Dans cet épisode, nous allons essayer de nous focaliser sur deux crises actuelles, la crise sociétale et la crise environnementale. Nous sommes fin mars, d’un côté la synthèse du dernier rapport du GIEC vient de sortir tirant pour une dernière fois la sonnette d’alarme. D’un autre côté, les grèves qui réclament de meilleures conditions de travail et de retraite. Jusqu’à présent ces deux enjeux étaient bien distincts. Les bobos citadin.e.s d’un côté, des travailleurs et travailleuses de métiers pénibles et essentiels de l’autre. Mais est-ce qu’en réalité la fin du monde et la fin du mois sont le même combat ? Je vous propose d’explorer cette question via le prisme de la décroissance. Un concept qui peut paraître polarisant mais qui pourrait également devenir un concept de société fédérateur.
Pour parler de ce concept j’ai le plaisir d’accueillir à nouveau Timothée Parrique. Timothée est chercheur en économie écologique à l’Université de Lund. Son doctorat portait sur l’Economie Politique de la Décroissance. Il est un des porte-paroles du concept dans le monde et vous le retrouvez souvent sur Twitter en train de démonter les idées reçues sur la décroissance. Finalement, il est l’auteur de l’ouvrage Ralentir ou Périr, l’Economie de la Décroissance qui a été reçu très positivement tant par le grand public que les médias.
Un grand merci à l'Académie du Climat pour l'accueil. N'hésitez pas à découvrir leurs événements ici https://www.academieduclimat.paris/
Je vous rappelle que vous pouvez partager vos opinions et ce que vous avez appris en commentaire afin de continuer la discussion en ligne. Vos commentaires permettent que cette vidéo soit vue par plus de personnes .
#sobriété #décroissance #dailysemetauvert postcroissance #parrique #ralentirouperrir #podcast
Pour parler de ce concept j’ai le plaisir d’accueillir à nouveau Timothée Parrique. Timothée est chercheur en économie écologique à l’Université de Lund. Son doctorat portait sur l’Economie Politique de la Décroissance. Il est un des porte-paroles du concept dans le monde et vous le retrouvez souvent sur Twitter en train de démonter les idées reçues sur la décroissance. Finalement, il est l’auteur de l’ouvrage Ralentir ou Périr, l’Economie de la Décroissance qui a été reçu très positivement tant par le grand public que les médias.
Un grand merci à l'Académie du Climat pour l'accueil. N'hésitez pas à découvrir leurs événements ici https://www.academieduclimat.paris/
Je vous rappelle que vous pouvez partager vos opinions et ce que vous avez appris en commentaire afin de continuer la discussion en ligne. Vos commentaires permettent que cette vidéo soit vue par plus de personnes .
#sobriété #décroissance #dailysemetauvert postcroissance #parrique #ralentirouperrir #podcast
Category
📚
ÉducationTranscription
00:00:00 Que la poursuite effrénée de la croissance mène forcément à des phénomènes d'exploitation.
00:00:07 D'exploitation en général qui vont se solder par des crises sociales et écologiques.
00:00:13 Mais le problème à la source c'est l'exploitation.
00:00:15 Une économie, elle utilise toujours des ressources naturelles.
00:00:18 Donc le but c'est pas de se dire il faut trouver un moyen de pas utiliser de ressources naturelles.
00:00:22 La pollution c'est une histoire de taille.
00:00:24 Si tu vas pisser dans la mer tout seul, tu vas pas faire effondrer l'océan.
00:00:28 Si tu déverses les excréments en plein été de tout le Pays Basque concentrés sur une plage,
00:00:34 là tu vas avoir un problème écologique.
00:00:36 Donc de temps en temps, on n'a pas besoin de trouver une solution miracle.
00:00:39 Il faut juste réduire l'ampleur du problème.
00:00:41 Pareil pour le changement climatique.
00:00:43 Là aujourd'hui on n'a pas besoin d'essayer d'inventer une solution de géo-ingénierie pour contrôler le climat.
00:00:48 On a besoin juste de réduire, de sortir des énergies fossiles, réduire nos émissions
00:00:52 pour faire en sorte justement d'enlever cette pression sur le climat
00:00:55 et que nos émissions cessent de devenir un problème.
00:00:58 Toutes les études, toutes les expériences historiques et toutes les projections théoriques dans le futur
00:01:04 nous disent que cette approche par les coefficients de la croissance verte ne va pas suffire.
00:01:11 Qu'il va falloir faire quelque chose de plus, quelque chose de plus spoiler alerte, c'est la décroissance.
00:01:17 Mais toute cette grande équation va devoir se solder à la fin par une économie
00:01:23 dont le métabolisme est plus petit qu'aujourd'hui.
00:01:25 Parce que sinon, t'as juste changé des trucs, t'as fait ton régime, t'as enlevé 20 kilos de ta jambe gauche
00:01:29 et tu l'as mis sur ta jambe droite.
00:01:31 Ça n'a pas marché.
00:01:32 Donc c'est pour ça qu'on peut se permettre de parler de décroissance
00:01:34 et qu'à la fin de la transition, même si qualitativement on aura changé énormément de trucs,
00:01:38 on aura décarboné le mix énergétique, on aura changé la forme des entreprises,
00:01:43 on aura peut-être changé tout.
00:01:45 À la fin, si tu regardes avec la vue d'oiseau de l'économiste écologique le métabolisme,
00:01:50 je veux voir moins de ressources naturelles qui passent à travers l'économie
00:01:54 et donc moins d'extraction du côté de la bouche, moins d'élimination de l'autre côté.
00:02:01 Bonjour et bienvenue au podcast Circular Métabolisme,
00:02:11 le rendez-vous bifidomadaire qui interview des penseurs, chercheurs et praticiens
00:02:15 pour mieux comprendre le métabolisme de nos villes
00:02:17 ou en d'autres mots, leur consommation de ressources et leurs émissions de polluants.
00:02:20 Et comment réduire leur impact environnemental d'une manière systémique, juste et contextualisée.
00:02:25 Dans cet épisode, nous allons essayer de comprendre ensemble
00:02:29 les deux crises qui nous occupent en ce moment, la crise sociétale et la crise environnementale.
00:02:34 Nous sommes fin mars.
00:02:35 D'un côté, la synthèse du dernier rapport du GIEC vient de sortir
00:02:38 et tire pour une dernière fois la sonnette d'alarme.
00:02:41 D'un autre côté, les grèves que nous avons récemment
00:02:43 réclament des meilleures conditions de travail et de retraite.
00:02:46 Jusqu'à présent, ces enjeux vont dans deux camps bien distincts.
00:02:51 D'un côté, on a les bobos citadins-citadines.
00:02:53 De l'autre côté, nous avons les travailleurs et travailleuses
00:02:56 de métiers pénibles et de métiers essentiels pour notre vie.
00:03:00 Mais si en réalité, ces deux camps pouvaient se réunir,
00:03:04 peut-être qu'on comprendrait qu'on irait vers le droit chemin.
00:03:07 Je vous propose d'explorer cette question de convergence des luttes
00:03:11 via le prisme de la décroissance.
00:03:13 Un concept qui peut paraître polarisant au début,
00:03:16 mais vous allez le voir, également devenir un concept fédérateur
00:03:19 de projets de société.
00:03:21 Pour parler de ce concept, j'ai le plaisir d'accueillir
00:03:23 à nouveau Timothée Parik, qui est chercheur en économie écologique
00:03:27 à l'université de Lund.
00:03:29 Son doctorat porté sur l'économie politique de la décroissance.
00:03:33 Il est un des porte-parole les plus importants du concept,
00:03:37 que ce soit en France ou à l'étranger.
00:03:39 Et vous pouvez le retrouver sur Twitter en train de démonter
00:03:42 des fausses idées sur la décroissance, et plus récemment également
00:03:45 sur les autres médias.
00:03:48 Finalement, il est l'auteur de l'ouvrage "Ralentir ou Périr ?
00:03:53 L'économie de la décroissance", qui a été reçu très positivement,
00:03:57 que ce soit par le grand public, les médias, mais aussi,
00:04:00 très récemment, a été finaliste du prix de l'écologie politique,
00:04:04 du livre de l'écologie politique.
00:04:06 Et nous allons décortiquer tout ça ensemble.
00:04:08 Bienvenue, Timothée, à nouveau au podcast.
00:04:11 Bonjour. Grand plaisir d'être de retour.
00:04:14 Voilà, j'ai décidé en ton honneur de porter à moitié la moustache aujourd'hui,
00:04:18 donc ce n'est pas pleinement assumé, je ne suis pas rasé à blanc.
00:04:21 Mais j'aimerais bien voir si ça va m'aider pour poser des bonnes questions.
00:04:25 Notre dernier épisode date depuis un an et demi environ.
00:04:29 À l'époque, on avait parlé des critiques sur la décroissance,
00:04:33 qui est un des chapitres de ton bouquin.
00:04:36 J'aimerais bien aujourd'hui qu'on dézoome un tout petit peu,
00:04:39 qu'on regarde la décroissance en son ensemble,
00:04:41 et voir comment elle peut devenir un projet de société, plutôt.
00:04:45 Et donc, je voulais juste, avant de se lancer,
00:04:48 te poser la question de comment ça va depuis la dernière fois qu'on s'est vus.
00:04:52 Écoute, ça va bien. La dernière fois qu'on se parlait,
00:04:54 oui, j'essayais de terminer ce livre, mais je le faisais avec une boule dans le ventre,
00:04:58 parce que je me suis dit, OK, la thèse a été beaucoup téléchargée et lue,
00:05:02 mais c'était en anglais.
00:05:03 Donc là, je me prépare pour publier un livre sur la décroissance en français.
00:05:06 Ça faisait longtemps qu'il n'y en avait pas eu qui étaient sortis en français,
00:05:09 et tous les livres qui n'étaient jamais sortis en français,
00:05:11 s'étaient faits systématiquement pilonner par les médias,
00:05:14 et ensuite ignorés par le grand public.
00:05:16 Donc, je sors timidement mon livre le 16 septembre 2022,
00:05:21 et là, il se passe quelque chose que je n'attendais pas,
00:05:24 une effervescence phénoménale.
00:05:27 Je me retrouve invité partout.
00:05:29 Donc, depuis la sortie du livre, j'ai fait plus de 200 événements,
00:05:32 beaucoup de télé, de radio, des podcasts.
00:05:36 J'ai été invité à l'étranger.
00:05:38 Le bouquin est en train d'être traduit en espagnol.
00:05:41 En France, les hauts fonctionnaires, des entreprises, des municipalités,
00:05:45 école de commerce, étudiants, architectes, ingénieurs,
00:05:48 vraiment, ça venait de partout.
00:05:49 Je me suis rendu compte qu'il y avait un véritable appétit
00:05:53 pour ces théories alternatives aujourd'hui.
00:05:56 Et donc, ça m'a donné énormément de boulot.
00:05:59 Pas ouf pour la sieste et la réduction du temps de travail.
00:06:01 Que tu prônes, ouais.
00:06:02 Que je prône dans le livre,
00:06:04 mais ça crée une discussion autour du concept
00:06:10 qui n'a jamais été aussi riche qu'aujourd'hui.
00:06:13 Et comme tu dis, je pense qu'il y avait un appétit
00:06:15 où vraiment, tu arrivais au bon moment, au bon endroit.
00:06:19 Et tu disais, je pense, dans une de tes interventions,
00:06:23 tu disais que toi aussi, tu étais critique au début de la décroissance.
00:06:28 Tu avais vu une personne qui, durant un séminaire,
00:06:31 avait parlé de décroissance et tu étais un peu,
00:06:34 mais de quoi elle parle cette personne ?
00:06:36 Et moi, j'ai eu exactement la même expérience
00:06:38 quand j'étais en troisième année de fac, ingénieur.
00:06:40 J'étais, de quoi il parle ce gars ?
00:06:43 Et je pense que ça parle de raconter peut-être l'évolution
00:06:48 de quels ont été les arguments pour te lancer vers la décroissance.
00:06:51 Qu'est-ce qui t'a fait de te dire, peut-être qu'il y a quelque chose là.
00:06:54 Peut-être que c'est intéressant
00:06:55 et que je pourrais passer beaucoup de temps
00:06:57 à partir de maintenant sur ce sujet-là.
00:06:59 Moi, j'ai commencé par étudier l'économie
00:07:02 dès la première année de licence.
00:07:03 Donc, j'ai été formaté assez rapidement pour penser comme un économiste.
00:07:06 Et donc, en deuxième année de licence,
00:07:09 quand je me retrouve confronté à cette pauvre personne
00:07:13 qui est venue nous faire une conférence sur la décroissance,
00:07:15 moi, bien sûr, je la regarde comme,
00:07:17 en fait, vous ne savez pas ce que c'est que l'économie.
00:07:18 Vous ne savez pas ce que c'est que la croissance.
00:07:20 Alors qu'en fait, l'arrogance classique,
00:07:24 la supériorité des économistes absolument toxique,
00:07:26 que maintenant je critique,
00:07:28 et à l'époque, je ne m'en rendais pas compte.
00:07:30 Et le cheminement, il s'est fait par plusieurs étapes.
00:07:33 Alors déjà, j'ai commencé à faire un petit peu
00:07:36 d'économie de l'environnement et d'économie écologique.
00:07:38 Et là, quand on commence à comprendre les ordres de grandeur
00:07:41 sur donc le métabolisme sociétal des économies
00:07:45 des pays déjà riches,
00:07:47 quand on regarde les flux biophysiques,
00:07:49 de biomasse, d'énergie fossile,
00:07:51 de matériaux, de métaux qui traversent les économies,
00:07:54 quand on vient mesurer le dynamisme de la biodiversité,
00:07:57 la fertilité des sols,
00:07:59 en fait, on se rend compte non seulement de la finitude
00:08:02 des écosystèmes,
00:08:04 mais aussi de la taille, du gigantisme
00:08:09 de nos économies industrialisées.
00:08:11 Et là, en fait, j'ai commencé à me dire,
00:08:13 "Attends, wait a minute."
00:08:15 Donc là, vous voulez continuer à faire croître
00:08:18 cette économie déjà ultra obèse
00:08:20 qui a déjà défoncé la moitié de ses écosystèmes
00:08:22 et qui est en train de manger les écosystèmes
00:08:24 du reste des économies qui n'ont même pas encore eu
00:08:26 l'opportunité de se développer.
00:08:28 Et donc là, de fil en aiguille,
00:08:30 je suis rentré par l'impératif écologique.
00:08:32 Déjà, je me suis dit, bon, sur le papier, ça ne marche pas,
00:08:34 cette histoire de croissance perpétuelle, infinie.
00:08:37 Et après, j'ai découvert des subtilités
00:08:39 en prenant des cours en écologie politique,
00:08:41 notamment à l'Université de Barcelone.
00:08:43 Après, je suis allé en Suède et j'ai vraiment découvert
00:08:45 les limites sociales de la croissance,
00:08:47 les critiques historiques du développement
00:08:50 comme pensée occidentale,
00:08:52 les critiques du capitalisme.
00:08:54 Et toutes ces choses-là, en fait,
00:08:56 se sont imbriquées dans une espèce de grand puzzle.
00:08:58 Et c'est ce qui m'a permis, dans le livre,
00:09:00 de construire cette triple critique
00:09:02 de la croissance comme phénomène et comme système,
00:09:05 donc une critique qui serait biophysique,
00:09:07 sociale et politique.
00:09:09 Donc, ça s'est vraiment fait par étapes.
00:09:12 Et moi, ce que je voulais faire dans le bouquin,
00:09:14 c'est offrir plusieurs portes d'entrée.
00:09:17 Parce que, justement, il y en a qui sont très sensibles
00:09:20 à la cause écologique.
00:09:22 Ils vont se dire "Ah bah tiens, là, ça me permet
00:09:24 de faire une critique de l'ordre existant
00:09:26 en partant de son impossibilité biophysique."
00:09:29 Il y en a d'autres, ils vont plus rentrer
00:09:31 par la porte des limites sociales,
00:09:33 qui est peut-être même aussi puissante,
00:09:36 de se dire "Même si le monde était complètement soutenable
00:09:39 et que notre économie était dématérialisée,
00:09:42 décarbonisée, tout ce que tu veux,
00:09:44 qui fonctionnait vraiment de la manière
00:09:46 la plus circulaire possible,
00:09:48 ça ne serait pas une économie performante
00:09:50 si elle venait produire des choses absurdes
00:09:52 dont personne n'a besoin et nous épuisait
00:09:54 dans des boulots longs et subis
00:09:56 que personne ne veut."
00:09:58 Et avoir des milliardaires et des pauvres en même temps.
00:10:00 Exactement. Donc là, on peut avoir
00:10:02 cette approche sociale, on peut avoir des approches politiques.
00:10:04 Et c'est ça que j'aimais bien, je voulais
00:10:06 arriver à faire ramifier ce concept
00:10:08 de décroissance pour que ce ne soit pas seulement
00:10:10 pilule rouge et pilule bleue,
00:10:12 cette espèce de grande division, est-ce que la technologie
00:10:14 peut nous sauver, croissance verte ou décroissance,
00:10:16 qui était des débats du début des années 2000,
00:10:18 mais plein de petites portes d'entrée
00:10:20 pour arriver à
00:10:22 avoir des désaccords plus féconds
00:10:24 sur des sujets beaucoup plus précis.
00:10:26 Et je pense qu'il y a un point,
00:10:28 au fait, c'est un concept
00:10:30 super intéressant et tu as déjà
00:10:32 touché à pas mal de mots,
00:10:34 mais je pense qu'il peut faire peur
00:10:36 à une personne qui nous écoute,
00:10:38 une personne qui nous regarde, parce que
00:10:40 c'est beaucoup, c'est intense, c'est riche.
00:10:42 Et je pense
00:10:44 que nous avons
00:10:46 parlé de deux différents éléments,
00:10:48 de deux différentes urgences,
00:10:50 enfin de trois "critiques",
00:10:52 mais tu parles aussi que
00:10:54 tu as parlé
00:10:56 de métabolisme, par exemple,
00:10:58 de l'économie, tu as parlé de
00:11:00 biophysique, tu as parlé de politique,
00:11:02 tu as parlé de social,
00:11:04 et l'économie, je pense que pour beaucoup de personnes,
00:11:06 c'est un objet non connu.
00:11:08 Au fait, on parle d'économie comme si on
00:11:10 savait de quoi on parlait, mais j'ai l'impression que
00:11:12 personne ne sait c'est quoi l'économie.
