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00:00:00 Le 7 janvier 2015, la France est saisie d'effroi après l'attaque meurtrière de la rédaction
00:00:18 de Charlie Hebdo.
00:00:21 Deux islamistes ont voulu assassiner un journal en exécutant froidement ses principaux dessinateurs
00:00:29 comme ceux qui se trouvaient sur leur passage.
00:00:31 La terreur va se poursuivre dans Paris lorsqu'un troisième terroriste exécute le lendemain
00:00:40 une policière municipale à Montrouge.
00:00:42 Puis le 9 janvier, plusieurs clients et employés du magasin Hyper Cacher tués parce qu'ils
00:00:48 étaient de confession juive.
00:00:49 Cinq ans plus tard, à l'automne 2020, s'ouvre au tribunal de Paris le procès des complices
00:01:02 présumés de ces attentats.
00:01:03 Un procès exceptionnel qui est le premier procès pour terrorisme à être enregistré
00:01:11 pour l'histoire.
00:01:12 Pendant plusieurs semaines, les victimes de janvier 2015 vont devoir faire face à ces
00:01:19 journées tragiques qui ont traumatisé le pays tout entier et dont on voudrait tourner
00:01:23 la page.
00:01:24 Témoigner dans un procès d'assises, c'est pas évident, mais témoigner dans un procès
00:01:29 d'assises où vous-même, vous êtes victime et où les victimes ont été des amis à
00:01:33 vous, c'est extrêmement éprouvant.
00:01:39 Quand je suis allée à la barre, je me suis dit ça va être dur, il faut que tu te tiennes
00:01:44 droite parce que si tu te tiens droite, tu arriveras, même si tu pleures, même si tu
00:01:49 débats, tu arriveras à dire ce que tu as à dire.
00:01:52 Mon témoignage, en fait, il avait un objectif, peut-être plusieurs, mais un quand même,
00:01:59 qui était de témoigner des ravages que fait une arme de guerre quand elle ne tue pas.
00:02:05 Un procès pour tenter de comprendre aussi comment un journal satirique, presque marginal,
00:02:14 va se retrouver au cœur d'un chaos international qui va bousculer la société française tout
00:02:19 entière, en raison de caricatures publiées presque dix ans avant les attentats.
00:02:25 Ce n'était pas une provoque, vraiment.
00:02:29 Alors là, on était loin de vouloir provoquer ce qu'on a provoqué.
00:02:32 On a fait ça en toute innocence, on venait d'avoir 20 procès avec l'hécatode extrême
00:02:36 droite.
00:02:37 Des électrons libres, les plus incapables de s'organiser que je connaisse, les moins
00:02:42 consensuels que je connaisse, qui se retrouvent à faire l'histoire de ce pays, une part
00:02:47 de l'histoire de ce pays, voire du monde.
00:02:49 Et alors qu'en 2015, une immense mobilisation citoyenne avait scandé « Je suis Charlie »,
00:02:57 l'émotion et la colère vont à nouveau retentir dans le pays.
00:03:00 Quand ce procès historique va brutalement être percuté par l'actualité et que plusieurs
00:03:05 attentats islamistes vont à nouveau ensanglanter la France.
00:03:08 Une actualité dramatique au moment où la rédaction de Charlie Hebdo, réfugié dans
00:03:18 un local protégé à une adresse tenue secrète, devait fêter ses 50 ans.
00:03:22 Ces nouveaux dessinateurs veulent montrer que Charlie est toujours vivant et que défendre
00:03:30 la liberté d'expression est désormais un véritable sport de combat.
00:03:34 C'est ça aussi la réponse de Charlie par rapport aux attentats.
00:03:40 C'est que Charlie n'est pas mort, le journal n'est pas terminé, il y a une nouvelle
00:03:45 génération.
00:03:46 Quand on a Charlie, on ne croit pas au miracle, mais on sait que le fait que Charlie sorte
00:03:52 tous les mercredis, c'en est un petit quand même.
00:03:57 C'est ça.
00:03:58 Merci.
00:03:59 Merci.
00:03:59 Merci.
00:04:04 Merci.
00:04:07 Merci.
00:04:10 Merci.
00:04:13 Merci.
00:04:16 Merci.
00:04:19 Merci.
00:04:22 Merci.
00:04:25 Ils l'attendent autant qu'ils le redoutent, les familles des victimes et les rescapés
00:04:45 des carnages de janvier 2015, attendus pour l'ouverture du grand procès des attentats
00:04:50 de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l'hypercacher.
00:04:53 Ce matin, Charlie Hebdo republie les caricatures de Mahomet avec ce titre "Tout ça pour ça".
00:04:57 L'hebdomadaire persiste et signe alors que débute ce mercredi un procès hors norme
00:05:02 qui tentera de comprendre comment la France a pu basculer dans l'horreur.
00:05:05 J'ai voulu qu'on les publie parce que ce sont des pièces à conviction.
00:05:11 C'est le mobile du crime.
00:05:14 Et on ne pourra pas aborder ce procès si on n'a pas dès le départ en tête le mobile
00:05:20 du crime.
00:05:21 Je ne voulais pas qu'on oublie la raison pour laquelle nos amis ont été tués.
00:05:24 Pour ces quelques dessins.
00:05:26 Et puis surtout le fait, en les republiant, c'était aussi une manière de montrer que
00:05:31 ce n'était pas grand chose en fait.
00:05:32 Parce que quand on regarde ces dessins, ils ne sont quand même pas très méchants.
00:05:35 Le fait qu'on assassine des gens en France pour si peu de choses.
00:05:39 Il y avait aussi une autre raison un peu sourde.
00:05:42 Nous, on n'a pas republié les caricatures depuis le 7 janvier.
00:05:46 Mais c'était ce que voulaient les frères Kouachi.
00:05:48 Ils voulaient justement que plus jamais on publie ça.
00:05:51 Et donc c'est vrai qu'il y avait quand même un petit arrière-goût amer de se dire
00:05:55 que l'on allait finalement obéir aux injonctions des deux terroristes.
00:06:00 Ça aussi, ce n'était pas acceptable.
00:06:01 Donc il m'a semblé aussi que c'était une manière de dire non.
00:06:05 Ce 2 septembre 2020, dans la salle 202 du tribunal de Paris, c'est un procès hors
00:06:16 norme qui va débuter après des années d'enquête.
00:06:20 200 parties civiles, près d'une centaine d'avocats et 14 accusés jugés sur leur
00:06:28 degré de complicité dans l'assassinat des 17 victimes de ces attentats.
00:06:32 Le responsable d'entretien, Frédéric Boisseau.
00:06:38 Les dessinateurs Kabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinsky, l'économiste Bernard Maris, la
00:06:47 psychanalyste Elsa Kayat, le correcteur Moustapha Hourad, l'écrivain Michel Renaud, les policiers
00:06:55 Franck Brun-Solaro et Ahmed Berabet.
00:06:58 Tous exécutés le 7 janvier 2015 par Shérif et Saïd Kouachi.
00:07:02 Puis le 8 janvier à Montrouge, la policière municipale Clarissa Jean-Philippe.
00:07:09 Et le 9 janvier dans le magasin Hypercacher, Yoann Cohen, Philippe Braham, François-Michel
00:07:15 Saada et Yoav Atab.
00:07:18 Tous assassinés par Ahmed Di Koulibaly.
00:07:21 Rarement un procès aura autant retenu l'attention.
00:07:33 Tous les médias du pays ont décidé de rendre compte en détail des audiences consacrées
00:07:39 aux attentats de janvier 2015.
00:07:40 Chaque jour, des anonymes, jeunes et moins jeunes, vont se rendre au tribunal pour assister
00:07:49 à ce moment judiciaire unique, qui est le premier grand procès des attentats terroristes
00:07:53 qui ont ensanglanté la France en 2015.
00:07:55 Riss a dit "quelqu'un veut faire un reportage sur le public ?" J'ai levé la main, j'ai
00:08:09 dit "oui, moi".
00:08:10 Donc tout de suite j'ai passé de ma place.
00:08:11 Donc je suis allée à 8h au tribunal et il fallait que je rencontre finalement ces gens
00:08:21 qui voulaient faire partie du public et qui voulaient assister au procès.
00:08:25 Toute la matinée, je ne suis tombée que sur des jeunes filles, des jeunes filles qui
00:08:31 avaient entre 17 et 22 ans, dont une qui m'expliquait qu'il était hors de question qu'elle soit
00:08:39 pas là.
00:08:40 Une autre me dit "moi, les attentats, ça m'a permis de savoir que j'allais faire
00:08:46 du droit, ce serait ma manière d'être utile à la société".
00:08:52 Beaucoup de jeunes et beaucoup de jeunes qui venaient ici par conviction, enfin qui
00:08:56 venaient ici défendre quelque chose, qui n'étaient pas juste voyeuristes, c'était
00:09:01 pas juste des spectateurs, pour eux c'était un acte politique d'être là.
00:09:06 Il y a de l'appréhension, de l'émotion, on y est enfin.
00:09:15 De l'appréhension parce qu'on sait pas si ça va être digne, parce qu'on sait
00:09:20 pas comment soi-même on va le supporter.
00:09:23 C'est pas un procès comme les autres, je suis aussi témoin, je suis aussi acteur
00:09:28 de cette histoire.
00:09:29 C'est très chargé, en douleur, c'est une tragédie.
00:09:34 J'ai pas la même distance que dans les autres procès.
00:09:37 Et puis après, au fur et à mesure de la matinée, je m'assois, j'écoute et on
00:09:44 rentre dans le procès.
00:09:45 Lorsque les dix accusés sont arrivés dans le box en verre, tête baissée, il y a eu
00:09:58 un silence qui a interrompu le balai des avocats.
00:10:00 Et tout dans ce silence semblait nous demander pourquoi.
00:10:04 Pourquoi ces trois journées insensées de crimes, les 7, 8, 9 janvier 2015 ?
00:10:11 Au fur et à mesure que s'égrenaient les charges contre les accusés et que nos regards
00:10:17 se levaient vers eux, les scènes de crimes que nous ressassons depuis cinq ans se doublaient
00:10:22 d'un étrange récit, composant un circuit criminel dont la mosaïque fissurait le scénario
00:10:28 médiatique des soi-disant second couteau.
00:10:30 Alors que les médias du monde entier se sont donnés rendez-vous au tribunal de Paris,
00:10:42 une question occupe tous les esprits.
00:10:44 Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment Charlie Hebdo est-il devenu le symbole de
00:10:52 la liberté d'expression alors que ce journal satirique, confidentiel, a failli disparaître
00:10:57 plusieurs reprises et qu'il a dû se réinventer à chaque fois pour mieux renaître de ses
00:11:03 cendres ?
00:11:04 L'histoire de Charlie Hebdo, c'est d'abord l'histoire d'une censure en 1970, lorsque
00:11:32 l'hebdomadaire Harakiri ironise sur la disparition de l'ancien président en parodiant un fait
00:11:37 divers tragique qui avait eu lieu dans un bal quelques jours auparavant.
00:11:41 L'équipe dirigée par François Cavana et le professeur Choron tente alors de contourner
00:11:51 la censure gouvernementale en remplaçant l'hebdo Harakiri par un nouveau titre, Charlie
00:11:57 Hebdo, en référence à la bande dessinée Charlie Brown, publiée par le même éditeur.
00:12:02 Pendant près de douze ans, Charlie Hebdo va marquer son époque avec son humour bête
00:12:10 et méchant.
00:12:11 Bête et méchant, oui, parce qu'on revendique fièrement la bêtise et la méchanceté, que
00:12:17 tout le monde repousse, personne ne...
00:12:19 Tout le monde se veut intelligent et bon et tout le monde agit avec une connerie merveilleuse
00:12:25 et une méchanceté infatigable.
00:12:27 Alors, dans ce cas-là, autant revendiquer fièrement la bêtise et la méchanceté.
00:12:33 Moi, étant aussi fils de Rital, mes parents étaient italiens, fils d'immigrés, quand
00:12:39 j'avais 17 ans et que j'ai lu Cavana, je me retrouvais en lui.
00:12:44 Donc, moi, je dois tout à Cavana.
00:12:46 Et aussi bien l'amour des sciences, le journalisme, etc.
00:12:51 Tout ça, je le dois à Cavana.
00:12:53 Je sais que j'appartiens à un mouvement de pensée qui est important, qui est celui
00:12:57 des hommes de cette époque et des hommes les plus intelligents, ceux que je respecte
00:13:02 le plus.
00:13:03 Les gens qui, justement, ne croient pas en grand chose, ni en Dieu, ni en diable, ni
00:13:07 au parti, ni...
00:13:09 Et qui se font leur propre jugement, qui regardent les choses et qui essayent de réfléchir
00:13:15 et de trouver eux-mêmes les réponses.
