raisons
00:16qui poussent plus de 10 millions d'électeurs à voter pour le RN et pour ses alliés ?
00:21Question d'actualité, alors que le président du parti, Jordan Bardella, s'apprête à sortir
00:25un livre promu par le groupe Bolloré et diffusé à 155 000 exemplaires, et que Marine Le Pen
00:30et ses députés sont présentés comme le groupe susceptible de faire tomber à tout
00:35moment le gouvernement.
00:36Nos deux invités, ce matin, analysent chacun dans un livre les dynamiques à l'œuvre.
00:41Luc Rouban, bonjour.
00:42Bonjour.
00:43Vous êtes politologue, directeur de recherche au Cevipof, le centre de recherche politique
00:47de Sciences Po, et vous venez de publier les ressorts cachés du vote RN paru aux presses
00:52de Sciences Po.
00:53Etienne Ollion, bonjour.
00:54Bonjour.
00:55Sociologue, directeur de recherche au CNRS, professeur à l'école Polytechnique, vous
00:59écrivez avec le philosophe Michael Fossel, « Une étrange victoire, l'extrême droite
01:04contre la politique » aux éditions du Seuil, 0145 24 7000 et applications de Radio France
01:10comme d'habitude, pour poser vos questions et réagir.
01:13Je voudrais d'abord avoir votre regard à tous les deux sur la situation politique à
01:18l'instant T.
01:19Le Rassemblement national n'a pas accédé au pouvoir après, malgré son très bon score
01:24aux européennes en juin dernier, mais dans les faits, dans ce que vous voyez, dans le
01:28débat public, dans la bataille budgétaire, au Parlement, est-ce que le Rassemblement
01:33national est selon vous le parti autour duquel se structure aujourd'hui la vie politique
01:37française ?
01:38Luc Rouban.
01:39En tous les cas, je dirais, il structure certainement les droites.
01:44C'est-à-dire qu'il a réussi à prendre une position centrale dans le débat politique
01:48à droite, dominant le gouvernement Barnier, ça on le voit très clairement.
01:52C'est en fait, je dirais, un parti fort d'un électorat très puissant maintenant, qui s'est
01:59élargi.
02:00Je crois que ça, c'est le point le plus important.
02:01Donc, on n'a plus simplement l'électorat populaire du FN, mais maintenant on a un électorat
02:06de classe moyenne, voire de classe supérieure.
02:08Ça, c'est vraiment la grande différence avec, je dirais, le début des années 2000.
02:13En 20 ans, on a vu une transformation complète de l'électorat et c'est ce que j'analyse
02:18dans mon ouvrage.
02:19Donc, si vous voulez, le problème, c'est qu'il a une assise sociale beaucoup plus
02:23importante et il a élargi considérablement le champ de ses références, en quelque sorte,
02:30intellectuelles et idéologiques.
02:32C'est-à-dire qu'on n'est plus simplement dans l'immigration, dans le racisme, on est
02:35aussi dans la crise sociale et dans le problème du rapport notamment au travail.
02:38Etienne Ollion ?
02:39Oui, il est certain que le Rassemblement national est passé d'un parti en difficulté
02:43en quelques années à un parti qui, à l'heure actuelle, sinon domine, en tout cas organise
02:48et participe à la vie politique.
02:49Il faut rappeler qu'il y a quelques années seulement, le Rassemblement national était
02:52un parti qui, fort de ses électeurs, avait quand même des millions et des millions d'euros
02:56de dettes.
02:57Et qu'en deux élections, celle de 2022 et celle de 2024, ils ont, par le nombre de
03:02députés et de voix qu'ils ont obtenues, réussi à obtenir des parts essentielles
03:06du financement de la vie politique qui leur permettent de regarder l'avenir de manière
03:09beaucoup plus sereine.
03:10Je parlais du livre de Jordan Bardella, qui va sortir dans quelques jours.
03:14Il n'y aura finalement pas d'affiche dans les gares, mais il bénéficiera d'une intense
03:19campagne de communication des médias du groupe Bolloré.
03:22155 000 exemplaires, tout de même, c'est assez rare dans l'édition.
03:26Est-ce que c'est un moment symbolique d'une victoire idéologique ?