00:11:14 Et après, on va parler de croissance,
00:11:16 on va parler d'économie capitaliste,
00:11:18 mais en tout cas, c'est quoi déjà
00:11:20 l'économie et par extension l'économie
00:11:22 capitaliste ? Désolé,
00:11:24 on recommence au tout début,
00:11:26 tranquillement, on va prendre notre temps,
00:11:28 mais voilà, je pense que ça va être utile.
00:11:30 En fait, si tu te retrouves sur
00:11:32 une île déserte, tout seul, et que tu dois faire
00:11:34 tout seul, il n'y a pas d'économie.
00:11:36 L'économie est un objet social, c'est-à-dire que c'est une
00:11:38 forme d'organisation sociale qui permet
00:11:40 de faire des choses ensemble qu'on n'aurait pas pu faire tout seul,
00:11:42 ou de faire des choses ensemble de manière plus
00:11:44 parcimonieuse et efficiente qu'on l'aurait fait tout seul.
00:11:46 Alors traditionnellement,
00:11:48 là déjà, c'est une base très forte
00:11:50 de se dire l'économie est un
00:11:52 protocole d'entraide,
00:11:54 de coopération qui
00:11:56 permet d'améliorer notre contentement.
00:11:58 Là,
00:12:00 l'objectif de l'économie, c'est le bien-être,
00:12:02 c'est la satisfaction des besoins insatisfaits.
00:12:04 - Et attends, ça c'est toi qui le dis,
00:12:06 ça c'est écrit quelque part,
00:12:08 est-ce que c'est juste le guide
00:12:10 d'utilisation de la société l'économie ?
00:12:12 Est-ce que vous apprenez ça
00:12:14 en économie ? J'en ai aucune question.
00:12:16 Comment vous vous abordez l'économie ? - Alors, je pense pas
00:12:18 qu'il y ait un seul économiste qui vienne te dire
00:12:20 que non, le but de
00:12:22 l'économie c'est pas le bien-être, c'est juste
00:12:24 de stabiliser l'inflation, de garantir
00:12:26 le plein emploi, de faire augmenter la croissance.
00:12:28 Les économistes vont te dire,
00:12:30 et souvent c'est d'ailleurs leur ligne de défense,
00:12:32 quand tu leur dis "les gars, vous êtes
00:12:34 obsédés par le PIB", ils te disent "non, non, nous on n'est pas obsédés par le PIB,
00:12:36 nous on veut le bien-être, mais
00:12:38 on pense que le PIB est le meilleur moyen pour obtenir".
00:12:40 Moi je me dis "ok, d'accord,
00:12:42 si on veut une économie du bien-être, au lieu
00:12:44 d'attendre de maximiser des indicateurs financiers
00:12:46 et que ça vienne ruisseler en bien-être, bah pourquoi
00:12:48 est-ce qu'on ne se concentre pas directement sur le bien-être ?"
00:12:50 Et donc c'est une définition
00:12:52 anthropologique. Moi, c'est vraiment, je suis un
00:12:54 économiste, mais je me suis abreuvé de la richesse
00:12:56 des sciences sociales en sociologie, en
00:12:58 histoire économique et en anthropologie
00:13:00 pour en fait essayer de revenir à l'essence
00:13:02 même de l'économie en dehors
00:13:04 du cadre moderne capitaliste, on va y
00:13:06 revenir. Donc déjà, on se
00:13:08 dit que l'économie est un protocole
00:13:10 de contentement, et ce qui est ultra important dans cette
00:13:12 définition, c'est qu'on peut penser à nos besoins
00:13:14 individuels, un logement, santé,
00:13:16 le contentement, c'est, ça répond
00:13:18 toujours à des taux de satiété. Si t'as faim,
00:13:20 bah tu vas manger, et ensuite t'auras plus faim.
00:13:22 Si t'es malade, t'as besoin de médicaments, accède à un médecin
00:13:24 et ensuite tu seras en bonne santé.
00:13:26 Donc là déjà, on se rend compte de l'une des
00:13:28 contradictions fondamentales
00:13:30 du capitalisme et de toute économie
00:13:32 basée sur la croissance, donc ça inclut
00:13:34 aussi l'économie
00:13:36 soviétique, c'est de se dire
00:13:38 pourquoi est-ce qu'on a une économie
00:13:40 dont la logique
00:13:42 vient encourager
00:13:44 la croissance exponentielle alors que même
00:13:46 l'objectif de cette économie est de
00:13:48 répondre à un taux de satiété. Donc ça, c'est
00:13:50 la première chose. Donc,
00:13:52 sur cette économie, ensuite,
00:13:54 traditionnellement, les économistes
00:13:56 vont nous dire "oui, l'économie c'est l'étude de production,
00:13:58 allocation, consommation".
00:14:00 Alors, moi, j'ai envie
00:14:02 de rajouter deux étapes. Ça, c'est
00:14:04 ce qu'ajoute l'économie écologique. C'est avant
00:14:06 même qu'on puisse produire... - Je produis
00:14:08 des biens et des services, allocution,
00:14:10 je les donne à des gens pour qu'ils puissent les
00:14:12 consommer ? - Exactement. Donc,
00:14:14 allocation, forme d'échange.
00:14:16 On verra après qu'il y a quatre formes
00:14:18 de transfert, comment on peut faire circuler des biens
00:14:20 et des services dans l'économie. L'échange marchand
00:14:22 n'étant qu'une forme parmi les quatre,
00:14:24 le don, la répartition
00:14:26 et la réciprocité. Mais, avant même
00:14:28 de parler de production, il faut parler d'extraction.
00:14:30 Parce que, pour produire un truc,
00:14:32 même le podcast qu'on est en train de faire ici, il faut qu'on soit
00:14:34 nourri, il faut qu'on soit chauffé, il faut de l'électricité, il faut
00:14:36 des matériaux. Donc, toute production va demander
00:14:38 du temps,
00:14:40 avec les compétences qui vont avec, de l'énergie
00:14:42 et des matériaux. Et cette énergie
00:14:44 et ces matériaux, on ne peut pas la créer.
00:14:46 C'est les lois de la physique. Il faut
00:14:48 qu'on la trouve quelque part. Donc, ça, c'est la phase de
00:14:50 l'extraction. Et de la même manière, on produit,
00:14:52 on s'échange des choses,
00:14:54 on les consomme, mais après,
00:14:56 ça va quelque part. L'énergie
00:14:58 ne peut ni être créée, mais elle ne peut pas non plus être
00:15:00 détruite. Donc, dès qu'on a transformé
00:15:02 de la matière et de l'énergie, ça va quelque part,
00:15:04 sous la forme de déchets et de pollution. Et donc, moi,
00:15:06 ces cinq grandes étapes
00:15:08 qui caractérisent le fonctionnement de toutes
00:15:10 les économies, qu'elles soient étatistes,
00:15:12 économies de marché, néolibérales,
00:15:14 capitalistes, socialistes, il n'y a pas de problème,
00:15:16 il y aura toujours extraction, production,
00:15:18 allocation, consommation,
00:15:20 élimination. C'est ça qui est
00:15:22 important. Et il y aura toujours un flux
00:15:24 biophysique, donc
00:15:26 d'énergie et de matière qui viendra
00:15:28 traverser cette économie, et un flux
00:15:30 aussi temporel. C'est-à-dire
00:15:32 que la journée de 24 heures, qui est la même
00:15:34 dans une économie capitaliste ou une économie
00:15:36 socialiste, va être utilisée de différentes
00:15:38 manières pour produire telle chose
00:15:40 ou telle autre chose. Et moi, c'est ça
00:15:42 qui m'intéresse en tant qu'économiste,
00:15:44 c'est de regarder une économie, comment est-ce
00:15:46 qu'elle utilise son temps, son
00:15:48 budget de temps, et comment est-ce qu'elle utilise
00:15:50 ses budgets écologiques pour faire quoi ? Et là,
00:15:52 t'as vu, on a défini l'économie, on n'a même pas parlé d'argent.
00:15:54 C'est magique, hein ? On n'a même pas parlé d'indicateur
00:15:56 financier, on n'a même pas parlé d'euro. Et c'est
00:15:58 ça la clé, parce qu'aujourd'hui, dans l'économie
00:16:00 néoclassique, celle qu'on entend souvent à la radio,
00:16:02 les économistes, en fait, ils sont...
00:16:04 ils ne voient pas plus loin que
00:16:06 le bout de leur tableau Excel,
00:16:08 et ils arrivent, ils vont nous dire inflation,
00:16:10 PIB, dette publique, machin, machin. On a oublié
00:16:12 en fait que l'économie, toutes ces choses-là,
00:16:14 c'était
00:16:16 un moyen pour une fin
00:16:18 qui est, elle, extérieure à l'économie
00:16:20 et des conditions, donc écologiques, qui sont
00:16:22 elles aussi extérieures à l'économie. C'est-à-dire la soutenabilité,
00:16:24 si tu n'arrives pas à avoir
00:16:26 la soutenabilité au niveau
00:16:28 de l'extraction et de l'élimination,
00:16:30 peu importe ce que tu produises, peu importe tes convictions
00:16:32 politiques, que tu sois un néolibéral extrême
00:16:34 ou un interventionniste d'État,
00:16:36 anarchiste, ce que tu veux, localiste,
00:16:38 ton économie, elle va s'effondrer
00:16:40 au bout d'un moment, c'est certain.
00:16:42 Donc là, ça permet de
00:16:44 hiérarchiser un petit peu les problèmes, de dire "Ok, d'accord,
00:16:46 quoi qu'on fasse, quoi qu'on
00:16:48 veule, une société avec énormément
00:16:50 d'inégalités, pas d'inégalités, tout ce que tu veux,
00:16:52 on travaille beaucoup, on travaille pas assez,
00:16:54 le métabolisme va devoir se plier
00:16:56 à la capacité de charge des écosystèmes.
00:16:58 Ça c'est certain, c'est
00:17:00 l'un des chantiers. Et ensuite, bien sûr,
00:17:02 en fonction des convictions, il y a plusieurs chantiers,
00:17:04 quel est le rôle de la production, comment on l'organise,
00:17:06 pareil pour l'allocation, est-ce qu'on veut des économies
00:17:08 avec plus d'échanges, plus de dons,
00:17:10 plus de réciprocité, pareil pour la consommation,
00:17:12 qui a accès à quoi, comment est-ce qu'on organise
00:17:14 les prix ? Dans le livre, bien sûr,
00:17:16 je discute, c'est la partie la plus
00:17:18 politique, mais il faut déjà diviser
00:17:20 ces deux grands défis, le défi
00:17:22 de l'impératif écologique et ensuite le défi
00:17:24 des désirs sociaux.
00:17:26 Ok, donc, si je comprends bien, de toute
00:17:28 façon, toute économie obéit
00:17:30 aux mêmes fondamentaux, les éléments,
00:17:32 les pièces du puzzle, où on peut
00:17:34 pas se substituer, et après
00:17:36 il y a comment on utilise
00:17:38 comment on va utiliser
00:17:40 l'économie pour faire quoi ?
00:17:42 C'est quoi le but final ?
00:17:44 Et du coup, là, tu dis, par exemple,
00:17:46 soit on repartage les biens, soit
00:17:48 on ne les repartage pas, voilà,
00:17:50 le but de l'allocation
00:17:52 va peut-être définir si on est dans un
00:17:54 système économique un tel ou
00:17:56 un autre tel, c'est ça ? C'est ça.
00:17:58 Et si on garde
00:18:00 ces cinq étapes en tête,
00:18:02 en fait, l'économie, vu que c'est une
00:18:04 construction sociale, il y a toujours
00:18:06 des comportements, dans le
00:18:08 réel, mais il y a toujours
00:18:10 des récits, des imaginaires
00:18:12 derrière ces comportements. Donc,
00:18:14 derrière l'extraction, quelque chose
00:18:16 de réel, je vais dans mon jardin,
00:18:18 je prends une fraise et je l'enlève,
00:18:20 ou je coupe un arbre, ou je sais pas quoi,
00:18:22 je pêche un poisson, il y a toujours un récit,
00:18:24 une relation avec la nature, qui peut être
00:18:26 différente. On peut voir la nature
00:18:28 comme une marchandise,
00:18:30 d'une manière très utilitariste et managériale,
00:18:32 on peut considérer que la nature est sacrée,
00:18:34 plein de visions de la nature. Derrière la production,
00:18:36 pareil, on peut avoir une
00:18:38 vision productiviste, ou de se dire
00:18:40 "ah bah tiens, le but, là,
00:18:42 c'est d'être de plus en plus productif, le but
00:18:44 c'est d'augmenter la production, le but c'est d'avoir
00:18:46 une production à but lucratif", ou on peut avoir
00:18:48 aussi, selon le modèle par exemple de
00:18:50 l'économie sociale et solidaire, une production à but
00:18:52 non lucratif, une production démocratique
00:18:54 organisée. Là, on voit que ça dépend.
00:18:56 Pareil pour l'allocation, on a
00:18:58 cette idéologie un petit
00:19:00 peu commercialiste, aujourd'hui.
00:19:02 C'est-à-dire qu'on se dit,
00:19:04 dès qu'on essaie d'organiser
00:19:06 le transfert de quelque chose,
00:19:08 on se dit toujours "qu'est-ce que je peux gagner ?
00:19:10 Quel est le surplus que je peux
00:19:12 avoir ?
00:19:14 La plus-value, ce qui est
00:19:16 une concentration sur les valeurs
00:19:18 d'échange. Par exemple, l'un des concepts que je déteste
00:19:20 le plus, l'investissement locatif.
00:19:22 Non mais, l'investissement
00:19:24 locatif. Alors aujourd'hui, il y a des entreprises, je vois la pub
00:19:26 là, dans Paris, qui se
00:19:28 concentrent là-dessus, parce que bien sûr,
00:19:30 un pays avait énormément d'inégalités de richesse,
00:19:32 et donc quand les riches ne savent plus quoi faire de leur
00:19:34 argent, l'investissement locatif, c'est pas
00:19:36 mal. En gros, t'achètes des appart' et des maisons, ensuite
00:19:38 tu les relous, et tu te fais une plus-value.
00:19:40 Et dans une société commercialiste,
00:19:42 en fait, on est incité
00:19:44 à avoir
00:19:46 cette rationalité économique qui nous fait voir
00:19:48 toute opportunité
00:19:50 comme une opportunité
00:19:52 de s'enrichir. Alors que dans une
00:19:54 société convivialiste,
00:19:56 peut-être, qui ne serait pas commercialiste, mais convivialiste,
00:19:58 on pourrait voir chaque opportunité
00:20:00 comme une manière, je ne sais pas, de
00:20:02 venir faire augmenter le bien-être
00:20:04 et la confiance. Et là, on voit que ce serait la différence.
00:20:06 Par exemple, la différence entre Airbnb
00:20:08 et Couchsurfing, qui représentent bien Airbnb,
00:20:10 c'est la rationalité économique
00:20:12 commercialiste. Pourquoi est-ce que je te prêterais mon appart'
00:20:14 alors que je peux le mettre sur Airbnb
00:20:16 et le louer 200 balles par soir ? Ça n'a aucun sens.
00:20:18 Là, d'un point de vue économique,
00:20:20 bien sûr.
00:20:22 Alors que c'est exactement la même activité.
00:20:24 Alors c'est la même activité. T'as un appart' vide
00:20:26 que je te prête pour satisfaire
00:20:28 un besoin insatisfait. Du point de vue commercialiste,
00:20:30 je ne vais pas te le prêter si tu ne me donnes pas d'argent.
00:20:32 Du point de vue convivialiste, je me dis
00:20:34 "Ah bah tiens, mais non, c'est un pote, je lui prête."
00:20:36 Je me dis, peut-être que c'est une logique de
00:20:38 réciprocité. Le jour où j'aurai besoin de quelque chose,
00:20:40 il m'aidera. Ou c'est une logique de don,
00:20:42 t'es dans une situation de vulnérabilité, t'as besoin, je peux
00:20:44 t'aider
00:20:46 sans forcément me mettre dans une situation de danger.
00:20:48 Donc, je le fais. Et là, on voit
00:20:50 que ces comportements, en fait, sont
00:20:52 informés par des récits. Pareil au niveau
00:20:54 de la consommation, on ne va pas tous les faire, mais le consumérisme,
00:20:56 le matérialisme, est une relation
00:20:58 que nous avons avant la possession et les objets.
00:21:00 Et pareil pour l'élimination, c'est extrêmement
00:21:02 intéressant. Le concept même de déchet
00:21:04 est politique. Ce qu'on
00:21:06 vient définir, en fait, le déchet, c'est quoi un déchet ?
00:21:08 C'est quelque chose qui n'a plus de valeur. Et la valeur,
00:21:10 qu'est-ce que c'est ? La valeur, c'est une construction
00:21:12 sociale. Et donc,
00:21:14 quelque chose qui peut être
00:21:16 considéré comme un déchet, à un moment donné,
00:21:18 par exemple, si aujourd'hui, selon
00:21:20 le rythme de la fast fashion,
00:21:22 j'achète, je ne sais pas quoi, un truc chez H&M,
00:21:24 un an après,
00:21:26 si on suit un petit peu
00:21:28 ce que me dit la publicité
00:21:30 et les placements produits dans les films,
00:21:32 ce pull, deux ans après, ne correspondra
00:21:34 plus à la mode et donc deviendra un déchet.
00:21:36 Il aura perdu sa valeur. Et donc, en gros,
00:21:38 je m'en débarrasserais. Alors que
00:21:40 si on avait une vision de ces produits beaucoup plus
00:21:42 durables, avec des institutions qui vont
00:21:44 avec, par exemple,
00:21:46 au niveau des quartiers,
00:21:48 des locales
00:21:50 où on peut s'échanger nos vêtements,
00:21:52 tu vois, un petit peu des cercles de partage d'objets
00:21:54 comme ça, en fait, on pourrait étendre
00:21:56 leur cycle de vie
00:21:58 et ce pull qui avant était considéré
00:22:00 comme un déchet serait considéré comme une
00:22:02 ressource avec une valeur. Et là,
00:22:04 en fait, on se rend compte, et c'est ça qui est fantastique,
00:22:06 de la plasticité des économies.
00:22:08 On l'oublie souvent. Parce qu'on a tendance à penser
00:22:10 l'économie, elle est prédéterminée
00:22:12 par une nature humaine, c'est
00:22:14 quelque chose d'émergeant, on doit s'y plier,
00:22:16 c'est la tour Jenga, il faut faire attention de ne pas la faire
00:22:18 tomber si on touche quelque chose. Ça, c'est la
00:22:20 vision un petit peu néolibérale de l'économie.