00:13:17 Ces dessinateurs stars, Wolinsky, Cabu, Gébet ou Reyser vont étrier tous les pouvoirs,
00:13:31 politiques ou religieux.
00:13:32 Mais pas seulement.
00:13:39 Moi, les premières femmes nues que j'ai eues, c'était les dessins de Reyser et de
00:13:46 Wolinsky.
00:13:47 Donc, quand on disait Charlie, quand on disait Arakiri, c'était aussi pour cette dimension-là.
00:13:52 Il ne faut pas se le cacher.
00:13:54 Une aventure qui cesse brutalement par manque de lecteurs en 1982.
00:14:01 Avant, il n'y avait que des vieux cons ici.
00:14:03 Maintenant, il y a des jeunes qui sont encore plus cons que nous.
00:14:07 Arakiri Charlie tire alors sa révérence avec en une un dessin de Wolinsky qui fera
00:14:13 date.
00:14:14 Quelques années plus tard, devenue une vedette grâce à sa participation à l'émission
00:14:25 Récréa 2, Jean Cabu regrette encore la période Charlie, quand un journal était entièrement
00:14:29 dédié aux dessins de presse.
00:14:31 Cabu était à cette époque très ami avec le chansonnier Philippe Val du duo Fontéval.
00:14:39 Cabu me disait il faut qu'on fasse un journal ensemble.
00:14:56 On va faire un journal ensemble.
00:14:57 Charlie Hebdo, ça manque dans les kiosques.
00:15:00 Il faut un journal comme ça.
00:15:02 Ça manque.
00:15:03 Et puis Cabu, un soir, il arrive et il me dit j'ai trouvé un éditeur.
00:15:08 Quelqu'un qui veut faire un journal, on va faire un journal ensemble.
00:15:10 Bien, je lui ai dit ben d'accord.
00:15:13 L'initiative risque de choquer.
00:15:15 Depuis trois jours, depuis le début de la guerre, vous pouvez trouver dans les kiosques
00:15:18 un nouvel hebdomadaire, son titre La Grosse Bertha.
00:15:22 Provocation, insolence, vulgarité insupportable pour beaucoup.
00:15:26 Peut-on vraiment se moquer de tout ? Oui, répond l'équipe, pour qui le dessin de presse,
00:15:30 la dérision, c'est d'abord la réflexion.
00:15:32 Cabu, lou, ciné, plantu et la dizaine d'autres caricaturistes journalistes entraînés dans
00:15:36 l'aventure revendiquent totalement l'esprit Charlie Hebdo.
00:15:39 La Grosse Bertha, c'est la naissance d'une génération avec Luz, Tignous et Charb.
00:15:48 Dans cette petite équipe, un jeune dessinateur timide s'est fait progressivement une place.
00:15:53 Je suis arrivé à Paris en janvier 91, c'est-à-dire en pleine guerre du golfe.
00:16:01 Voilà ce qu'apparaît dans les kiosques, un journal que j'avais jamais vu, qui s'appelait
00:16:05 La Grosse Bertha.
00:16:06 Dans ce journal, je retrouve des gens comme Cabu, comme Gébé et d'autres dessinateurs
00:16:11 nouveaux que je ne connaissais pas.
00:16:12 C'est un journal qui semblait assez ouvert à des nouveaux dessinateurs.
00:16:16 Je me suis dit que c'était parfait, c'est exactement ce qu'il fallait.
00:16:18 Ils déposaient un classeur de feuilles canson, de papiers à dessin, et puis hop, ils s'en
00:16:26 allaient.
00:16:27 Et Cabu et moi, avec Charb, on regardait des dessins qui étaient assez morbides, assez
00:16:38 drôles, avec des monstres, des trucs assez noirs, des cimetières, des os dans les crânes
00:16:45 avec des vers qui sortaient des yeux.
00:16:47 Quand vous venez de province, à Paris, tout vous impressionne.
00:16:50 Vous frappez à la porte d'un journal parisien, c'est qui les gens qui sont là-dedans ? Je
00:16:56 ne connais pas ces gens.
00:16:57 Je ne connaissais personne.
00:16:59 Donc déjà, c'est déjà bien qu'ils me laissent venir déposer des dessins.
00:17:02 Mais c'est vrai que je craignais, j'avais un peu peur que quelqu'un vienne vers moi
00:17:06 et me dise « tes dessins, on les a vus, mais tu sais, c'est pas terrible, je ne sais pas
00:17:11 si tu y arriveras ». Quelqu'un m'aurait dit ça, je serais parti et je ne serais jamais
00:17:14 revenu.
00:17:15 Donc j'avais un peu peur de ça.
00:17:16 C'est aussi pour ça peut-être que je m'en allais.
00:17:18 Je déposais les dessins et puis le jeudi, quand le journal paraissait, j'achetais le
00:17:24 journal et je découvrais, un peu comme les numéros du loto qu'on coche, ce qui était
00:17:28 sorti ou ce qui n'était pas sorti.
00:17:29 Alors des semaines, il y en avait, puis des semaines, il n'y en avait pas.
00:17:32 Il y avait un peu des divergences entre une partie de l'équipe du journal et l'éditeur
00:17:54 qui éditait ce journal et qui voulait faire un journal d'humour, mais qui n'était
00:17:58 pas forcément intéressé par la dimension politique.
00:18:00 Un jour, ils se font une réunion pendant que je ne suis pas là.
00:18:06 Et puis Godefroy m'appelle et me dit « t'es viré ». Bon, j'appelle Cabu, je lui annonce
00:18:17 la nouvelle.
00:18:18 Il dit « très bien, c'est bien, moi aussi je m'en vais, on a marre de tous ces cons,
00:18:22 on va faire un autre journal ».
00:18:23 « Oui, mais on va prendre trois semaines de vacances ».
00:18:24 « Non, non, on ne prend pas trois semaines de vacances, on va faire un journal qui va
00:18:27 paraître mercredi prochain.
00:18:28 Eux, ils vont paraître le jeudi, nous on paraitra le mercredi ».
00:18:30 J'ai reçu un coup de téléphone de Val qui m'a dit « ben voilà, tout le monde
00:18:34 quitte la grosse Bertha, on a envie de faire un autre journal, est-ce que tu veux venir
00:18:37 ? ».
00:18:38 Ben, je lui dis « oui, pourquoi pas ». Et à partir de là, on s'est tous retrouvés
00:18:42 le lendemain.
00:18:43 Moi, je suis monté de province à Paris, dans un petit local près de la place d'Enfer
00:18:47 de Montchereau, pour faire un truc, pour faire un autre journal.
00:18:51 Bon, enfin, on ne savait pas quoi, on ne savait pas comment il allait s'appeler.
00:18:57 Et on a dit « bon, maintenant qu'on a cette équipe avec nous, il faut vraiment
00:19:01 trouver un titre ». Donc, on a commencé à faire des listes de titres, des listes
00:19:04 de titres.
00:19:05 Et puis, Wolinski, me coupe et me dit « mais pourquoi vous ne prenez pas Charlie Hebdo,
00:19:12 ça fait plus de dix ans, le titre est en déshérence ».
00:19:14 Il est libre, prenez-le.
00:19:17 Puis en plus, l'auteur, c'est Cavana.
00:19:19 Cavana dit « oui, pourquoi vous ne prenez pas Charlie Hebdo ? ».
00:19:22 « Vous prenez Charlie Hebdo ? ».
00:19:23 Cabu, il rêvait de ça, il rêvait, mais il en rêvait.
00:19:26 « Oui, Charlie Hebdo, on va faire Charlie Hebdo ! ».
00:19:29 Mais voilà, moi, j'étais…
00:19:32 Ma réaction, ça a été évidemment…
00:19:36 J'ai trouvé que c'était formidable, mais le poids du titre légendaire sur leurs
00:19:42 épaules, eux, ils avaient l'habitude de le porter.
00:19:45 Moi, j'ai dit « ah, wow ».
00:19:48 Alors, ça m'a un peu estomacé parce que Charlie Hebdo, je ne pensais pas qu'on allait
00:19:52 faire Charlie Hebdo.
00:19:53 On allait faire un journal, mais je ne savais pas quoi.
00:19:55 Alors, je me disais « mais merde, Charlie Hebdo, mais moi, je n'ai jamais prétendu
00:19:58 faire Charlie Hebdo, moi ».
00:19:59 Enfin bon, j'étais novice, quoi.
00:20:00 Donc, c'était un peu intimidant, en fait.
00:20:03 Après onze ans de silence, Charlie Hebdo est de retour dans les kiosques.
00:20:06 Un événement pour tous ceux qui ont été élevés, c'est le cas de le dire, au biberon
00:20:09 de Cavana, Reyser, Cabu et autres Wolinski.
00:20:12 Ce qui est étonnant dans ce retour, c'est que la décision de faire paraître à nouveau
00:20:15 l'hebdomadaire a été prise en l'espace de trois jours.
00:20:18 En 68, c'est De Gaulle qui faisait la une.
00:20:20 En 92, actualité oblige, c'est François Mitterrand.
00:20:23 On dirait un vrai journal.
00:20:27 Avec la renaissance de Charlie Hebdo, en juillet 1992, la rédaction est prête à écrire
00:20:33 une nouvelle page de la grande histoire française du dessin de presse.
00:20:36 On a fait un panel représentatif.
00:20:42 De mille cons.
00:20:43 De mille cons.
00:20:44 Pour solliciter leur avis.
00:20:45 Pour savoir quel journal ils voulaient voir.
00:20:46 Et quand on a su le résultat, on a fait exactement le contraire.
00:20:53 Une équipe qui s'en donne très vite à cœur joie et qui cogne à nouveau sur tous
00:20:57 les pouvoirs.
00:20:58 Les années 90, c'est la fin douloureuse des années Mitterrand et le retour d'une
00:21:06 droite décomplexée en 1993.
00:21:08 Puis en 1995, avec l'élection de Jacques Chirac.
00:21:16 Avec la montée du vote en faveur de Jean-Marie Le Pen, Charlie s'engage contre le Front
00:21:22 National et ira jusqu'à demander l'interdiction de ce parti.
00:21:27 Parmi toutes les cibles de Charlie Hebdo, vous avez les grandes institutions, l'armée,
00:21:35 la politique, la société de consommation, la publicité.
00:21:38 Et inévitablement, il y a la religion.
00:21:41 C'était déjà le cas dans le premier Charlie Hebdo des années 70.
00:21:45 A l'époque, il y avait des débats sur la pilule, sur l'avortement.
00:21:49 L'Église était très opposée.
00:21:51 C'était des desseins très méchants et violents à l'égard de l'Église catholique
00:21:57 et du pape de l'époque.
00:21:58 Donc en 1992, quand le journal a apparu, c'était une évidence qu'on pouvait faire
00:22:03 dessein sur les religions et sur la place que prétend avoir la religion dans une société.
00:22:09 Mais on y allait fort.
00:22:14 C'est vrai qu'on y allait vraiment très fort.
00:22:17 Le petit Jésus, la Sainte Vierge, le pape, tout ça, ils en prenaient cher.
00:22:22 Vraiment.
00:22:23 Gris invite à pisser dans des bénissiers dans les églises en réaction aux commandos
00:22:33 anti-avortement.
00:22:34 Il veut faire des commandos anti-bon Dieu.
00:22:36 Philippe Val souhaite la bienvenue au pape de merde.
00:22:39 Comme ça, il y en a des pages et des pages.
00:22:43 Et les intégristes catholiques attaquent.
00:22:46 On a été confronté à une association qu'on ne connaissait pas.
00:22:48 On a découvert qu'ils s'appelaient La Griffe.
00:22:50 C'était des catholiques plutôt traditionnalistes qui nous poursuivaient systématiquement pour
00:22:55 racisme anti-chrétien.
00:22:56 Ce qui est une notion qui n'existe pas dans le code pénal.
00:22:59 Mais ils voulaient, ils savaient très bien que ça n'existait pas.
00:23:02 Ils savaient très bien que dans un premier temps, ils allaient perdre.
00:23:04 Mais ils voulaient qu'à force, un jour, ça entre dans la jurisprudence.
00:23:08 Quand La Griffe, qui représente à l'époque vraiment le pire de l'extrême droite catholique,
00:23:13 attaque Charlie Hebdo pour ses dessins moqueurs sur le pape et prétend que c'est du racisme
00:23:18 anti-chrétien et essaie d'utiliser les lois antiracistes pour faire condamner Charlie,
00:23:23 tout le monde éclate de rire.
00:23:24 Ils sont en train d'accuser Charlie Hebdo de blasphème et ils veulent faire condamner
00:23:27 Charlie Hebdo pour blasphème.