03:29En tout cas, ce qui est certain, c'est que c'est comme ça que c'est orchestré, à
03:33la fois par sa maison d'édition, Fayard, qui a été reprise en main il y a quelques
03:37temps, quand elle est tombée sous l'égide du groupe Bolloré.
03:40Et puis, c'est plus largement, en fait, un moment aussi pour communiquer.
03:45Alors, est-ce que ça veut dire que c'est une victoire idéologique ?
03:47C'est un grand moment de communication, mais la victoire idéologique, il faudrait
03:51regarder où elle se situe.
03:52Et Luc Rouband disait à un instant que l'électorat s'est élargi et les thématiques se sont
03:57élargies.
03:58Ce qu'on a cherché à voir dans le livre avec Michael Fossel, c'est tenter de savoir
04:02quels sont les sujets sur lesquels le Front National se porte.
04:05Il y a évidemment l'immigration.
04:06Le Front National, aujourd'hui ?
04:07Le Rassemblement National se porte, qui aussi a élargi et modifié, en fait, la manière
04:13de communiquer.
04:14Parce que si on regarde les idées qu'ils portent sur, par exemple, l'Europe, ils ont
04:18fait un grand déplacement.
04:20Ils étaient contre la monnaie unique il y a dix ans, ils sont pour la monnaie unique
04:22maintenant.
04:23Si on prend la question un peu sociétale, la question des droits aux personnes de même
04:28sexe à se marier, là c'est pareil.
04:30Grand basculement en dix ans.
04:31Et puis même sur des sujets économiques, en fait, sur la réforme des retraites, ils
04:34ont été pour, ils ont hésité, ils sont un peu revenus.
04:36Enfin voilà.
04:37Là, on pourrait parler de la flat-tax.
04:38Alors, sur tous ces sujets-là, en fait, est-ce qu'ils ont vraiment réussi à s'imposer ?
04:42Ce n'est pas certain.
04:43La thèse qu'on défend dans le livre, c'est que ce sont eux qui se sont adaptés au changement
04:50de la société et à l'opinion dominante.
04:52Et que ce brouillage des idées les a énormément servis, puisque ça leur a permis de se déplacer
04:58sur le spectre gauche-droite, de récuser l'accusation d'être d'extrême droite.
05:02Sur cette question de l'hégémonie culturelle, Luc Rouband, on a dit pendant des décennies
05:06que c'était la gauche qui détenait cette hégémonie culturelle.
05:09Est-ce que vous voyez un basculement aujourd'hui ?
05:12Alors, c'est toute la question de la droitisation, je dirais, de l'opinion publique française
05:16ou des électeurs français.
05:18Alors, c'est certain que toutes les enquêtes, toutes les études un peu sérieuses montrent
05:22qu'il y a quand même une tolérance plus grande en matière, je dirais, d'immigration.
05:27Il y a moins de racisme, moins de xénophobie, moins d'anti… Globalement, en moyenne,
05:31moins d'antisémitisme qu'il y a 20 ans dans la société française.
05:34Donc, le problème reste posé.
05:35Pourquoi le RN gagne du terrain et donc continue à obtenir des résultats tout à fait impressionnants
05:42et historiques ?
05:43Donc, si vous voulez, la question, c'est que dans le fond, il est porteur quand même
05:47d'une idée générale, au-delà d'un programme qui, effectivement, est très flou, très
05:51changeant, mais il est porteur d'une idée générale qui est celle de la protection
05:54des populations.
05:56Et je dirais, à la fois, bien sûr, de l'identité peut-être culturelle ou historique plus ou
06:01moins construite, mais il est porteur d'une protection, alors que dans le fond, son alter
06:07ego, de l'autre côté, c'est le macronisme.
06:09Pourquoi alter ego ?
06:11Je dirais que c'est un petit peu l'autre face de la même pièce.
06:14C'est-à-dire que dans le cadre d'une mondialisation qui est, en fait, présentée par le macronisme
06:22comme devant amener à l'adaptation des Français, le RN répond « non, il faut
06:27vous protéger ».
06:28Donc, en fait, si vous voulez, toute l'affaire se joue autour de cette question de la mondialisation,
06:35mais aussi du contexte politique actuel, qui est celui du macronisme.
