A 8h20, l'économiste Yann Algan, le journaliste Thomas Huchon et la directrice déléguée de la rédaction de L'Express, Anne Rosencher sont les invités du Grand Entretien.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
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00:00Dernier jour de campagne avant le silence électoral ce soir minuit, fin d'une campagne accélérée
00:05qui s'est évidemment aussi jouée sur les réseaux sociaux.
00:08A quel point on va l'explorer ce matin ?
00:11On l'entendait dans le journal, sur les réseaux la bataille ne s'arrêtera certainement pas jusqu'au dernier moment,
00:17jusqu'à dimanche donc, il y a un grand entretien ce matin consacré à cette campagne
00:22où le virtuel produit des effets très réels.
00:24C'est le sujet qu'a étudié notamment Yann Algan, professeur d'économie à HEC,
00:29la France sous nos tweets, portrait d'une France en colère,
00:33une enquête qu'on retrouve dans le magazine L'Express,
00:35la directrice de la rédaction du magazine Anne Rosancher est avec nous,
00:39et également en studio le journaliste Thomas Huchon qui a créé le compte Anti-Fake News AI,
00:46comprenez Intelligence Artificielle sur Instagram, il nous expliquera à quoi sert ce site-là.
00:52Ils sont tous les trois nos invités avec Marion Lourdes,
00:55chers auditeurs, intervenez au 01-45-24-7000 ou sur l'application France Inter.
01:01Yann Algan, Anne Rosancher, Thomas Huchon, bonjour à tous les trois.
01:07Bonjour !
01:08Et bienvenue, on a lu l'enquête qui est absolument passionnante justement,
01:12de regarder la France par le prisme de Twitter,
01:16mais d'abord un mot avant de parler du virtuel sur cette campagne classique, Anne Rosancher,
01:21on a vu le président français dans la soirée hier soir, depuis Bruxelles,
01:25dénoncer l'arrogance du Rassemblement National,
01:29il n'était plus question de renvoyer dos à dos les deux extrêmes,
01:33mais il a frappé et il a été très frontal dans sa critique du Rassemblement National.
01:40Est-ce que vous comprenez ce changement de stratégie en toute fin de course ?
01:45Non, mais comme la plupart des citoyens français j'imagine,
01:50non mais je ne suis plus tellement sur plein de sujets d'ailleurs,
01:54parce que le président de la République,
01:56après avoir annoncé cette dissolution dans la surprise générale,
02:00et il sait qu'il a quand même plongé le pays dans un drôle d'état,
02:06nous a expliqué, pour justifier sa décision,
02:10qu'en fait il fallait ne surtout pas avoir peur, faire confiance à ce pays,
02:14faire confiance à cette nation qu'il retournait au peuple,
02:18selon une formule un peu gaullienne,
02:20puis après il nous a dit que si le Rassemblement National gagnait,
02:24ou les extrêmes à l'époque gagnaient, ce serait un risque de guerre civile,
02:28ce qui n'est quand même pas tout à fait la même chose que de ne pas avoir peur
02:32et de faire confiance au peuple français,
02:34et maintenant en effet il semble ne plus considérer que ce sont la même menace, etc.
02:41Donc non, il nous perd !
02:43C'est une parole qu'il ne porte pas !
02:45Je pense qu'il n'a peut-être pas conscience,
02:48et bon après c'est peut-être difficile d'avoir conscience de ces choses-là,
02:52mais à quel point sa parole elle-même suscite le rejet,
02:57à quel point il est devenu lui-même une grosse part du problème.
03:00Et justement on va en parler parce que ça se joue beaucoup sur les réseaux
03:03et sur les nouvelles manières de communiquer
03:06qui prennent de plus en plus d'importance dans la vie politique.
03:08Et Yann Algan, vous avez donc publié cette étude qui s'appelle « La France » sous nos tweets,
03:12vous avez analysé 160 000 comptes sur Twitter devenus X,
03:17784 300 messages publiés sur Twitter de 2011 jusqu'à aujourd'hui.
03:23Pourquoi avoir choisi Twitter ?
03:25Parce que finalement ça représente quand même, question de méthodologie peut-être,
03:27mais ça représente quand même moins de monde que TikTok, moins de monde que Facebook.
03:30Est-ce que c'est vraiment un reflet fidèle de nos opinions,
03:33nos émotions en l'occurrence, à nous français, citoyens français ?
03:38Merci beaucoup.
03:38Donc oui, dans cette étude du Cpréma avec Thomas Renaud,
03:42on se focalise sur Twitter comme un peu un réseau social complémentaire
03:47par rapport aux autres réseaux sociaux.