00:23:29 Mais comme fort heureusement, nous sommes dans un pays laïque et que les lois contre
00:23:32 le blasphème n'existent plus, ils sont obligés d'en passer par les lois antiracistes.
00:23:35 Quand les intégristes chrétiens font ça, tout le monde voit le piège.
00:23:38 Quand les intégristes musulmans le font, malheureusement, beaucoup ne le voient pas.
00:23:41 En l'absence des frères Kouachi et d'Amedy Koulibaly, abattus par la police le 9 janvier
00:23:58 2015, ils sont 14 à être jugés au tribunal de Paris.
00:24:02 Trois sont en fuite en Syrie et jugés par Comte Humas.
00:24:08 Pour les 11 accusés présents, la question est de savoir leur degré de participation
00:24:13 aux attentats et surtout si après avoir fourni arme ou assistance, ils peuvent être condamnés
00:24:19 pour terrorisme ou pour simple association de malfaiteurs.
00:24:22 Dès le deuxième jour de ce procès, qui déjà met les nerfs des participants en rude
00:24:33 épreuve, on a entendu les 11 accusés raconter leur vie de délinquants et minimiser leurs
00:24:39 crimes.
00:24:40 Tous trafiquent et leurs casiers judiciaires sont encombrés de délits et de crimes où
00:24:46 les violences se multiplient au fil des années.
00:24:48 Ce qu'on aura surtout appris, c'est à quel point les 11 accusés présents devant nous
00:24:55 se connaissent et combien de grigny dans les zones, Charleville-Mézières dans les Ardennes
00:25:00 et Gilly en Belgique.
00:25:02 Ils ont tissé en quelques années un réseau dont il semble que les agissements convergent
00:25:06 sur Ahmedi Koulibaly et sans doute aussi sur les frères Kouachi.
00:25:10 Ce qu'on comprend peu à peu, c'est la connexion des deux tuerés de Charlie Hebdo et de l'hyper
00:25:16 cachère et même leur synchronicité.
00:25:19 Quelles étaient les motivations des gens qui étaient dans le box, qui ont prêté
00:25:26 assistance aux auteurs principaux, les terroristes qui ont commis ces actes ? Est-ce qu'ils
00:25:33 se rendaient compte de ce qu'ils faisaient ? Est-ce qu'ils étaient motivés pour participer
00:25:37 à ce projet ou est-ce qu'ils n'ont pas compris ce qu'ils faisaient ? C'est la grande question
00:25:43 de ce procès.
00:25:44 Puis le président annonce que l'audience sera désormais consacrée à l'étude du
00:25:51 déroulement des faits et que nous commencerons par examiner l'enquête consacrée à la journée
00:25:57 du 7 janvier 2015.
00:25:58 Le commissaire de la section antiterroriste de la brigade criminelle qui a mené l'enquête
00:26:07 va parler pendant quatre heures et à mesure que ses propos se précisent, une angoisse
00:26:12 monte en nous.
00:26:15 Tout le procès tend vers ce point innommable, vers cette scène qui nous a été rappelée
00:26:20 ce matin parce qu'elle est le cœur de la tragédie.
00:26:23 Pour comprendre cette tragédie qui va être racontée en détail dans la salle 202 du
00:26:40 tribunal de Paris, il faut en réalité remonter plus de quinze années en arrière quand tout
00:26:45 a commencé et que de simples dessins sont devenus le mobile d'une fureur meurtrière.
00:26:50 L'Amérique frappée au cœur, le monde occidental déstabilisé, c'est une opération d'une
00:27:05 ampleur inouïe qui a touché les États-Unis.
00:27:07 Deux avions détournés par des kamikazes ont détruit les tours géantes du World Trade
00:27:11 Center à New York.
00:27:12 Pas de revendications, mais c'est vers Osama bin Laden que se tournent tous les regards.
00:27:17 Au tournant des années 2000, le monde a changé.
00:27:21 Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l'intégrisme religieux a pris un nouveau
00:27:28 visage.
00:27:29 Et Charlie, parmi ses différentes cibles, de dénoncer et de moquer le fanatisme comme
00:27:36 il l'a toujours fait depuis sa création.
00:27:37 Dans l'esprit de Charlie, se moquer, rire des religions, c'est non seulement naturel,
00:27:45 mais c'est même vital.
00:27:47 Moi, je suis entré à Charlie justement parce qu'il y avait ça.
00:27:52 Pourquoi, tout d'un coup, s'arrêter de se moquer des religions parce que ça n'était
00:27:58 plus les cathos, mais c'était les musulmans ? Ça aurait été totalement aberrant.
00:28:04 On s'est retrouvés avec Philippe et les copains de Charlie sur le fait qu'on avait
00:28:10 tous une culture anticléricale très solide.
00:28:13 On savait quelles étaient nos valeurs face au Front National, face à l'extrême droite
00:28:17 chrétienne.
00:28:18 L'ennui, c'est qu'après le 11 septembre, les commandos anti-ISG, à côté de ce que
00:28:23 font les intégristes musulmans dans le monde, ça fait un peu petit joueur.
00:28:26 Donc on est bien obligés de couvrir l'actualité.
00:28:28 Et l'actualité, malheureusement, c'est beaucoup les islamistes qui la font.
00:28:32 L'affaire de cette caricature qui enflamme le monde musulman.
00:28:36 Un dessinateur danois représenté Mahomet en terroriste, coiffé d'un turbo en forme
00:28:40 de bombe, de l'Algérie au Koweït, les manifestations, boycott, menaces prennent un peu plus d'ampleur
00:28:46 chaque jour.
00:28:47 Les autorités danoises sont embarrassées.
00:28:49 Le magazine présente ses regrets, mais pas d'excuses.
00:28:51 En 2006, une polémique embrase le monde arabe à la suite de la publication par un journal
00:28:58 au Danemark de 12 caricatures figurant Mahomet, le principal prophète de l'islam.
00:29:04 Une publication naît du constat qu'un véritable tabou pèse désormais en Europe sur la représentation
00:29:10 du prophète Mahomet en raison de possibles représailles de la part d'intégristes musulmans.
00:29:14 Et c'est pour briser cette peur et c'est pour briser cette autocensure que Flemming
00:29:20 Rose, qui est à l'époque le rédacteur en chef des pages culture de ce journal centriste
00:29:24 danois, dit "moi je vais demander à des dessinateurs de prendre ce risque.
00:29:28 Dessinez Mahomet tel que vous le voyez".
00:29:31 Il leur demande pas de se moquer de Mahomet, c'est pas du tout la commande.
00:29:34 Et sur 12 dessins, il y a des Mahomet sur un soleil couchant avec un bâton de pèlerin
00:29:39 qui ressemble un peu à Jésus, il y en a qui se moquent du Yellen Poston et de la commande
00:29:44 du Yellen Poston.
00:29:45 Il y a toutes sortes de Mahomet mais ils sont à peu près tous assez doux et assez tranquilles.
00:29:51 Il y a deux dessins qui évoquent la question du terrorisme et de l'obscurantisme.
00:29:55 Et il y a notamment un dessin qui est celui qui fait le plus parler d'un Mahomet avec
00:30:01 une bombe dans son turban.
00:30:02 Et d'un Mahomet austère, avec des traits austères.
00:30:04 Moi j'ai rencontré le dessinateur danois Kurt Westergaard qui l'a fait.
00:30:08 Et je suis allée l'interviewer dans sa maison et je rencontre un vieil anarche et sa femme.
00:30:13 Il a, Kurt, je sais pas, plus de 80 ans quand on se rencontre.
00:30:16 Qui lui a toujours croqué du curé, qui a toujours dessiné de tout.
00:30:20 Et qui me raconte le chemin vers ce dessin.
00:30:23 Et puis je vois qu'il y a un croquis accroché à son mur et je lui dis "mais ça c'est
00:30:25 plus ancien et pourtant c'est déjà la même chose".
00:30:27 Il me dit "mais oui mais en fait ce dessin je l'avais déjà fait.
00:30:30 Je l'avais déjà fait dans les années 90, lorsque il y avait autant d'attentats en
00:30:34 Algérie, pour dénoncer les attentats en Algérie".
00:30:37 Et il m'explique comment l'idée du turban lui est venue avec de la bombe.
00:30:41 Il me dit "parce qu'en fait, au Danemark on a un proverbe qui dit "si tu mets une
00:30:45 orange dans ton chapeau, ça te portera bonheur".
00:30:48 Et j'ai voulu dire, il faut être danois pour le savoir, j'ai voulu dire "si on
00:30:53 met une bombe dans le turban de Mahomet, ça portera malheur à l'islam".
00:30:57 Mais c'est là que vous comprenez qu'en fait l'humour c'est peut-être quelque
00:31:00 chose qui est le propre de tous les hommes.
00:31:03 Mais l'humour n'est pas universel.
00:31:05 Il n'y a pas de l'humour là.
00:31:06 Même la caricature, ça n'est pas universel.
00:31:08 Ça dépend d'un contexte culturel.
00:31:10 Tout est parti d'un imam proche des frères musulmans, qui a décidé de faire une tournée
00:31:17 dans plusieurs pays pour dénoncer ces caricatures.
00:31:20 Mais pour renforcer sa dénonciation, l'imam procède à une manipulation grossière en
00:31:27 rajoutant dans son dossier plusieurs images outrancièrement insultantes envers les musulmans.
00:31:32 Des images piochées au hasard sur internet qui n'ont rien à voir avec les caricatures
00:31:39 danoises.
00:31:40 La manipulation fonctionne et l'incendie se propage immédiatement.
00:31:48 Le consulat du Danemark brûle à Beyrouth et des menaces de mort sont proférées à
00:31:55 l'encontre des dessinateurs danois.
00:31:57 A-t-on le droit de caricaturer Dieu ou son prophète ? En tout cas, pas François, le
00:32:07 propriétaire du journal Raymond Laca, un homme d'affaires libanais, a limogé son
00:32:10 directeur pour avoir publié les fameuses caricatures reprises de la presse danoise
00:32:14 et qui avait fait scandale dans le monde arabe.
00:32:16 En fait, le débat n'a pas été très long parce qu'au moment où on arrive tous à
00:32:22 la conférence de rédaction ce jour-là, les nouvelles à la radio, c'est que François
00:32:27 a montré des caricatures et que son rédacteur en chef vient d'être licencié par un des
00:32:31 propriétaires.
00:32:32 Donc le sujet principal de la semaine, les dessins des journaux danois et le licenciement
00:32:39 du patron de François.
00:32:41 C'est vrai que nous on a eu une réaction un peu épidermique.
00:32:45 Quelqu'un qui est viré parce qu'il publie des dessins, c'était choquant pour des
00:32:51 dessinateurs.
00:32:52 Et à la conférence de rédaction, on s'est dit "nous on va les publier".
00:32:54 C'est la liberté d'informer qui meurt si un journal comme Charlie Hebdo, qui est un
00:32:58 journal satirique sur les religions, ne veut pas montrer les dessins qui sont en train
00:33:03 de créer une polémique mondiale et des menaces de mort au Danemark.
00:33:06 Ça n'a aucun sens.
00:33:08 Il faut argumenter avec bienveillance dans cette histoire pour répondre aux gens qui
00:33:14 disent "assimiler l'islam au terrorisme c'est dégueulasse parce que tous les musulmans
00:33:19 se sentent insultés".
00:33:20 Donc là il faut être impeccable.
00:33:22 Notre débat qui nous prend le plus de temps c'est comment on va les montrer.
00:33:26 Il faut qu'il soit clair que nous on prône le droit d'informer, l'antiracisme et la
00:33:35 laïcité.
00:33:36 Comment on fait pour mettre tout ça à la fois dans un dessin autour de cette information
00:33:40 là, de cette actualité là ?
00:33:41 Il faudrait délivrer un message plutôt sympa, un truc énorme.
00:33:50 Il faut savoir arrêter une grève.
00:33:57 C'est un peu bonhomme.
00:34:00 Il faut savoir arrêter une grève.
00:34:03 C'est pas une grève.
00:34:04 C'est pas une grève.
00:34:05 C'est une manif.
00:34:06 On se calme.
00:34:07 On a Mahomet débordé par sa vase.
00:34:14 La création est terminée.
00:34:15 La première fois que les d'album font rire.
00:34:16 Voilà il faut dessiner Mahomet.
00:34:17 Moi j'ai pas envie de faire un être grimassant avec une barbe.
00:34:18 Vous avez vu la délicatesse avec laquelle on fait notre numéro.
00:34:40 On a l'air d'être une bande de gros déconneurs.
00:34:46 Mais on travaille.
00:34:49 On compose notre numéro avec un tel respect pour justement dire aux gens de confession
00:34:57 musulmane on est pareil, on est dans le même monde.