06:38Et sans le macronisme, je pense que le RN n'aurait pas gagné autant de place dans
06:42l'espace politique français.
06:43On va pouvoir parler, effectivement, des responsabilités des uns et des autres, aujourd'hui, dans
06:47la classe politique médiatique, vous en parlez aussi.
06:50Mais d'abord, je voudrais qu'on écoute la question d'Aurélien, au Standard de France Inter.
06:54Bonjour Aurélien.
06:55Oui, bonjour messieurs.
06:57Je voulais savoir si la droite française, qui hier était une droite de gouvernement
07:03avec des idées de centre-droit, n'est-elle pas contaminée par les idées de l'extrême-droite
07:09et les thématiques de l'extrême-droite, et ne va pas, elle-même, volontairement sur
07:14ce terrain-là pour grappiller de l'électorat ?
07:17Merci Aurélien, Etienne Ollion.
07:20D'une certaine manière, c'est le cas, enfin, pour ce qui reste de la droite républicaine.
07:26Mais je dirais que ça va même un petit peu plus loin, parce qu'on a vu le déplacement
07:29du macronisme, depuis le macronisme originel, dont on disait qu'il était et de droite
07:34et de gauche, et qui s'est, à travers les années, largement déplacé pour reprendre
07:39à son compte certaines des thématiques de la droite, mais aussi de l'extrême-droite.
07:42Puisque, rappelons quand même que, lors de la loi Immigration, les députés d'Emmanuel
07:47Macron ont voté un texte qui maintenait et défendait la préférence nationale.
07:50On pourra vous opposer qu'Emmanuel Macron a empêché deux fois Marine Le Pen d'accéder
07:54à l'Elysée ?
07:55Il a gagné, et donc il est allé, lui, à sa place à l'Elysée, mais enfin, il faut
08:00aussi regarder dans les actes et dans les pratiques.
08:02Après, évidemment, Emmanuel Macron ne mène pas la politique que mènerait Marine Le
08:06Pen, ça c'est bien évident.
08:07Mais en tout cas…
08:08Vous parlez de la mondialisation, il y a deux approches et deux solutions différentes par
08:13rapport aux problématiques posées.
08:16Oui, il y a même plus que deux solutions qui pourraient se dégager ici sur la mondialisation,
08:21on pourrait envisager plein de choses.
08:22En tout cas, ce qu'on peut dire, c'est qu'il y a eu un déplacement de centres
08:28de gravité politique sur certaines idées, et en particulier sur la question de l'immigration,
08:32et de ce point de vue-là, il me paraît évident que le champ politique a basculé.
08:37Dans cette bataille culturelle, bataille politique, bataille des idées dont on parle, est-ce
08:42que, concrètement, Luc Rouband, la nomination de Bruno Retailleau au ministère de l'Intérieur,
08:48qui a une ligne sur l'immigration, en effet, qui est proche de celle du Rassemblement National,
08:52qui a été formée politiquement par le nationaliste identitaire Philippe Devilliers, est-ce que
08:58ça fait partie aussi de ce glissement ?
09:00Ah oui, tout à fait.
09:02C'est-à-dire qu'en fait, le centre du champ de bataille, c'est dans le fond aujourd'hui,
09:06la construction d'une droite sociale, avec dans le fond, en arrière-plan, je dirais
09:10une certaine nostalgie au sein de l'électorat.
09:12Je ne parle pas des militants, je ne parle pas des leaders, mais au sein de l'électorat,
09:16d'une forme de gaullisme un peu modernisé.
09:18C'est-à-dire, dans le fond, un compromis entre un État fort, avec une réelle autorité
09:23régalienne, assurant la sécurité extérieure, intérieure, contre le terrorisme, évidemment,
09:29contre les agressions au quotidien, mais aussi un État social.
09:33Et c'est là que les Républicains ont été piégés.
09:36C'est-à-dire qu'eux, ils sont restés fidèles, je dirais, au néolibéralisme, un peu à la
09:39François Fillon, à la Valérie Pécresse, etc.
09:42Ce qui, en fait, n'est que très peu reçu dans l'opinion française et chez les électeurs
09:47français.
