"La baisse des taux va permettre des conditions de financement meilleures pour l'immense majorité des acteurs économiques", se réjouit ce jeudi Stéphane Boujnah, directeur général d'Euronext.
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00:00 L'invité éco, Isabelle Raymond.
00:04 Bonsoir à toutes et à tous, l'invité éco ce soir est à la tête des bourses de Paris, Amsterdam, Bruxelles, Dublin, Milan, Lisbonne et Oslo.
00:12 Sept places financières européennes en tout. Bonsoir Stéphane Boujna.
00:16 Bonsoir.
00:17 Vous êtes le président du directoire d'Euronext. Pour la première fois depuis cinq ans, la Banque Centrale Européenne a décidé aujourd'hui d'abaisser ses principaux taux directeurs.
00:26 Est-ce que c'est une bonne nouvelle ?
00:28 Ce n'est pas une bonne nouvelle, c'est une très bonne nouvelle.
00:30 C'est une très bonne nouvelle parce que ça dit deux choses.
00:32 Une sur le passé qui est que l'inflation s'est stabilisée et les banques centrales sont les premières à en tirer des conséquences tangibles.
00:42 Et la deuxième pour le futur, c'est que la baisse des taux va permettre des conditions de financement meilleures pour l'immense majorité des acteurs économiques
00:49 et va accélérer un retour au fonctionnement plus dynamique des marchés actions.
00:53 Tout ça est une très bonne nouvelle.
00:55 C'est une bonne nouvelle pour les emprunteurs, un peu moins pour les épargnants tout de même.
00:58 Non, parce que les épargnants peuvent diversifier leurs investissements.
01:01 Vous savez, il y a d'autres classes d'actifs que les produits de taux, notamment les actions, qui dans la durée offrent un rendement significativement meilleur.
01:09 C'est une anomalie qui faisait qu'on avait des taux extrêmement bas.
01:12 Et donc c'est une anomalie qui a été cette remontée très rapide des taux pour lutter précisément contre l'inflation.
01:19 On retourne vers un univers beaucoup plus stable avec des taux plus raisonnables, surtout par rapport à l'inflation.
01:24 Et un attrait pour les classes d'actifs alternatifs comme les actions qui deviennent beaucoup plus importantes.
01:29 Alors, de la croissance, moins d'inflation = des places financières européennes plus attractives.
01:34 Et pourtant, vous le voyez, certains ont la tentation du large, la tentation de franchir l'Atlantique pour être cotés à New York plutôt qu'à Paris.
01:43 C'est le cas de Total. Patrick Pouyanné envisage New York et le Dow Jones plutôt que le CAC.
01:47 Qu'est-ce que vous lui répondez Stéphane Bouchna ?
01:49 Je lui réponds qu'on travaille déjà très efficacement ensemble.
01:52 Vous savez, la France est un endroit plus puissant, plus pertinent sur la planète quand nous avons des grands groupes mondiaux qui sont à Paris.
02:01 Et donc il faut tous se féliciter qu'il y ait des groupes comme Total qui permettent d'exercer une sorte de représentation et d'influence de ce que c'est que le modèle français à l'étranger.
02:10 Mais est-ce que vous comprenez cette tentation ?
02:11 Mais bien sûr, il y a un problème tout à fait particulier et spécifique à Total.
02:15 En Europe, les investisseurs institutionnels aiment de moins en moins investir dans des sociétés pétrolières.
02:22 Les banques décident de plus en plus de ne pas financer le secteur pétrolier.
02:26 Alors qu'aux Etats-Unis, les investisseurs continuent à beaucoup aimer le secteur pétrolier.
02:31 Voilà pourquoi des entreprises de taille comparable à Total comme Exxon, Mobil ou Chevron ont en réalité une capitalisation grossière beaucoup plus élevée.
02:39 Parce qu'aux Etats-Unis, beaucoup d'investisseurs achètent des actions du secteur pétrolier.
02:43 En Europe, moins d'investisseurs achètent des actions du secteur pétrolier.
02:46 Mais c'est un cas isolé donc ?
02:47 Il y a un écart de valorisation qui est objectif.
02:49 La solution n'est pas le transfert de cotations.
02:53 Et ce qu'on essaye de faire avec Total, c'est de régler le problème particulier et très spécifique de quelques investisseurs américains
03:00 qui sont obligés d'acheter dans des sociétés cotées aux Etats-Unis.
03:04 Et de régler ça avec une évolution du mécanisme qu'on appelle les ADR.
03:08 C'est à la fois une question technique de post-marché, une question réglementaire qu'on est en train de résoudre de manière très constructive,
03:15 dans un dialogue très efficace avec l'entreprise qui de toute façon a dit qu'elle ne bougerait pas son siège social,
03:20 qu'elle maintiendrait sa cotation principale à Paris.
03:23 Donc il n'y a pas de problème de liquidité car la liquidité du titre Total est à Paris.
03:27 Et donc vous espérez les convaincre au-delà des arguments patriotiques ?
03:31 On n'est pas à évoquer les arguments patriotiques.
03:34 On est en train de trouver ensemble une solution technique qui fonctionne.
03:38 Et je peux vous dire que l'entreprise est déterminée à trouver la bonne solution pour maintenir sa cotation principale,
03:43 sa liquidité principale, son siège opérationnel à Paris.