03:49Ça reste un réseau social extrêmement important.
03:52Vous avez à peu près 11 millions d'utilisateurs mensuels.
03:56C'est moins que Facebook.
03:58C'est un peu moins représenté chez les jeunes,
04:00mais ça reste un réseau social qui permet de prendre le pouls de la société,
04:05et en particulier parce que c'est là où se lancent les grands débats
04:08et c'est là aussi où se terminent les grandes conversations.
04:10D'ailleurs, on a envie de vous féliciter, vous avez survécu.
04:14Très sincèrement, passer autant de temps sur X ou Twitter,
04:17lire des messages de haine, le déchaînement des propos les plus radicaux.
04:22Même Thomas Huchon, à Caisse, c'est admirable.
04:25Bravo, c'est admirable.
04:26Je dis ça, ça fait 10 ans qu'on le fait.
04:29Ça, je vous fais sourire, mais ça n'est pas drôle du tout,
04:32puisque finalement, ce que ça décrit de la France, c'est assez accablant à nos enchères.
04:37Qu'est-ce qui vous a le plus frappé dans cette étude
04:39dont vous vous rendez compte dans l'Express ?
04:41Oui, dans l'Express, dont je suis directrice déléguée de la rédaction, je précise.
04:46Ce qui m'a le plus marquée, c'est à quel point les préoccupations
04:50qui soulèvent le plus de colère chez les Français
04:53sont celles qu'a investie, élaborée le Rassemblement national depuis des années et des années.
05:00C'est intéressant parce que, si vous voulez, ça fait, moi, plusieurs années
05:04que dans le débat public, j'assiste à ce débat, par exemple,
05:07sur est-ce que l'immigration ou la délinquance, c'est une préoccupation importante pour les Français.
05:11Il y a toujours des sondages qui, parfois, les classent en cinquième, sixième position.
05:15Et donc, certains partis disent « mais vous voyez, ça ne sert à rien d'aller sur ces sujets,
05:20on en fait un sujet principal des préoccupations, or ce n'est pas vrai ».
05:27Sauf que, ce qu'on apprend et ce qu'on voit dans cette étude,
05:30c'est qu'on ne sait pas où elles sont cassées dans les préoccupations,
05:34mais en revanche, c'est celles qui génèrent le plus de colère.
05:37Et la colère, ça provoque de l'adhésion, ça provoque une envie de retourner la table,
05:47contrairement à la peur, qui est un sentiment plus conservateur
05:50et qui va faire que, surtout, on ne veut pas trop changer les choses.
05:53Et je pense qu'il faut absolument comprendre cela, c'est-à-dire que le populisme,
05:57comme on l'appelle, en tout cas, les nouveaux populismes, c'est un opportunisme émotionnel.
06:02C'est-à-dire que, très habilement, il faut le dire,
06:06très habilement, ces parties, parce que le Rassemblement national l'a fait en France,
06:11mais on pourrait parler du trumpisme aux Etats-Unis,
06:15ont étudié des préoccupations qui génèrent de la colère chez leurs concitoyens
06:21et les ont investis, sans trop se préoccuper d'une cohérence,
06:24sans trop se préoccuper d'avoir un programme faisable,
06:28et qui d'ailleurs ne change pas tous les jours,
06:31mais simplement, ils sont avancés sur, en revanche,
06:35l'évitement des autres parties de traiter certaines questions.
06:39Et ça, je trouve que c'est vraiment terrible,
06:41parce que maintenant, on est dans un mécanisme,
06:43que va nous expliquer probablement Yann Algan,
06:45qui est que c'est très difficile d'aller récupérer,
06:48par un discours, raisonner quelque chose qui est dans l'émotionnel.
06:50– Thomas Echon, juste pour revenir sur la méthodologie et sur cette colère,
06:54est-ce que Twitter X, d'après vous, c'est le bon réseau ?
06:57Vous, votre compte anti-fake news, il est sur Instagram,
07:01est-ce qu'il n'y a pas une sur-représentation de la colère sur Twitter ?
07:04– Twitter est un réseau social un peu particulier,
07:06Twitter, pour nos auditeurs, c'est 300 millions d'utilisateurs sur la planète,
07:09Facebook, c'est 3 milliards, Instagram, c'est 1 milliard, TikTok, c'est 1 milliard,
07:13mais TikTok, c'est le réseau social privilégié des politiques,
07:16des journalistes, des militants, des chercheurs, et donc si ce n'est pas…
07:20– Twitter vous l'énervez.