00:35:01 On a toujours pensé ça.
00:35:03 C'est la culture profonde de ce journal et la culture profonde de beaucoup de gens en
00:35:07 France quand même.
00:35:08 Pas qu'à Charlie Hebdo.
00:35:09 Mahomet débordé par sa vase, on aurait dû quand même essayer d'en faire une sur ce
00:35:13 thème.
00:35:14 C'est vraiment un bon thème.
00:35:16 Ça a du sens vraiment.
00:35:19 Être aimé par des cons, c'est dur d'être aimé par des cons.
00:35:24 Tu vois c'est dur d'être aimé par des cons.
00:35:31 Son fait donc hyper rigolade soit franchement dégoûté.
00:35:35 C'est humiliant d'être aimé par des cons, c'est dur.
00:35:39 On a trouvé ce procédé de finalement de faire en sorte que Mahomet lui-même était
00:35:55 atterré par cette situation.
00:35:58 En fait, Mahomet était un peu de notre côté.
00:36:02 Finalement, il pensait comme nous.
00:36:04 Franchement, c'est lamentable.
00:36:06 Comme l'enjeu de la publication des caricatures de Mahomet, c'était le droit de dessiner
00:36:12 Mahomet, il fallait dessiner Mahomet.
00:36:14 Mais c'était aussi de bien faire attention à ne pas cibler tous les musulmans.
00:36:18 C'est pour ça qu'on avait mis Mahomet débordé par les intégristes et qu'on l'avait
00:36:22 intégré dans le dessin.
00:36:23 C'était pour essayer qu'on ne dissocie pas cette énoncée du dessin.
00:36:28 Une fois qu'on cible les intégristes, alors là effectivement c'est dur d'être aimé
00:36:33 par des cons.
00:36:34 C'est vrai qu'on les maltraite un peu, mais c'est les intégristes.
00:36:37 Donc il fallait aussi laisser une porte de sortie aux musulmans non intégristes et
00:36:43 respecteux des valeurs de la démocratie.
00:36:45 Donc c'était une couvre qui a bien fait attention à ne pas faire d'amalgame.
00:36:49 En quelques heures, cette une va être commentée dans le monde entier.
00:36:54 C'est-à-dire qu'il y a eu un choc avec la nouvelle époque qui était la nôtre,
00:36:59 l'Internet, et avec l'information qui s'est mondialisée.
00:37:03 C'est-à-dire que Charlie Hebdo, qui n'était lu qu'en France, avec "Notre culture",
00:37:11 se retrouve au Yémen par la grâce d'Internet.
00:37:15 Et ce n'est pas la même culture, ce n'est pas la même sensibilité.
00:37:18 Et là, ça fait des manifestations et des drapeaux brûlés.
00:37:22 C'est le monde tel qu'il est devenu.
00:37:24 Il faut faire avec.
00:37:25 Est-ce que parce que ça va être lu en Arabie Saoudite, il faut s'interdire de publier
00:37:31 ça en France ? Ce serait quand même un petit problème.
00:37:35 Devant les locaux de Charlie Hebdo, une limousine arrive en trombe.
00:37:42 Deux policiers en civil en sortent.
00:37:44 Le passager qu'il protège, c'est Philippe Val, le directeur de Charlie Hebdo.
00:37:49 Les intégristes, les extrémistes vont avoir du mal à nous prendre en faute.
00:37:55 Parce que nous, on n'est pas des gens... Nous ne connaissons pas la haine.
00:38:00 Plusieurs personnalités du journal satirique ont reçu des menaces de mort.
00:38:05 C'est sérieux.
00:38:07 C'est formidable parce que j'entendais sur une radio un musulman qui disait
00:38:12 "Ah oui, Charlie Hebdo, ils s'attaquent aux musulmans parce qu'ils osent pas s'attaquer aux évêques."
00:38:16 Alors que depuis qu'on est tout petits, on s'attaque aux évêques.
00:38:21 Au sein de la classe politique, les avis sont partagés.
00:38:27 Entre ceux qui comprennent le choix de Charlie de publier les caricatures
00:38:31 et ceux qui ne le comprennent pas.
00:38:33 Comme le président de la République, Jacques Chirac,
00:38:36 qui dénonce une provocation et la stigmatisation de la communauté musulmane.
00:38:41 Un débat qui traverse aussi toute la gauche.
00:38:45 Les soutiens se sont faits tout d'un coup très rares.
00:38:49 On est passé du consensus à la solitude.
00:38:53 Parce qu'on changeait de religion.
00:38:55 Mais on ne changeait pas de ton.
00:38:57 On ne changeait pas de thème.
00:38:59 On disait la même chose.
00:39:01 Ni plus, ni moins.
00:39:03 Une partie de la gauche, pas toute la gauche,
00:39:05 mais une partie de la gauche va commencer à se penser le nez.
00:39:08 Sur le thème "mais il faut faire attention, il y a des populations fragiles,
00:39:13 les damnés de la terre..."
00:39:16 Et donc là, on commence à reculer à gauche sur la liberté d'expression.
00:39:20 La laïcité, tout d'un coup, s'est vue accusée d'être l'alibi d'un racisme.
00:39:27 Mais un racisme ? Depuis quand une croyance c'est une race ?
00:39:31 Moi je pense la même chose des staliniens, des nazis.
00:39:37 Quand on voit que des gens qui ont le cerveau bouffé par ça commettent des crimes,
00:39:41 la moindre des choses, c'est de critiquer les aspects criminels de cette idéologie,
00:39:46 de cette croyance, sinon on est foutu.
00:39:48 C'est faire une différence entre les musulmans et les chrétiens,
00:39:52 que de dire "les chrétiens ou les juifs, ils ont assez de recul pour accepter le droit à l'humour,
00:39:57 puis les musulmans non, donc il faut les protéger, c'est des petites choses des victimes."
00:40:00 Je refuse ça, je refuse cette pensée-là,
00:40:03 qui est profondément condescendante et raciste, pour moi.
00:40:08 Donc c'était dangereux parce qu'on était pris entre deux feux,
00:40:11 entre d'une part les terroristes qui prêtent à nous causer des ennuis physiques,
00:40:17 et d'autre part certaines franges de nos amis prêts à nous voir comme des islamophobes et des racistes.
00:40:26 Mais c'était vital de continuer sur cette ligne-là,
00:40:30 sinon ça aurait été aller à l'encontre de ce qui était l'esprit fondamental de Charlie.
00:40:37 Isolé, Charlie Hebdo est maintenant attaqué au tribunal
00:40:43 par l'Union des organisations islamiques de France, l'UOIF.
00:40:48 Et contre toute attente, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubaker,
00:40:53 choisit de s'associer à cette plainte contre deux caricatures danoises
00:40:57 et contre la une dessinée par Cabu.
00:41:00 On n'a pas le droit de dire que Mohamed, que nous vénérons chacun de nos instants et de nos jours,
00:41:09 est un prophète qui a fondé une religion terroriste.
00:41:12 Moi je ne me sens pas terroriste et je n'accepte pas qu'on dise que ma religion est une religion terroriste.
00:41:17 Qu'on soit attaqué par l'UOIF et ma nation des frères musulmans, bon, ça nous paraît assez logique.
00:41:24 Par la Ligue islamique mondiale, bon, ça aussi, ça ne nous étonne pas trop.
00:41:28 Par la Mosquée de Paris, c'est plus ennuyeux, parce que là c'est l'islam de France, c'est l'islam officiel.
00:41:34 Moi je pense que là on a raté une occasion,
00:41:37 que ça aurait été l'occasion pour la Mosquée de Paris de dire "on n'aime pas ces dessins, on n'aime pas Charlie,
00:41:44 c'est pas bien ce qu'ils ont fait, mais ils ont le droit de le faire, il faut l'accepter, c'est comme ça dans ce pays".
00:41:49 Affluence des grands jours et tensions entre deux camps irréconciliables.
00:41:54 D'un côté les proches de Charlie Hebdo, son fondateur Kavana, son directeur actuel,
00:41:58 seuls prévenus dans cette affaire, et ses caricaturistes venaient défendre le droit de tout critiquer, y compris la religion.
00:42:06 De l'autre, l'union des organisations islamiques de France et les représentants de la grande mosquée
00:42:11 qui se disent blessés, agressés par ces dessins comme ils le seraient par des injures.
00:42:16 Nous estimons que ces caricatures font un amalgame scandaleux entre les musulmans et le terrorisme,
00:42:23 ça s'appelle un non, c'est le racisme, c'est ce que nous demandons aux juges de constater.
00:42:27 D'une décennie à l'autre, j'ai eu exactement les mêmes assignations, avec les mêmes fondements juridiques,
00:42:34 les mêmes mots, sauf que, on est passé d'associations intégristes catholiques à des associations intégristes musulmanes.
00:42:40 Ce qui est interdit, c'est de dire "les musulmans ne sont pas des gens biens, les juifs ne sont pas des gens biens",
00:42:48 ça on ne peut pas dire, mais dire "le judaïsme ou l'islam, ce n'est pas bien",
00:42:55 ben on a le droit, encore heureux, on n'est pas dans une théocratie, on est dans un pays laïc,
00:43:01 c'est-à-dire que le blasphème ne peut pas exister, il n'y a aucune révérence à avoir envers une religion, quelle qu'elle soit.
00:43:10 Notre pays est fondé sur cette idée-là, depuis trois siècles.
00:43:14 "La liberté d'expression est un des droits les plus précieux de l'homme", nous dira Mirabeau dans une magnifique formule
00:43:20 reprise par la Déclaration des droits de l'homme en 1789, il a fallu un siècle de plus pour que ce soit transformé en loi, en 1881,
00:43:28 il a fallu encore un siècle de plus pour que la jurisprudence avance doucement et fasse qu'on puisse tout dire sur les religions,
00:43:37 c'est ça, c'est cette cause-là que je défendais.
00:43:41 Le jugement où il fallait être, qu'on soit lecteur de Charlie Hebdo, défenseur de la liberté d'expression ou journaliste d'un média étranger.
00:43:48 À 13h30, applaudissements dans la salle d'audience. Charlie Hebdo à la bénédiction de la justice.
00:43:56 C'est une bonne nouvelle pour les musulmans laïcs et républicains, c'est une bonne nouvelle pour ceux qui croient en la liberté d'expression,
00:44:03 c'est une bonne nouvelle quand on pense que c'est une nécessité pour faire marcher les états de droit.
00:44:09 Au lendemain du procès des caricatures, une jeune dessinatrice effectue en 2008 un stage à la rédaction de Charlie Hebdo,
00:44:20 avant de devenir pigiste de l'Hebdomadaire.
00:44:24 Le lundi, je venais à Charlie pour travailler, pour être dans l'ambiance de bouclage.
00:44:30 J'essayais de comprendre un peu le mécanisme parce que c'est pas quelque chose d'évident.
00:44:35 Il a fallu que je regarde comment Kabul, Charles, Brice, Catherine, tous faisaient un peu à leur manière
00:44:43 et d'essayer de comprendre ce mécanisme entre le texte et le dessin.
00:44:48 Et là où moi je devais parfois galérer mille ans à trouver une idée, eux c'était avec une immédiateté qui me déconcertait.
00:45:00 Elle a tout à fait l'esprit de Charlie Hebdo, oui.
00:45:03 Je pense qu'elle l'avait avant de venir ici, parce qu'elle a voulu venir ici,
00:45:09 parce qu'elle a voulu venir ici, c'est qu'elle pratiquait l'humour noir et l'humour, comme dit Kavana, l'humour un coup de poing à ma gueule.
00:45:21 Aujourd'hui j'ai un regret immense, parce que j'ai côtoyé des gens en me disant que j'avais le temps,
00:45:32 j'avais le temps de... comment je me suis laissée bouffer par ma timidité trop longtemps.
00:45:45 En 2009, un changement important intervient au sein de la rédaction.
00:45:51 Philippe Val choisit de quitter Charlie Hebdo, et avec Kabu, ils décident de céder leur part du journal à une nouvelle génération.
00:46:01 Charles, si on n'était jamais caché, lui, il a toujours été partant.
00:46:06 Mais moi, je n'avais jamais rien demandé, et puis bon, je me disais, tant que Val le fait, c'est pas plus mal.
00:46:15 Mais là, à un moment donné, vous êtes au pied du mur, il faut prendre ses responsabilités, voilà.
00:46:21 Donc bon, je me suis dit, je vais accepter, puis on verra bien.
00:46:27 Les dessinateurs Charles et Rhys deviennent les nouveaux propriétaires de Charlie.
00:46:32 Monsieur le directeur.
00:46:36 Bonjour, je suis le directeur.
00:46:38 C'est lui qui va en prison, quand on a des procès, c'est lui qui risque la prison.