00:22:22 Moi, je préfère cette vision anthropologique
00:22:24 de dire l'économie est un jeu,
00:22:26 socialement construit, que tous les jours,
00:22:28 nous reconstruisons au niveau des imaginaires,
00:22:30 au niveau des comportements. Et donc,
00:22:32 quand je dis "nous", c'est pas "nous"
00:22:34 avec le même pouvoir, il y a
00:22:36 des relations de pouvoir dans l'économie.
00:22:38 Et donc, on en parlera après,
00:22:40 quand on parle de pouvoir d'achat, c'est quelque chose
00:22:42 de véritable, c'est pas seulement une expression,
00:22:44 c'est un véritable pouvoir. Et donc,
00:22:46 aujourd'hui, quand on parle de transition,
00:22:48 il faut se poser la question de comment est-ce qu'on va
00:22:50 déconstruire des parties de ce jeu économique,
00:22:52 comment est-ce qu'on va reconstruire et comment est-ce qu'on peut
00:22:54 réorganiser les relations de pouvoir
00:22:56 pour que ça devienne possible.
00:22:58 - Oui, je pense que cette histoire de récits,
00:23:00 ça me parle beaucoup et que c'est
00:23:02 peut-être la clé, parce qu'à un moment,
00:23:04 on a construit un récit
00:23:06 juste avant la Seconde Guerre mondiale,
00:23:08 les États-Unis
00:23:10 ne savent pas s'ils vont aller
00:23:12 en guerre ou pas. Ils demandent à
00:23:14 M. Kuznets "Tiens, tu nous ferais pas
00:23:16 un petit truc pour voir
00:23:18 est-ce qu'on a la capacité d'y aller ou pas ?"
00:23:20 Et je pense que c'est Roosevelt qui, juste après,
00:23:22 a utilisé le PIB pour dire
00:23:24 "C'est bon, on a de la marge, on produit des armes,
00:23:26 on va en guerre." Donc il y a eu
00:23:28 un récit qui s'est construit un peu
00:23:30 entre le crash et la Seconde Guerre
00:23:32 mondiale sur l'économie.
00:23:34 Enfin, un récit,
00:23:36 on a besoin de croissance, on a besoin du PIB
00:23:38 pour mesurer ce qui se passe dans une
00:23:40 économie. Alors que lui, il avait bien dit
00:23:42 "Il faut surtout pas." Kuznets.
00:23:44 Sauf Simon. Il l'avait prévenu.
00:23:46 Il retourne dans sa tombe. Il avait dit "Oh les gars,
00:23:48 attention, moi je vous ai fait un indicateur de
00:23:50 crise, un indicateur de guerre."
00:23:52 Ce qu'il faut imaginer, la Grande Dépression
00:23:54 aux Etats-Unis, t'as l'économie qui est en PLS,
00:23:56 t'as le gouvernement qui essaie de faire des trucs pour la
00:23:58 réanimer, et il veut un indicateur,
00:24:00 il demande à Simon Kuznets "Fais-nous un indicateur
00:24:02 qui nous dit, voilà, quand on touche un truc, est-ce
00:24:04 que, boum boum,
00:24:06 boum boum, ça vient réanimer
00:24:08 le rythme cardiaque de l'économie ?" Donc Simon Kuznets,
00:24:10 génie statisticien
00:24:12 qu'il était, il se dit "Ok, on va tout agréger,
00:24:14 on s'implique, on s'en fout." Parce que là,
00:24:16 vraiment, l'économie, elle est tellement à plat.
00:24:18 Elle est tellement à plat,
00:24:20 de toute façon... - Surtout qu'elle est pire, donc allez, on essaye,
00:24:22 quoi. - Donc on agrège tout, mais
00:24:24 il dit "Bien, c'est pas un indicateur de prospérité,
00:24:26 c'est pas un indicateur de bien-être, c'est pas un indicateur
00:24:28 qui est adapté en temps de paix." Parce qu'il
00:24:30 nous donne pas de direction. C'est un indicateur d'agitation
00:24:32 aveugle de l'économie.
00:24:34 Et au début, bon voilà,
00:24:36 même dans les années 30, les années 40,
00:24:38 l'indicateur existe, mais les politiciens
00:24:40 ne lui donnent pas beaucoup d'importance. Parce qu'on
00:24:42 comprend bien, c'est un indicateur purement financier,
00:24:44 abstrait, pas très intéressant.
00:24:46 Il reste concentré sur la stabilité financière,
00:24:48 le plein emploi, le solde du
00:24:50 commerce extérieur, vraiment,
00:24:52 et des indicateurs de production physique,
00:24:54 qui existaient avant l'invention de la macroéconomie
00:24:56 et de la comptabilité nationale dans les années
00:24:58 30. C'est qu'à partir des années 50
00:25:00 et 60, ça c'est les travaux de l'historien allemand
00:25:02 Matthias Schmelzer, qu'on a ce qu'il appelle
00:25:04 l'hégémonie de la croissance. C'est-à-dire que le
00:25:06 PIB devient cette espèce de nouveau totem.
00:25:08 Donc 1953,
00:25:10 le cadre comptable du PIB
00:25:12 devient universalisé à travers
00:25:14 les Nations Unies, et dans
00:25:16 les années 50 et 60, les gouvernements,
00:25:18 sous le lobby de certaines
00:25:20 organisations internationales,
00:25:22 s'habituent
00:25:24 en fait à prioriser
00:25:26 la maximisation du PIB
00:25:28 comme méta-indicateur
00:25:30 de civilisation. De se dire,
00:25:32 ah bah tiens, si on fait monter le
00:25:34 thermomètre, tout le reste te suivra.
00:25:36 Plein emploi, éradication
00:25:38 de la pauvreté, puissance géopolitique.
00:25:40 Il suffit juste de
00:25:42 regarder la jauge du PIB, il suffit
00:25:44 juste d'appuyer sur +++++++
00:25:46 un petit peu comme les énervés qui jouent à
00:25:48 Pac-Man. Tu fais ça
00:25:50 et t'attends que ça se passe.
00:25:52 Donc c'était une vision un petit peu simpliste.
00:25:54 Bon, on peut pas trop l'en vouloir,
00:25:56 c'était il y a presque 100 ans.
00:25:58 Mais après il y a eu quand même, enfin c'était,
00:26:00 si je me souviens bien, un corps de Bretton Woods,
00:26:02 il y a eu le FMI qui était un
00:26:04 des deux bras de
00:26:06 l'accord et puis l'autre qui était la Banque
00:26:08 mondiale. Et les deux venaient des Etats-Unis,
00:26:10 enfin les Etats-Unis avaient
00:26:12 la main mise sur
00:26:14 les accords et du coup c'est comme ça que le PIB
00:26:16 venant des Etats-Unis
00:26:18 a été diffusé sur le reste de l'économie mondiale.
00:26:20 Alors il faut jamais oublier que
00:26:22 quand on parle d'indicateur de comptabilité nationale, c'est
00:26:24 jamais quelque chose de complètement neutre.
00:26:26 Les indicateurs, en fait,
00:26:28 c'est notre logiciel de perception
00:26:30 du monde. Et donc,
00:26:32 si tu peux définir les indicateurs,
00:26:34 tu tiens un peu le bout quoi. Tu tiens le bout,
00:26:38 c'est-à-dire que tu dessines
00:26:40 le plateau de jeu d'une certaine manière.
00:26:42 Et donc,
00:26:44 bien sûr, à travers
00:26:46 l'émergence
00:26:48 de la comptabilité nationale, elle est
00:26:50 imbibée d'une certaine vision de l'économie
00:26:52 qu'on pourrait décrire comme
00:26:54 occidentaliste d'une certaine manière.
00:26:56 Et donc aujourd'hui, par exemple, quand on
00:26:58 parle d'objections de croissance
00:27:00 dans le contexte des pays du Sud
00:27:02 qui ont, eux, des aspirations
00:27:04 différentes, notamment
00:27:06 le Buen Vivir sud-américain,
00:27:08 l'Ubuntu africain, l'écosouarage
00:27:10 indien,
00:27:12 certaines philosophies maoïes
00:27:14 en Nouvelle-Zélande ou je ne sais quoi,
00:27:16 là on voit
00:27:18 que ces visions de l'économie,
00:27:20 en fait, elles ne collent pas vraiment
00:27:22 avec l'ontologie locale,
00:27:24 avec, tu te souviens, les relations à la nature,
00:27:26 avec la relation, les relations sociales
00:27:28 et le rôle de l'échange et des marchés,
00:27:30 parce que, bien sûr, ce n'est pas les États-Unis dans les
00:27:32 années 30, ce n'est pas l'Europe
00:27:34 de reconstruction après la guerre,
00:27:36 c'est des contextes différents. Donc là,
00:27:38 aujourd'hui, ça a donné lieu à ce concept de
00:27:40 plurivert, de se dire
00:27:42 le problème du PIB,
00:27:44 c'est qu'il a construit
00:27:46 une espèce de spectre linéaire du développement.
00:27:48 C'était un récit extrêmement simpliste
00:27:50 qui venait mettre sur
00:27:52 un axe
00:27:54 les pays sous-développés, petits PIB,
00:27:56 les pays en développement,
00:27:58 les pays avec le PIB qui augmente,
00:28:00 les pays développés, avec un gros PIB.
00:28:02 Ce qui est un petit peu débile.
00:28:04 C'est comme si tu venais,
00:28:06 je ne sais pas,
00:28:08 donner des prix Nobel en fonction de la masse musculaire
00:28:10 des personnes.
00:28:12 Ça serait un petit peu débile. Donc tu t'étiras au département
00:28:14 d'économie, tu mesurais les biceps
00:28:16 de tout le monde et tu dirais, ben voilà,
00:28:18 vous vous êtes sous-développés,
00:28:20 vous vous êtes en développement, là c'est bien, il y a de la croissance,
00:28:22 et vous, vous êtes développés,
00:28:24 on vous donne le prix Nobel, vous êtes ce qui
00:28:26 constitue en fait la modernité.
00:28:28 Alors que quand on sait
00:28:30 comment calculer le PIB, c'est un indicateur volumétrique,
00:28:32 quantitatif, aveugle,
00:28:34 donc c'est débile. C'est du
00:28:36 culturisme financier.
00:28:38 Ce qu'on devrait faire, c'est
00:28:40 plutôt admettre que vu que l'économie
00:28:42 elle est plastique, et ben qu'elle va
00:28:44 avoir des aspirations différentes. Même les représentations
00:28:46 de la nature ne vont pas être les mêmes
00:28:48 en Bolivie, en Nouvelle-Zélande,
00:28:50 en Finlande, ou
00:28:52 en Corse. Et
00:28:54 pareil, chaque économie va avoir
00:28:56 une histoire différente, et donc il faut accepter
00:28:58 cette espèce de pluralité.
00:29:00 Moi j'aime beaucoup aujourd'hui les pays,
00:29:02 comme la Nouvelle-Zélande, la Finlande, l'Islande, le Pays de
00:29:04 Galle, une partie du Canada,
00:29:06 qui viennent, et même le Nord-Pas-de-Calais
00:29:08 il y a quelques années, qui viennent définir leur propre
00:29:10 indicateur de richesse. Souvent ça
00:29:12 prend la forme de tableau de bord, avec plein d'indicateurs
00:29:14 différents pour faire des arbitrages et se dire
00:29:16 cette espèce de
00:29:18 simplisme d'un indicateur pour les
00:29:20 gouverner tous, ça c'est un
00:29:22 récit du monde d'avant.
00:29:24 Ce qui est drôle c'est que
00:29:26 non seulement
00:29:28 son créateur nous disait "attention, attention,
00:29:30 ça ne mesure pas la prospérité",
00:29:32 mais il disait aussi "attention, attention,
00:29:34 c'est juste une somme
00:29:36 géante, j'accumule tout,
00:29:38 mais uniquement ce qui a une valeur
00:29:40 marchande". Et c'est la même chose dans
00:29:42 la comptabilité des flux de matière, c'est uniquement ce qui
00:29:44 économiquement a un sens, malheureusement.
00:29:46 Donc il y a plein de trucs qu'on oublie.
00:29:48 Et dans le PIB, il y a plein de trucs qu'on oublie.
00:29:50 Par exemple, tu disais au début de l'extraction,
00:29:52 les services
00:29:54 écosystémiques, le soin,
00:29:56 ce qui était
00:29:58 de réciprocité que tu as dit,
00:30:00 c'est toutes les choses que ça n'a
00:30:02 aucune valeur dans les yeux
00:30:04 de ces économies-là
00:30:06 et du coup du PIB là.
00:30:08 - Oui. On a
00:30:10 le concept en fait
00:30:12 au centre du PIB, c'est celui de
00:30:14 la valeur ajoutée, c'est censé mesurer la valeur
00:30:16 ajoutée. Mais on ne fait pas
00:30:18 la différence entre
00:30:20 les valeurs qui sont véritablement ajoutées
00:30:22 et des valeurs qui sont simplement
00:30:24 appropriées. Donc si par exemple
00:30:26 aujourd'hui, je suis une multinationale
00:30:28 extrêmement puissante,
00:30:30 je vais, je ne sais pas, acheter un brevet
00:30:32 pour un médicament
00:30:34 dont
00:30:36 beaucoup de personnes ont besoin. Vu que j'ai le brevet,
00:30:38 j'ai un monopole, je vais me faire plaisir, je ne vais pas
00:30:40 te le vendre au coût de production, je ne suis pas là pour
00:30:42 le dépater. Donc je vais te le vendre
00:30:44 à 10, 12, 15 fois, au prix que je veux
00:30:46 en gros, puisque tu es obligé de l'acheter.
00:30:48 Bien sûr,
00:30:50 comparé à quelqu'un, une coopérative
00:30:52 de médicaments à but non lucratif qui
00:30:54 te l'aurait vendu à peu près autour des coûts de production,
00:30:56 je te le vends 12 fois plus cher.
00:30:58 Et donc, j'ai créé 12 fois plus
00:31:00 de valeur ajoutée, le médicament
00:31:02 elle-même. Donc là,
00:31:04 ce n'est pas de la valeur ajoutée.
00:31:06 Donc là aujourd'hui, il faut
00:31:08 en fait toujours pouvoir comparer un petit peu,
00:31:10 on parle de pouvoir d'achat, mais il faut parler aussi de pouvoir
00:31:12 de vente, c'est-à-dire prendre en compte les relations de pouvoir
00:31:14 et arriver
00:31:16 aussi à venir
00:31:18 préciser à quel
00:31:20 endroit dans la séquence de création de valeur
00:31:22 et cette production.
00:31:24 Le lapsus un peu trop...
00:31:26 C'est magique !
00:31:28 Parce que si le médicament
00:31:30 là, c'est un antidépresseur,
00:31:32 qu'on dit "ah bah là, cette entreprise,
00:31:34 elle crée énormément de valeur en faisant des antidépresseurs"
00:31:36 et tu te dis "mais attends, pourquoi est-ce qu'on crée des antidépresseurs ?"
00:31:38 Bah on crée des antidépresseurs parce que
00:31:40 les gens travaillent trop, peut-être ils font des burn-out,
00:31:42 parce qu'ils se retrouvent coincés dans des boulots qu'ils n'aiment pas
00:31:44 ou parce qu'ils n'ont pas le temps de passer du temps avec leur famille ou les
00:31:46 enfants, ou parce que tout le monde travaille tellement
00:31:48 qu'on n'a plus le temps de faire fonctionner
00:31:50 des associations en dehors
00:31:52 de l'économie qui permettent de maintenir la stabilité
00:31:54 sociale.
00:31:56 Et donc là, on se rend compte "mais attends,
00:31:58 en fait, à travers une logique de prévention,
00:32:00 si on travaillait moins, si on passait plus de temps
00:32:02 dans ces associations, on n'aurait
00:32:04 pas de burn-out, on n'aurait pas
00:32:06 ces phénomènes de dépression sociale
00:32:08 et donc on n'aurait pas besoin de produire des antidépresseurs.
00:32:10 Et donc c'est pas vraiment une valeur ajoutée,
00:32:12 c'est plus en fait, tu crées un problème
00:32:14 et ensuite tu crées la solution et tu t'envoies
00:32:16 des fleurs pour avoir créé la solution, alors que la
00:32:18 véritable innovation, ce serait de se dire "ah bah attends,
00:32:20 on va supprimer le problème
00:32:22 à la source". Et c'est ça, on y
00:32:24 arrivera, c'est ça l'approche de la décroissance,
00:32:26 c'est une approche par la prévention
00:32:28 qui va en fait regarder l'économie de manière
00:32:30 systémique et de se dire "ah bah tiens,
00:32:32 le problème,
00:32:34 il est peut-être pas...
00:32:36 le problème par exemple de l'obésité, c'est pas
00:32:38 d'entraîner énormément de médecins et de
00:32:40 construire énormément d'hôpitaux pour faire face à l'obésité,
00:32:42 c'est de se poser la question "d'où est-ce qu'elle vient
00:32:44 l'obésité ? Est-ce qu'elle vient de facteurs
00:32:46 sociaux comme la pauvreté ?
00:32:48 Est-ce qu'elle vient du
00:32:50 matraquage publicitaire et du fait qu'on
00:32:52 affiche des posters de frites
00:32:54 dans tous les trains ? Est-ce qu'elle vient
00:32:56 de ci et de là ? Est-ce qu'on peut avoir une approche
00:32:58 beaucoup plus globale pour
00:33:00 au lieu de résoudre le problème
00:33:02 point de vue ingénieur, Rubik's Cube,
00:33:04 je vais te trouver une solution façon géo-ingénierie...
00:33:06 Non ! Pour faire
00:33:08 disparaître le problème.
00:33:10 Ou pour le réduire au point
00:33:12 où ce n'est plus un problème. Ça c'est important
00:33:14 parce que quand on regarde, là je reviens au
00:33:16 métabolisme, une économie, elle utilise
00:33:18 toujours des ressources naturelles.
00:33:20 Donc le but c'est pas de se dire "il faut trouver un moyen de
00:33:22 pas utiliser de ressources naturelles".
00:33:24 La pollution c'est une histoire de taille.
00:33:26 Si tu vas pisser dans la mer tout seul,
00:33:28 tu vas pas faire effondrer l'océan.
00:33:30 Si tu déverses les excréments
00:33:32 en plein été de tout
00:33:34 le Pays Basque concentrés sur une plage,
00:33:36 là tu vas avoir un problème écologique.
00:33:38 Donc de temps en temps, on n'a pas besoin de trouver
00:33:40 une solution miracle, il faut juste réduire
00:33:42 l'ampleur du problème. Pareil pour le changement climatique.