09:48Donc, en fait, la question, c'est de reconstruire un compromis de droite sociale, alors, effectivement,
09:54dans lequel on peut trouver un acteur central aujourd'hui, qui est le Rassemblement National,
09:58qui joue très bien sur ce terrain, mais aussi une droite LR, qui peut-être est en train
10:03de se reconstruire via M.
10:05Etaillaud et via d'autres, qui est en train de se dire, finalement, il faut relancer l'État,
10:10il faut reconstruire l'État et, effectivement, ne plus céder simplement aux sirènes du
10:15néolibéralisme.
10:16Vous avez deux approches différentes, Etienne Ollion, Luc Rouband, chacun dans votre livre.
10:19Vous, Etienne Ollion, vous partez du discours, c'est-à-dire de l'offre.
10:24Vous proposez d'expliquer pourquoi le discours du Rassemblement National est celui, aujourd'hui,
10:28qui a le plus d'attrait sur les électeurs.
10:30Et vous, Luc Rouband, vous partez de la demande, c'est-à-dire des ressorts du vote RN, pourquoi
10:36les électeurs choisissent de voter pour ce parti.
10:38Expliquez-nous, d'abord, Etienne Ollion, pourquoi cette démarche ?
10:42La démarche, c'est qu'on ne peut pas, sur des phénomènes complexes, tout étudier.
10:47Pourquoi vous pensez que c'est le discours qui est le plus important ?
10:49J'y venais.
10:50La perspective qu'on a choisi de prendre avec Michael Fussell, c'est de travailler
10:53sur l'offre politique, parce qu'on sait, en sciences politiques, beaucoup de travaux
10:56qui le montrent, que la politique de l'offre, l'offre influence la demande.
11:00C'est-à-dire que les positions des partis, les positions médiatiques, influencent les électeurs
11:06un peu plus que l'inverse, même s'il y a toujours une rencontre entre l'offre et la demande.
11:10Et c'est pour ça qu'on a voulu travailler sur le discours, sur les idées, parce qu'il
11:14nous semblait vraiment essentiel, pour comprendre le déplacement qui s'est fait à travers
11:18ces années et qui a permis au Rassemblement National, non pas d'exister, mais de passer
11:22de 20% à 35% en seulement quelques années.
11:25C'était ça, un peu, le point de départ et le mystère qui nous animait.
11:29Luc Rouband, pourquoi vous partez des électeurs, que vous avez rencontrés d'ailleurs ?
11:34Oui, effectivement, je parle d'une question de recherche qui est de savoir pourquoi les
11:38électeurs choisissent de plus en plus le Rassemblement National.
11:40Et donc, pour ça, j'ai choisi de suivre le fil rouge, en quelque sorte, d'une crise
11:47démocratique qui s'est exprimée avec le plus de puissance au moment de la révolte
11:52des gilets jaunes.
11:53C'est-à-dire les attentes démocratiques, les attentes vis-à-vis de l'action publique,
11:57vis-à-vis de l'efficacité de l'action publique et, je dirais, ce malaise dans lequel
12:01on est plongé depuis des années, qui finalement n'a pas trouvé de solution sur le terrain
12:07institutionnel, qui ne trouve pas de solution du côté des conflits sociaux ordinaires
12:11avec les syndicats, mais qui imprime vraiment sa marque sur la société française par rapport
12:16à d'autres sociétés européennes qu'on peut étudier dans les enquêtes.
12:18Et donc, c'est cette idée de crise démocratique.
12:21Et donc, quelles sont les attentes derrière cette crise pour lesquelles le RN peut représenter
12:29une réponse ?
12:30Évidemment, vos deux approches sont complémentaires.
12:32Luc Rouban, sur l'électorat RN, vous écrivez « Ce n'est pas parce qu'on vote pour
12:37le RN que l'on souscrit à une forme de post-fascisme pétri de haine à l'égard
12:41des étrangers, de racisme.
12:42Le vote RN se charge de nombreuses autres significations, comme le fait de se sentir
12:47délaissé, méprisé ou de ne pas profiter d'une mobilité sociale ascendante.
12:52La grille d'analyse aujourd'hui communément admise pour le vote RN est datée ?
12:58Oui, parce que dans le fond, globalement, si vous voulez, on utilise toujours la grille
13:04d'analyse du vote de classe, qui aujourd'hui n'est plus tellement pertinent en sciences
13:08politiques.
