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Transcription
00:00Voilà, pour la situation sur l'île, la situation sécuritaire et notamment la
00:04marmise des gangs, on en parlait, vous avez pu constater de vos yeux,
00:07Roméo Langlois, bonjour. Je me disais en introduction, vous avez passé deux
00:11semaines là-bas aux côtés de Catherine Norestrein, vous y avez tourné des
00:13documents et les gangs, vous les avez approchés de très près parce qu'il
00:16faut leur autorisation pour filmer dans certains quartiers, ils vous ont même
00:20ouvert les portes dans le contexte politique actuel.
00:23Oui, quand on est journaliste étranger, même pas seulement pour filmer, il faut
00:26l'autorisation, mais dès qu'on quitte les 10, 15, maximum 20% de la ville de
00:31Port-au-Prince qui sont contrôlés, entre guillemets, par le gouvernement, à
00:35partir de ce moment-là, pour entrer dans les zones contrôlées par les gangs, il
00:38faut évidemment avoir des contacts, demander des autorisations.
00:42Donc quand on arrive dans ces quartiers qui ne sont pas périphériques, qui sont
00:46vraiment des quartiers, pour certains d'entre eux, qui sont vraiment en plein
00:48centre-ville, effectivement là on voit partout des jeunes très armés, avec des
00:53armes de guerre, on est vraiment sur des M16, sur énormément d'armes
00:57américaines, ils ont des péages dans lesquels ils rançonnent les véhicules
01:02qui passent, on le verra plus tard, ils contrôlent tout, ils sont l'autorité, ils le
01:07disent, ici nous sommes l'État, les gens vivent au rythme des gangs, c'est une vie
01:10extrêmement difficile, mais ils essaient même de remplacer l'État, ils rendent la
01:15justice à leur manière, de manière extrêmement expéditive, mais effectivement
01:19ils sont là. Et oui, vous l'avez dit, ils nous ont ouvert un petit peu leurs portes
01:22parce qu'ils sont à un moment, donc nous nous y étions au mois de mai, c'était un
01:25moment où ils voulaient montrer qu'ils étaient là, qu'ils existaient et où ils
01:29essaient aussi de faire passer un discours politique, disant que s'ils ont
01:33pris les armes, c'est parce que les politiques leur ont donné les armes et
01:36que maintenant ils se retournent contre eux parce qu'ils veulent faire la
01:38révolution en Haïti, donc ils essaient de s'imposer comme des acteurs politiques,
01:42alors que pour l'immense majorité ce sont d'abord des criminels de droit
01:45commun, en vue peut-être d'une négociation et de ce qu'ils recherchent
01:50avant tout qui est une amnistie pour les nombreuses exerctions qui ont été
01:54commises. Une éventuelle intégration au sein d'un gouvernement, ça c'est quelque
01:58chose qui avait été évoqué ces dernières semaines, Jacques Nézy, est-ce que
02:02l'arrivée de cette force kényane traduit une volonté de mettre fin à
02:06cette connivence qui existe de longue date entre les gangs, la police et
02:11certains membres au pouvoir aussi ? Cette connivence va encore persister en
02:15filigrane, de façon souterraine, puisqu'il faut le reconnaître, des
02:20secteurs qui ont leurs représentants au sein du conseil police d'assaut et de
02:23transition, or ces secteurs sont tous responsables de la situation actuelle,
02:27ils se retrouvent partie prudente dans la définition d'une solution provisoire,
02:31or il y a aussi des sanctions qui ont été engagées contre certaines
02:36personnalités ou certains secteurs qui se retrouvent même au sein du conseil
02:39police d'assaut et de transition, mais il n'y a jamais eu une décision de justice
02:43contre des personnalités ciblées par les résolutions du conseil de sécurité en
02:482023. Et il y a aussi la difficulté de ce gouvernement qui, par sa
02:55proposition, a dû associer ces secteurs même, sans doute pour essayer de calmer
03:01ces secteurs et pour essayer également de donner une sorte de légitimité aux
03:05prochaines élections qui vont être organisées, parce que si ces secteurs se
03:09trouvent dans une position de redissement, sans doute ils ne vont pas
03:12participer aux élections, ils vont les délégitimer, donc tout le défi pour ce
03:16gouvernement c'est d'une part d'essayer de couper le cordon ombilical entre ces
03:20différents secteurs et aussi de lutter contre l'impunité, puisqu'on sait très
03:25bien qu'il y a 11 importateurs d'armes connus qui ont pillon sur rue, et depuis
03:31sous Jovenel Moïse ces personnes sont connues, sont désignées, certaines ont
03:35été ciblées par des sanctions, mais on sait très bien aussi que ces armes
03:38viennent toutes des étagers d'Amérique, donc il y a un laxisme du côté des
03:42américains, d'une part, et aussi il y a aussi l'extension de l'économie
03:47criminelle en Haïti, c'est-à-dire ces connivents, ces accointances avec
03:52l'activité de la drogue, également, puisque Haïti reste une plaque tournante
03:56aussi, et vu l'état est défaillant, donc les activités de drogue en profitent
04:02évidemment, et puis il y a d'autres activités parallèles, le trafic d'organes,
04:07le trafic d'êtres humains, et tout ceci aussi dans une sorte de logique de
04:12chevauchement entre le privé, le public, c'est-à-dire on retrouve des agents,
04:17des agents économiques qui financent les gangs, qui pour avoir des parts de marché
04:21sont obligés de partiser avec eux. L'une des pratiques peut-être les plus
04:25courantes à laquelle vous avez pu assister, Roméo, et qui sera dans votre
04:28prochain documentaire à apparaître le 13 juillet prochain, c'est le racket.