00:33:44 Là aujourd'hui on n'a pas besoin d'essayer
00:33:46 d'inventer une solution géo-ingénierie
00:33:48 pour contrôler le climat. On a besoin
00:33:50 juste de réduire, de sortir
00:33:52 des énergies fossiles, réduire nos émissions
00:33:54 pour faire en sorte justement d'enlever cette
00:33:56 pression sur le climat et que nos émissions
00:33:58 cessent de devenir un problème.
00:34:00 Oui, ça évidemment, il y a des questions
00:34:02 de point de bascule, etc., quand on dépasse
00:34:04 un certain seuil. Et je pense que
00:34:06 là-dedans c'est assez essentiel,
00:34:08 on va revenir sur réduire la
00:34:10 voilure. Mais je pense que pour
00:34:12 terminer cette partie
00:34:14 introductive, disons, de notre discussion
00:34:16 sur l'économie, les
00:34:18 récits qu'on se donne, le PIB, je pense que
00:34:20 c'est bon, on a les ingrédients qu'il nous faut
00:34:22 pour passer à la deuxième étape qui
00:34:24 est, ok, on a identifié le problème,
00:34:26 disons que
00:34:28 le problème serait la manière
00:34:30 qu'on évalue
00:34:32 ou qu'on considère
00:34:34 que quelque chose est valorisant
00:34:36 pour la société, et aussi
00:34:38 comment on le mesure. Donc
00:34:40 la prochaine étape c'est comment
00:34:42 on se sort de ce problème-là.
00:34:44 Et a priori,
00:34:46 il y a aussi un lien entre
00:34:48 le PIB
00:34:50 et la croissance, et les deux enjeux
00:34:52 qu'on vient de mentionner. D'un côté,
00:34:54 les environnementaux, et de l'autre côté
00:34:56 les sociaux aussi. Parce qu'on
00:34:58 les a
00:35:00 plus ou moins esquissés, on a parlé
00:35:02 d'une question de volume, mais il y a aussi
00:35:04 des enjeux sociétaux,
00:35:06 on a parlé des burn-out, mais il y a aussi fondamentalement
00:35:08 des enjeux...
00:35:10 Comment la croissance
00:35:12 se lie fondamentalement à ces enjeux
00:35:14 qu'on a aujourd'hui ? Est-ce qu'il y a...
00:35:16 Est-ce que c'est mécanique ? Est-ce que
00:35:18 c'est idéologique ? Est-ce qu'il y a beaucoup plus
00:35:20 d'ingrédients qu'on doit garder
00:35:22 en tête pour dire "Tiens, du coup,
00:35:24 la solution systémique, c'est la
00:35:26 décroissance." Quels sont
00:35:28 peut-être les enjeux plus systémiques qu'on n'a pas
00:35:30 abordés ?
00:35:32 Alors...
00:35:34 Moi j'ai essayé de développer l'idée dans ce livre
00:35:36 que la poursuite effrénée
00:35:38 de la croissance
00:35:40 mène forcément à des phénomènes
00:35:42 d'exploitation.
00:35:44 D'exploitation en général, qui vont se
00:35:46 solder par des crises sociales
00:35:48 et écologiques. Mais le problème à la source,
00:35:50 c'est l'exploitation. L'exploitation, qu'est-ce que c'est ?
00:35:52 C'est une relation de pouvoir où
00:35:54 quelqu'un qui se retrouve
00:35:56 avec plus de pouvoir que quelqu'un d'autre
00:35:58 va utiliser la situation de vulnérabilité
00:36:00 de quelqu'un d'autre pour
00:36:02 améliorer sa position
00:36:04 de pouvoir. Et donc
00:36:06 aujourd'hui,
00:36:08 le capitalisme comme système
00:36:10 accumulatif, plus
00:36:12 il accumule de capital,
00:36:14 plus il va chercher justement à réinvestir
00:36:16 ce capital pour générer un surplus.
00:36:18 Et donc, il va essayer de trouver des techniques
00:36:20 de minimiser
00:36:22 les coûts. Donc là, exploitation
00:36:24 écologique, de faire des trucs un petit peu pas...
00:36:26 de créer des désirs
00:36:28 artificiels, de aussi
00:36:30 minimiser
00:36:32 les coûts du travail,
00:36:34 donc de venir un petit peu
00:36:36 dégrader les conditions de travail.
00:36:38 Donc là aussi, on voit de marchandiser
00:36:40 des choses qui avant n'étaient pas marchandisées.
00:36:42 Ça, c'est un concept que j'adore,
00:36:44 qui vient de l'historien
00:36:46 marxiste David Harvey,
00:36:48 de l'accumulation par la dépossession.
00:36:50 Ça, c'est un phénomène
00:36:52 fondamental que Marx décrivait déjà
00:36:54 dans "Le Capital",
00:36:56 de se dire que si tu es une entreprise
00:36:58 éducative et que tu as envie de faire de l'argent,
00:37:00 tu te dis "Ok, bon,
00:37:02 comment est-ce que je peux faire ça ?"
00:37:04 Une belle manière, en fait, c'est de prendre quelque chose
00:37:06 qui était gratuit,
00:37:08 de l'approprier, et ensuite de le
00:37:10 revendre.
00:37:12 De le priver déjà d'une personne.
00:37:14 C'est trop bien ! Donc là, par exemple,
00:37:16 imagine, on utilise tous Wikipédia tous les jours.
00:37:18 C'est gratuit.
00:37:20 C'est une gratuité qu'on appelle socialisée.
00:37:22 C'est-à-dire que les coûts de Wikipédia,
00:37:24 les gens qui y travaillent, le site,
00:37:26 sont financés politiquement.
00:37:28 Appel aux dons, financement public, on décide
00:37:30 en fait, Wikipédia fonctionne,
00:37:32 et ensuite on se partage les coûts,
00:37:34 différents modes de répartition.
00:37:36 Imaginons un milliardaire
00:37:38 avec la part du gain
00:37:40 qui se dit "Vous savez quoi ? Moi, je vais acheter Wikipédia
00:37:42 et je vais vous revendre l'accès au service."
00:37:44 Est-ce que ce milliardaire
00:37:48 viendrait vraiment créer de la valeur ajoutée ?
00:37:50 Pas du tout. En fait, c'est de la valeur
00:37:52 appropriée, c'est de l'accumulation par la dépossession.
00:37:54 Cette personne viendrait
00:37:56 déposséder l'électeur électrice
00:37:58 de Wikipédia de l'accès gratuit
00:38:00 à ce qu'on appelle un commun digital,
00:38:02 viendrait marchandiser cet accès,
00:38:04 et maintenant, il faudrait payer 2 euros
00:38:06 pour avoir accès à un article,
00:38:08 et donc on créerait de la valeur ajoutée. En termes de PIB,
00:38:10 ce serait ouf. Alors là,
00:38:12 explosion, croissance économique, mais
00:38:14 en termes de bien-être et de contentement,
00:38:16 ce serait un regret. On ferait marche arrière
00:38:18 parce que un accès à la connaissance
00:38:20 qui nous permettrait de nous contenter,
00:38:22 c'est un aspect fondamental de l'économie,
00:38:24 l'accès à la connaissance et à l'éducation,
00:38:26 d'un coup, ça devrait être beaucoup plus difficile d'y avoir accès.
00:38:28 Donc là, on voit tout de suite
00:38:30 que
00:38:32 de cette situation d'appauvrissement
00:38:34 d'une certaine manière
00:38:36 des usagers à travers la
00:38:38 privation de l'accès,
00:38:40 on a un enrichissement
00:38:42 des personnes qui investissent
00:38:44 donc d'une minorité possédante.
00:38:46 Là, c'est la théorie
00:38:48 marxiste dans sa
00:38:50 version la plus pure, mais il ne faut pas
00:38:52 oublier que quand on parle de croissance économique,
00:38:54 ce n'est pas juste la création de valeurs
00:38:56 comme ça, juste on invente des trucs qui sont utiles
00:38:58 pour tout le monde. Il y a énormément
00:39:00 de prédation. Et là,
00:39:02 l'exemple que j'ai fait pour Wikipédia, pour ceux qui pensent
00:39:04 "mais ça ne se passera jamais parce que Wikipédia..."
00:39:06 Ils ne connaissent pas le monde scientifique.
00:39:08 Ah, mais je...
00:39:10 Tu lis dans mes pensées.
00:39:12 Regardez ce qui se passe dans
00:39:14 l'appropriation privée des revues scientifiques.
00:39:16 Personne n'en parle.
00:39:18 C'est l'un des secteurs les plus
00:39:20 rentables de l'histoire du capitalisme.
00:39:22 C'est dingue.
00:39:24 Qu'est-ce qui s'est passé ? Il y a plusieurs décennies,
00:39:26 en fait, les journaux scientifiques
00:39:28 étaient organisés
00:39:30 par les bibliothèques des universités.
00:39:32 Parce qu'il n'y avait pas grand-chose à organiser.
00:39:34 Et donc, voilà, moi j'écrivais
00:39:36 un article, je l'écris
00:39:38 gratuitement, enfin je suis payé par l'université
00:39:40 pour le faire, donc c'est à l'air public.
00:39:42 Toi, tu me donnais des commentaires en tant que peer review,
00:39:44 pareil gratuitement, c'est une économie
00:39:46 de la réciprocité. Et ensuite c'était publié
00:39:48 et on y avait accès gratuitement. Tu pouvais le lire,
00:39:50 tout le monde pouvait le lire, le grand public pouvait le lire.
00:39:52 C'était un commun scientifique.
00:39:54 Arrivent des petits malins qui se sont dit
00:39:56 "Ah bah tiens, mais est-ce qu'on n'y aurait pas
00:39:58 un moyen de s'enrichir ?" Ils ont acheté tous les journaux scientifiques,
00:40:00 ils les ont privatisés, ils se sont
00:40:02 dit "Bah maintenant on te revend l'accès". 40
00:40:04 dollars par article.
00:40:06 Encore mieux... - Et ouais, voilà,
00:40:08 fini l'histoire. - Encore mieux,
00:40:10 on va vendre l'accès
00:40:12 donc aux
00:40:14 universités, c'est-à-dire maintenant pour pouvoir
00:40:16 avoir accès à ces articles, les gars
00:40:18 vous devez payer une
00:40:20 subscription annuelle de
00:40:22 X euros.
00:40:24 Et les universités sont obligées de le faire.
00:40:26 Mais ce qui est marrant, c'est que les universités,
00:40:28 elles payent deux fois pour ce service, elles payent une fois
00:40:30 pour payer les chercheurs qui vont produire
00:40:32 les articles, et ensuite elles payent deux fois juste
00:40:34 pour la rente de ces mecs qui ont
00:40:36 juste acheté des journaux, qui ne créent aucune valeur,
00:40:38 qui sont juste assis là,
00:40:40 parce que, en plus, les coûts
00:40:42 ont diminué quand c'est passé de physique
00:40:44 sur Internet, et eux n'ont aucun,
00:40:46 presque aucun coût salario, parce que c'est édité
00:40:48 par des volontaires, c'est relu par des
00:40:50 volontaires, c'est écrit par des volontaires.
00:40:52 Et le pire, et là je termine
00:40:54 avec ça, c'est que si tu regardes chaque année,
00:40:56 les prix augmentent. Plus les coûts baissent, plus les
00:40:58 prix augmentent, dont la rentabilité folle
00:41:00 de cette chose-là. Si d'un coup, on disait
00:41:02 "Bon les gars, The VIE, MDPI,
00:41:04 c'est fini là, la fête, vous êtes
00:41:06 où, on n'est pas dans vos monopolis là,
00:41:08 l'accès à la connaissance scientifique,
00:41:10 c'est primordial pour une démocratie qui fonctionne,
00:41:12 c'est primordial pour l'innovation.
00:41:14 Et donc, ça ne devrait pas être
00:41:16 privatisé, donc on dit
00:41:18 "On redonne la propriété de tous les journaux scientifiques
00:41:20 aux bibliothèques des universités qui ont
00:41:22 plus, qui ont complètement les compétences
00:41:24 de gérer ces communs digitaux,
00:41:26 on viendrait dégonfler les budgets
00:41:28 des universités,
00:41:30 et donc réduire
00:41:32 le budget nécessaire pour la recherche
00:41:34 et l'éducation, et on viendrait
00:41:36 démocratiser l'accès, parce que maintenant, même si toi tu ne fais pas
00:41:38 partie de l'université, tu dis "Ah bah j'aimerais bien lire cet article
00:41:40 sur le changement climatique d'une éliste du GIEC",
00:41:42 t'as pas besoin de payer 42 dollars, t'as pas besoin d'être inscrit
00:41:44 à l'université, tu peux juste avoir
00:41:46 accès à la connaissance. Donc on passe en mode
00:41:48 Wikipédia. On perd des points de PIB,
00:41:50 on gagne des points de contentement.
00:41:52 - Ah les escrocs, enfin...
00:41:54 Comment t'as dit ? Les voleurs ajoutés, c'est ça ?
00:41:56 - Voilà, les voleurs ajoutés.
00:41:58 - Ouais ça je l'ai à travers la gorge,
00:42:02 ça s'est toujours pas passé.
00:42:04 Donc je pense que là,
00:42:06 on peut
00:42:08 essayer... Bon,
00:42:10 c'est mon devoir de faire semblant de
00:42:12 poser la question, même si je connais,
00:42:14 tout le monde connaît la réponse.
00:42:16 Parlons d'économies vertes, ou de
00:42:18 croissance verte, ou de
00:42:20 solutions miracles qui pourraient
00:42:22 je ne sais pas comment
00:42:24 décorrélés
00:42:26 la consommation
00:42:28 et la production et
00:42:30 freiner, et d'un autre côté
00:42:32 la pression environnementale
00:42:34 et puis les acquis sociaux.
00:42:36 Voilà,
00:42:38 qui a inventé ça ? Enfin,
00:42:40 qu'est-ce qu'on dit de ça ? - Par où commencer ?
00:42:42 Alors, oui. Bon, historiquement,
00:42:44 au début des années 90,
00:42:46 t'as des économistes
00:42:48 qui commencent à faire des études
00:42:50 sur la relation
00:42:52 entre des dégradations
00:42:54 environnementales et
00:42:56 le PIB par habitant.
00:42:58 Et certains, quand ils regardent, vont trouver
00:43:00 des courbes en U inversé.
00:43:02 On cloche et ils se disent "Tiens, c'est marrant,
00:43:04 les pays pauvres, quand ils se développent,
00:43:06 ils utilisent plus de bois,
00:43:08 ils polluent plus d'eau, machin". Mais au bout d'un moment,
00:43:10 ils arrivent au sommet de la courbe
00:43:12 et ils descendent.
00:43:14 Et quand ils descendent, ça veut dire qu'ils continuent d'augmenter leur
00:43:16 PIB, mais ils diminuent
00:43:18 leur tirage sur les ressources naturelles.
00:43:20 Ils ont appelé ça la courbe environnementale de Kuznets,
00:43:22 qui est en fait l'ancêtre... - Double peine
00:43:24 pour Kuznets. - Oh là là, mais Simon,
00:43:26 franchement, il se retourne directement dans sa tombe,
00:43:28 c'est presque du...
00:43:30 Le pauvre. Désolé, Simon.
00:43:32 Il ne méritait pas ça.
00:43:34 Et donc, certaines personnes, ça, c'est l'ancêtre
00:43:36 de la croissance verte et du concept
00:43:38 de découplage, dont j'ai
00:43:40 beaucoup discuté dans mes recherches, de se dire
00:43:42 "Ah bah tiens, mécaniquement,
00:43:44 en se développant, les
00:43:46 économies se dématérialisent,
00:43:48 elles découplent le PIB, des pressions
00:43:50 sur l'environnement."
00:43:52 Aujourd'hui, il y a presque 900 études empiriques
00:43:54 sur ce sujet depuis le début des années 90.
00:43:56 J'ai passé plusieurs années
00:43:58 à les décortiquer. Autant dire
00:44:00 que ce n'était pas marrant.
00:44:02 - Ce n'est pas ton kiff, non ? - Ce n'est pas mon
00:44:04 kiff, mais c'était nécessaire parce que
00:44:06 ça fait plusieurs années
00:44:08 que des économistes,
00:44:10 des médias, des chroniqueurs, des journalistes,
00:44:12 beaucoup de non-experts,
00:44:14 défendent cette idée
00:44:16 un petit peu climatorassuriste, cette espèce de
00:44:18 grand greenwashing macroéconomique,
00:44:20 que les gars, pas besoin de parler de sobriété,
00:44:22 pas besoin de parler de décroissance, pas besoin de parler
00:44:24 d'inégalité, il n'y a pas de soucis. Les économistes
00:44:26 sont déjà en train de se verdir. On n'a plus
00:44:28 qu'à attendre. Et même, accélérons la croissance
00:44:30 parce que comme ça on crée des richesses, on investit
00:44:32 dans le progrès technologique et ça va encore
00:44:34 plus vite.
00:44:36 Cette théorie
00:44:38 n'a aucune fondation
00:44:40 empirique.
00:44:42 Déjà, on n'a aucune preuve empirique,
00:44:44 mais elle n'a même pas de fondation théorique
00:44:46 au niveau vraiment de comment ça fonctionnerait.
00:44:48 Donc,
00:44:50 moi, en 2019,
00:44:52 je publie "Decoupling Debunked",
00:44:54 le découplage des mystifiés, un rapport
00:44:56 basé sur le chapitre 2 de ma thèse,
00:44:58 où je n'ai créé un espèce de cadre
00:45:00 pour conceptuel, pour venir dire
00:45:02 bon, déjà, qu'est-ce que c'est dire le découplage ?
00:45:04 Et une analyse de la littérature
00:45:06 disponible pour voir qu'est-ce qu'on a réussi à verdir.
00:45:08 Réponse, pas grand-chose.
00:45:10 Rien à l'âge, je me suis rendu compte
00:45:12 que les gens jouent sur les mots.
00:45:14 Ils disent "Ah, on a découplé".
00:45:16 Ok, vous avez découplé quoi ?
00:45:18 Vous avez découplé un truc,
00:45:20 le carbone, et vous avez réussi à baisser
00:45:22 genre de rien. - De quelle année à quelle année ?
00:45:24 Quand il y a eu la crise financière ?
00:45:26 - Ça, c'est le must.
00:45:28 Là, on va publier une étude avec un collègue
00:45:30 dans les mois qui viennent, qui regarde le découplage
00:45:32 de 1990 à 2019.
00:45:34 En fait, tu te rends compte que 80%
00:45:36 des baisses
00:45:38 de gaz à effet de serre
00:45:40 dans les pays de l'Union Européenne
00:45:42 est expliquée par deux périodes
00:45:44 de récession.