13:09Alors qu'on voit bien dans les enquêtes électorales une individualisation, une subjectivisation
13:16croissante du choix électoral.
13:18C'est-à-dire qu'en fait, l'électeur se détermine de plus en plus par rapport à
13:21l'évaluation qu'il fait de sa propre situation dans la société, que par rapport je dirais
13:26aux grilles d'analyse de l'INSEE des catégories socio-professionnelles.
13:29Et donc, il faut bien placer…
13:31C'est-à-dire, très concrètement, on peut avoir un salaire correct, ne pas avoir de
13:36grosses difficultés financières selon les statistiques et se sentir défavorisé, perdant
13:44de la mondialisation ?
13:45C'est-à-dire considérer qu'on est perdant, considérer que dans le fond, on a un avenir
13:49qui est relativement sombre ou incertain, considérer qu'on est vulnérable ou considérer
13:53que dans le fond, on n'a pas fait un chemin très important par rapport, par exemple,
13:57à ses parents ou à son entourage familial.
13:59Et ça, ça joue énormément, si vous voulez, dans la perception du politique et dans les
14:03attentes des électeurs.
14:04Je reviens à la question que vous posez, qui est centrale dans votre livre, Étienne
14:07Ollion.
14:08Pourquoi le discours du Rassemblement national aujourd'hui est jugé comme le plus séduisant
14:11par une grande partie des électeurs ?
14:12C'est parce qu'il s'est adapté, c'est le parti qui a su le mieux s'adapter justement
14:16à cette nouvelle demande ?
14:17Alors d'une part, ce qu'on voit quand on suit les discours et les programmes, c'est
14:20qu'en effet, il s'est adapté, qu'il a suivi souvent la position de l'opinion
14:23dominante.
14:24Mais par ailleurs, en fait, je crois que ce qui est important pour comprendre le succès
14:29du Rassemblement national ces dernières années, c'est de voir qu'à travers les changements
14:33de pied sur des positions fortes, comme on évoquait tout à l'heure, l'Europe, les
14:37questions sociétales, la question éventuellement de l'économie, etc.
14:41On le voit même dans le budget actuellement, avec des zigzags incessants à l'Assemblée.
14:47Avec des hésitations sur la flat tax, etc.
14:48Enfin, on l'a vu hier.
14:49Ça a permis de quelque chose, ça a permis de se déplacer dans les spectres du coordonnée
14:53politique, de mettre à distance l'accusation d'être d'extrême droite, justement parce
14:57qu'on était brouillé.
14:58Et ça, c'est intéressant du point de vue des sciences politiques, parce que de manière
15:02générale, les électeurs n'aiment pas trop, on le sait, les enquêtes le montrent,
15:05les partis qui n'ont pas une identité claire.
15:07C'est un petit peu, pour le dire rapidement, la phrase du Cardinal de Retz, vous savez,
15:11on ne sort de l'ambiguïté qu'à ses propres dépens.
15:13Or, dans le cas du Rassemblement National, c'est quelque chose qui a été, intentionnellement
15:18ou non, extrêmement efficace, justement pour récuser le positionnement politique et qu'il
15:23aurait été attaché, et qu'il passe beaucoup de temps à tenter de défaire cette question
15:27du positionnement politique d'extrême droite.
15:30On peut s'interroger sur les responsabilités, maintenant, d'ailleurs, votre livre, Etienne
15:34Ollion, s'appelle « L'étrange victoire », référence à l'étrange défaite de
15:37l'historien Marc Bloch, écrit en 40, dans lequel il dénonce et il tente d'analyser
15:44la faillite des élites face à la montée du fascisme.
15:47Et justement, sur les responsabilités, question de François, au Standard Inter, bonjour François,
15:52vous nous appelez de Grenoble.
15:53Oui, bonjour, ma remarque c'était de dire qu'en complément de tout ce qui vient d'être
15:59dit, où je partage ce nombre de choses, c'est qu'on ne peut pas ignorer la banalisation
16:04de la montée du Rassemblement National, qui a été faite par les médias à un moment.