07:20– Twitter, pardon, excusez-moi, X, excusez-moi, je perds dans tout cela, voilà.
07:24– Vous avez dit TikTok, c'est pour ça.
07:26– Twitter est un réseau social qui va donner le pouls de la société.
07:31On dit que Twitter, c'est le média de l'instant,
07:33et que, par exemple, Facebook, par opposition, est le média de l'archive.
07:36Vous voulez savoir ce que pense quelqu'un, vous regardez son profil Facebook,
07:39vous pouvez remonter dans ses différentes publications
07:41et savoir ce qu'il dit, ce qu'il pense.
07:43Twitter, c'est le moment où on va voir ce qui se passe dans l'instance,
07:46et c'est là aussi où se fait la conversation.
07:49Twitter est un réseau très particulier dans lequel,
07:51et c'est aussi un réseau qui a beaucoup changé
07:53depuis l'arrivée de son nouveau propriétaire Elon Musk,
07:56qui a quand même limité beaucoup la modération,
07:59redonné beaucoup de poids à l'extrême droite politique
08:01en réinstituant des comptes qui avaient été supprimés
08:04pour propos néo-nazis, pour tout un tas de choses comme ça.
08:07Il a fait revenir le chef des complotistes, Alex Jones,
08:10qui est le plus gros complotiste, le fou furieux américain.
08:14– Qui est à la droite de l'extrême droite la plus radicale.
08:18– Il est à peu près à l'extrême droite d'Adolf Hitler,
08:19si on peut le dire comme ça,
08:21on va le dire comme ça avant que ça se passe très mal dimanche,
08:23mais voilà, c'est une autre histoire.
08:25Mais ce que je voulais vous dire, c'est que finalement,
08:27je crois qu'il y a quelque chose que dit très bien cette étude,
08:30c'est que ces réseaux, par la modification qu'ils ont entraîné
08:33notre manière de nous informer, ont changé la société.
08:37Et je crois que oui, tout ce qui est dit sur la colère
08:40qu'on voit apparaître dans cette étude est vrai,
08:42mais je pense qu'il faut aussi considérer à un moment
08:45que notre manière d'accéder à la réalité,
08:47ces réseaux que nous consultons parfois 600 fois par jour,
08:51selon les chiffres, eh bien modifient notre perception
08:53et qu'en passant systématiquement par notre émotion
08:56pour capter l'engagement et notre attention,
08:59c'est le temps de cerveau disponible,
09:01eh bien finalement, ça change les êtres humains,
09:03ça change notre manière de discuter et ça change la société.
09:06Ce qui est intéressant, Yann Algan, dans l'étude,
09:07c'est que c'est vrai qu'elle se déroule sur une période longue.
09:11Avant même qu'Elon Musk n'achète Twitter et le rebaptise X,
09:17vous avez vu cette colère s'installer, monter plus 60% en 10 ans,
09:23c'est considérable.
09:24Est-ce qu'il y a un facteur déclencheur
09:27et est-ce que cette colère se transforme,
09:29la colère du tweetos,
09:32est-ce qu'elle se transforme en vote de l'électeur ?
09:35Oui, effectivement, dans cette étude qui est vraiment au long cours,
09:40on a trois résultats principaux.
09:41Le premier, c'est que la colère,
09:44beaucoup plus que l'inquiétude ou l'enthousiasme
09:46qui était un peu présent au moment des élections de 2017,
09:49domine l'ensemble des débats.
09:51Pratiquement 40% des conversations sont empreintes de colère.
09:55On montre, deuxième résultat,
09:56que cette colère a énormément augmenté,
09:58surtout à partir des gilets jaunes.
10:00Et là, elle se stabilise à des niveaux extrêmement élevés
10:04sur des sujets aussi bien tels que l'immigration,
10:07mais aussi sur des problématiques économiques,
10:08le pouvoir d'achat, le logement, le transport,
10:10énormément de thématiques qui étaient au cœur du mouvement des gilets jaunes.
10:14Le troisième résultat, c'est que cette colère,
10:16elle déborde surtout du côté des électeurs du RN
10:20et, dans une seconde mesure,
10:22dans les électeurs de la gauche radicale.
10:24Et en fait, cette colère n'est pas de la même nature des deux côtés.
10:30Du côté du RN, vous allez trouver surtout
10:32les préoccupations sur l'immigration,
10:33mais aussi, par exemple, sur les taxes.
10:35Lorsqu'ils parlent du pouvoir d'achat,
10:37ils vont surtout parler des impôts ou du transport.
10:39La colère du côté de la gauche radicale,
10:42elle va être générée beaucoup plus par des thématiques
10:44sur les inégalités ou sur l'injustice.