00:45:46 Donc tu dis en fait, même les preuves
00:45:48 empiriques que les gens nous disent
00:45:50 "Regardez cette courbe, ça découple",
00:45:52 en fait, ça nous montre que, bah oui,
00:45:54 quand l'activité économique ralentit,
00:45:56 les pressions sur l'environnement
00:45:58 ralentissent. Donc c'est presque un argument pour la décroissance.
00:46:00 Certains citant encore,
00:46:02 là, il y a un mois,
00:46:04 Paul Krugman a publié un article dans New York Times.
00:46:06 J'ai vu,
00:46:08 t'avais ton truc au vitriol qui était prêt.
00:46:10 Qui est d'une absurdité. Moi, j'ai lu ça,
00:46:12 franchement, j'ai arrêté tout ce que je faisais cette journée,
00:46:14 je me suis mis sur mon ordinateur, j'ai écrit une réponse
00:46:16 directe et je l'ai publiée sur mon blog.
00:46:18 Sachant, nobelliste, c'est pas non plus
00:46:20 monsieur... Ouais, Paul Krugman, c'est pas
00:46:22 le voisin
00:46:24 du café d'à côté. C'est l'un
00:46:26 des économistes les plus influents
00:46:28 au monde, qui publie une tribune
00:46:30 sans aucune référence,
00:46:32 sans aucun chiffre, sans aucune
00:46:34 connaissance théorique de ces discussions,
00:46:36 vu que Paul Krugman n'a jamais publié
00:46:38 sur ce sujet, qui nous raconte
00:46:40 un argument
00:46:42 que je pense qu'il est dans le top 10
00:46:44 des arguments les plus fumeux que j'ai entendu de ma vie,
00:46:46 qui est de se dire que, ah bah regardez,
00:46:48 ne nous inquiétons pas, pas besoin de parler de décroissance,
00:46:50 il appelle ça une théorie
00:46:52 zombie fallacieuse,
00:46:54 parce que les émissions de la Grande-Bretagne
00:46:56 sont revenues au niveau qu'elles avaient
00:46:58 en 1850.
00:47:00 1850.
00:47:02 Donc quand tu vois ça, tu te dis, bon,
00:47:04 là, les économistes ont un sévère problème.
00:47:06 Moi, j'ai toujours pensé que les économistes
00:47:08 étaient un petit peu des sociologues
00:47:10 avec un handicap cognitif.
00:47:12 Mais là, je me rends compte que...
00:47:14 Un complexe d'infériorité des matheux, quoi, en fait. C'est quelque chose
00:47:16 comme ça. Ils doivent prouver qu'ils ont des...
00:47:18 C'est bizarre. On en parlera à un autre moment.
00:47:20 Moi, je suis pour la dissolution des sciences économiques.
00:47:22 Les sciences économiques, aujourd'hui, c'est un peu les Paralympiques
00:47:24 des sciences sociales. Donc, à un moment
00:47:26 donné, si on avait un système économique
00:47:28 qui était construit par
00:47:30 un groupe de psychologues,
00:47:32 de sociologues, de politologues et d'anthropologues,
00:47:34 ça marcherait vachement mieux que si on avait les bras
00:47:36 cassés des économistes. Je m'inclus dans le lot.
00:47:38 Bien sûr. Ça serait trop facile
00:47:40 sinon. Donc...
00:47:42 Cette histoire du découplage, là, aujourd'hui,
00:47:44 il faut aussi pointer que c'était
00:47:46 l'un des résultats du dernier rapport du GIEC.
00:47:48 Volet numéro 3 sur
00:47:50 l'atténuation des changements climatiques.
00:47:52 Synthèse
00:47:54 de la littérature existante.
00:47:56 Ce qu'il en ressort, même si
00:47:58 ce n'était pas la version diluée qu'on a lue
00:48:00 dans le rapport pour les décideurs, il faut lire ce qui est écrit
00:48:02 dans le GIEC. J'ai lu ce qui avait été écrit dans le GIEC.
00:48:04 J'ai lu l'intégralité de toutes les études citées
00:48:06 dans le GIEC et j'ai parlé aux auteurs des études
00:48:08 citées dans le GIEC et aux gens qui ont écrit cette chose-là.
00:48:10 Ce qu'il en ressort, en fait,
00:48:12 c'est pas ce que racontent les médias.
00:48:14 "Il n'y a pas de souci, on est en train de dématérialiser, la technologie va nous sauver."
00:48:16 C'est que toutes les études,
00:48:18 toutes les expériences historiques et toutes les projections
00:48:20 théoriques dans le futur
00:48:22 nous disent que
00:48:24 cette approche par l'éco-efficience
00:48:26 de la croissance verte
00:48:28 ne va pas suffire.
00:48:30 Qu'il va falloir faire quelque chose de plus,
00:48:32 spoiler alert,
00:48:34 c'est la décroissance d'une partie
00:48:36 de l'économie, qui on va le voir est complémentaire
00:48:38 avec l'approche par l'éco-efficacité,
00:48:40 d'ailleurs qui va permettre
00:48:42 d'accélérer ce découplage.
00:48:44 Même si tu voulais découpler ton
00:48:46 PIB et des pressions sur l'environnement, je te dirais
00:48:48 que ce sera beaucoup plus facile si tu as un PIB plus petit.
00:48:50 Donc là, on peut mettre d'une certaine manière
00:48:52 certains écomodernistes
00:48:54 d'accord avec les éco-socialistes de la décroissance
00:48:56 si on peut y arriver, sur
00:48:58 ce but en plusieurs étapes.
00:49:00 J'avais eu
00:49:02 aussi Dominique Widenhofer
00:49:04 sur le podcast qui était
00:49:06 un des co-auteurs aussi de la
00:49:08 méta-analyse, enfin c'est quoi,
00:49:10 la méta-revue de littérature
00:49:12 de ces 900 ou 1000
00:49:14 études également,
00:49:16 qui disait aussi très clairement
00:49:18 au fait, où certes
00:49:20 il y a un découplage relatif
00:49:22 pour certains pays, pour certaines périodes,
00:49:24 pour un matériau,
00:49:26 mais c'est pas rapide, c'est pas suffisamment
00:49:28 rapide, c'est pas suffisamment à l'amplitude
00:49:30 qu'il faut et c'est pas sur tous les matériaux.
00:49:32 Donc voilà, juste pour
00:49:34 si ça vous intéresse, c'est en anglais par
00:49:36 contre, n'hésitez pas de
00:49:38 regarder ça aussi. Ok, donc
00:49:40 voilà, on a débanqué
00:49:42 la croissance verte, il fallait que
00:49:44 je le fasse, voilà, c'était nécessaire.
00:49:46 Voilà.
00:49:48 Ok, bon, venons
00:49:50 au spoiler alert, la décroissance.
00:49:52 Aïe, aïe, aïe, enfin quoi !
00:49:54 Après 12 heures, nous arrivons
00:49:56 enfin à définir le
00:49:58 concept dans le titre du podcast. Ah pardon, j'ai plus de batterie,
00:50:00 d'ailleurs.
00:50:02 Alors,
00:50:04 on a parlé de
00:50:06 décroissance, on va parler de décroissance,
00:50:08 mais il y a aussi d'autres personnes qui parlent
00:50:10 de post-croissance.
00:50:12 C'est
00:50:14 des fois des personnes qui se rangent dans
00:50:16 un camp, d'autres dans l'autre, mais
00:50:18 au final, ça se trouve, c'est les mêmes personnes dans
00:50:20 les mêmes camps, mais pourquoi on utilise
00:50:22 ces deux mots différents ?
00:50:24 Alors d'abord, je vais en profiter pour
00:50:26 donner les définitions, parce que j'ai passé
00:50:28 énormément de temps
00:50:30 à me mettre, à essayer
00:50:32 de trouver les bons mots pour définir ces deux
00:50:34 concepts. T'inquiète, je sais les options, je connais
00:50:36 par cœur. C'est juste à la fin
00:50:38 de l'introduction. Et les reprises
00:50:40 vers la fin des chapitres.
00:50:42 C'est parfait, donc là, normalement, je mets un petit col
00:50:44 à rouler noir, je fais une lecture à la bougie
00:50:46 dans une petite librairie, pour essayer
00:50:48 de me donner le style d'un acteur.
00:50:50 Alors, la décroissance,
00:50:52 c'est une réduction de la production et de la
00:50:56 consommation pour alléger l'empreinte écologique
00:50:58 planifiée démocratiquement, dans
00:51:00 un esprit de justice sociale et dans le souci
00:51:02 du bien-être. Alors là, si on veut construire
00:51:04 sur un petit peu
00:51:06 la discussion qu'on a eue,
00:51:08 réduction de la production et de la consommation
00:51:10 pour alléger l'empreinte écologique, ça c'est l'impératif
00:51:12 biophysique.
00:51:14 Toute économie en dépassement écologique
00:51:16 sera obligée de le faire. Pourquoi ?
00:51:18 Parce qu'elle ne peut pas
00:51:20 verdir ses activités économiques
00:51:22 à leur taille actuelle,
00:51:24 que ce soit une économie néolibérale, de marché
00:51:26 socialiste, anarchiste, tribale, tout ce que tu veux,
00:51:28 spatial, blabla.
00:51:30 Et ensuite, on ajoute
00:51:32 trois valeurs, trois principes
00:51:34 qui correspondent plus à des convictions politiques,
00:51:36 c'est-à-dire à partir du moment où tu dois ralentir
00:51:38 ton économie, comment est-ce qu'on va le faire ?
00:51:40 Donc moi je rajoute planifier démocratiquement
00:51:42 dans un esprit de justice sociale
00:51:44 et dans le souci du bien-être. Parce que je me dis,
00:51:46 bon, quitte à faire ralentir une économie,
00:51:48 une espèce de régime macro-économique,
00:51:50 on n'est pas obligé de se scier la jambe.
00:51:52 Non, on peut avoir un régime harmonieux,
00:51:54 on peut intelligemment se dire
00:51:56 que ça va être une décroissance sélective,
00:51:58 proportionnelle, où on va prendre
00:52:00 en compte les vulnérabilités, les inégalités,
00:52:02 mais aussi où on va prendre en compte
00:52:04 le bien-être, donc une décroissance qui est conviviale,
00:52:06 où on se dit que le but c'est que ça soit un progrès
00:52:08 dans le sens où l'économie,
00:52:10 elle contente tout aussi bien
00:52:12 ou même mieux que cette espèce de capitalisme
00:52:14 un petit peu obsolète
00:52:16 qui est complètement obnubilée par les valeurs
00:52:18 d'échange. Donc ça c'est la décroissance
00:52:20 et quand je la définis comme telle, on comprend
00:52:22 c'est transitoire, c'est temporaire.
00:52:24 T'as une économie obèse, tu fais la décroissance,
00:52:26 tu l'organises comme tu veux, il y aura différents types
00:52:28 de décroissances en ordre de grandeur,
00:52:30 mais aussi selon différentes convictions politiques.
00:52:32 Et une fois que c'est fait, tu passes
00:52:34 à la post-croissance,
00:52:36 deuxième définition.
00:52:38 La post-croissance c'est une économie
00:52:40 stationnaire, en harmonie avec la nature,
00:52:42 où les décisions sont prises
00:52:44 ensemble et où les richesses sont équitablement
00:52:46 partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance.
00:52:48 Alors là, si vous avez l'esprit
00:52:50 analytique aguisé,
00:52:52 vous allez vous rendre compte que les deux définitions sont
00:52:54 symétriques.
00:52:56 Donc là c'est une économie stationnaire en harmonie avec la nature.
00:52:58 On garde l'impératif écologique.
00:53:00 Biophysique, très bien.
00:53:02 Donc là, quoi qu'il se passe, on ne pourra jamais retomber dans l'exponential.
00:53:04 On fluctue à l'intérieur
00:53:06 des limites planétaires.
00:53:08 Exactement, on fluctue. Et attention,
00:53:10 c'est là, c'est le moment qui va
00:53:12 régaler les écomodernistes. Attention.
00:53:14 On fluctue en fonction de quoi ?
00:53:16 Le progrès technologique.
00:53:18 Si on arrive à circulariser un truc,
00:53:20 c'est bien, ça veut dire qu'on peut
00:53:22 éviter d'extraire une ressource vierge.
00:53:24 Ça nous donne une croissance potentielle.
00:53:26 C'est-à-dire qu'on peut potentiellement produire un peu plus.
00:53:28 On n'est pas obligé de le faire, peut-être socialement on s'en fiche,
00:53:30 on n'a pas besoin, et donc on peut juste se permettre
00:53:32 de moins utiliser une ressource
00:53:34 et la sanctuariser. C'est trop cool.
00:53:36 On a une forêt, il y a des oiseaux qui chantent dedans.
00:53:38 On est content.
00:53:40 De la même manière,
00:53:42 si on a un effondrement écologique,
00:53:44 et bien là, pénurie d'eau,
00:53:46 je ne sais pas, un effondrement
00:53:48 des populations d'insectes, là on doit
00:53:50 s'adapter. On tire le frein d'urgence.
00:53:52 Donc là, tu vois, en mode stationnaire, ton économie
00:53:54 elle va venir fluctuer.
00:53:56 Et on se concentre sur l'aspect
00:53:58 parcimonieux de l'économie, c'est-à-dire, tiens, on va essayer
00:54:00 à travers l'innovation
00:54:02 et des solutions qui ne sont pas toutes techniques,
00:54:04 aussi sociales que techniques, d'essayer
00:54:06 d'être de plus en plus parcimonieux, c'est-à-dire
00:54:08 de produire, de contenter les besoins, tout en
00:54:10 réduisant le temps,
00:54:12 l'énergie et la matière.
00:54:14 Ensuite, on rajoute
00:54:16 les trois mêmes principes, démocratie,
00:54:18 justice, bien-être,
00:54:20 où les décisions sont prises ensemble.
00:54:22 C'est déterminant parce que
00:54:24 si tu veux baser ton économie sur le bien-être,
00:54:26 le bien-être, il n'est écrit nulle part.
00:54:28 Il faut créer des forums où les gens vont dire
00:54:30 "Tiens, moi, un frigo connecté, j'en ai pas besoin."
00:54:32 Ou la pub pour les frites, là, ça commence à bien faire,
00:54:34 dans le métro, où des gens peuvent
00:54:36 mettre des ordres de priorité. Par exemple, quand tu fais un budget
00:54:38 participatif à l'échelle de municipalité, les gens
00:54:40 peuvent dire "Ah bah tiens, si on a un budget limité,
00:54:42 budget en euros, budget en eau,
00:54:44 budget en carbone, faut penser en budget
00:54:46 multi-indicateur à partir de maintenant,
00:54:48 quand on fait de l'économie écologique, et bah je préfère
00:54:50 avoir une piste cyclable qu'une patinoire,
00:54:52 qu'une discothèque, je pense que
00:54:54 il vaut mieux construire
00:54:56 des logements sociaux que des parkings, on peut avoir
00:54:58 ces discussions démocratiques. On sait pas ce qu'il en sortira.
00:55:00 Mais au moins, on a un endroit
00:55:02 où on peut en discuter, où les
00:55:04 éditions sont prises ensemble, et où les richesses sont équitablement
00:55:06 partagées, ça, ça va avec, on l'a vu,
00:55:08 l'accumulation des richesses, en fait, est un
00:55:10 moteur de croissance, ce qui est
00:55:12 génial si tu veux accumuler
00:55:14 des points de PIB, ce qui est pas génial si tu veux
00:55:16 que ton économie, elle soit parcimonieuse,
00:55:18 et qu'elle arrive à contenter. Donc ça,
00:55:20 on garde,
00:55:22 on éradique à la fois la pauvreté,
00:55:24 mais on éradique aussi la possibilité
00:55:26 d'accumulation de richesses extrêmes.
00:55:28 Afin de pouvoir
00:55:30 prospérer sans croissance. Donc,
00:55:32 merci à Tim Jackson pour ce merveilleux concept
00:55:34 de son liste de 2019.
00:55:36 Euh...
00:55:38 - Je veux pas me vanter, Tim Jackson,
00:55:40 invité du podcast. - On va lui mettre un petit lien.
00:55:42 On va lui mettre un petit lien. - Et Herman Daly
00:55:44 de la... - Waouh, waouh, waouh.
00:55:46 - De l'économie stationnaire. - Économie stationnaire,
00:55:48 un concept d'Herman Daly, des années 70.
00:55:50 Donc, n'hésitez pas à lire Herman Daly,
00:55:52 c'est vraiment l'un des penseurs qui m'a fait
00:55:54 shifter pendant mes études
00:55:56 d'économie. Et donc, la prospérité sans
00:55:58 croissance, c'est un terme
00:56:00 de se dire, bon bah voilà,
00:56:02 on passe à un mode économie du bien-être
00:56:04 qui est centré sur la qualité
00:56:06 plutôt que la quantité.
00:56:08 Et ça, c'est extrêmement important, parce que
00:56:10 ça veut ouvrir des chantiers.
00:56:12 Moi, par exemple, je fais des recherches sur le financement des budgets publics.
00:56:14 Les retraites, là, on est en plein dedans.
00:56:16 De se dire, si on veut une économie qui soit
00:56:18 résiliente, et on sait qu'on a
00:56:20 un opératif biophysique, qui veut dire qu'on ne peut jamais avoir
00:56:22 une croissance exponentielle pendant longtemps.
00:56:24 Donc, si le financement de tes services
00:56:26 publics dépend
00:56:28 du truc que tu vas vendre dans ton marché,
00:56:30 et donc de la croissance monétaire,
00:56:32 bah t'es mal. T'es mal.
00:56:34 Donc là, aujourd'hui, en fait, on a une espèce de grand chantier
00:56:36 où il faut identifier
00:56:38 les dépendances à la croissance.
00:56:40 Par exemple, ton budget public, il est dépendant à la croissance
00:56:42 si tu le finances beaucoup avec des taxes sur la valeur
00:56:44 ajoutée. Parce que les taxes sur la valeur
00:56:46 ajoutée, c'est donc tu vends des trucs. - Ou en ayant des investissements dans les trucs fossiles.
00:56:48 - C'est ça. Donc là, il faut réorganiser
00:56:50 la façon dont on vient financer des choses
00:56:52 pour
00:56:54 créer une indépendance à la croissance.
00:56:56 De se dire, bah tiens, le jour où il n'y a plus
00:56:58 de croissance, d'ailleurs c'est le cas,
00:57:00 macroéconomique, quand on observe les
00:57:02 économies riches, on voit que les taux de croissance s'essoufflent.