16:09Je ne parle pas de ceux de Bolloré, mais des médias « normaux », dont France Inter,
16:15et en utilisant, par exemple, le terme d'extrême gauche, mais plus celui d'extrême droite,
16:22et pour moi, là, il y a une responsabilité très forte, qui est presque une sorte de
16:26banalisation par rapport à quelque chose de nouveau.
16:29Alors, merci beaucoup François, simplement sur le terme extrême droite, on continue
16:34de l'utiliser, par exemple ce matin, pour la simple raison, et on a eu l'occasion
16:38de l'expliquer sur France Inter, que le Conseil d'Etat avait confirmé qu'on pouvait
16:42effectivement toujours qualifier le Rassemblement National de partie d'extrême droite.
16:47Merci pour votre question François, Luc Rouband sur la banalisation, vous vous interrogez
16:53d'ailleurs tous les deux sur cette question, est-ce que ramener le Rassemblement National
16:57à son passé, à son histoire, ça fonctionne toujours, est-ce que c'est toujours pertinent,
17:02Luc Rouband ?
17:03Je ne pense pas, le problème, si vous voulez, c'est qu'on a vu apparaître quand même
17:07un autre mouvement, à la droite du Rassemblement National, c'est Reconquête, qui réunit
17:12un électorat très différent, beaucoup plus bourgeois, beaucoup plus identitaire, beaucoup
17:17plus anti-européen, beaucoup plus libéral, beaucoup plus fortuné, beaucoup plus âgé,
17:22et qui, lui, en revanche, est vraiment l'héritier du Front National, en termes électoraux, en
17:27termes de conception idéologique.
17:29Du Front National de Jean-Marie Le Pen ?
17:30De Jean-Marie Le Pen, l'ancien, si vous voulez, la racine historique.
17:33Et donc, effectivement, on a vu se transformer le RN, qui a échangé, bon, alors après,
17:38bien sûr, il a changé de manière partielle, parfois de manière, je dirais, assez peut-être
17:43hypocrite, comme tous les partis politiques, mais si vous voulez, ce qui est quand même
17:46important, c'est de voir que l'espace politique français a évolué, et que dans le fond,
17:51dans cet espace politique français, vous avez eu une espèce de vide qui s'est installé
17:58à partir du moment où, je reviens à ce sujet, parce qu'il me paraît important,
18:02où le macronisme a commencé à dire, je ne suis ni de droite, ni de gauche, je suis
18:06la parole de l'Europe, je suis la parole de la mondialisation, et là, on a eu un désir
18:11de politique de droite, et une critique sociale de droite qui a émergé, et qui a considérablement
18:17renforcé le RN.
18:18On va venir au macronisme, mais simplement, Etienne Ollion, parce que je ne voudrais pas
18:22occulter la question d'Aurélien sur la responsabilité des médias, dont France Inter, disait notre
18:28auditeur.
18:29Je pense que votre auditeur a raison de poser la question, et c'est pour ça qu'on a fait
18:32ce clin d'œil un peu appuyé à Marc Bloch dans le livre, puisque Marc Bloch, qui était
18:36un amoureux de la France, se pose la question de ce qui a amené à la montée de l'autoritarisme,
18:40et que parfois, des personnes bien intentionnées, ou qui ont l'impression même parfois de lutter
18:43contre, vont participer à cette montée.
18:47Alors évidemment, sur les médias, et on y consacre un chapitre entier, on pourrait
18:51regarder les petites chaînes, celles qui montent à l'heure actuelle, du groupe Bolloré,
18:56par exemple, qui, toute la journée, rappellent qu'on ne peut rien dire, de matin au soir,
19:03sur l'antenne.
19:04Bon, mais si on faisait ça, je pense qu'on raterait les autres facteurs qui ont permis,
19:08éventuellement, au RN et à l'extrême droite plus largement, de s'imposer.
19:12Et ce qu'on a cherché à voir dans le livre, c'est comment est-ce que, par exemple, la
19:17narration de la politique avait changé, au cours des 20 ou 30 dernières années ? Comment
19:21est-ce que le fait de décrire la politique de plus en plus comme une série de batailles,
19:25ce qu'on appelle conventionnellement la popole, pouvait parfois...
