Jean-Marie Séronie : « Pour certains éleveurs, la crise a eu lieu l’an dernier »

  • il y a 2 mois
Difficultés en élevage laitier

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00:00Bonjour et bienvenue à tous sur webagri.fr et ternet.fr. J'accueille sur ce plateau Jean-Marie Serroni. Bonjour.
00:13Bonjour.
00:14Vous êtes agroéconomiste. Et on va parler ensemble des difficultés de l'élevage laitier. Vous portez un regard assez critique sur cette crise,
00:23sur ces difficultés, avec d'importantes revendications du monde syndical. Et vous dites que la crise est davantage conjoncturelle que structurelle. Expliquez-nous pourquoi.
00:33Ce qui me semble clair aujourd'hui en situation laitière, c'est qu'on a des éleveurs qui sont dans des situations individuelles, personnelles, très difficiles,
00:43qu'il faut l'entendre, le comprendre et leur proposer des solutions personnelles. Mais que globalement, au niveau de l'ensemble de la filière laitière française,
00:54on n'est pas dans une situation de crise structurelle. On sait maintenant depuis 8 ans, depuis 2007, qu'on est dans une période qui va durer, qui devient normale de volatilité des cours.
01:07Et donc là, on est rentré depuis quelques mois dans une phase basse. Mais sur 12 mois, on doit être à des prix de l'ordre de 330 euros au 1000 litres.
01:19Et il ne faut pas oublier qu'il y a 18 mois, on était dans certains mois au-delà de 400 euros. Et donc, il est normal en période où les cours sont élevés, même si les charges sont aussi un peu plus élevées,
01:32de constituer des réserves qui servent à passer les moments un peu plus difficiles.
01:37Et vous me disiez en préparant cette émission que la crise, finalement, elle a eu lieu il y a un an.
01:42Je dirais de manière un peu cynique que pour un certain nombre d'éleveurs, la crise était il y a un an, un an et demi, quand la situation était très favorable et qu'il ne constituait pas de réserve.
01:52Aujourd'hui, il y a des mesures qui ont été annoncées. Quel regard portez-vous sur ces mesures ?
01:58Alors, il y a des mesures, je dirais, conjoncturelles qui ont été prises. La profession s'est adressée à l'État et elle a été déçue des réponses.
02:11Mais l'État ne peut répondre que sur ce qui est de sa propre compétence. Ce n'est pas lui qui règle les marchés et ce n'est pas lui qui règle les relations interprofessionnelles.
02:22Alors qu'est-ce qu'a fait l'État ? Il a pris des mesures d'urgence de facilitation de trésorerie, notamment la fameuse année blanche.
02:32Donc l'année blanche est, de mon point de vue, une solution à manier avec beaucoup de précautions.
02:39Je m'explique. Si je suis complètement étranglé et que je suis dans une situation déficitaire, je n'ai pas le choix. Je prends l'année blanche.
02:49Par contre, l'année blanche se conduit à quoi ? C'est que des encours de crédit un peu anciens vont être prolongés.
02:56Or, aujourd'hui, les taux sont relativement bas et sont beaucoup plus bas que les taux de ces emprunts anciens.
03:04Donc, si je prends l'année blanche, ça veut dire que je poursuis mes taux élevés un peu plus longtemps.
03:10Donc ce n'est pas intéressant économiquement. Si je peux l'éviter, j'ai intérêt à l'éviter, soit à faire le deux ronds, soit à négocier à court terme.
03:16C'est intéressant pour les banques ?
03:18C'est bien sûr intéressant pour les banques. C'est d'ailleurs pour ça que je pense que je suis un peu méchant.
03:21Certains savent que je suis un ancien banquier. Il n'y a pas eu de débat. Les banques ont été d'accord. Elles ont tout intérêt à le faire.
03:27Il y a aussi la question des normes. La profession critique souvent la surtransposition de normes européennes à l'échelle de la France.
03:36C'est un faux problème pour vous ?
03:39Je pense que c'est un faux problème. En ce sens, c'est un problème qui a été énormément amplifié.
03:44Une surtransposition, ce n'est pas toujours vrai. De reste, on est condamné par l'Union européenne sur la directive NITRAT parce qu'on n'a pas mis en oeuvre suffisamment.
03:53Donc là, il n'y a pas surtransposition. Il y a des domaines où il y a surtransposition.