00:57:04 Donc, même s'il n'y avait pas de crise écologique,
00:57:06 même si t'avais pas des
00:57:08 aspirations pour des utopies éco-socialistes,
00:57:10 t'auras intérêt, en étant un bon capitaliste
00:57:12 pragmatique, à te préparer
00:57:14 pour le désert de la post-croissance,
00:57:16 où ton PIB va rester stable face au Japon
00:57:18 pendant plusieurs décennies parce que
00:57:20 on y arrive. Et donc, même là, tu te dis
00:57:22 bah il faudra continuer à avoir
00:57:24 un système éducatif, de santé
00:57:26 qui fonctionne. Il faudra
00:57:28 continuer à avoir une capacité d'action
00:57:30 au niveau collectif, de se dire, bah tiens,
00:57:32 s'il y a un écosystème qui s'effondre, il faut qu'on puisse
00:57:34 rebondir, faire de la régénération,
00:57:36 de la reconstruction écologique.
00:57:38 Si on a d'un coup des nouveaux besoins qui apparaissent, il faut
00:57:40 qu'on arrive à se retourner, et pas se retrouver bloqué
00:57:42 par, ah bah désolé les gars, on n'a pas de... - On n'a plus de ressources.
00:57:44 - On n'a pas de billets de monopoli pour construire
00:57:46 des pistes cyclables parce qu'on a fait trop de parking.
00:57:48 Et puis on a organisé les JO
00:57:50 et donc désolé, on n'a plus de béton,
00:57:52 on n'a plus de biomasse et on n'a plus d'empreintes carbone.
00:57:54 Donc là, il faut pouvoir prévoir
00:57:56 et ça,
00:57:58 c'est l'un des aspects
00:58:00 de cette prospérité
00:58:02 sans croissance, où on l'aura bien compris,
00:58:04 la prospérité se définit
00:58:06 selon des indicateurs de richesse alternatifs.
00:58:08 Donc là, Big Up
00:58:10 à Jean Gadret,
00:58:12 Dominique Méda,
00:58:14 Florent-Jeannie Catrice,
00:58:16 et beaucoup d'autres. Moi, Jean Gadret
00:58:18 a écrit un bouquin à la fin des années 2000,
00:58:20 "Adieu à la croissance", je crois,
00:58:22 qui est fantastique,
00:58:24 où lui, il parle déjà de la société de la post-croissance.
00:58:26 Donc là, c'est intéressant parce que
00:58:28 la décroissance, c'est une transition,
00:58:30 on l'a vu, la post-croissance,
00:58:32 c'est un projet de société. Donc ça s'articule
00:58:34 bien ensemble et ça nous permet de diviser les discussions.
00:58:36 C'est-à-dire, bah voilà,
00:58:38 la discussion de l'emploi pendant la décroissance, ça va être
00:58:40 le partage des emplois existants,
00:58:42 les reconversions professionnelles,
00:58:44 la redirection écologique au sein des secteurs en déclin,
00:58:46 alors que sur le très long terme, c'est
00:58:48 une discussion très profonde,
00:58:50 comme le fait la philosophe Céline Marty, sur
00:58:52 la qualité du travail, le rôle, les représentations
00:58:54 du travail dans la société, et bien sûr,
00:58:56 comme l'a fait aussi Dominique Méda. Donc,
00:58:58 cette articulation
00:59:00 des deux concepts, elle constitue, je pense,
00:59:02 une façon d'enrichir
00:59:04 les débats, les accords et les désaccords sur le sujet.
00:59:06 Donc, on a
00:59:08 bien ces quatre piliers-ci.
00:59:10 Donc,
00:59:12 biophysique,
00:59:14 démocratique, planifié
00:59:16 démocratiquement, justice sociale
00:59:18 et bien-être, ou planifié
00:59:20 démocratiquement, peut-être que c'est deux piliers différents.
00:59:22 On peut peut-être
00:59:24 prendre deux, trois secondes sur
00:59:26 chacun, ou en tout cas
00:59:28 deux, trois mots.
00:59:30 Tu parles, par exemple, sur
00:59:32 le premier, qui est la réduction
00:59:34 de la consommation et de la production.
00:59:36 Et là, tu utilises
00:59:38 certains adjectifs. Tu parles de rétrécissement,
00:59:40 de ralentissement,
00:59:42 et tu parles aussi de
00:59:46 c'est intéressant de voir jusqu'où on réduit
00:59:48 et qu'est-ce qu'on réduit.
00:59:50 Et là-dedans,
00:59:52 j'ai beaucoup aimé quand tu as parlé
00:59:54 de la notion d'exnovation et pas seulement
00:59:56 d'innovation.
00:59:58 Est-ce que tu peux un peu
01:00:00 parler de cette réduction
01:00:02 et ralentissement, ces deux
01:00:04 concepts-ci,
01:00:06 et après comment l'exnovation, le démantèlement,
01:00:08 voire le sacrifice
01:00:10 rentrent dedans ?
01:00:12 C'est lié à une théorie de la croissance
01:00:14 que
01:00:16 j'utilise dans ma thèse.
01:00:18 En fait, la croissance
01:00:20 économique, vu que c'est une agitation,
01:00:22 elle peut
01:00:24 se matérialiser de
01:00:26 deux façons. Soit
01:00:28 tu as une accélération, tu produis
01:00:30 plus vite. Au lieu de boire un café par jour,
01:00:32 tu en bois deux. Et donc on produit plus de café,
01:00:34 on extrait plus de café, on rejette
01:00:36 plus de pollution de café,
01:00:38 je ne sais pas quoi. Mais on produit
01:00:40 la même chose. Mais tu as aussi
01:00:42 un élargissement
01:00:44 du domaine marchand, on l'a vu.
01:00:46 C'est l'accumulation par la dépossession.
01:00:48 Avant, c'était du Wikipédia, c'était
01:00:50 du card-surfing, c'était de l'entraide, c'était de la réciprocité,
01:00:52 c'était des mécanismes de dons.
01:00:54 Et d'un coup, on va dire "Ah bah tiens, ça, ça devient
01:00:56 une marchandise." Là, en fait,
01:00:58 les choses n'ont pas vraiment changé,
01:01:00 mais c'est plus,
01:01:02 l'économie est devenue plus grosse.
01:01:04 Donc aujourd'hui, si on fait le contraire, rétrécissement,
01:01:06 on vient démarchandiser certains secteurs,
01:01:08 et donc on ramène
01:01:10 la logique de la gratuité, de la réciprocité, du don
01:01:12 dans des secteurs qui s'étaient
01:01:14 vus marchandisés. On en a parlé, la santé,
01:01:16 le logement,
01:01:18 l'énergie, les télécommunications,
01:01:20 ça c'est la proposition des "Universal Basic
01:01:22 Services" en
01:01:24 Grande-Bretagne. - Putain, Delsevière, là.
01:01:26 Pardon.
01:01:28 - Voilà, vous le rajoutez.
01:01:30 Donc on fait ça, mais d'un autre côté aussi,
01:01:32 on vient décélérer,
01:01:34 c'est-à-dire que même si l'intégralité
01:01:36 de ton logement, c'est du logement social,
01:01:38 ça sert à rien de construire 2%
01:01:40 de plus chaque année.
01:01:42 Selon une logique du suffisant,
01:01:44 on vient se dire
01:01:46 "De quoi avons-nous vraiment besoin ?" C'est ça.
01:01:48 Et "De quoi avons-nous vraiment besoin ?" ça, c'est
01:01:50 informé par tes budgets biophysiques.
01:01:52 Donc là, j'aimerais
01:01:54 qu'on voyage. Imagine,
01:01:56 t'es Thomas Pesquet.
01:01:58 T'es sur la Station Spatiale
01:02:00 Internationale. Imagine, c'est ça ton
01:02:02 économie. T'as que ça.
01:02:04 Tu te dis aujourd'hui "Voilà, j'ai envie de produire
01:02:06 des trucs." Bah en fait,
01:02:08 Thomas Pesquet, s'il veut fabriquer des trucs
01:02:10 sur la Station Spatiale Internationale, il peut
01:02:12 que utiliser des trucs qu'il y a sur la Station Spatiale Internationale.
01:02:14 Et une fois qu'il a
01:02:16 utilisé un truc, il se retrouve coincé
01:02:18 avec cette chose-là, à l'intérieur de sa station.
01:02:20 Et donc là, on voit
01:02:22 que pour que ça puisse fonctionner
01:02:24 sur le long terme, il faut que t'aies une certaine circularité.
01:02:26 Maintenant,
01:02:28 donc, quoi qu'il
01:02:30 veuille faire, ça va être limité par
01:02:32 les budgets de matériaux, d'énergie
01:02:34 qu'il a, le temps de sa journée, tout ça, tout ça.
01:02:36 Et bah en fait, la Terre,
01:02:38 c'est un peu pareil. C'est une Station Spatiale
01:02:40 Internationale. Là, j'ai complètement pompé
01:02:42 l'analogie de Kenneth Golding
01:02:44 qui parlait, lui,
01:02:46 de l'économie des astronautes
01:02:48 à la fin des années 60.
01:02:50 Il disait "Il y a l'économie linéaire des cow-boys
01:02:52 où ils arrivent, ils défoncent tout un écosystème
01:02:54 ensuite, dès que c'est terminé, ils montent sur les chevaux
01:02:56 et hop, on passe à la colline d'à côté. Et l'économie
01:02:58 des astronautes, où on pense de manière circulaire
01:03:00 parce qu'on va rester là sur le très long terme,
01:03:02 on n'a qu'une seule planète, c'est notre vaisseau
01:03:04 anthropologique et donc
01:03:06 on y prend soin. Et donc là, cette
01:03:08 question de
01:03:10 de quoi avons-nous besoin, quoi
01:03:12 produire, comment produire, elle doit
01:03:14 toujours se faire sous contrainte écologique.
01:03:16 On va devoir s'habituer à faire cela.
01:03:18 Vous n'étiez pas surpris. Les
01:03:20 ingénieurs, ils ont l'habitude. Les architectes,
01:03:22 la plupart des gens,
01:03:24 des personnes
01:03:26 qui sont habitués à faire pousser de la nourriture
01:03:28 ou même les tâches ménagères
01:03:30 qu'on fait tous les jours, on a l'impression,
01:03:32 on a toujours l'habitude de gérer des budgets
01:03:34 temporels. Qu'est-ce que je fais aujourd'hui ?
01:03:36 Tu ne peux pas faire croître le nombre d'activités
01:03:38 que tu vas faire de journée en journée. À un moment,
01:03:40 tu auras 1000 activités par jour et ça
01:03:42 sera absolument intenable. Tu dois faire des arbitrages.
01:03:44 Là,
01:03:46 c'est pareil. On doit faire des arbitrages.
01:03:48 Et c'est ça qui est intéressant.
01:03:50 C'est que, en fait, microéconomiquement,
01:03:52 c'est facile à comprendre,
01:03:54 c'est moins complexe.
01:03:56 Mais certains économistes,
01:03:58 avec des théories un petit peu fumeuses,
01:04:00 ont créé l'illusion que macroéconomiquement,
01:04:02 magiquement, ces contraintes
01:04:04 disparaissaient. Ce n'est pas vrai.
01:04:06 Ces contraintes ne disparaissent jamais.
01:04:08 Et du coup,
01:04:10 dans cette idée de réduction
01:04:12 et de rénovation, il y a des pans
01:04:14 entiers de la société d'aujourd'hui qu'on va devoir
01:04:16 petit à petit extraire,
01:04:18 réduire,
01:04:20 enlever, remplacer.
01:04:22 Tu as une haine profonde,
01:04:24 je pense, pour la publicité.
01:04:26 Surtout la publicité des vols
01:04:28 et puis, encore une fois,
01:04:30 les vols, mais cette fois-ci des vols
01:04:32 d'avion.
01:04:34 Tu as une série
01:04:36 d'éléments et tu mets toujours en avant la ville
01:04:38 de Grenoble qui a réduit, voire banni
01:04:40 certains pans de la publicité.
01:04:42 Donc il y a ces pans qu'on doit
01:04:44 juste, qui ne correspondent plus
01:04:46 avec l'économie stationnaire de demain.
01:04:48 Oui. Alors,
01:04:50 innovation, exnovation.
01:04:52 Souvent, quand on parle de transition écologique,
01:04:54 on se dit qu'il faut ajouter des trucs. On a besoin
01:04:56 de pistes cyclables, de vélos, de mobilité
01:04:58 active, d'alternatives à la viande,
01:05:00 on a besoin d'énergie renouvelable.
01:05:02 En plus.
01:05:04 Mais ça, ça ne fait pas faire transition. Pour l'instant, ça fait
01:05:06 ce qu'on appelle une addition écologique.
01:05:08 Un empilement.
01:05:10 Alors que pour que ça fonctionne,
01:05:12 aujourd'hui, on s'en rend compte, c'est le message du
01:05:14 GIEC. La transition écologique,
01:05:16 la transition énergétique, ce n'est pas une question
01:05:18 d'investir dans les énergies renouvelables,
01:05:20 non, c'est une question de désinvestir dans les énergies fossiles.
01:05:22 Il faut sortir des énergies fossiles.
01:05:24 Il faut fermer des centrales. En ordre de priorité
01:05:26 d'ailleurs, c'est ça d'abord, et après,
01:05:28 les renouvelables. Je veux dire, si on n'enlève pas
01:05:30 les fossiles,
01:05:32 ça ne sert à rien. C'est ça.
01:05:34 Et donc là, pendant
01:05:36 une phase de décroissance,
01:05:38 on va faire des arbitrages. Donc, on se décide,
01:05:40 bon, ben là, on est à
01:05:42 trois fois notre budget carbone à l'échelle de la France,
01:05:44 donc il va falloir faire des choix.
01:05:46 Qu'est-ce qu'on préfère ? On va vouloir sortir de ça.
01:05:48 Donc ça, phénomène d'exnovation,
01:05:50 de démantèlement, de fermeture,
01:05:52 de ralentissement, de rationnement,
01:05:54 de contraction. Et qu'est-ce qu'on
01:05:56 veut faire ? Maintenir.
01:05:58 Donc ça, des stabilisations, ça marche bien,
01:06:00 on le garde. Et d'autre chose, qu'est-ce qu'on veut faire ? Grandir.
01:06:02 Il y a des nouveaux
01:06:04 besoins qui vont apparaître. Les énergies renouvelables
01:06:06 en font partie. Mais
01:06:08 toute cette grande équation
01:06:10 va devoir se solder, à la fin, par
01:06:12 une économie dont le métabolisme est plus petit qu'aujourd'hui.
01:06:14 Parce que sinon, t'as juste changé des trucs,
01:06:16 t'as fait ton régime, t'as enlevé 20 kilos
01:06:18 de ta jambe gauche et tu l'as mis sur ta jambe droite.
01:06:20 Ça n'a pas marché. Donc c'est pour ça
01:06:22 qu'on peut se permettre de parler de décroissance, c'est qu'à la fin
01:06:24 de la transition, même si qualitativement
01:06:26 on aura changé énormément de trucs, on aura
01:06:28 décarboné le mix énergétique,
01:06:30 on aura changé la forme des entreprises,
01:06:32 on aura peut-être changé
01:06:34 tout. À la fin, si tu regardes
01:06:36 avec la vue d'oiseau de l'économiste
01:06:38 écologique le métabolisme, je veux voir
01:06:40 moins de ressources naturelles qui passent
01:06:42 à travers l'économie et donc
01:06:44 moins d'extraction du côté de la bouche,
01:06:46 moins d'élimination
01:06:48 de l'autre côté.
01:06:50 Du tuyau.
01:06:52 Tu as aussi parlé,
01:06:56 je pense qu'un côté très
01:06:58 poétique que tu as défini la décroissance, c'était
01:07:00 quand tu as dit "la décroissance
01:07:02 est la manifestation d'une myriade d'actions
01:07:04 de frugalité et de sobriété
01:07:06 pour
01:07:08 les entreprises,
01:07:10 les consommateurs, les pouvoirs publics, les associations.
01:07:12 Et je trouve ça
01:07:14 très
01:07:16 beaucoup plus
01:07:18 pas buvable, mais en tout cas accueillant
01:07:20 de se dire qu'il y a juste de la
01:07:22 frugalité et de la sobriété
01:07:24 par tout le monde et sur plein
01:07:26 de domaines différents. Et on a vu
01:07:28 la sobriété
01:07:30 a été mise en avant par le GIEC,
01:07:32 par le
01:07:34 résumé aussi qui vient d'apparaître.
01:07:36 Donc quand tu parlais de
01:07:38 ces deux aspects-là,
01:07:40 la frugalité et la sobriété, tu pensais à quoi ?
01:07:42 Moi
01:07:44 j'aimerais bien
01:07:46 utiliser une petite machine à revenir dans le temps
01:07:48 et quand le rapport du GIEC...
01:07:50 On voyait beaucoup avec ça. Oui.
01:07:52 Nous parle de "sufficiency", c'est ça le terme dans le rapport du GIEC.
01:07:54 Au lieu de le traduire
01:07:56 par sobriété, je préférais qu'on parle de
01:07:58 suffisance. Parce que
01:08:00 la suffisance, le suffisant
01:08:02 on comprend c'est juste assez
01:08:04 pour satisfaire un besoin. Il y a
01:08:06 une idée de satisfaction, de
01:08:08 satiété. C'est vraiment d'aller de 0
01:08:10 à 100%. C'est vraiment un objectif
01:08:12 qui est délimité, une limite
01:08:14 qui est finie.
01:08:16 Alors que sobriété c'est un petit peu plus
01:08:18 fourre-tout quoi. Oui.
01:08:20 Donc
01:08:22 là aujourd'hui il faut
01:08:24 non seulement remettre
01:08:26 le cadre de la sobriété
01:08:28 dans un contexte d'auto-limitation
01:08:30 et il faut aussi comprendre que
01:08:32 ça sert à rien par exemple d'avoir des panneaux
01:08:34 publicitaires sobres. Non, il faut arrêter d'avoir
01:08:36 des panneaux publicitaires tout courts.
01:08:38 Donc là moi j'aime bien faire la division
01:08:40 entre la frugalité, donc des choses dont on va
01:08:42 se passer, la publicité,
01:08:44 les frigos connectés,
01:08:46 les voitures surdimensionnées,
01:08:48 les vols nationaux.
01:08:50 Les vols nationaux, il faut tous les fermer.
01:08:52 C'est simple. Il faut pas
01:08:54 qu'ils soient sobres, il faut pas qu'il y ait des agrocarburants,
01:08:56 qu'il y ait des avions à hydrogène. Il faut
01:08:58 que les lignes nationales
01:09:00 ferment. Simple.