19:29La politique politicienne, le fait de décrire les luttes, les coulisses, les tensions, pouvait,
19:35même pour des journalistes qui ont l'impression de critiquer ou de porter le fer avec leur
19:38rassemblement national, en leur disant, par exemple, en montrant qu'il y a des tensions
19:42au Front National, ne se faisant, ne montrent pas, ne sont pas en train de rappeler le
19:47parti, ni à ses origines, mais simplement à ses engagements programmatiques.
19:51Ils ne font pas le suivi des idées.
19:53Et de ce point de vue-là, avec d'autres aspects, on a eu, éventuellement, une petite responsabilité
20:00qui se joue à cet endroit-là.
20:01J'en reviens à ce que vous disiez, Luc Rouband, sur la responsabilité du pouvoir qui est
20:08en place depuis 2017.
20:10Vous vous dites que, en quelque sorte, l'effacement des clivages gauche-droite, une certaine dépolitisation
20:17a été pour beaucoup dans le succès de l'extrême droite en France.
20:22Absolument.
20:23Je pense que le macronisme, si vous voulez, qui développe...
20:26On peut considérer que l'argument est sérieux, d'ailleurs, son argument n'est pas médiocre,
20:30mais qui développe une idée qui est, dans le fond, celle d'une forme de managérialisme,
20:34c'est-à-dire, finalement, de confusion entre le public et le privé, d'indifférenciation
20:39entre la sphère publique, la sphère privée, l'État et l'entreprise.
20:43C'est, effectivement, un argumentaire qui est très important par rapport, si vous voulez,
20:49aux enjeux internationaux actuels, quoique, on voit aussi réapparaître des états-nations
20:54extrêmement puissants.
20:55Donc, il y a tout un enjeu autour de la question de l'État, de l'identité de l'État et de
20:59la force de l'État, aujourd'hui.
21:00Donc, vous avez ce premier problème, vous avez eu un vide.
21:03Or, la société française, elle est construite essentiellement autour de l'État, qui est
21:07quand même, à la fois, un grand redistributeur de ressources économiques, mais aussi le
21:11constructeur des élites en France, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays européens.
21:14Donc, si vous voulez, vous avez eu un vide autour de cette question.
21:17Et ensuite, vous avez un autre vide, qui était la question aussi des valeurs.
21:21C'est-à-dire qu'effectivement, si le RN s'est adapté, le macronisme aussi.
21:25Le problème, c'est que quand vous avez des formes, comme ça, politiques, je dirais,
21:29multiformes ou qui sont mutagènes en permanence…
21:35Il y avait un vrai désir de dépassement des clivages ?
21:38Il existe sans doute toujours en partie ?
21:41Il y a un désir d'efficacité sur le terrain.
21:43Et c'est là où il faut justement faire attention aux thèses qui disent « voilà,
21:47c'est du populisme, etc. ».
21:48C'est plus compliqué que ça.
21:50En réalité, l'attente et la demande des électeurs, c'est l'efficacité sur le
21:54terrain, dans les collectivités locales, dans la vie de tous les jours.
21:57Et là, il y a un hiatus, si vous voulez, avec la démocratie représentative, non pas
22:01dans la défense des libertés, mais dans sa capacité à prendre des décisions effectives.
22:05Etienne Ollion ?
22:06Oui, en effet, il y a eu un point de concours un peu inattendu, mais entre le discours de
22:11l'extrême droite sur le « ni droite ni gauche » et le discours macroniste des années
22:152017-2020 sur le « et de droite et de gauche ».
22:18Je pense qu'il ne faut pas aller beaucoup plus loin dans cette analyse, parce que, évidemment,
22:22c'est des programmes qui n'ont rien à voir, mais quand même, ce que ça a produit,
22:25cette espèce de modification des cadres du débat politique, c'est la mise au rencard
22:30de quelque chose qui, jusque-là, structurait la vie politique française, qui était le
22:35clivage droite-gauche.
22:36Clivage droite-gauche qui avait, malgré tous les défauts qu'il a, et je suis politiste
22:39et c'est mon métier de le critiquer, un avantage, c'est de rappeler que l'extrême
22:43droite, c'est la droite en extrême.
22:44Et la responsabilité de la gauche, justement ?
22:46La responsabilité de la gauche, elle est à la fois existante, mais il faudrait déjà
22:50parler des gauches, parce qu'il y en a une qui a été au pouvoir, il y en a une qui
22:53n'y a pas été.