10:47Et la conclusion un peu de cette étude,
10:49c'est que c'est vraiment très important de tenir compte de l'émotion.
10:51On l'avait déjà montré dans un livre
10:53« Les origines du populisme » avec Daniel Cohen.
10:56C'est le sacre de l'électeur émotionnel.
10:58On est passé d'une société de classe
11:00à une société d'individus isolés dans nos sociétés post-industrielles.
11:04Ce qui fédère les gens, c'est beaucoup plus leur communauté d'émotion,
11:07telle que la colère, l'indignation, le ressentiment,
11:09que le vote de classe ou le vote idéologique.
11:12Et Yann Algan, ce que vous montrez dans cette étude à propos de la colère,
11:15c'est la carte du vote aux élections européennes
11:19qui, en quelque sorte, recoupe cette colère.
11:23Et notamment en Bretagne.
11:24Oui, en Bretagne, elle est saisissante cette carte
11:26parce qu'elle montre vraiment bien.
11:27On regarde la progression sur toute la période de la hausse de la colère
11:31et on voit que ça gagne vraiment l'ensemble des localités et des départements.
11:35Il y avait des départements qui étaient assez imperméables
11:37justement avant au vote RN.
11:39Donc il y a la Bretagne, il y a l'Inde,
11:41il y a toutes ces parties un peu du sud-ouest
11:43qui avant étaient beaucoup plus un bastion de gauche,
11:45qui ont basculé.
11:46Et on retrouve ce qui est saisissant,
11:48c'est que ces pourcentages de colère
11:50correspondent au pourcentage de vote qu'on a retrouvé aux élections européennes.
11:53Et c'est vrai que nous sommes de plus en plus devenus des homo numericus
11:57comme le disait Daniel Cohen dans l'un de ses livres.
11:59Mais Anne-Rose Ancher, est-ce que ça vous surprend en tout cas
12:03que ça se traduise dans les urnes ?
12:05Cette étude qui a été faite par Yann Algan,
12:08qui l'a co-écrite, c'est une étude qui est sur le temps long.
12:13Personne ne l'a vu venir.
12:15Il n'y a pas de moyen de faire barrage sur les réseaux
12:22à ces discours de colère et de haine ?
12:24Il y a deux choses.
12:25La première, c'est que je pense que les réseaux sociaux
12:28n'inventent pas les problèmes.
12:30Ça, je pense qu'il faut quand même le dire parce que c'est...
12:34C'est d'ailleurs joué l'anode à Empoli
12:36qui dans Les ingénieurs du chaos le montre bien.
12:39Je parle d'opportunisme parce qu'il y a des problèmes qu'on investit.
12:42Et ça, c'est important parce que les cartes
12:44montrent quand même...
12:45La carte du vote, ce n'est pas la carte de Twitter.
12:47Tout le monde l'utilise.
12:49C'est réparti, on va dire.
12:50Et la carte du vote, comme on l'a vu par exemple
12:53au lendemain des européennes, c'est une carte avec
12:55toute la France où le RN arrive en tête
12:58et puis les métropoles où la gauche est arrivée en tête.
13:02Ça veut dire qu'au départ, il y a quand même
13:05des questions politiques dont il faut s'emparer.
13:07Ça, c'est la première chose.
13:09Et la deuxième chose, comment on fait ?
13:10Moi, je pense qu'il y a quand même un sujet sur les algorithmes.
13:13Les Etats-Unis sont en train d'y réfléchir avec Instagram.
13:17Qu'est-ce que je dis ? Avec TikTok.
13:19Mais je pense qu'il y a un moment où il va falloir,
13:22non pas dans un but politique,
13:24ce n'est pas pour contrer tel ou tel parti,
13:26ce serait quand même antidémocratique,
13:28mais pour contrer des mécanismes qui sont quasiment chimiques,
13:33qui sont hormonaux et qui jouent sur des choses
13:38sur lesquelles, pour le coup, il faut avoir une souveraineté.
13:40Thomas Huchon, vous vous acquiescez ?
13:42Oui, en fait, quand on s'informe sur un réseau social,
13:44il se passe une espèce de triple mécanique un peu bizarre.
13:46La première chose, c'est que sur un réseau social,
13:48vous allez voir plutôt des choses qui vont dans le sens
13:50de ce que vous croyez déjà.
13:52Et donc, vous voyez des choses qui vont dans le sens
13:54de ce que vous croyez déjà et on va vous faire
13:55un petit peu monter en température.