01:09:02 Basta quoi. Basta. Et là il faut pas
01:09:04 se dire "oui mais on a pas les trains".
01:09:06 Non, il faut repenser de notre mobilité
01:09:08 pour déjà éviter une grande partie
01:09:10 de ces déplacements. Ça c'est la
01:09:12 première part, évitement. Ensuite substitution,
01:09:14 bien sûr une partie va se faire en train.
01:09:16 Et ensuite amélioration, bien sûr il faut
01:09:18 faire en sorte que les trains soient
01:09:20 le plus soutenables possible et
01:09:22 qu'à la fin en fait on puisse
01:09:24 justement préserver notre empreinte carbone
01:09:26 pour les vols qui sont indispensables.
01:09:28 Donc quand il y a une guerre
01:09:30 quelque part et qu'il y a des médecins sans frontières
01:09:32 qui doivent s'y rentrer ultra
01:09:34 rapidement, et bah oui on va pas les mettre dans un
01:09:36 fixbus. Je préfère que
01:09:38 là on ait justement
01:09:40 un budget carbone disponible
01:09:42 pour ce genre d'activité intense
01:09:44 en bien-être, plutôt qu'on dilapide
01:09:46 notre emploi de carbone pour faire des week-end shopping
01:09:48 à Milan ou pour faire, et je cite,
01:09:50 une pub absolument
01:09:52 inadmissible des E-jets,
01:09:54 un voyage Paris-Nice matin,
01:09:56 midi et soir.
01:09:58 Alors, voilà rejouter, très bien.
01:10:04 Il y a l'autre pilier je pense qui est quand même
01:10:08 super important, qui est celui du
01:10:10 côté démocratique, parce que même
01:10:12 si on planifie, si c'est pas démocratique,
01:10:14 on va se retrouver en tenaille
01:10:16 vers une dystopie.
01:10:18 Et je pense
01:10:20 que c'est l'argument que beaucoup de personnes
01:10:22 utilisent pour dire "voilà pourquoi
01:10:24 la décroissance à Miche,
01:10:26 tout ça, que c'est vraiment
01:10:28 une imposition, l'ecmerver, etc.
01:10:30 Donc là, il faut choisir
01:10:34 démocratiquement ce qu'on ferme, il faut
01:10:36 choisir démocratiquement ce qu'on maintient,
01:10:38 ce qu'on met en avant,
01:10:40 mais aussi,
01:10:42 le plus important je trouve,
01:10:44 c'est redéfinir ensemble
01:10:46 les besoins essentiels.
01:10:48 Il y a la matrice des besoins
01:10:50 de Max Neff, mais il y en a plein d'autres,
01:10:52 et je trouve
01:10:54 un point très difficile de dire
01:10:56 "ok, qu'est-ce qui est essentiel, qu'est-ce qui ne l'est pas ?
01:10:58 Et comment,
01:11:00 démocratiquement, on peut agir là-dedans ?
01:11:02 Et surtout,
01:11:04 aujourd'hui on se trouve,
01:11:06 on le voit avec les grèves qui existent aujourd'hui,
01:11:08 dans une crise de la démocratie.
01:11:10 Donc,
01:11:12 comment on agence
01:11:14 des enjeux aussi importants,
01:11:16 à un moment où la démocratie
01:11:18 ne fonctionne pas si bien ?
01:11:20 On va avoir besoin de muscler
01:11:22 notre démocratie, et aussi
01:11:24 de ne pas faire l'amalgame, de se dire
01:11:26 "ah bah tiens, la démocratie est un protocole
01:11:28 gouvernemental". Non, pas du tout.
01:11:30 Si vous avez par exemple une AMAP,
01:11:32 ou une coopérative locale,
01:11:34 ou un jardin partagé,
01:11:36 ou un commun digital,
01:11:38 vous avez un forum où on peut se rencontrer
01:11:40 et se dire "bah tiens,
01:11:42 c'est quoi le prix de la carotte cette année ?"
01:11:44 Le paysan va nous dire "bah voilà,
01:11:46 j'ai payé ça pour le toutou, j'ai pris ces heures de travail".
01:11:48 Les gens vont dire "bah tiens, nous on organise ça,
01:11:50 il y a le transport, machin, et on va ensemble se mettre d'accord sur un prix".
01:11:52 Ça c'est une forme de planification.
01:11:54 Locale, territorialisée.
01:11:56 C'est de l'auto-gestion.
01:11:58 De la même manière, à l'échelle des coopératives,
01:12:00 quand on décide comment produire et quoi produire,
01:12:02 si on a
01:12:04 un
01:12:06 board,
01:12:08 un conseil multipartiprenant,
01:12:10 où les ingénieurs vont pouvoir s'exprimer
01:12:12 sur l'option de laissance programmée,
01:12:14 non, c'est mort.
01:12:16 Ou les usagers vont dire "bah non, les gars, nous on a pas besoin de fric connecté,
01:12:18 on a pas besoin de voiture surdimensionnée,
01:12:20 la majorité d'entre nous préférerait avoir des micro-voitures
01:12:22 et des vélos électriques abordables".
01:12:24 Au lieu d'aujourd'hui avoir
01:12:26 une planification plutocratique où c'est juste
01:12:28 une poignée d'actionnaires qui vont dire "bah nous,
01:12:30 vu que les marches sur les 4x4 sont plus importantes
01:12:32 que les marches sur les micro-voitures électriques,
01:12:34 autant vous dire qu'on va produire les 4x4".
01:12:36 Donc là, on voit que ces procédés démocratiques,
01:12:38 pour l'instant on n'a même pas parlé du gouvernement.
01:12:40 Et on n'a même pas parlé d'une
01:12:42 imposition par le gouvernement de ces règles-là,
01:12:44 parce qu'aujourd'hui, on voit dans
01:12:46 des parties de l'économie sociale et solidaire
01:12:48 des entreprises qui se coopérativisent
01:12:50 de cette manière, on voit des initiatives
01:12:52 locales, les plus de 80
01:12:54 monnaies locales qu'on a en France qui s'organisent,
01:12:56 des communs monétaires.
01:12:58 Donc ces initiatives, bien sûr,
01:13:00 il faut faire en sorte qu'elles puissent
01:13:02 s'émerger et qu'elles puissent survivre,
01:13:04 donc il faut leur créer un cadre législatif
01:13:06 qui les protège, et il faut faire en sorte parfois
01:13:08 de leur donner un petit coup de pouce, c'est là où ça peut être le rôle du gouvernement.
01:13:11 Si on arrive à créer en fait ce terreau
01:13:13 de démocratie participative,
01:13:15 qui en fait, moi en tant
01:13:17 qu'économiste, là c'est pas un truc genre
01:13:19 "ça me fait kiffer la démocratie, j'adore
01:13:21 aller discuter du prix des carottes avec mes voisins".
01:13:23 Non, mais je me dis,
01:13:25 en tant qu'économiste, où j'ai envie que mon
01:13:27 économie, elle soit réflexive,
01:13:29 c'est-à-dire qu'elle puisse s'adapter au changement
01:13:31 des bien-être, parce que les besoins,
01:13:33 ils sont toujours contextuels, ils sont relatifs, on est tous
01:13:35 uniques, on change, on évolue.
01:13:37 Et donc, il faut
01:13:39 de temps en temps toujours se dire "bah tiens, ça on en a
01:13:41 plus besoin, ça on en a
01:13:43 de nouveaux besoins, ça j'en ai marre de le produire
01:13:45 comme ça, je veux le faire autrement, ça en fait on s'est rendu
01:13:47 compte qu'écologiquement c'est plus possible, donc on va trouver
01:13:49 une autre solution". L'innovation,
01:13:51 qui est notre capacité à résoudre des
01:13:53 problèmes, dépend en fait
01:13:55 de cet échange d'informations et de ces
01:13:57 procédés de coopération. Donc si on arrive à avoir
01:13:59 ce terreau de démocratie participative,
01:14:01 là tout de suite on peut avoir une véritable démocratie
01:14:03 représentative, parce que dans les biorégions,
01:14:05 dans les municipalités, on peut faire ressortir des
01:14:07 besoins, et ensuite on coopère à l'échelle des
01:14:09 territoires et à l'échelle de l'État-nation
01:14:11 pour justement, dans le but que devrait
01:14:13 être l'économie, de contenter
01:14:15 avec des véritables inventaires
01:14:17 de besoins, et ça je te donne juste
01:14:19 un exemple. En Suède,
01:14:21 mes collègues ont fait plusieurs études sur ce
01:14:23 qu'on appelle des forums d'identification des besoins.
01:14:25 Donc, tu vas dans une
01:14:27 municipalité, tu choisis un
01:14:29 panel représentatif, genre "convention citoyenne
01:14:31 pour le climat", mais à l'échelle d'une ville,
01:14:33 et là tu leur dis "de quoi avez-vous besoin
01:14:35 pour vivre une vie décente ?"
01:14:37 Donc tu peux utiliser des cadres comme celui
01:14:39 de McNeese, et les gens vous disent "moi j'ai besoin
01:14:41 d'avoir une crèche pour mes enfants, avec telle caractéristique,
01:14:43 j'ai besoin d'avoir de la nourriture,
01:14:45 j'aime bien cette nourriture-là, j'ai besoin
01:14:47 des médicaments, de ma ventoline, de tout ce qu'on a."
01:14:49 Tu fais un inventaire, tu regardes.
01:14:51 Et ensuite,
01:14:53 tu peux mettre des prix dessus, tu peux regarder
01:14:55 en fait l'empreinte
01:14:57 écologique de ces choses-là, ça te donne en fait
01:14:59 une... on va avoir besoin de mobiliser
01:15:01 tel litre d'eau, tel
01:15:03 kilowatt d'électricité, toutes ces choses-là
01:15:05 pour nous permettre en fait d'avoir un niveau de vie
01:15:07 décent. Et d'un autre
01:15:09 côté, une fois que t'as ça,
01:15:11 ça te permet de te poser une vraie question, "ok,
01:15:13 maintenant on sait ce qu'on doit produire,
01:15:15 donc comment est-ce qu'on va l'organiser ?"
01:15:17 Ça, ça me paraît être un système
01:15:19 beaucoup plus efficace
01:15:21 que le système
01:15:23 d'aujourd'hui, où on va dire "toutes les entreprises
01:15:25 sont des entreprises abituratives, qui ont une
01:15:27 incitation à produire de plus en plus,
01:15:29 et on espère qu'à travers cette espèce de pseudo
01:15:31 démocratie du porte-monnaie où les gens votent avec
01:15:33 leur argent, enfin, les gens, les gens
01:15:35 qui ont de l'argent, et votent en proportion
01:15:37 de l'argent qu'ils ont, donc déjà pas ouf niveau démocratie
01:15:39 du porte-monnaie, c'est plutôt
01:15:41 une plutocratie du porte-monnaie,
01:15:43 et bien que l'économie va s'équilibrer
01:15:45 spontanément pour
01:15:47 produire les choses qui maximisent le bien-être.
01:15:49 Si ça avait marché, on l'aurait vu,
01:15:51 je rappelle quand même que la pauvreté a augmenté
01:15:53 en France, c'est bien, sur
01:15:55 30 ans, malgré la croissance économique,
01:15:57 donc s'il y a des gens qui croient encore
01:15:59 en l'efficience magique
01:16:01 des marchés, et en cette espèce de capacité
01:16:03 du capitalisme à satisfaire les
01:16:05 besoins, grand bien leur face,
01:16:07 mais on a quand même la puissance des sciences
01:16:09 sociales, qui nous
01:16:11 rappellent que ce système,
01:16:13 non seulement n'est pas la fin de l'histoire, qu'il en existe
01:16:15 beaucoup d'autres, et que ce système
01:16:17 est assez limité comme solution à
01:16:19 certains problèmes, à commencer par celui de l'éradication de la
01:16:21 pauvreté.
01:16:23 Et le dernier pilier, je pense que j'aimerais bien
01:16:25 qu'on aborde sur cette définition-là,
01:16:27 c'est les injustices
01:16:29 sociales, enfin, comment
01:16:31 la décroissance peut aussi permettre
01:16:33 à amener
01:16:35 de la justice sociale, et je pense
01:16:37 que, évidemment,
01:16:39 il y a cette idée de
01:16:41 réduction, mais il y a aussi cette idée de
01:16:43 convergence, et c'est quelque chose
01:16:45 qu'on a parlé, bon,
01:16:47 on a parlé de besoins tout à l'heure,
01:16:49 qui peuvent être
01:16:51 planifiés, qui peuvent être choisis démocratiquement,
01:16:53 mais il faut aussi se rendre
01:16:55 compte que, si nous avons des besoins,
01:16:57 il y en a plein d'autres dans d'autres parties
01:16:59 du monde, qui nécessitent une infrastructure,
01:17:01 et cette infrastructure a besoin de flux,
01:17:03 a besoin du stock,
01:17:05 et qui vont besoin de grandir,
01:17:07 enfin, prendre un peu plus de poids,
01:17:09 comparé au poids qu'on doit perdre, nous.
01:17:11 Et ça, je trouve que c'est un des
01:17:13 des angles
01:17:15 morts, au fait, de quand on parle de
01:17:17 réduction, de décroissance,
01:17:19 et d'autres points, enfin, en tout cas,
01:17:21 c'est une critique souvent mise en avant,
01:17:23 comme si les gens qui bossent dans la décroissance
01:17:25 n'y avaient jamais pensé,
01:17:27 oui, vous voulez décroître et qu'ouïe du sud,
01:17:29 quoi.
01:17:31 Mais bon, c'est pas anodin, quoi, parce que
01:17:33 même dans les modèles revus par
01:17:35 le GIEC, il n'y a pas de convergence
01:17:37 nord-sud, il y a vraiment une réduction
01:17:39 des deux, mais
01:17:41 le sud ne revient
01:17:43 jamais à rattraper le nord, quoi.
01:17:45 Qu'est-ce que, enfin,
01:17:47 je pense que c'est le dernier point
01:17:49 qu'il faut vraiment qu'on arrête
01:17:51 de critiquer la décroissance, mais aussi qu'on
01:17:53 mette en avant la puissance de la décroissance ?
01:17:55 - Alors, si l'on admet qu'on a des
01:17:57 budgets écologiques limités, et que c'est une
01:17:59 contrainte qu'on ne peut pas échapper à l'échelle
01:18:01 des individus, des municipalités, des pays,
01:18:03 à l'échelle de la planète, notre station spatiale
01:18:05 internationale, ça veut dire qu'il va falloir
01:18:07 partager ces budgets écologiques.
01:18:09 Aujourd'hui, on les partage déjà d'une certaine
01:18:11 manière, par exemple, le budget carbone global
01:18:13 est partagé, on en donne la moitié
01:18:15 aux 10% les plus riches,
01:18:17 et on en donne des miettes,
01:18:19 moins de 10%, à la moitié des humanités les plus pauvres.
01:18:21 Si c'est l'objectif,
01:18:23 si c'est comme ça que tu veux la partager, c'est bien, y'a pas de soucis.
01:18:25 - C'est fait. - C'est fait.
01:18:27 C'est le système qu'on a. Si on pense
01:18:29 que c'est pas dingue, parce que justement
01:18:31 les 10% des plus riches habitent
01:18:33 dans des régions, ont un style de vie
01:18:35 en fait, qui leur permet déjà de se faire leurs besoins,
01:18:37 donc ça sert à rien de les enrichir, pour leur permettre d'y mettre plus
01:18:39 de carbone, et qu'on préférerait,
01:18:41 du point de vue du contentement et du bien-être,
01:18:43 préserver ces tonnes de carbone
01:18:45 pour des pays qui vont
01:18:47 devoir produire et consommer plus dans les années à venir,
01:18:49 il va falloir trouver une autre solution.
01:18:51 - Juste petite parenthèse, tu parles au début
01:18:53 de ton bouquin d'Apartheid climatique également.
01:18:55 - Ah oui, ben,
01:18:57 aujourd'hui faut se rendre compte, quand on parle
01:18:59 de croissance économique en France, en Allemagne, aux Etats-Unis,
01:19:01 au Canada, c'est pas
01:19:03 du génie de nos ingénieurs,
01:19:05 de la French Tech, qui crée de la valeur, non.
01:19:07 C'est en fait le fonctionnement de nos économies
01:19:09 énormes, biophysiquement,
01:19:11 demandent l'extraction
01:19:13 de matière et d'énergie,
01:19:15 et aussi de temps,
01:19:17 dans les pays du Sud.
01:19:19 Donc en fait, on a un flot énorme
01:19:21 d'énergie et de matière, et d'air de travail,
01:19:23 et de biodiversité, et de disponibilité
01:19:25 des sols, des pays pauvres
01:19:27 vers les pays riches, ce qu'on appelle
01:19:29 le mode de vie impérial.
01:19:31 Et donc aujourd'hui, la décroissance,
01:19:33 c'est aussi l'une des stratégies
01:19:35 pour mettre fin à un tabassage écologique.
01:19:37 Parce que non seulement on monopolise
01:19:39 leurs ressources, alors que c'est justement dans ces régions
01:19:41 où on devrait voir l'opposé.
01:19:43 Les pays qui ont atterri,
01:19:45 déjà riches, qui sont déjà
01:19:47 arrivés à maturité économique, devraient
01:19:49 maintenant dédier une partie de leur économie
01:19:51 à accompagner la convergence
01:19:53 des pays du Sud.
01:19:55 Donc l'aide au développement, ça ne devrait pas être
01:19:57 les miettes du PIB, ça devrait être l'un des
01:19:59 objectifs principaux
01:20:01 des pays développés aussi, sous le principe
01:20:03 de la coopération internationale. Mais la
01:20:05 deuxième chose, non seulement on monopolise les ressources,
01:20:07 pour nos économies énormes,
01:20:09 mais aussi on impose
01:20:11 les coûts écologiques de notre modèle de développement
01:20:13 sur les pays du Sud. On le sait bien,
01:20:15 c'était l'un des résultats du rapport du GIEC,
01:20:17 les pays pauvres vont
01:20:19 subir vraiment la plupart
01:20:21 des coûts du changement climatique.
01:20:23 Si je me souviens bien,
01:20:25 attention, là, chiffre de tête,
01:20:27 donc les 10% de la planète,
01:20:29 les plus riches,
01:20:31 possèdent 76%
01:20:33 de la richesse financière
01:20:35 globale, et sont responsables de la
01:20:37 moitié des émissions planétaires.