03:46 Il n'y a aucune ambiguïté du côté de Total et nous, nous travaillons ensemble sur une solution technique.
03:50 Et c'est un cas isolé ?
03:51 Et c'est un cas isolé parce qu'à ce jour, l'essentiel de ce qu'on appelle l'exodus des boîtes cotées vers New York
03:57 est un problème essentiellement britannique.
03:59 Parce que Londres était la principale place financière de l'Union Européenne.
04:03 Maintenant c'est la principale place financière du Royaume-Uni.
04:05 Et donc le marché est beaucoup plus petit.
04:07 Les marchés d'Euronext sont deux fois plus gros que la Bourse de Londres sur les produits actions.
04:12 Et donc il y a un problème de liquidité objective à Londres que les acteurs londoniens essayent de résoudre en partant de New York.
04:17 Alors nous sommes à deux jours maintenant des élections européennes.
04:20 Est-ce qu'il y a un risque de fragmentation supplémentaire ?
04:23 Et si oui, comment est-ce que ça peut impacter les places financières que vous dirigez ?
04:27 Il y a deux niveaux d'analyse.
04:29 Le premier c'est effectivement ce qu'il se passe en fonction de la composition du Parlement européen
04:34 qui sortira des urnes dimanche soir.
04:36 Et de ce point de vue là, il faut que chacun fasse très attention.
04:39 Il ne faut pas considérer comme acquis Schengen, l'euro, Erasmus, le marché unique, etc.
04:45 La libre circulation des personnes, des biens, des marchandises, des capitaux.
04:48 Il y a un enjeu.
04:50 Et si des forces de la fermeture sont trop puissantes au Parlement, les choses ne vont pas continuer comme avant.
04:56 Donc il faut absolument que chacun mesure.
04:59 Et il y a une offre disponible entre les écologistes, les partis socialistes, les partis conservateurs, les partis libéreux.
05:05 Il y a énormément de formations qui ont décidé de se maintenir dans une logique d'ouverture européenne.
05:10 Et il y a quelques formations qui sont décidées de s'inscrire dans une logique de fermeture.
05:14 Les conséquences ne sont pas du tout les mêmes sur la vie quotidienne de chacun et surtout sur l'économie.
05:18 Donc il y a un risque ?
05:19 Bien sûr qu'il y a un risque de fragmentation.
05:21 Chacun de ces risques-là est pondéré puisqu'il faut bien comprendre qu'on va élire 720 députés.
05:28 Et que dans certains pays, les forces de la fermeture, de la régression, du rétrécissement, de la crispation sont moins fortes qu'elles ne peuvent l'être dans d'autres pays.
05:38 Mais clairement il y a un risque.
05:39 Maintenant il y a un autre aspect qui est l'union des marchés de capitaux ou l'union de l'épargne et de l'investissement qui est un magnifique projet.
05:45 Mais ça fait des années qu'on en parle Stéphane Bouchard.
05:47 Oui, ça fait des années qu'on en parle mais il se passe quelque chose de très différent.
05:50 C'est un projet qui avait été initié par les britanniques à l'époque où les britanniques étaient dans l'Union Européenne.
05:54 Et les britanniques en sont sortis.
05:56 Le projet est resté orphelin pendant de nombreuses années et il a produit des mesures assez baroques.
06:01 Pour la première fois depuis quelques mois, il y a eu un portage politique très très très fort par des leaders qui sont le président de la République en France,
06:10 le chancelier allemand, le gouvernement italien, le premier ministre néerlandais, le premier ministre espagnol.
06:17 Il y a une volonté d'aller beaucoup plus vite parce qu'on avait sorti la finance du marché unique comme on avait sorti dans les années 90 l'énergie,
06:25 comme on avait sorti les télécoms. Il y a une volonté maintenant de remettre ces secteurs qui sont critiques à l'intérieur du marché unique.
06:31 Alors ça peut sembler très abstrait pour les auditeurs qui nous écoutent. Concrètement, qu'est-ce que ça peut changer cette union des marchés des capitaux ?
06:37 Ça permettra à l'épargne des européens d'aller s'investir beaucoup plus facilement, de manière beaucoup plus fluide, dans les fonds propres des entreprises européennes.
06:48 Ça permettra aux entreprises européennes de lever beaucoup plus facilement, beaucoup plus de capitaux européens et à des coûts plus faibles pour financer beaucoup plus de projets d'investissement européens.
06:58 Et comme ça, ils ne risquent pas d'aller aux Etats-Unis se financer et du coup de rester là-bas.
07:01 Absolument. C'est vraiment l'outil nécessaire pour financer mieux la transition écologique qui requiert des ressources massives, la transition digitale pour rattraper notre retard technologique par rapport aux Etats-Unis,
07:14 pour financer les investissements dans la défense et la sécurité et nos équipements militaires dont nous avons besoin dans un contexte où on a de plus en plus de voisins menaçants.
07:22 Sur ces trois gros projets, nous avons besoin de plus de fonds propres dans plus d'entreprises qui prennent plus de risques.
07:27 Et pour cela, on a besoin d'orienter une plus grande partie de l'épargne des Européens vers ces projets.
07:31 Et donc vous y croyez ?
07:32 J'y crois résolument.
07:33 Merci beaucoup Stéphane Bougnard, directeur général et président du directoire d'Euronext. Vous étiez l'invité éco de France Info ce soir.