00:46:43 Une fois que la lune est faite, on peut ranger les dessinateurs.
00:46:48 On va le mettre là, tiens.
00:46:51 Je vais faire la clé, j'ai peur qu'on nous le pique, celui-là, c'est un de ceux qui bosse.
00:47:02 L'équipe de Charlie reprend inlassablement sa dénonciation des travers de notre société, n'hésitant pas à moquer les icônes les plus populaires.
00:47:16 Sans oublier les responsables politiques de ces années 2000.
00:47:24 La liberté d'expression est devenue un combat quotidien pour Charlie, qui n'entend renoncer à aucune caricature.
00:47:35 Au tribunal de Paris, comme une mise en abîme douloureuse pour toutes les victimes et leur famille,
00:47:41 la cour d'assises revient maintenant sur le déroulé exact, minute par minute, de la journée tragique du 7 janvier 2015.
00:47:48 Et d'abord, grâce aux témoins de Charlie, qui ont été les premiers à le voir,
00:47:54 les témoins de Charlie ont été les premiers à le voir,
00:47:57 minute par minute, de la journée tragique du 7 janvier 2015.
00:48:02 Et d'abord, grâce aux témoignages de ceux qui ont été confrontés aux terroristes,
00:48:07 alors qu'ils se perdaient dans le bâtiment de la rue Nicolas Aper, à la recherche de la rédaction de Charlie Hebdo.
00:48:13 Des victimes aux blessures invisibles, mais pourtant bien réelles.
00:48:23 Cette semaine de procès a été terrible.
00:48:27 Nous nous sommes approchés au plus près du massacre.
00:48:31 Nous avons avancé, tremblant, vers la scène du crime,
00:48:35 en recueillant successivement les témoignages de celles et ceux qui ont été sur le chemin des frères Kouachi,
00:48:41 avant qu'ils ne s'engouffrent dans les locaux de Charlie Hebdo.
00:48:49 Des hommes et des hommes qui ont vu le canon des Kalachnikovs pointer sur eux.
00:48:54 En écoutant Madame Grégory, Madame Chapelle et Madame Schmelz,
00:48:58 qui ont été les premières à être attaquées par les frères Kouachi,
00:49:02 nous découvrons une détresse sans fond, des traumatismes qui n'en finissent plus,
00:49:06 des arrêts de travail qui, en se répétant, vont précipiter leur licenciement.
00:49:11 Madame Grégory a même dit devant la cour,
00:49:15 "Ils m'ont tué, ils nous ont tous tués."
00:49:19 Et Madame Chapelle a cette délégatesse terrible de se sentir encore aujourd'hui coupable
00:49:25 de ne pas avoir réussi à avertir Charlie Hebdo que deux tueurs les cherchaient.
00:49:30 Les témoignages que j'ai entendus, pour moi étaient très précieux,
00:49:39 parce que c'était la première fois que je les entendais.
00:49:41 Et c'est vrai que j'ai constaté qu'ils avaient vécu des choses très proches
00:49:45 de ce qu'on avait pu vivre nous aussi.
00:49:49 Et je dirais que ça a créé, je vais pas dire une sorte de solidarité,
00:49:52 mais de, dans tous les cas, de lien.
00:49:55 Parce que quand on vit ce genre de choses,
00:49:58 parfois c'est...
00:50:00 Seuls les gens qui ont vécu ça peuvent comprendre les autres personnes qui ont vécu ça.
00:50:04 Puis il y a eu le témoignage stupéfiant de Jérémy Gantz,
00:50:10 qui s'était rendu ce matin-là avec son collègue Frédéric Boisseau
00:50:14 pour faire un repérage de maintenance du circuit de chauffage.
00:50:18 Il a raconté comment, en cherchant tous les deux dans la loge du gardien
00:50:22 à paramétrer les contrôles d'accès à l'immeuble,
00:50:25 la porte s'est ouverte,
00:50:27 et un homme criant "Charlie" a ouvert le feu directement,
00:50:31 touchant Frédéric Boisseau.
00:50:36 Jérémy Gantz raconte alors ce que personne ne peut raconter.
00:50:40 Être auprès d'un ami qui ne doit pas mourir,
00:50:43 un ami pour qui on doit tout faire,
00:50:45 un ami qu'il faut sauver.
00:50:48 Avoir entendu cet homme qui nous a dit sans voile
00:50:52 "Ce qu'est un homme qui meurt,
00:50:55 est un honneur pour nous tous."
00:50:58 Quand on est confronté à la mort de manière...
00:51:04 aussi proche...
00:51:07 Je pense que ça restera toujours abstrait
00:51:10 pour les gens qui n'ont pas été confrontés à ça.
00:51:13 C'est juste "Ah oui, c'est horrible, c'est terrible"
00:51:16 mais ça ne veut rien dire.
00:51:18 C'est une sensation où vous vous sentez dépossédé de votre existence
00:51:22 et même des mois après, elle est toujours là, cette sensation.
00:51:26 On vit, mais cette vie ne nous appartient même plus vraiment.
00:51:30 Comment faire comprendre ça ?
00:51:33 C'est une sensation presque physique
00:51:35 et les mots sont presque impuissants.
00:51:38 Pendant ces cinq années,
00:51:42 les souvenirs des survivants de Charlie Hebdo
00:51:44 auront été comme un rideau de brouillard
00:51:47 qui au tribunal va devoir bientôt se lever sur l'attaque de leur rédaction.
00:51:52 Une rédaction qui a été emportée par un engrenage fatal
00:51:58 quand tout s'est accéléré
00:52:00 et le destin du journal a basculé entre 2011 et 2015.
00:52:04 Dans l'actualité ce mercredi, l'incendie criminel contre Charlie Hebdo,
00:52:16 les locaux de l'hebdomadaire satirique ont été en grande partie détruits.
00:52:20 Charb et Riss, nouveaux duos à la tête du journal,
00:52:26 doivent affronter leur première épreuve à la fin de l'année 2011
00:52:29 quand le siège de Charlie Hebdo est incendié dans la nuit du 1er au 2 novembre.
00:52:33 Des ordinateurs et des dossiers des journalistes,
00:52:39 il ne reste plus rien.
00:52:41 C'est par ces fenêtres que des cocktails Molotov ont sans doute été jetés durant la nuit.
00:52:45 Ce serait une réponse au numéro du journal de cette semaine.
00:52:48 Baptisé Charia Hebdo, ce numéro fait du prophète Mahomet son rédacteur en chef.
00:52:53 C'est une déconnade sur le fait que la charia risque d'être appliquée en Libye
00:52:56 et qu'un parti islamiste arrive en tête des élections en Tunisie.
00:53:01 Charlie Hebdo, Charia Hebdo, leur approchement était marrant à faire,
00:53:05 mais c'est juste une énorme blague.
00:53:08 Ce à quoi on a été confronté très tôt, c'est à une nouvelle forme d'intégrisme,
00:53:21 à une nouvelle forme d'arbitraire dont, à mon avis,
00:53:23 les gens ne mesuraient pas bien l'ampleur qu'elle était en train de prendre.
00:53:28 Il a fallu malheureusement attendre des années plus tard,
00:53:30 avec tout ce qui s'est passé ensuite,
00:53:32 pour que les gens comprennent qu'il y a un vrai problème d'intolérance religieuse,
00:53:36 même si ça concerne une minorité en France, elle est réelle.
00:53:40 Dans la pièce dramatique, qui semble se jouer entre l'actualité internationale et Charlie Hebdo,
00:53:48 un troisième acte se déroule dans le monde arabe en septembre 2012,
00:53:52 qui va entraîner une nouvelle polémique en France autour de l'humour acerbe de l'hebdomadaire.
00:53:58 Il y avait l'affaire des caricatures de Mahomet,
00:54:03 et bien l'histoire retiendra aussi l'innocence des musulmans.
00:54:06 C'est le titre d'un film, un brûlot amateur qui prend l'islam pour cible.
00:54:10 La diffusion de cette vidéo a donc provoqué un déchaînement de violence fanatique dans plusieurs pays.
00:54:15 En Libye, le consulat américain a été incendié,
00:54:18 l'ambassadeur et trois autres ressortissants ont été tués.
00:54:22 Il y avait eu un espèce de navet, un film tourné aux Etats-Unis sur la vie de Mahomet,
00:54:31 très très très insultant pour le coup, mais bon, voilà, mais vraiment un mauvais film.
00:54:38 Personne n'en parlait vraiment, mais il a été, il a tourné sur internet,
00:54:44 et ça a provoqué plusieurs morts, je crois une trentaine de morts, pour un navet.
00:54:49 Donc c'était l'actualité mondiale.
00:54:51 Donc Charlie Hebdo traite cette actualité-là, c'était pas gratuit,
00:54:55 c'était en lien avec une actualité qu'on a oubliée aujourd'hui, mais qui était bien existante,
00:55:01 et donc publie ces caricatures, qui sont une parodie en même temps de cinéma et de la situation.
00:55:10 75 000 exemplaires achetés en quelques heures,
00:55:14 les nouvelles caricatures du prophète Mahomet se sont arrachées dans les kiosques à journaux,
00:55:18 par soutien ou par simple curiosité, mais aussi parfois avec la volonté de les faire disparaître au plus vite,
00:55:25 car les dessins de Charlie Hebdo, souvent assez provocants,
00:55:28 ne font pas rire tout le monde, à commencer par la communauté musulmane.
00:55:33 Répéter et recommencer les mêmes âneries, les mêmes idioties, les mêmes calumnies, la même ignominie,
00:55:40 nous paraît plutôt relevé d'un syndrome strictement psychiatrique.
00:55:48 Charlie Hebdo a reparu en 1992, et aujourd'hui on doit être pas loin du numéro 1500,
00:55:54 on a dû sortir 1500 numéros, et sur 1500 numéros, il y a peut-être eu deux ou trois numéros avec Mahomet en couverture,
00:56:01 c'est-à-dire rien, et quelques numéros sur les questions d'intégrisme religieux, mais bon, ça c'est l'actualité,
00:56:10 si on regarde les autres news et les autres magazines, ils font aussi des couvertures sur les questions de l'islamisme,
00:56:15 je vois pas pourquoi on en ferait moins qu'eux.
00:56:17 C'est la dernière grande polémique Charlie Hebdo avant l'attentat,
00:56:20 et c'est vraiment la polémique où on s'est retrouvé complètement seul, condamné de toutes parts,
00:56:26 et là c'est vraiment le moment où j'ai compris qu'on avait perdu le combat.
00:56:29 Je suis arrivé pendant l'été 2012, et en septembre, donc il y a eu Intouchables,
00:56:36 septembre 2012, donc j'étais encore tout frais, je venais à peine d'apprendre à décrocher le téléphone,
00:56:43 et tout d'un coup il y a cette espèce de merdier mondial dont on savait qu'on venait de faire une bonne blague,
00:56:50 mais moi en tout cas je me rendais pas compte de l'ampleur que ça pouvait prendre,
00:56:55 ça a été un dénaissement pour moi je dirais, et donc oui je dirais c'est le moment où pour la première fois j'ai eu peur.
00:57:02 Les tensions autour du journal entraînent la mise sous protection policière de Charb, son directeur de la publication.
00:57:13 Charb se disait voilà, bon, s'il y a un type qui veut me tuer, il pourra le faire,
00:57:22 c'est pas parce que j'ai un garde-corps à côté.
00:57:25 Charb avait été ciblé nommément dans un journal lié à Al-Qaïda,
00:57:31 où il y avait donc Wanted, un peu comme un avis de recherche dans le Far West,
00:57:38 c'était quand même dans une revue d'Al-Qaïda, donc c'était sérieux.
00:57:41 Donc les gens qui disaient oui, Charb est inconscient, c'est complètement faux,
00:57:46 Charb a toujours eu conscience de la possibilité d'un attentat, toujours.
00:57:51 Mais ce qu'on se disait à cette époque-là, c'était que le risque c'était d'avoir un attentat ciblé,
00:57:58 mais pas un attentat généralisé contre toute la rédaction.
00:58:02 On a tendance, a posteriori, à faire des anachronismes,
00:58:06 c'est-à-dire qu'on avait beau savoir qu'on était menacé, on avait beau être sous protection policière,
00:58:12 on avait beau savoir qu'Al-Qaïda ça existait, on avait beau tout ce que vous voulez,
00:58:18 je crois que ce qui est arrivé était quand même impensable.
00:58:22 On a appris à la dure que impensable, impossible et improbable, ce n'est pas des synonymes.
00:58:28 Mais en tout cas, pour moi, c'était impensable.