01:20:39 Et eux ne vont subir
01:20:41 que quelques
01:20:43 pourcents des coûts du changement
01:20:45 climatique. Alors que si tu regardes la moitié
01:20:47 la plus pauvre de l'humanité, c'est le contraire.
01:20:49 Eux ne possèdent que 12%,
01:20:51 si je me souviens bien, de la richesse
01:20:53 planétaire, sont responsables
01:20:55 pareil pour une poignée,
01:20:57 10% des émissions,
01:20:59 et vont subir plus
01:21:01 de 75%
01:21:03 des coûts sur l'environnement.
01:21:05 Donc c'est là, c'est un tabassage écologique,
01:21:07 où en fait, on prend les ressources,
01:21:09 et on exporte les déchets.
01:21:11 Donc, en termes
01:21:13 d'équité, c'est complètement
01:21:15 inacceptable. Donc aujourd'hui, quand on parle,
01:21:17 oui, il faut atteindre la neutralité carbone
01:21:19 en France. C'est pas juste une question
01:21:21 franco-française, à l'intérieur du territoire,
01:21:23 d'économie circulaire, de regarder ce qui se passe
01:21:25 dans le... Non ! C'est une question,
01:21:27 on a une responsabilité, envers
01:21:29 les pays du Sud, déjà liés aux émissions
01:21:31 historiques. Quand tu regardes,
01:21:33 depuis le départ de la révolution
01:21:35 industrielle, en fait, le dépassement
01:21:37 écologique, il est attribué
01:21:39 à plus de 92% à la
01:21:41 consommation des pays, aujourd'hui,
01:21:43 à haut revenu. Donc, nous
01:21:45 héritons de la responsabilité du changement
01:21:47 climatique. Donc, quand on parle un petit peu
01:21:49 de "loss and damage"
01:21:51 au niveau des Nations Unies et des COP,
01:21:53 faut pas faire "oui, ben on est tous dans
01:21:55 le même bateau, on va pas..."
01:21:57 Non, c'est comme...
01:21:59 - On vous a percé votre bateau, on vous a pris vos bateaux,
01:22:01 et puis après, on vous demande de les payer, quoi.
01:22:03 - T'es au restaurant,
01:22:05 t'as pris l'entrée, l'apéritif,
01:22:07 le plat, le dessert, t'as ton pote qui arrive, il prend
01:22:09 juste un café, et tu fais "on partage la note".
01:22:11 Il fait "non, bon, écoute, à un moment donné,
01:22:13 faut pas abuser". Donc, là,
01:22:15 il faut vraiment mettre
01:22:17 l'accent sur l'équité. Et quand on met l'accent
01:22:19 sur l'équité, donc dans les chiffres, sur les ordres de grandeur,
01:22:21 qu'est-ce que ça nous dit, en fait ? Ça veut dire que
01:22:23 l'impératif de réduction des pressions
01:22:25 sur l'environnement devient beaucoup plus
01:22:27 important et beaucoup plus rapide. Donc,
01:22:29 le -55
01:22:31 que se donne l'Europe
01:22:33 dans le Feed for 55, l'ancien
01:22:35 -40% que se donne la France,
01:22:37 devient tout de suite des
01:22:39 -75%. Donc,
01:22:41 les espèces de taux de réduction, par
01:22:43 exemple, annuel de
01:22:45 émissions de gaz à effet de serre,
01:22:47 c'est plus du 5%, ça devient du double digit,
01:22:49 donc du 10, du 12,
01:22:51 du 15, et même plus par an.
01:22:53 Et donc, quand on compare, et là, je reviens
01:22:55 un petit tac, là, à ceux qui pensent
01:22:57 encore que la croissance verte est possible, qu'on a
01:22:59 réduit notre empreinte carbone
01:23:01 des années 90 à 2021
01:23:03 de 9% en France,
01:23:05 et tu te dis, ok, maintenant, on doit faire plus
01:23:07 que ça chaque année
01:23:09 pendant 7 ans jusqu'à 2030.
01:23:11 Donc là, tu te dis,
01:23:13 quand même, il n'y a pas beaucoup de
01:23:15 chance. Moi, j'aime beaucoup Jason Neacol quand il nous
01:23:17 dit, c'est un petit peu l'équivalent de sauter d'une falaise et
01:23:19 t'espérer t'inventer un parachute avant de toucher le sol.
01:23:21 Oui, théoriquement, peut-être, c'est possible,
01:23:23 tu peux essayer de te le coudre avec tes habits,
01:23:25 je ne sais pas quoi, mais en pratique, moi, j'essaierai
01:23:27 pas.
01:23:29 Ok, bon.
01:23:31 Ça reste quand même
01:23:33 essentiel, la post-croissance.
01:23:35 Tu as trouvé
01:23:39 plus de 380, si je me souviens bien,
01:23:41 mesures. Juste pour conclure l'épisode,
01:23:43 est-ce que tu peux
01:23:45 nous donner un peu envie, appétit,
01:23:47 par rapport à ces quelques mesures,
01:23:49 et après, on va essayer de
01:23:51 clôturer avec un message que tu
01:23:53 voudrais passer aux auditrices et aux auditeurs.
01:23:55 Alors, ces 380 instruments
01:23:57 de décroissance,
01:23:59 on les a trouvés avec un collègue
01:24:01 en faisant une revue de littérature de presque
01:24:03 1 200 textes de décroissance
01:24:05 dans plusieurs langues depuis que le concept existe.
01:24:07 Et on y trouve
01:24:09 des instruments
01:24:11 comme la réduction du temps de travail,
01:24:13 le revenu de base,
01:24:15 la taxe sur les richesses,
01:24:17 la taxe sur les profits,
01:24:19 les coopératives, plein de petites initiatives,
01:24:21 il y a des instruments, il y a des objectifs, il y a des institutions,
01:24:23 il y a plein de choses. Moi, ce que j'ai découvert à travers
01:24:25 cet article, en fait, c'est que
01:24:27 on a déjà
01:24:29 la plupart des instruments qui pourraient nous permettre
01:24:31 de faire transition. C'est-à-dire que la boîte à outils
01:24:33 est là. On a aussi potentiellement
01:24:35 la carte. C'est-à-dire qu'on l'a vu,
01:24:37 on a des façons de mesurer la taille de notre métabolisme
01:24:39 et de se dire, ben voilà,
01:24:41 il faut réduire de X% en prenant en compte
01:24:43 l'équité. Donc on a les cartes, on a les boîtes
01:24:45 à outils. Ce qui est encore plus
01:24:47 intéressant, c'est quand on regarde ces instruments,
01:24:49 c'est pas juste des trucs qu'on doit faire dans la douleur.
01:24:51 Genre se dire, ah ben tiens, on va devoir réduire le temps
01:24:53 de travail. Enfin,
01:24:55 les économistes ont peur de la réduction du temps
01:24:57 de travail parce qu'ils se disent, ah ben tiens,
01:24:59 mais si on produit moins, on va travailler
01:25:01 moins. Et donc on va avoir du chômage.
01:25:03 Moi, en tant qu'économiste,
01:25:05 donc, d'un point de vue du contentement,
01:25:07 je me dis, si on peut se permettre
01:25:09 de simplifier un besoin,
01:25:11 supprimer la publicité, par exemple, qui sert à rien,
01:25:13 on peut se permettre de moins produire.
01:25:15 On libère du temps libre. On libère
01:25:17 même le cerveau disponible d'un publicitaire qui va
01:25:19 pouvoir faire des fresques du climat.
01:25:21 On s'est enrichi en termes de contentement.
01:25:23 C'est génial. Ou même, on réduit
01:25:25 le temps de travail, ce qui nous permet de faire
01:25:27 des siestes, de créer des associations,
01:25:29 d'apprendre à jouer du violon, de faire du choral,
01:25:31 de joindre une chorale,
01:25:33 de faire tout ce que tu veux. Des choses
01:25:35 qui, les sciences sociales nous disent,
01:25:37 sont plus corrélées au bien-être que
01:25:39 de travailler 5 heures de plus dans un boulot
01:25:41 qui est pénible et que tu détestes.
01:25:43 Donc là, dans ces
01:25:45 instruments, moi c'est ça qu'aujourd'hui
01:25:47 qui, je pense, donne de l'énergie. Et là, je
01:25:49 reconnecte, j'espère que tu vas apprécier quand même,
01:25:51 avec l'ouverture de ce podcast pour donner
01:25:53 une impression de circularité,
01:25:55 parce que c'est quand même la logique du truc.
01:25:57 Ce concept, il énergise
01:25:59 les jeunes générations aujourd'hui
01:26:01 parce qu'il contient
01:26:03 à la fois des instruments de transition
01:26:05 mais aussi, il y a une utopie derrière.
01:26:07 Il y a une utopie.
01:26:09 Moi, j'aime beaucoup le second manifeste
01:26:11 convivialiste. C'est un livre
01:26:13 qui, en fait, se présente comme un récit
01:26:15 alternatif au néolibéralisme. Et moi,
01:26:17 convivialisme et post-croissance,
01:26:19 ici, je les mettrais
01:26:21 très très proches
01:26:23 de se dire,
01:26:25 "Ah bah tiens, on peut
01:26:27 se mettre derrière un nouveau projet de société
01:26:29 où on travaillerait moins,
01:26:31 c'est-à-dire, on viendrait dédier
01:26:33 moins de notre temps et de notre
01:26:35 attention à la production de marchandises
01:26:37 dans l'économie monétaire, mais
01:26:39 on pourrait rediriger une partie dans la
01:26:41 production des choses qui
01:26:43 créent de la valeur sociale et écologique, même si
01:26:45 ce n'est pas compté dans la comptabilité nationale.
01:26:47 Une société
01:26:49 où on pourrait
01:26:51 chacun participer
01:26:53 à
01:26:55 la définition
01:26:57 même de la richesse, de la production,
01:26:59 où on pourrait se mettre d'accord sur des indicateurs,
01:27:01 où on pourrait, à l'échelle, participer
01:27:03 et se dire, "Ah bah tiens, ça, à l'échelle
01:27:05 de ma ville, c'est les trucs que j'ai envie qu'on investisse,
01:27:07 j'ai envie qu'on... C'est les projets, on se lance
01:27:09 là-dedans, à l'échelle de l'entreprise, je me dis, "Ah bah ça, peut-être qu'on devrait
01:27:11 produire ça." Donc, un renforcement
01:27:13 de l'autonomie des
01:27:15 individus et de la création
01:27:17 d'une réflexivité critique
01:27:19 à l'échelle des sociétés aussi, et ça, on l'a vu
01:27:21 muscler notre démocratie.
01:27:23 Tout ça, quand tu mets ça dans le contexte
01:27:25 d'une économie où on arrive
01:27:27 à ré-ensauvager,
01:27:29 à sanctuariser des ressources,
01:27:31 à faire baisser les pollutions
01:27:33 qui sont liées à l'excroissance de certaines
01:27:35 activités, les voitures, les avions, qui amènent
01:27:37 une pollution lumineuse, une pollution environnementale,
01:27:39 une pollution sonore,
01:27:41 tout ce que tu veux, une pollution esthétique,
01:27:43 tu te retrouves
01:27:45 dans une ville où tu peux te balader
01:27:47 en vélo, où tu croises des écureuils
01:27:49 sur la route, où on travaille 16h
01:27:51 par semaine, où on arrive,
01:27:53 parce qu'on est dans des sociétés qui partagent
01:27:55 beaucoup plus,
01:27:57 à pouvoir financer une abondance
01:27:59 de services publics, des infrastructures
01:28:01 partagées,
01:28:03 ça m'a l'air d'être un projet de société
01:28:05 quand même beaucoup plus intéressant
01:28:07 que de dire
01:28:09 dans 30 ans, on aura
01:28:11 augmenté le PIB de X%
01:28:13 j'ai envie de dire, trop bien !
01:28:15 Qu'est-ce que c'est
01:28:17 que cette utopie ? En fait, c'est l'utopie
01:28:19 du tapis roulant, de mec qui continue
01:28:21 à courir et à juste faire
01:28:23 augmenter son PIB en proportion du PIB
01:28:25 qu'il avait l'année d'avant.
01:28:27 Je finis peut-être avec ce slogan
01:28:31 de Yves-Marie Abraham, qui est un penseur
01:28:33 de la décroissance au Québec, que j'aime beaucoup
01:28:35 dans son livre qu'il avait intitulé
01:28:37 "Produire moins, partager plus,
01:28:39 décider ensemble" qui est une belle triade
01:28:41 aussi pour penser la
01:28:43 décroissance.
01:28:45 Je pense que sur ce triptychie,
01:28:47 juste si tu donnes,
01:28:49 je pense qu'on a identifié les problèmes,
01:28:51 on a pointé la solution,
01:28:53 on a donné envie,
01:28:55 c'est quoi un conseil que tu peux
01:28:57 donner pour mettre en route
01:28:59 cette décroissance ?
01:29:01 Je sais qu'il ne faut pas tout shifter
01:29:03 vers le personnel, vers l'individuel,
01:29:05 c'est un projet de société,
01:29:07 mais s'il y a un petit nudge
01:29:09 que tu pourrais nous donner pour qu'on puisse
01:29:11 mettre en route cette décroissance,
01:29:13 qu'est-ce que tu pourrais nous donner ?
01:29:15 Je vais dire un truc nouveau,
01:29:17 récemment je me rends compte,
01:29:19 j'aime bien l'approche
01:29:21 du hacking,
01:29:23 de pirater la rationalité économique.
01:29:25 De se dire en fait aujourd'hui,
01:29:27 il y a des choses qu'on ne fait pas
01:29:29 parce qu'on se dit
01:29:31 ça n'a aucun sens économique.
01:29:33 Par exemple,
01:29:35 tu ne te souviendrais pas,
01:29:37 le jour où je me rendais compte,
01:29:39 exemple débile,
01:29:41 je vendais un vieux skateboard
01:29:43 sur le bon coin dont j'avais plus besoin,
01:29:45 et là arrive
01:29:47 un jeune papa avec son fils
01:29:49 de 13 ans qui s'est acheté son premier skate
01:29:51 avec son petit argent et tout,
01:29:53 et là on pourrait dire,
01:29:55 oui c'est important ces moments,
01:29:57 de se rendre compte que les choses ont un prix,
01:29:59 qu'il a économisé,
01:30:01 et moi je me suis dit plutôt,
01:30:03 il a essayé le skateboard, il l'adorait,
01:30:05 il le voulait, il me donne ses petits sous,
01:30:07 je le fais, tu sais quoi, ça me fait plaisir,
01:30:09 je te le donne.
01:30:11 Et là en fait,
01:30:13 il ne savait pas quoi dire, ni son père,
01:30:15 tu me le donnes, mais quand même,
01:30:17 ça coûtait un peu cher, qu'est-ce qu'il se passe ?
01:30:19 Je fais, non je te le donne, ça me fait plaisir.
01:30:21 Et après ils sont repassés le jour d'après,
01:30:23 ils m'ont amené une caisse de bière qu'ils faisaient à la maison pour me remercier,
01:30:25 et en fait là, on a hacké le système.
01:30:27 C'est-à-dire qu'on a créé une nouvelle rationalité,
01:30:29 la logique du don, où je pense qu'en 7 personnes,
01:30:31 dans 20 ans, on n'aura plus besoin du skate,
01:30:33 on va s'en débarrasser,
01:30:35 il ne va pas se dire, je l'ai eu gratos,
01:30:37 je vais pouvoir le vendre pour maximiser mon surplus,
01:30:39 il va se dire peut-être, je vais le passer à quelqu'un d'autre.
01:30:41 Imagine maintenant dans ta journée,
01:30:43 à chaque fois que tu prends une décision économique,
01:30:45 sur comment est-ce que tu épargnes,
01:30:47 quel métier tu vas choisir, quand tu es à l'intérieur d'une entreprise,
01:30:49 quel projet tu vas décider de travailler,
01:30:51 les choses où tu vas dire oui, les choses où tu vas dire non,
01:30:53 si à chaque fois, on essayait de hacker le système,
01:30:55 de dire non, ça je ne veux pas reproduire
01:30:57 cette rationalité économique,
01:30:59 je ne veux pas légitimer l'existence
01:31:01 d'une idéologie capitaliste,
01:31:03 et je vais justement
01:31:05 pilule rouger,
01:31:07 c'est un verbe, je l'invente, pilule rouger,
01:31:09 à la matrix le capitalisme,
01:31:11 dès aujourd'hui.
01:31:13 Alors, il ne faut pas être naïf,
01:31:15 ça ne va pas suffire,
01:31:17 mais je pense qu'à l'échelle des individus,
01:31:19 on peut commencer à pilule rouger le capitalisme,
01:31:21 individuellement,
01:31:23 et ensuite on crée des synergies, en créant des
01:31:25 initiatives citoyennes qui permettent
01:31:27 de pilule rouger, et ensuite on pousse
01:31:29 une pression pour qu'en fait
01:31:31 le pilule rougeage du capitalisme
01:31:33 devienne la norme,
01:31:35 et bientôt, on se rendra compte que le capitalisme
01:31:37 aura disparu, et on aura créé
01:31:39 une économie conviviale,
01:31:41 post-croissance,
01:31:43 post-capitaliste, qui sera
01:31:45 vachement mieux que celle qu'on a aujourd'hui.
01:31:47 - Ça y est, je suis chaud,
01:31:49 je vais pilule rouger dès ce soir !
01:31:51 Merci à nouveau
01:31:53 Timothée d'être passé sur le podcast.
01:31:55 - Un plaisir !
01:31:57 Hâte pour la prochaine fois, dans un an et demi.
01:31:59 - Oui ! Oh là là, cette fois-ci,
01:32:01 je vais essayer de vraiment passer le cap,
01:32:03 et vraiment me raser,
01:32:05 pour laisser la vraie moustache.
01:32:07 D'ici là, merci à vous,
01:32:09 à toutes et à tous d'avoir écouté, et regardé jusqu'au bout.
01:32:11 N'hésitez pas, je pense que c'est un sujet
01:32:13 qui donne espoir,
01:32:15 je trouve, enfin, ça ne doit pas donner peur,
01:32:17 la décroissance, au contraire, ça doit nous pousser vers l'avant.
01:32:19 Je pense que
01:32:21 beaucoup de vos proches vont peut-être
01:32:23 également l'apprécier,
01:32:25 donc n'hésitez pas à le montrer,
01:32:27 et à le partager, et d'ici là,
01:32:29 je vous dis rendez-vous
01:32:31 dans deux semaines pour une autre discussion. Merci !
01:32:33 (musique)
01:32:35 (musique)
01:32:37 (musique)
01:32:39 Sous-titrage Société Radio-Canada
01:32:41 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]