03:57Mais pour autant, est-ce qu'en allégeant les normes, on pourra plus facilement agrandir un élevage hors sol ?
04:04Non. Le problème d'agrandissement d'un élevage hors sol n'est pas la norme.
04:07Elle est le fait que la société, que les citoyens s'élèvent contre. C'est là-dessus qu'il faut agir.
04:13C'est en pédagogie, la norme, même si effectivement c'est un peu casse-pieds à certains moments et qu'il y a un peu d'application de normes un peu stupides qu'il faut alléger.
04:23Mais je ne crois pas que ce soit le problème fondamental.
04:25La profession rétorque aussi les problèmes de compétitivité en filière laitière.
04:31La question de la compétitivité en filière laitière. On a des exploitations qui sont très rentables.
04:38On en a, comme j'ai expliqué, qui sont en situation très difficile.
04:42Certaines, vraisemblablement, n'y arriveront plus.
04:46Et il faut, de manière digne, les aider à trouver une solution et une reconversion avant qu'ils se soient complètement appauvris et qu'ils soient dans des situations de détresse individuelle forte.
05:00Mais sur la compétitivité, je voudrais signaler un point important.
05:06A chaque fois qu'on est en crise, on a tendance à dire qu'il faudrait refermer le marché et se protéger.
05:13Je rappellerai que sur 10 litres de lait qui sont produits en France, 4 sont exportés.
05:19On est un grand pays exportateur. Et sur ces 10 litres de lait, 4 sont exportés, dont 2,5.
05:26C'est-à-dire que 25% de notre production est exportée sur des pays tiers.
05:31On ne peut pas avoir une vision protectionniste.
05:34Le problème que l'on a, c'est que ce solde excédentaire agroalimentaire laitier est important.
05:40C'est presque un tiers du solde total agroalimentaire français.
05:45Mais si on regarde sur les dernières années, on a considérablement augmenté notre solde excédentaire sur les pays tiers, le grand export.
05:53Par contre, on a dégradé notre solde excédentaire commercial au sein de l'Union Européenne.
06:01Cela veut dire qu'on a un problème de compétitivité au sein de l'Union Européenne par rapport à nos voisins allemands et néerlandais.
06:09C'est quoi la solution aujourd'hui ?
06:12En termes de solution, vous avancez des avancées qui seraient utiles en termes de fiscalité.
06:18Qu'est-ce qu'il faut mettre en œuvre aujourd'hui ?
06:20Je pense que la France laitière a énormément d'atouts.
06:23Il y a un savoir-faire des éleveurs.
06:25On a un atout considérable qu'on passe souvent sous silence.
06:28C'est qu'on a parmi les meilleures entreprises industrielles laitières du monde.
06:33On est parmi les leaders.
06:35Je crois que sur le top 5, il y en a 3 qui sont chez nous.
06:39C'est un atout considérable que nous avons.
06:44Au niveau de l'exploitation, de l'acte de production, tout doit être fait pour que les actes de gestion des agriculteurs s'adaptent à ce contexte de volatilité.
06:56Je crois qu'il y a deux dimensions.
06:58Pour les organismes de développement, et c'est un monde que j'ai bien connu, le fait de dire la vérité aux agriculteurs,
07:04le fait d'expliquer ce qui se passe et de les accompagner dans la gestion.
07:09Le deuxième élément, c'est qu'on a une fiscalité qui ne favorise pas la constitution de réserve de trésorerie.
07:16Or, pour résister quand c'est difficile, il faut avoir constitué des réserves de trésorerie.
07:20J'ai remarqué que dans les mesures qui ont été demandées par la FNSEA, il y avait une réforme fiscale.
07:25Je ne l'ai pas entendu dans les avancées qui ont été faites, même si le Parlement y a travaillé.
07:31Le problème, c'est qu'aujourd'hui, un agriculteur qui dégage du résultat, tout son résultat est imposé,
07:38qu'il le prélève en tant qu'individu ou qu'il le laisse dans l'entreprise.
07:42Il faut mettre sur l'exploitation agricole une fiscalité d'entreprise qui fasse que les réserves qui restent dans l'entreprise
07:49ne soient pas fiscalisées au taux du particulier.
07:52Jean-Marie Saronni, merci beaucoup. Je vous invite à retrouver toute l'actualité de la filière laitière sur webagri.fr.

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