22:54Et puis surtout, la gauche n'est plus au pouvoir depuis très longtemps, et donc, de
22:57ce point de vue-là, quand il faut faire la liste, c'est probablement moins de ce
23:00côté-là, même s'il faudrait le faire.
23:01Mais vous dites, Luc Rouband, vous écrivez, la gauche n'a pas su analyser les demandes
23:05sociales d'un électorat qui ne se réduit pas à une bande de néo-fascistes saisies
23:08par une rage xénophobe et raciste.
23:10Absolument, je pense que là où les gauches ont peut-être raté le coche, c'est sur
23:15la question du travail et sur la question du rapport, si vous voulez, des rapports de
23:19travail et des rapports professionnels.
23:21Et là, vraiment, vous avez une appétence en France qui est une appétence libérale,
23:25pas dans le sens où il faut réduire les services publics, mais dans le sens où il
23:28faut favoriser l'autonomie professionnelle et notamment la création d'entreprises.
23:32Et c'est très très fort, notamment chez les jeunes électeurs qui aimeraient bien
23:37créer leur entreprise et sortir du salariat.
23:39Question de Steve, bonjour Steve, il nous reste quelques secondes, on écoute votre
23:43question.
23:44Oui, bonjour, je vous remercie de votre débat, je le trouvais très intéressant.
23:48C'était juste pour faire remarquer que je pensais que le Front National, enfin le Rassemblement
23:54National, bénéficiait d'une virginité en matière de gouvernement et n'avait jamais
23:59été aux commandes et que ça expliquait sûrement l'intérêt et les bons scores
24:05qu'il avait pu faire aux dernières élections.
24:08Merci Steve et j'ajoute ma question, est-ce que la victoire du Rassemblement National
24:14est, comme on l'entend, selon vous Etienne Ollion, inéluctable ?
24:17Pour répondre à la question de l'auditeur, c'est en effet vrai que les partisans de
24:21la tradition nationale jouissent du privilège de naître les héritiers de personne et d'avoir
24:25la virginité de n'avoir jamais été au pouvoir, en tout cas c'est ce qu'ils disent.
24:29Est-ce que la victoire aujourd'hui est probable ? C'est incertain, vous savez en politique
24:34on ne peut jamais faire de prophétie plus loin qu'à quelques jours.
24:37En tout état de cause, il est certain que le champ politique s'est reconfiguré autour
24:40d'eux et que c'est une force avec laquelle il faut compter.
24:43Faire des prophéties plus lointaines c'est toujours un peu plus risqué.
24:46Sur ce que disait effectivement Steve Lucrouban et pour terminer, il nous reste moins d'une
24:54minute, c'est le seul parti qu'on n'a pas essayé, on l'entend beaucoup et par exemple
24:59en ce moment Marine Le Pen est en procès avec d'autres de son parti pour accuser d'avoir
25:05détourné de l'argent de l'Union Européenne, ça n'a pas d'effet ?
25:08Non parce que ça, si vous voulez, il faut distinguer la question juridique de la question
25:12morale donc ça c'est peut-être pas vraiment le problème central.
25:15En fait, pour revenir à la question de l'auditeur qui était très pertinente, c'est si vous
25:20voulez, le fait que le RN n'ait pas eu les commandes de l'État, c'est à la fois une
25:25force mais c'est aussi sa grande faiblesse.
25:27Et je crois que c'est là où effectivement il risque gros, notamment lors d'une présidentielle
25:32et on l'a vu en 2017 et en 2022, c'est qu'il n'est pas crédité, si vous voulez, d'une
25:36grande compétence en matière gouvernementale et en matière internationale.
25:41Et je crois que ça, c'est son grand point faible et c'est pour ça que sa victoire n'est
25:44pas du tout assurée.
25:45Luc Rouband, les ressorts cachés du vote RN aux presses de Sciences Po et Étienne Ollion,
25:51une étrange victoire, l'extrême droite contre la politique aux éditions du Seuil, co-écrit
25:55avec Mickaël Fossel, merci à tous les deux et merci à tous les auditeurs d'Inter, restez
26:00avec nous.
26:01La revue de presse dans quelques secondes.

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