13:57Donc, vous allez voir des choses que vous croyez déjà
13:59et vous allez y croire un petit peu plus.
14:01La deuxième mécanique, c'est que qui sont les gens
14:04qui sont autour de vous sur un réseau social ?
14:06Ce sont majoritairement des gens qui pensent comme vous.
14:08Donc, du coup, qu'est-ce que vous vous dites ?
14:09Vous vous dites, j'ai raison de penser comme ça,
14:11parce que déjà, je pense comme ça.
14:13Et ensuite, tout le monde pense comme moi.
14:15Donc, j'ai bien raison de penser comme ça.
14:16Et là, se passe la troisième mécanique qui est finalement
14:18la plus terrible et que l'on voit vraiment éclater
14:21de manière éclatante dans cette étude
14:23et dans la société française d'aujourd'hui.
14:25C'est que finalement, quand on ne voit que des choses
14:27qu'on croit déjà et des gens avec qui on est déjà d'accord,
14:30quand on vous montre quelqu'un avec qui vous êtes
14:32en désaccord, vous ne le supportez plus.
14:34Et comme dans cette mécanique, vous êtes toujours
14:36dans le like, donc est-ce que je vous aime
14:38et pas dans le est-ce que je suis d'accord avec vous,
14:41et bien en fait, vous ne réfléchissez plus.
14:42Vous êtes dans l'émotion en permanence
14:44et dans l'émotion en permanente, et bien,
14:46celui qui perd, c'est bien souvent le cerveau.
14:48Vous, vous avez travaillé sur les fake news
14:49et notamment sur l'usage de l'intelligence artificielle.
14:52Est-ce que finalement, c'est de pire en pire
14:55ce qu'on trouve comme fausses informations,
14:57fake news, vérité alternative sur les réseaux ?
15:02Oui, il y a encore une fois deux phénomènes.
15:05Il y a tout un tas de choses absolument mensongères
15:07qui sont fabriquées comme telles pour déstabiliser
15:10la société française, on l'oublie souvent,
15:13mais les fake news ou les théories du complot,
15:14elles sont fabriquées par des gens qui veulent
15:16les fabriquer et qui veulent les diffuser
15:17et qui ont un intérêt à le faire.
15:19Et il y a finalement un deuxième phénomène
15:21qui vient jouer là-dessus, c'est que
15:23ce n'est pas tant qu'on y croit profondément,
15:26c'est plutôt que ça va titiller quelque part
15:29une partie un peu obscure de notre cerveau.
15:32Moi, ce que je crois profondément, Ali,
15:33c'est que ces réseaux ont en réalité bouleversé
15:36nos sociétés modernes et nos sociétés démocratiques.
15:38Qu'en l'espace de 20 ans, c'est presque
15:40une espèce de choc de civilisation
15:42que nous avons vécu et où, dans une espèce
15:45de logique, on essayait de...
15:46C'est un changement de nature,
15:48ce n'est pas uniquement l'amplification.
15:49Je pense que c'est un changement de nature extrêmement profond
15:50et je crois que c'est finalement
15:52quelque chose de très insidieux.
15:54On essayait de tendre vers le meilleur
15:56et avec ces réseaux, on tend systématiquement
15:58vers le pire de l'être humain.
16:00Et au bout d'un moment,
16:01ça a des conséquences terrifiantes.
16:02Yann Algan ?
16:04Oui, je pense qu'il y a une rupture
16:06anthropologique avec ces réseaux sociaux,
16:07mais qui correspond bien vraiment
16:09à un changement très profond
16:11de notre société post-individuelle numérique,
16:13avec des individus extrêmement isolés,
16:16beaucoup plus émotionnels,
16:17beaucoup moins encadrés par leur classe sociale
16:19ou par leur idéologie.
16:20Et le point vraiment central,
16:23c'est aussi que ces émotions
16:24ne sont pas du tout de la même nature
16:26sur la façon dont les gens réagissent.
16:27On sait depuis longtemps,
16:29dans un livre de Damasio,
16:30l'erreur de Descartes,
16:31que l'émotion est au cœur
16:32de notre façon de penser et d'agir.
16:34Mais vous avez des grandes différences,
16:36par exemple, entre la colère et la peur.
16:37Les personnes qui ont peur,
16:39en général, ou qui sont inquiètes,
16:41vont beaucoup plus vers le statu quo
16:42et recherchent des informations.
16:44Au moment du Covid,
16:45les citoyens avaient peur,
16:46ils cliquaient à chaque fois
16:47pour comprendre d'où venait le virus.