00:58:37 Et en 2014, fragilisée par les menaces qui pèsent sur elle et par de graves difficultés financières,
00:58:43 la rédaction de Charlie Hebdo quitte le 20ème arrondissement de Paris
00:58:47 pour s'installer dans un local sécurisé et discret, rue Nicolas-Apert, près de la place de la Bastille.
00:58:55 Sur ces images tournées par une jeune étudiante en journalisme, lors de l'emménagement,
00:59:02 on découvre de nouveaux locaux exigus, protégés par une porte à code.
00:59:07 Et on découvre surtout la salle de rédaction, qui dans quelques mois va être le théâtre d'un massacre.
00:59:18 Défilent devant la caméra certains de ceux qui constituent alors l'équipe de Charlie en 2014.
00:59:29 Les directeurs de la rédaction, Charb, Eris.
00:59:33 Le rédacteur en chef, Gérard Billard.
00:59:37 Les journalistes, Sigolène Vinçon, Laurent Léger, Philippe Lançon, Antonio Fischetti,
00:59:47 Zineb El Razoui, Bernard Maris.
00:59:52 Les dessinateurs, Wolinski, Cabu.
00:59:59 Luz, Tignous, Honoré, la psychanalyste Elsa Kayat.
01:00:09 Ce qu'il s'est passé dans cette salle, le 7 janvier 2015,
01:00:14 c'est ce que les survivants de l'attaque doivent maintenant raconter au tribunal de Paris.
01:00:19 En fait c'est curieux mais on n'en a jamais parlé au journal entre nous.
01:00:25 En fait on n'en a jamais parlé en détail.
01:00:28 Durant ces cinq années et demie, on évoquait le 7 janvier mais on n'a jamais vraiment osé,
01:00:32 entre nous, entamer des discussions pour dire en détail ce qu'on avait ressenti.
01:00:39 Parce que c'est très délicat, on a peur de réveiller des choses,
01:00:46 on a peur de se faire souffrir les uns les autres.
01:00:48 Et c'est ça justement ce qu'on attend du procès d'assises,
01:00:52 que des choses se disent qui n'ont pas pu être dites avant
01:00:56 et qui peut-être après ne pourront plus jamais se dire.
01:00:59 Chaque témoin nous gratifie, chaque parole agrandit le monde.
01:01:07 C'est au tour des parties civiles de Charlie Hebdo de s'exprimer à la barre.
01:01:13 Leur parole ne remplace pas l'innommable,
01:01:16 mais pour quelques minutes, quelques secondes,
01:01:19 elles trouvent la capacité de l'envisager avec une clarté déchirante.
01:01:23 C'est ce qui est arrivé à l'équipe de Charlie Hebdo,
01:01:27 à ceux qui étaient là le 7 janvier 2015 au district Nicolas Aper,
01:01:31 et qui ne sont pas morts.
01:01:33 J'ai été une des premières à témoigner,
01:01:40 et c'est des choses que je n'avais pas à exprimer du tout,
01:01:44 à part avec mon psy ou une sphère très très proche, très très fermée.
01:01:50 J'ai pu rendre compte de ce qui m'avait traversée
01:01:54 et dire que j'étais pas coupable de rien,
01:02:01 parce que c'est ce qui m'avait envahi pendant longtemps.
01:02:04 Coco a raconté comment elle avait quitté la salle de rédaction à 11h20
01:02:11 pour aller fumer une cigarette avec Angélique,
01:02:14 avant d'aller chercher sa fille à la crèche.
01:02:17 Les deux kouachis surgissent au moment où elles sortent de la cage d'escalier.
01:02:21 Ils braquent leurs armes sur Coco, qu'ils ont reconnues,
01:02:25 et qu'ils prennent en otage afin qu'elle les mène à Charbes.
01:02:28 Coco raconte cette ascension vers les locaux de Charlie
01:02:34 comme les étapes d'une destruction personnelle
01:02:37 qui va entraîner une destruction collective.
01:02:40 Dans sa détresse, elle se trompe d'étage
01:02:42 et pense que cette erreur lui sera fatale.
01:02:45 Voici que, à la barre, Coco se baisse pour nous montrer comment elle supplie les bourreaux,
01:02:51 main sur la tête, dans la position de la condamnée à mort.
01:02:55 On voit soudain l'enfer dans lequel les kouachis l'ont menée.
01:02:59 "J'ai pensé mourir exécutée", dit-elle.
01:03:03 Elle ne pense plus qu'à sa fille.
01:03:06 Ils font demi-tour.
01:03:10 Elle avance vers le code et le tape.
01:03:12 Ils entrent chez Charlie Hebdo.
01:03:15 Sur la vidéo de surveillance, le surgissement des frères kouachi est si brutal
01:03:23 que nous sommes plusieurs à reculer sur notre banc.
01:03:26 Il tire sur Simon Fieschi, assis à son bureau.
01:03:30 C'était le jour où sortait le livre de Houellebecq.
01:03:38 Il y avait un débat entre ceux qui aimaient Houellebecq, ceux qui l'appréciaient moins.
01:03:43 Progressivement, ça dérive sur les Français qui sont partis faire le djihad.
01:03:48 Qu'est-ce que c'est que ces jeunes qui partent là-bas faire le djihad ?
01:03:51 Alors, Thino se disait "Oui, on s'est pas occupés d'eux, ils vivent dans des quartiers difficiles".
01:03:56 Bernard Marais disait "Mais non, c'est des conneries,
01:03:59 on a investi dans les banlieues des millions et des millions".
01:04:02 Bref, c'était un peu chaud quand même.
01:04:05 En fait, ce qu'on savait pas, c'est que...
01:04:08 ces djihadistes dont on parlait, ils étaient derrière la porte.
01:04:11 On pensait qu'ils étaient à des milliers de kilomètres,
01:04:14 mais en fait, ils étaient à côté de nous.
01:04:16 Et puis, à un moment donné, on a entendu des bruits bizarres, des claquements,
01:04:22 deux claquements, peut-être trois, deux claquements.
01:04:25 Et je vois Franck Brunceau qui se lève.
01:04:28 Il se lève et il dit "Non, ça c'est pas normal".
01:04:30 Et lui, il avait une oreille peut-être un peu plus professionnelle sur ces bruits.
01:04:34 Et il a sorti son arme en direction d'une des portes.
01:04:37 Et là, quand on l'a vu se réagir comme ça, tout le monde s'est levé.
01:04:40 On a dit "Tiens, ça nous a inquiétés".
01:04:42 Et on a compris que quelque chose d'anormal arrivait.
01:04:44 Et puis là, la porte s'est ouverte et on a vu un type habillé tout en noir avec une arme.
01:04:50 Y a rien pour vous protéger.
01:04:53 Donc vous êtes nus devant quelque chose qui va vous écrabouiller.
01:04:57 Donc c'est un sentiment de vulnérabilité inouï.
01:05:02 Et là, vous essayez de faire quelque chose.
01:05:06 Qu'est-ce qu'il me reste à faire encore ?
01:05:09 Qu'est-ce que je peux encore faire ?
01:05:10 Rien.
01:05:11 Sauf que devant moi, il y avait un peu un espace vide et je me suis jeté au sol.
01:05:15 J'ai hésité, je savais pas trop.
01:05:18 Mais tout ça, c'est en une demi-seconde.
01:05:20 Ça va à une vitesse.
01:05:22 Et c'est une fois au sol que j'ai entendu les tirs en commencer.
01:05:29 C'est la fin, quoi.
01:05:31 C'est fini.
01:05:32 Je me disais, bon ben voilà, ma vie va se terminer là, allongée sur le sol de journal.
01:05:37 Les secondes passent, les tirs continuent, les secondes passent, les tirs continuent.
01:05:44 Et j'attends le moment où ça sera mon tour.
01:05:47 Donc j'ai pas été touché tout de suite.
01:05:50 C'est au bout d'un moment qu'est arrivé ce à quoi je me préparais.
01:05:54 Je savais que j'allais recevoir quelque chose.
01:05:57 Peut-être dans la tête, dans le torse ou je sais pas où.
01:06:00 Donc j'ai été percuté par une balle, mais c'est comme si on vous frappait avec un morceau de ferraille.
01:06:12 Et à partir de ce moment-là, je savais pas bien où j'étais touché.
01:06:18 Je savais pas bien où j'étais touché, mais j'ai arrêté de bouger en espérant qu'ils retirent pas une deuxième fois.
01:06:28 Alors que les tirs continuaient, les tirs continuaient, les tirs continuaient.
01:06:32 Ils sont revenus voir Charb, ils ont cité le nom de Charb.
01:06:34 Charb, il est où ?
01:06:35 Ils cherchaient Charb, ça c'est sûr à certains.
01:06:37 Puis après, j'ai entendu des voix, ils parlaient du Yémen.
01:06:41 J'ai pas tout bien entendu, ça s'éloignait.
01:06:44 [Tirs]
01:07:10 Et après, y'a un silence.
01:07:13 On entend plus rien.
01:07:15 Et on sait pas ce qu'il y a autour de vous.
01:07:21 Je bougeais pas, je savais peut-être qu'il y avait encore quelqu'un.
01:07:25 Mais je savais pas que Philippe Lanson avait été blessé très gravement.
01:07:30 Je savais pas que Fabrice Nicolino était blessé de plusieurs balles.
01:07:35 Je l'avais entendu gémir.
01:07:37 Donc je savais qu'il avait été blessé, mais je savais pas ce qu'il y avait exactement, j'en savais rien.
01:07:40 Et je savais pas non plus que Simon était dans le coma,
01:07:44 et tout, il a été touché par une balle, j'en savais rien du tout.
01:07:47 Mais y'en a qui disaient rien, je me disais "mais pourquoi ils parlent pas ?"
01:07:50 Et j'ai compris au bout d'un moment qu'en fait ils parlaient pas,
01:07:52 parce que voilà, ils avaient été tués, ils étaient morts.
01:07:54 Et c'est leur silence qui m'a fait comprendre qu'ils étaient morts en fait.
01:07:58 [Musique]
01:08:02 Mon témoignage en fait, il avait un objectif,
01:08:05 qui était de témoigner des ravages que fait une arme de guerre quand elle ne tue pas.
01:08:11 Moi je voulais pas offrir ma douleur aux gens qui me l'avaient infligée,
01:08:15 mais je voulais que personne ne puisse ignorer les conséquences des actes qu'ils ont commis.
01:08:19 La balle est rentrée ici, juste en dessous du cou,
01:08:23 et elle est ressortie au niveau de l'omoplate gauche.
01:08:26 [Musique]
01:08:30 Elle a touché la moelle épinière sur son chemin,
01:08:33 par un effet de blâme, c'est-à-dire que ça l'a compressée.
01:08:36 [Musique]
01:08:38 Ça m'a complètement paralysé, c'est-à-dire j'ai eu ce qu'on appelle une tétraplégie,
01:08:42 une paralysie complète, en gros du niveau de la poitrine ici.
01:08:49 Par chance, je suis plus tétraplégique, je suis ce qu'on appelle tétraparésique,
01:08:54 c'est-à-dire que la paralysie est devenue partielle.
01:08:57 J'ai hésité pendant mon témoignage, ça faisait partie des choses,
01:09:00 je me demandais si j'allais le dire, selon...
01:09:03 Mais parmi les séquelles physiques que j'éprouve,
01:09:08 une paralysie partielle de la main,
01:09:12 et il se trouve que je ne peux plus faire de doigt de nerf,
01:09:16 je peux plus le faire à la main droite non plus parce que c'est ballot,
01:09:18 il me manque le doigt principal.
01:09:22 J'ai vraiment hésité à le dire parce que, bon, ça me paraît absurde,
01:09:26 mais déjà je trouve que ça explique ce qui arrive à une main,
01:09:29 et puis je trouvais que c'était une façon qui représentait assez bien le journal d'expliquer ça.
01:09:38 Et je disais, je ne peux plus faire de doigt de nerf, il y a des jours où ça me démange,
01:09:42 il y a vraiment des jours où ça me démange, mais en fait j'étais inexact,
01:09:45 je peux toujours faire un doigt de nerf, je suis juste obligé de m'y prendre à deux mains.
01:09:50 J'ai été particulièrement touchée par le témoignage de Simon.
01:09:54 Simon, moi je l'ai revu après, je me souviens très bien l'avoir vu au moment où il ne remarchait encore pas,
01:10:03 et il m'a dit, je l'ai vu à l'hôpital, il m'a dit "Ma coco, je ne sais pas si je préfère ma place ou la tienne".
01:10:11 Et ça, c'est vrai que ça m'avait fait un choc aussi parce que je me disais "merde,
01:10:16 cette place d'impuissance face au kwashi, la fille qui a tapé le code, on s'en veut parce qu'on a l'impression d'être inerte,
01:10:30 de voir les choses se dérouler sans pouvoir réagir ou dire quelque chose.