04:32Racket, activité lucrative, est-ce qu'ils vont accepter les gangs, les
04:36criminels, l'arrivée d'une force internationale qui mettrait fin
04:40justement à leur business ? Alors, effectivement, M. Nézi l'a rappelé, les
04:44gangs, à l'origine, ils viennent des secteurs politiques, mais petit à petit, ils ont
04:47pris une forme d'indépendance, notamment financière.
04:49Ces dernières années, ils ont multiplié des activités illicites, comme le racket,
04:54ils rackettent systématiquement les véhicules, notamment, qui passent dans les
04:58zones qu'ils contrôlent, les marchés, les commerçants, le kidnapping, ils ont fait
05:02de l'enlèvement contre le mensonge une véritable industrie dans le pays, les
05:07trafics en tous genres, notamment le trafic de drogue, le trafic d'armes.
05:10Donc, ces gangs, ce sont des entreprises criminelles, avant tout.
05:14On a rencontré beaucoup de chefs de gang, des jeunes soldats aussi, toutes les
05:18personnes avec qui on a parlé, évidemment, voient d'un très mauvais oeil
05:22l'arrivée d'une mission internationale et ils disent, donc je parlais tout à
05:26l'heure d'un discours politique qu'ils essaient de mettre en place, ils disent
05:29qu'ils sont là pour se battre, qu'ils se battront contre les envahisseurs, qu'ils
05:33connaissent les quartiers et qu'ils n'accepteront pas de gens venus de
05:36l'extérieur. Maintenant, qu'est-ce qui va se passer ?
05:38C'est encore très difficile à savoir. Ce qui est sûr, c'est que la tâche de la
05:44mission internationale sera extrêmement ardue. Si ces soldats
05:48internationaux tentent d'aller au contact, ils auront en face d'eux des gangs qui
05:52connaissent le terrain, qui sont très bien armés, qui, pour certains, sont prêts à
05:55se battre parce qu'ils ne veulent pas perdre, évidemment, leurs affaires,
05:59leurs négoces et qui, ensuite, ont des boucliers humains puisque ce sont des
06:03zones très peuplées, habitées par de très nombreuses personnes, dans des
06:06habitats extrêmement précaires. Donc, il y aura probablement des tueries, il y aura
06:11des civils qui vont tomber. Jusqu'à quel point est-ce que les opinions publiques,
06:14locales et internationales seront d'accord pour accepter des bavures ? C'est
06:19une des grandes questions de l'avenir de cette force multinationale.
06:22On va regarder tout de suite un extrait de votre reportage. On l'a à présent, le
06:26racket qui est absolument partout, à chaque coin de rue, finalement, qui nourrit
06:29ces gangs et auxquels se sont peut-être aussi habitués les haïtiens ces
06:35dernières années. Regardez tout de suite un extrait de ce reportage.
06:39Pour passer d'une zone à une autre, tu tombes sur un poste de payage d'un bandit
06:57armé. Ça veut dire que tu dois lui payer un doigt de passage.
07:01Nous payons les bandits armés pour avoir le doigt de circuler dans notre propre
07:06pays. Chaque type de véhicule a son propre tarif à payer.
07:15Par exemple, si vous avez dix camions de gaz qui passent à Martissant, ils demandent
07:19à chaque camion de payer 20 000 dollars.
07:22Vous voyez combien d'argent ils ont gagné et le lendemain, ils vont faire la même
07:26chose avec la même quantité d'argent qu'ils ont gagné.
07:28Demain matin, ils vont faire la même chose.
07:39Voilà une illustration finalement très concrète de ce racket qui est absolument
07:43partout. On imagine que pour les haïtiens, l'arrivée de cette force internationale
07:47est une bonne chose.
07:48Les haïtiens n'en peuvent plus de la violence, du déplacement forcé, des
07:52exactions, de la corruption et de toute cette crise sécuritaire qui, de manière
07:56générale, a aggravé une situation humanitaire qui était déjà très difficile.
08:01Aujourd'hui, les pics de malnutrition qu'on observe en Haïti sont absolument
08:04catastrophiques. Donc, évidemment, cette mission internationale a été vue avec
08:10un certain espoir, mais c'est un espoir qui est très modéré.
08:12C'est un espoir qui est extrêmement prudent, d'abord parce qu'il y a déjà eu de
08:17très nombreuses missions internationales.
08:20Depuis les années 90, il y en a eu plus d'une douzaine et les soldats étrangers
08:24arrivent et quand ils repartent, la situation continue de se dégrader.
08:28Donc, elle ne change pas vraiment le quotidien des haïtiens.
08:32Donc aujourd'hui, il y a quand même beaucoup d'haïtiens qui pensent que de toute
08:34façon, ils ne pourront pas s'en sortir seuls.
08:37Ils ont une confiance très faible pour rester optimistes en leur force de l'ordre,
08:44en leur police, qui est mal équipée, qui est mal formée, qui est aussi extrêmement
08:48corrompue. Donc, beaucoup disent qu'il faut entraîner la police, qu'il faut
08:53l'armer, qu'il faut la former, qu'il faut également l'encadrer.
08:56Et la plupart des personnes aussi avec qui on a parlé, qui connaissent vraiment la
08:59situation, disent OK, une force multinationale, pourquoi pas ?
09:02Mais à quoi va servir cette force s'il n'y a pas derrière un véritable projet
09:06politique, un projet de paix, un projet de restauration d'une nation haïtienne,
09:12de pouvoir public et notamment de la justice, qui va jouer un rôle extrêmement
09:17important dans l'avenir et dans le futur du pays ?
09:20Merci beaucoup, Roméo.

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