16:48En revanche,
16:49les personnes qui deviennent en colère
16:51veulent renverser la table,
16:52mais surtout se ferment à toutes les informations.
16:55Ils se renversent la table
16:56et surtout,
16:57ils ne vont chercher que des informations
16:59qui confirment leur biais, leur croyance
17:01et ne s'informent plus.
17:02Ça explique la difficulté
17:04à faire changer les débats.
17:05On le retrouve aussi aux Etats-Unis,
17:07le taux de chômage a beau avoir diminué,
17:09les électeurs de Trump en colère
17:11sont persuadés qu'il a augmenté.
17:12Et ça, ça s'applique aux questions
17:13d'environnement, par exemple ?
17:15Tout à fait.
17:15Aux questions d'environnement,
17:17où on revient sur des politiques
17:19de baisse de la taxe sur l'essence
17:21et on a beau parler, en fait,
17:24de l'importance du changement climatique,
17:26les personnes,
17:27on a bien vu un changement
17:28dans les questions environnementales.
17:29Au départ, les citoyens avaient peur,
17:33ils voulaient s'informer sur la façon
17:34de lutter contre le changement climatique.
17:36Maintenant, ils sont en colère,
17:37soit du fait de l'inaction climatique,
17:39soit parce qu'ils ne veulent plus
17:40qu'on change leur habitude
17:42et ils renversent la table,
17:43ils deviennent climato-sceptiques.
17:44On file au standard.
17:45Bonjour Catherine.
17:46Oui, bonjour.
17:47Je voudrais faire une remarque
17:49qui concerne en fait
17:51l'intervention des politiques
17:53et la manière dont ils font
17:54de la publicité ou de la com
17:57un peu surplombante
17:58et un peu arrogante
17:59sur les réseaux.
18:00Personnellement, je suis enseignante,
18:02je m'informe beaucoup via Twitter,
18:05sur lequel j'ai plusieurs comptes
18:06et je lis aussi sur Twitter
18:09la presse, le monde, l'idée.
18:11Donc j'échange énormément
18:13avec mes pairs
18:14et j'avoue que cette communication
18:17toujours verticale
18:18de la part des politiques
18:20et là, je dirais depuis renaissance
18:22puisqu'ils sont au pouvoir,
18:23est quelque chose qui met
18:24vraiment les gens en colère.
18:26Merci Catherine
18:27pour votre intervention.
18:28Un gros enchaire.
18:30Il y a forcément
18:31ceux qui utilisent plus ou moins bien
18:33les réseaux.
18:34On sait par exemple
18:35que Jean-Luc Mélenchon
18:36est très habile
18:37dans son usage des réseaux,
18:38que Jordan Bardella l'est également
18:40sur d'autres réseaux
18:41à destination d'autres publics.
18:44Alors oui, il y a ceux qui
18:45en font un usage
18:47en connaissant bien
18:48les mécanismes des plateformes
18:49et des algorithmes
18:50et je pense que les gens
18:51dont vous avez parlé le sont.
18:54Je pense que ce dont parle Catherine,
18:55c'est l'aspect de surplomb
18:58et c'est vrai que
18:59depuis des années,
19:01il y a eu ce terme
19:02que je trouve ils ont arrêté
19:03qui était le terme
19:04de faire de la pédagogie.
19:06Comme si en fait,
19:07les gens ne comprenaient pas
19:09le monde dans lequel ils vivaient,
19:10ne comprenaient pas
19:11ce qu'ils vivaient même parfois
19:12et que simplement
19:13si on leur expliquait mieux
19:14ce qu'on faisait,
19:15ils seraient plus d'accord.
19:16Et ça, je pense que
19:18même si la pédagogie
19:19n'est pas inutile,
19:20mais il y a eu un aspect,
19:22un moment où on résistait
19:23absolument contre la remontée.
19:24Et là, je ne parle pas de la colère
19:26qui se déchaîne sur Twitter
19:27mais contre la remontée
19:28de certains diagnostics,
19:29que ce soit chez les professeurs
19:30d'ailleurs qui en ont fait remonter beaucoup.
19:32Et je peux comprendre
19:33que ce soit très irritant, en effet.
19:35Thomas Huchon ?
19:36En fait, déjà,
19:37bravo à cette auditrice
19:39d'arriver à avoir des conversations
19:40sur Twitter.
19:41C'est quand même un bel exploit,
19:42il faut quand même le noter.
19:43C'est quand même quelqu'un
19:43qui passe énormément de temps
19:45sur les réseaux qui le dit.
19:47Non, mais je crois qu'en fait,
19:49il y a quelque chose,
19:52vous savez ce que disait Saint-Exupéry,
19:53l'essentiel, c'est ce qui est invisible à l'œil.