01:10:37 Ce qui a pu être fait avec le psy et ce qui m'a aidée à comprendre et à prendre un peu de recul,
01:10:46 c'est que c'est dès le moment où j'ai pu mettre un peu d'espace entre le 7 janvier et moi, c'est-à-dire m'en dissocier un peu.
01:10:55 J'ai pu juste avoir du recul sur la situation et me dire "Mais regarde ma pauvre fille,
01:11:01 ils sont là avec leur kalachnikov, qu'est-ce que tu aurais pu faire ?"
01:11:06 Ça paraît évident pour n'importe qui, mais sur le moment, j'étais incapable de voir un truc comme ça.
01:11:12 Cette phrase que j'ai dite au tribunal quand j'ai dit "Cette balle, elle ne m'a pas raté, mais elle ne m'a pas eu".
01:11:27 Elle ne m'a pas raté, c'est évident. Même si vous ne me voyez pas debout, à marcher avec la béquille, etc.
01:11:33 Elle ne m'a pas raté. Elle ne m'a pas eu, ben non, je suis là et j'ai survécu.
01:11:38 Ce que j'ai dit, c'est "Cette balle, elle ne m'a pas raté, mais elle ne m'a pas eu".
01:11:42 Et c'est pareil pour le journal.
01:11:51 Alors que la rédaction de leur journal a été décimée le 7 janvier 2015,
01:11:56 avec la disparition de Scharb, Cabu, Honoré, Tignous, Volinsky, Elzakayat,
01:12:06 Bernard Maris et Moustapha Hourad,
01:12:10 les survivants de Charlie Hebdo vont devoir surmonter l'insurmontable
01:12:14 pour parvenir à écrire une nouvelle page de l'histoire de l'hebdomadaire.
01:12:19 On vient de la prendre, il y a quelques minutes.
01:12:23 Il y a eu des tirs au siège de Charlie Hebdo, dans le 11e arrondissement à Paris.
01:12:29 J'allume mon pantalon, je me souviens, c'est mon copine de l'époque, même qu'il allume avant moi.
01:12:36 On était en train de boire un verre de rouge avec un tranche de saucisson dans la salle
01:12:42 qui était juste en face du cimetière.
01:12:44 Et là, elle me dit "attentat à Charlie, 8 morts annoncés".
01:12:51 Au moment où elle allume le portable, j'allume mon portable et évidemment là c'est...
01:12:55 C'est l'effondrement.
01:13:04 Un copain m'a appelé parce qu'il savait que j'aimais beaucoup le journal,
01:13:12 il m'a dit "t'as vu ce qu'il se passe ?"
01:13:14 J'ai essayé tout de suite de voir sur Internet qui avait été touché.
01:13:17 C'était le pêle-mêle d'informations, on ne savait pas qui était vivant, qui était mort.
01:13:22 On s'est rendu à cet enterrement, c'était l'enterrement d'un oncle de ma compagne
01:13:27 que j'avais jamais vu.
01:13:29 Je me suis retrouvé dans cette église devant un mort que je ne connaissais pas,
01:13:33 et à pleurer parce que j'avais perdu des aides qui m'étaient chères le jour-là.
01:13:42 J'ai pas mal survolé ce moment parce que c'était assez blanc dans ma tête.
01:13:58 Et pour tout vous dire, il y a eu le 7, il y a eu le 8 avec la policière qui a été tuée à Montrouge.
01:14:06 En fait, ça plus le 7, ça m'a fait vraiment quelque chose d'effroyable.
01:14:11 J'ai pas d'autres mots que l'effroi.
01:14:14 Le 9 janvier, nous sommes à l'Ibée, on décide à ce moment-là de refaire le journal.
01:14:26 Avec les forces qui restent, et à la fois il y a plein de gens,
01:14:32 et en même temps on se sent extrêmement seules avec soi.
01:14:35 En tout cas, moi ma place dans ce truc est tellement seule, c'est une solitude extrême.
01:14:43 Alors que les frères Kouachi et Ahmedi Koulibaly ont été abattus par la police dans la soirée du 9 janvier,
01:14:53 le pays se dresse pour dénoncer les attentats de Charlie Hebdo et de l'hyper-Kacher.
01:14:58 Et le 11 janvier 2015, des millions de personnes se rassemblent partout en France.
01:15:05 Jamais il n'avait été aussi nombreux dans la rue depuis 1945.
01:15:11 Le 11 janvier, il vient faire beaucoup de... Comment ? J'aurais envie de vous dire qu'il fait du bien,
01:15:18 mais en fait il fait... On le voit même pas.
01:15:23 Charlie Hebdo ! Charlie Hebdo ! Charlie Hebdo ! Charlie Hebdo ! Charlie Hebdo ! Charlie Hebdo !
01:15:36 Le 7 janvier, la violence que moi j'ai ressentie c'était la violence du rejet.
01:15:42 On voulait plus de nous du tout, du tout, du tout.
01:15:46 Mais le monde entier ne voulait plus de nous. C'est comme ça que j'ai ressenti dans les minutes qui ont suivi l'attaque.
01:15:52 Et puis quelques jours après, c'est l'inverse. C'est le monde entier qui nous soutenait.
01:15:56 Donc on passait d'une émotion... C'était d'un extrême à l'autre.
01:16:01 Et les deux sensations étaient aussi déstabilisantes l'une que l'autre.
01:16:07 C'était un peu écrasant parce que du coup c'était une responsabilité.
01:16:09 Quand on vous soutient comme ça, vous pouvez pas non plus... Vous pouvez plus vraiment faire ce que vous voulez.
01:16:15 On vous regarde, on attend de vous des choses peut-être.
01:16:19 Il faut être aussi à la hauteur du soutien qu'on a reçu.
01:16:23 Pour les survivants de l'attaque de Charlie Hebdo, il est essentiel de parvenir à publier le prochain numéro de l'hebdomadaire malgré la douleur.
01:16:36 C'était évident. Il fallait pas rester sans voix.
01:16:43 On avait voulu nous faire taire, donc il fallait que la semaine d'après, on parle.
01:16:46 D'une manière ou d'une autre.
01:16:48 C'était la meilleure manière de répondre aux terroristes.
01:16:52 Et donc là, il s'est passé ce qui déjà s'était passé dans l'histoire de Charlie,
01:16:57 un élan collectif, une énergie collective qui fait que le journal est sorti une semaine après.
01:17:11 J'ai dessiné en disant "Je suis Charlie".
01:17:13 Et ça, c'est une idée que j'avais dans la tête, mais c'était pas suffisant.
01:17:16 Ça faisait pas une une.
01:17:18 Et puis il n'y avait plus que ce jus-là. Il n'y avait plus que cette idée de dessiner Mahomet.
01:17:21 "Je suis Charlie".
01:17:23 Et je l'ai regardé.
01:17:25 Il était en train de pleurer.
01:17:27 Et puis, au-dessus, j'ai écrit "Tout est pardonné".
01:17:38 Puis j'ai pleuré.
01:17:41 Et c'était la une.
01:17:43 Et on avait trouvé la une.
01:17:45 On avait enfin trouvé cette putain de une.
01:17:47 Et c'était notre une.
01:17:50 À Caen, un rêne annoncié partout en France,
01:17:54 une foule comme les kiosquiers et les libraires n'en ont jamais connu.
01:17:57 Ici, place de la Nation à Paris, habituellement, il se vend à peine 6 charliets d'eau par semaine.
01:18:02 Ce matin, il s'en est écoulé une centaine en moins d'un quart d'heure.
01:18:06 C'est un acte citoyen, c'était très important.
01:18:09 De l'avoir ce matin.
01:18:11 On a l'impression qu'on continue le combat avec eux.
01:18:14 Voilà.
01:18:16 Parce qu'ils ont tellement souffert, qu'il est bien normal que nous, on participe aussi.
01:18:20 Je me suis rendu compte de l'importance que le journal continue
01:18:26 et que des dessinateurs rejoignent le journal aussi dans les jours qui ont suivi l'attentat.
01:18:29 Parce que sur les plateaux télé, tu commences à voir défiler des gens qui se revendiquaient de Charlie
01:18:36 ou des très vieux collaborateurs.
01:18:39 Je me disais, mais Charlie, c'est pas vraiment ça.
01:18:42 Charlie, c'est vraiment un journal de dessinateurs.
01:18:45 Alors, à peu près du 12 janvier au 12 mars, j'ai dessiné, dessiné, dessiné non-stop sur l'actualité.
01:18:54 Voilà, donc j'ai envoyé ce truc-là par mail en me disant,
01:19:00 ils sont submergés, j'aurai sûrement jamais de réponse.
01:19:06 Moi, des fois, quand je dessine, je prends la tête de celui que je dessine.
01:19:11 Ouais, bah regarde qui je suis en train de dessiner, là.
01:19:13 On a tout de suite eu envie de m'apprendre beaucoup de choses.
01:19:22 Rys, il m'apprenait au-delà du simple fait de dessiner.
01:19:27 Dès qu'il peut montrer d'anciens numéros, on va fouiller dans les archives et puis il nous montre.
01:19:32 Il fallait que j'ai une... Il me répétait, il faut que t'aies une culture graphique et puis que t'aies une culture en général.
01:19:39 Il est important pour les dessinateurs d'avoir une culture.
01:19:43 Depuis l'automne 2015, la nouvelle rédaction de Charlie est installée dans des locaux hyper sécurisés, quelque part dans Paris.
01:19:54 Désormais, Charlie Hebdo s'écrit et se dessine sous haute sécurité.
01:20:01 Il se dessine sous haute protection policière.
01:20:04 C'est la première fois dans l'histoire du journalisme français.
01:20:09 Rys, c'est la première fois que je suis arrivé, il me fait "Bienvenue à la Société Générale".
01:20:18 Comme si c'était Fort Knox.
01:20:21 Et là, tu vois, il n'y a pas de fenêtre, t'es sous des néons.
01:20:27 Là, ça fait bizarre, tu vois, j'espère que ça ne va pas durer trop longtemps.
01:20:31 Finalement, cinq ans après, on est toujours à l'endroit-là et puis...
01:20:36 Ben voilà, on se sent plutôt chez nous.
01:20:41 Ce qui me faisait marrer au début, c'est que beaucoup de gens s'étaient abonnés début 2015 sans trop savoir ce que c'était.
01:20:53 Et qu'au fur et à mesure des couves, une couve sur le FN, une couve sur l'UMP, une couve sur un crash d'avion,
01:21:00 les gens se désabonnaient parce qu'on avait touché à leur truc sensible sur lequel...
01:21:05 sur lequel il ne fallait pas trop appuyer, quoi.
01:21:09 Et ça, ça me faisait marrer.
01:21:10 Bon, c'est con pour le journal parce qu'on perdait des abonnés.
01:21:13 On savait que si on se remettait à faire des choses un peu choquantes, il y en a qui nous quitteraient.
01:21:18 Mais tant pis.
01:21:20 Voilà, on ne s'est pas forcé. On a dessiné comme d'habitude un peu ce qu'on avait envie de dessiner.
01:21:24 Et ça pouvait être ressenti de manière très provocante par certains lecteurs, mais on avait envie de leur dire "mais c'est ça Charlie Hebdo".
01:21:31 Ce n'est pas que faire des dessins sur... Ben oui, c'est aussi faire des dessins sur plein de choses qui peuvent aussi vous choquer.
01:21:37 C'était aussi important pour nous de retrouver notre identité et de ne pas non plus faire de la démagogie,
01:21:43 de ne pas renoncer à ce qu'on était pour plaire au plus grand nombre.
01:21:47 Un des dessins qui avait fait une polémique, c'est le dessin du petit Hélène.
01:21:51 C'est vrai que ce dessin est tout à fait intéressant parce qu'il est typiquement un sujet Charlie.
01:22:00 Il y a une image dans l'actu qui émerge.
01:22:04 C'est ce petit migrant qui devient un peu symbole de la crise des migrants, de cette traversée impossible pour un monde meilleur.
01:22:13 Iris reprend simplement cette image du petit Hélène à côté d'un panneau publicitaire.
01:22:18 C'était une image abominable, mais ce qui était terrible, c'est la désillusion.
01:22:27 C'est-à-dire que ces migrants partent avec beaucoup de rêves dans la tête sur l'Europe.
01:22:32 Moi ce que j'avais envie de dessiner, c'est peut-être le fait qu'ils allaient être déçus par ce qu'ils avaient trouvé en Europe.
01:22:38 Les gens ont eu une réaction épidermique.
01:22:42 Parce qu'il y a un tabou, c'est la mort.
01:22:44 Dans le dessin, le sexe c'est un tabou, la mort c'est un tabou.