19:55Et bien sur ces réseaux,
19:56l'essentiel,
19:57et bien nous ne le voyons jamais.
19:59Anne parlait tout à l'heure
20:00des algorithmes.
20:01Finalement,
20:02je crois que c'est aussi
20:03une des vraies questions
20:04qu'on se pose
20:04dans un moment démocratique
20:05comme celui-là.
20:06C'est,
20:07quel type de transparence,
20:08quel type de contrôle
20:09peut avoir la société française
20:11sur la manière dont sont
20:13fabriquées nos opinions
20:14par des formules mathématiques
20:15dont nous n'avons aucune connaissance
20:17et qui se passent bien souvent
20:18dans des pays étrangers.
20:19Je crois qu'il y a un moment,
20:20il y a aussi une question de souveraineté
20:22sur des questions aussi importantes
20:24que la politique.
20:25Et nous ne pouvons plus laisser comme ça
20:27des multinationales étrangères
20:29décider,
20:30non pas du sort de notre pays,
20:32mais de la manière
20:33dont ce sort va être discuté
20:34entre français.
20:35Et je crois que cette question-là...
20:37Et pourtant, nous téléchargeons
20:39les applications,
20:39et pourtant nous les utilisons,
20:40quand bien même elles viennent
20:41des Etats-Unis,
20:42de Chine pour TikTok.
20:45C'est très difficile
20:46de résister à cette tentation-là.
20:48Mais oui, mais je crois que c'est bien pour ça
20:50qu'il ne faut pas les interdire,
20:51il faut les réguler.
20:52Il faut simplement les amener
20:53à respecter nos règles,
20:55à respecter nos lois.
20:56Je crois que vous êtes comme moi, Ali,
20:58vous n'êtes pas un censeur.
20:59Vous avez aussi envie
21:00que les gens puissent exprimer
21:01ce qu'ils veulent exprimer.
21:02Le problème, ce n'est pas que les gens
21:03s'expriment,
21:04c'est la manière
21:05dont cette expression va nous être montrée.
21:07Et si, dans ce chemin-là,
21:08il y a quelque chose d'invisible,
21:10il y a quelque chose de dangereux.
21:11Parce que finalement,
21:12si la société française n'est pas capable
21:14de le contrôler,
21:15je crois que c'est un petit peu comme
21:16si on laissait rouler des voitures
21:18à 200 sur l'autoroute
21:19en sens contraire.
21:20On dirait à un moment,
21:21« Non, je crois que ça, ça ne va pas être possible.
21:23Il va falloir qu'on fasse une règle. »
21:24Eh bien, il est temps.
21:25Bonjour Benjamin.
21:26Oui, bonjour.
21:27Bienvenue sur Inter.
21:28Merci.
21:29On n'a pas un problème,
21:30parce que ça fait quand même
21:3140 ans que le RN progresse.
21:33Il monte, il monte, il monte.
21:35Il a fait 2002.
21:362022, 100 députés.
21:38Et accuser Twitter,
21:40c'est un peu accuser le thermomètre
21:42d'avoir de la fièvre.
21:43Et par ailleurs,
21:44on pourrait peut-être voir plus tôt,
21:45par exemple, le papa de M. Huchon,
21:47qui vient d'être condamné
21:47pour 80 000 euros d'abattre.
21:49Alors ça, on sort du sujet, pour le coup.
21:52Merci pour cette attaque personnelle,
21:54M. Benjamin.
21:55Cette attaque personnelle,
21:56c'est très agréable.
21:57On pourra parler de vos parents,
21:58si vous voulez aussi.
21:59Moi, je ne le ferai pas.
22:00Non, mais je crois que c'est important.
22:02Ce qui est important, c'est que,
22:03bien entendu qu'il y a une réalité politique
22:06à la situation dans laquelle nous vivons.
22:08Mais considérer que ces réseaux
22:10sur lesquels nous passons un temps fou
22:12toute la journée à nous informer
22:13n'auraient pas d'incidence
22:14sur la manière dont nous allons voter,
22:16je crois que c'est faire une erreur aussi.
22:17Yann Algan ?
22:19Cette colère, elle ne vient pas juste
22:20des réseaux sociaux.
22:21Les réseaux sociaux sont un thermomètre,
22:23ça amplifie,
22:24et c'est le réceptacle d'émotions.
22:25Ce qu'on montre dans ces études,
22:27c'est que cette colère,
22:29elle vient principalement
22:29d'un très grand ressentiment
22:31des Français face,
22:33d'une certaine façon,
22:33un peu aux insécurités économiques,
22:36aux excès du capitalisme,
22:37avec la mondialisation,
22:39la crise financière.
22:40On voit monter cette colère
22:41depuis assez longtemps.
22:43Mais là où il y a eu
22:44un nouveau partage des eaux,
22:45c'est qu'on se retrouve
22:47avec des individus aussi,
22:48et on l'a bien vu au moment
22:49des Gilets jaunes,
22:50qui sont beaucoup plus seuls
22:52dans leur vie affective,
22:53dans leur travail,
22:55dans leur territoire.
22:56Et c'est sûr que les émotions
22:58prenant un rôle beaucoup plus important,
23:00les réseaux sociaux les amplifient.
23:02Anne Rosancher,
23:03on parlait tout à l'heure
23:04de cette bulle,
23:04Thomas Huchon en parlait
23:05de cette bulle de l'algorithme.
23:07Yann Algan parlait de cette absence
23:09de volonté des gens
23:10qui sont en colère de s'informer.
23:11Quand on est directrice, déléguée
23:13de la rédaction d'un magazine,
23:14comment est-ce qu'on arrive,
23:15comment est-ce qu'on essaye
23:16de sortir les gens de cette bulle,
23:18de les inciter à voir
23:19l'information, la vraie ?
23:21On peut juste essayer
23:22de faire le meilleur travail possible
23:26pour qu'il y ait une différence
23:27qui se fasse
23:29juste à l'usage, on va dire,
23:31et à l'essai.
23:31Mais enfin, on est avec nos petits bras,
23:34on ne peut pas toujours tout.
23:36Et je pense qu'il y a une chose
23:39dont on n'a pas parlé depuis le début,
23:40c'est aussi dans cette société
23:42à la fois hyper interconnectée
23:44et liquide,
23:45parce qu'on peut choisir,
23:47on suit, on ne suit plus,
23:48on like, on déteste.
23:50Il y a quand même une déliaison,
23:52c'est-à-dire qu'on a vraiment basculé
23:56dans ce que Camus pronostiquait
23:59de façon totalement prophétique
24:01quand il parlait de la société,
24:03de la polémique et de l'insulte.
24:04Il dit, celui que j'insulte,
24:06je ne connais pas la couleur de son regard.
24:09Par la polémique,
24:10nous sommes passés d'un monde d'hommes
24:13à un monde de silhouettes.
24:14Et dire qu'il ne connaissait pas Twitter,
24:16pour le coup, je ne vois pas
24:19de meilleure définition de Twitter
24:22que ce monde de silhouettes
24:24où finalement, l'insulte, l'invective
24:27est totalement...
24:28On peut franchir le pas gratuitement.
24:30Je ne dis pas qu'avant Twitter,
24:31il n'y avait pas de haine ni de violence.
24:33Non, et elle continue à s'exprimer.
24:36Il ne faut pas tout faire porter
24:38aux réseaux sociaux, bien entendu.
24:40Mais je pense qu'il y a quand même
24:42quelque chose qui la facilite
24:44dans son expression.
24:45Merci à tous les trois.
24:47Vous restez quand même, malgré tout,
24:48un peu optimiste sur les conditions
24:49d'un débat démocratique pré-électoral
24:52dans ce pays ?
24:53Non, là, on voit bien que le débat,
24:55il se fait difficilement quand même.
24:57Il y en a le grand ?
24:58Non ?
24:58Malheureusement,
25:00je suis de nature en général
25:01très optimiste.
25:02Mais juste, effectivement,
25:03quand ce sont des émotions
25:04aussi radicalisées qui s'expriment,
25:07on a énormément de mal à créer
25:09du dialogue et un débat.
25:11Peut-être qu'il faudrait une panne
25:12des réseaux pendant quelques heures
25:13pour que nous puissions
25:15arriver à retrouver un petit peu
25:16notre cerveau.
25:17Non, mais peut-être qu'on peut donner
25:17un conseil à nos auditeurs.
25:19Eh bien, vous savez, on disait
25:21il faut tourner sept fois sa bouche,
25:23sa langue dans sa bouche
25:24avant de parler.
25:25Eh bien, sur le smartphone,
25:26on tourne sept fois son pouce
25:28devant l'écran avant de swiper.
25:29Ça donnera sept secondes pour réfléchir
25:31et ça ne fera pas de mal.
25:32Merci à tous les trois.
25:33Votre note, en tout cas, Yann Algan,
25:34est à retrouver sur le site de L'Express
25:36dès ce week-end.
25:38Merci.