01:22:49 Mais alors un enfant mort, c'est pire que tout.
01:22:52 Ça c'est le tabou ultime.
01:22:54 Mais c'est ça aussi l'humour, et en particulier l'humour noir.
01:22:57 C'est aussi d'être capable d'affronter ces tabous-là.
01:23:02 C'est vrai que c'est pas rigolo de voir un enfant qui est mort, et c'est pas forcément rigolo de voir un dessin comme ça.
01:23:07 Un dessin n'est pas fait forcément pour faire rire, mais pour faire un peu réagir, et pour mettre aussi un peu mal à l'aise.
01:23:14 Le dessin satirique, des fois c'est fait pour mettre mal à l'aise.
01:23:19 Et ça les gens n'ont pas compris ça, ils pensaient que c'était que de l'humour, que du rire.
01:23:24 Ben non, des fois un dessin ça fait pas rire.
01:23:26 Autour des anciens, RIS, COCO, FOOLS.
01:23:35 Les nouveaux dessinateurs,
01:23:37 Jeun, Alice, Bich, Félix,
01:23:42 se lancent à leur tour dans l'arène politique et médiatique.
01:23:45 Au tribunal de Paris, les 11 accusés présents dans la salle d'audience
01:24:02 vont pendant plusieurs semaines nier leur participation aux attentats de 2015
01:24:07 et surtout plaider qu'ils ne connaissaient pas le projet des trois terroristes.
01:24:11 Au contraire, l'accusation veut démontrer qu'un attentat a besoin d'un réseau de complicité
01:24:21 et d'un ensemble d'actes, même minimes, qui vont tous concourir à la réussite de l'action terroriste.
01:24:27 Durant ces semaines de procès des attentats de 2015,
01:24:30 on aura assisté à cette éternelle et toujours étrange performance,
01:24:34 inhérente à la comédie humaine,
01:24:36 où la vérité et le mensonge jouent sans s'arrêter leur partition contradictoire.
01:24:41 Que ce soit par leur contact téléphonique,
01:24:47 par leur ADN retrouvé sur certaines armes de coulibaly,
01:24:50 par leurs récits,
01:24:52 par le traçage de leurs déplacements entre la Belgique, les Ardennes et les Saônes,
01:24:57 les accusés forment une constellation qui établit des connivences qu'ils réfutent,
01:25:02 des aides qu'ils démontent,
01:25:05 une organisation qu'ils refusent de reconnaître.
01:25:08 Alors que la cour d'assises se pose à la fin de l'année,
01:25:18 alors que la cour d'assises se penche sur les motivations exactes des complices des attentats,
01:25:25 le tribunal de Paris, à l'image du pays, est tout à coup tétanisé et sous le choc,
01:25:31 lorsqu'une nouvelle attaque a lieu en plein procès,
01:25:34 devant les anciens locaux de Charlie Hebdo.
01:25:37 Ici nous sommes vraiment dans la bulle de la cour d'assises.
01:25:40 Nous étions en train d'assister à une audience, encore une fois très forte,
01:25:44 et puis on a commencé à recevoir les alertes sur nos téléphones portables.
01:25:48 Le président a suspendu l'audience 5 minutes,
01:25:51 les partis civils étaient trop bouleversés pour réagir.
01:25:55 Le 25 septembre, un jeune Pakistanais se rend rue Nicolas Aper,
01:26:02 pensant y trouver Charlie Hebdo,
01:26:05 et blesse grièvement à coups de hachoir
01:26:07 deux salariés de la société de production de première ligne.
01:26:12 Il sera arrêté quelques minutes plus tard, place de la Bastille,
01:26:16 et revendiquera son acte au nom de la défense du prophète Mahomet,
01:26:20 qui aurait été injurié par les caricatures publiées dans Charlie Hebdo.
01:26:24 Comme on le pense, depuis 2015, on est toujours potentiellement la cible.
01:26:30 Il y a encore des gens qui veulent nous faire taire,
01:26:33 et malheureusement, il a croisé la route de deux personnes
01:26:39 qui n'avaient rien à voir avec Charlie Hebdo.
01:26:42 Il ne vérifie même pas que les gens sont de Charlie Hebdo,
01:26:45 il a tapé n'importe qui.
01:26:47 Donc on voit bien qu'il y a une espèce de violence primitive
01:26:50 qui existe quoi qu'il arrive.
01:26:52 On prend ça de plein fouet,
01:26:55 parce que c'est encore Charlie,
01:26:57 parce que c'est des pauvres gens dont la vie va être brisée.
01:27:01 Même le procès n'a pas pu être serein,
01:27:05 c'est-à-dire que même ça, on ne nous a pas accordé
01:27:08 qu'il se déroule sereinement,
01:27:10 épargné par la violence, par le fanatisme.
01:27:13 Et ce n'est pas un hasard que ça ait eu lieu durant ce procès,
01:27:17 je pense qu'il y a vraiment la volonté pour ceux qui commettent ces actes
01:27:20 de créer un climat anxiogène,
01:27:22 et finalement de défier la justice,
01:27:25 dans son travail de justice.
01:27:27 La rédaction de Charlie Hebdo est alors en train de préparer
01:27:34 un numéro anniversaire pour les 50 ans de l'hebdomadaire,
01:27:37 né en 1970.
01:27:39 Tout à coup, l'histoire semble bégayer sous les pinceaux des dessinateurs.
01:27:47 Ça va, vous ? Autour de vous, là ?
01:27:57 - C'est l'enfer, tu veux dire. - Pourquoi ?
01:28:00 T'as pas une famille qui flique, toi ?
01:28:03 Oui.
01:28:05 En novembre 1970,
01:28:07 le journal a été victime d'une censure politique,
01:28:10 puisqu'il était interdit à l'affichage pour avoir fait une couverture
01:28:13 sur la mort du général de Gaulle.
01:28:16 Et 50 ans après, le journal est menacé de mort.
01:28:19 Donc c'est un anniversaire un peu étrange.
01:28:22 C'est-à-dire que tous ceux pourquoi le journal s'est battu depuis 50 ans,
01:28:25 c'est-à-dire être le plus libre possible,
01:28:28 maintenant on se demande si un jour on va pas perdre cette liberté.
01:28:32 Et la France semble soudainement s'enfoncer un peu plus
01:28:35 dans l'horreur et la colère, lorsque le 16 octobre,
01:28:38 un jeune Tchétchène décapite un professeur d'histoire-géographie,
01:28:42 Samuel Paty, près du collège des Yvelines où il enseignait.
01:28:46 Cette fois, l'assassin avait choisi sa cible
01:28:53 en raison d'une polémique sur Internet
01:28:56 dénonçant le pouvoir de l'État.
01:28:59 Une polémique sur Internet dénonçant le professeur
01:29:02 pour avoir montré à ses élèves, lors d'un cours sur la liberté d'expression,
01:29:06 des caricatures de Mahomet publiées en 2012 dans Charlie Hebdo.
01:29:10 Dans tout le pays, l'émotion est forte
01:29:22 et des rassemblements ont lieu dans plusieurs villes
01:29:25 pour dénoncer l'assassinat de l'enseignant.
01:29:28 Le journaliste a été élu en 2015.
01:29:32 Je me méfie toujours de l'émotion, parce que l'émotion, c'est éphémère.
01:29:36 On est ému et puis après, on passe à autre chose.
01:29:39 Donc, je l'ai vécu en 2015.
01:29:42 L'émotion était sincère, elle était forte,
01:29:45 mais après, on a envie de retrouver sa vie normale
01:29:48 et puis, bon, ben voilà, ça change pas les choses en profondeur.
01:29:51 Là, j'ai eu l'impression qu'il y avait, au-delà de l'émotion,
01:29:55 un sentiment de désespoir,
01:29:58 mais au-delà de l'émotion,
01:30:01 oui, une prise de conscience
01:30:04 provenant davantage de la raison.
01:30:07 J'ai un peu découvert qu'il y avait des profs
01:30:10 qui faisaient des cours avec les caricatures.
01:30:13 Ils faisaient ce cours depuis déjà 3 ans.
01:30:19 Visiblement, ça s'était bien passé les années précédentes.
01:30:22 Et donc, c'est vraiment le prof, dans son rôle de prof,
01:30:26 il a essayé de faire comprendre des choses aux élèves.
01:30:29 Il a essayé d'ouvrir un peu l'esprit critique aux élèves
01:30:33 sur une question qui, c'est vrai, est compliquée,
01:30:36 parce que, c'est vrai que la liberté d'expression, c'est compliqué,
01:30:39 les caricatures, c'est pas évident à comprendre.
01:30:42 Donc, une démarche extrêmement courageuse et ambitieuse.
01:30:46 Et c'est vrai que ce qu'a fait ce prof, c'est vital, en fait.
01:30:52 [Musique]
01:31:07 Le 29 octobre, à Nice, un troisième attentat coûte la vie
01:31:11 à Nadine de Villers, Vincent Locke et Simone Barreto Silva,
01:31:15 assassinées dans la basilique Notre-Dame de l'Assomption.
01:31:21 Depuis janvier 2015, il y aura eu 263 victimes françaises
01:31:25 du terrorisme islamiste, de Paris à Nice,
01:31:28 en passant par Villejuif, Magnanville,
01:31:31 Saint-Etienne-du-Rouvray, Marseille, Carcassonne,
01:31:35 Strasbourg ou Conflans-Saint-Honorin.
01:31:39 La plupart de ces attentats n'avaient aucun lien
01:31:44 avec les caricatures publiées dans Charlie Hebdo.
01:31:50 Et dans le monde, sur la même période,
01:31:52 on ne compte plus les innombrables victimes musulmanes ou chrétiennes,
01:31:56 les attentats revendiqués par des groupes terroristes islamistes,
01:31:59 dans les discothèques, les mariages, les écoles, les églises.
01:32:04 C'est toutes nos libertés qui les rendent hystériques.
01:32:10 Pas que les caricatures, qu'est-ce qui va se passer après ?
01:32:13 Une fois qu'on aura abandonné les caricatures,
01:32:15 on ne pourra plus enseigner la théorie de l'évolution à l'école
01:32:19 parce que c'est blasphématoire.
01:32:21 On ne pourra plus exiger l'égalité entre les hommes et les femmes
01:32:25 parce que c'est blasphématoire.
01:32:26 L'homosexualité, pour eux, c'est une abomination.
01:32:30 Donc il faut revenir dessus, l'avortement aussi.
01:32:33 Donc on va abandonner quoi, après les caricatures ?
01:32:37 On n'a pas la solution à ce problème parce qu'on n'est pas à l'origine du problème.
01:32:43 On voudrait nous faire croire que c'est Charlie Hebdo qui est à l'origine du problème
01:32:45 parce qu'il a publié des caricatures.
01:32:47 Ce n'est pas nous qui sommes à l'origine du fait qu'en France,
01:32:49 il y a des gens qui sont des intégristes religieux.
01:32:52 C'est un problème qui frappe tout le monde
01:32:55 et donc c'est un problème qui ne pourra se résoudre qu'avec tout le monde.
01:32:58 Ça ne peut pas être simplement des dessinateurs ou quelques politiques.
01:33:01 C'est vraiment tout le monde, tous les citoyens, tous les relais,
01:33:04 les corps intermédiaires, les élus locaux, etc.,
01:33:06 qui doivent, les profs, enfin bref,
01:33:09 qui doivent agir chacun à son niveau, même modestement,
01:33:13 pour contester, réduire, diminuer l'influence de cette idéologie mortifère.
01:33:22 Avons-nous bien réalisé ce qui s'est passé sous nos yeux ?
01:33:35 Tandis que nous participions au procès des attentats de janvier 2015,
01:33:41 les attentats reprenaient.
01:33:44 Tandis que nous mettions toutes nos forces à interroger la violence
01:33:47 et à lui donner une réponse pénale,
01:33:49 la violence renaissait sous sa forme la plus extrême,
01:33:52 la plus abominable, la plus arbitraire.
01:33:55 Nous avons assisté à la lecture des peines
01:34:01 demandées par le parquet national antiterroriste.
01:34:04 Les très sévères réquisitions du parquet ont galvanisé la défense.
01:34:09 La juste peine existe-t-elle ?
01:34:13 Est-on sûr que celle qui est demandée est proportionnée
01:34:18 à l'implication réelle de chacun des accusés ?
01:34:21 Ce vertige est celui-là même de la justice,
01:34:25 qui en assume les risques et qui choisit de trancher.
01:34:30 Le Parquet national a été un objectif de la justice depuis le début.
01:34:34 Il a été un objectif de la justice depuis le début.
01:34:37 Il a été un objectif de la justice depuis le début.
01:34:40 Il a été un objectif de la justice depuis le début.
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01:35:50 [Musique]

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