Le rapport de Santé Public France sur la santé mentale des jeunes est tombé ce matin. Un rapport alarmant qui révèle notamment que les hospitalisations en psychiatrie chez les filles de 10-14 ans ont été multipliées par plus de 3 en 2021-2022 par rapport à la période précédente. Ou encore que les pratiques d'automutilation (scarifications, brûlures...) sont en fortes hausses chez les jeunes filles. Tous les milieux sociaux et toutes les régions sont concernées. Pour comprendre ce constat nous recevons le Médecin Psychiatre Manuel Bouvard, spécialiste de l'enfant et de l'adolescent.
Regardez L'invité de RTL Soir avec Julien Sellier du 16 mai 2024
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00:00 *Julien Célier*
00:02 *RTL Bonsoir jusqu'à 20h*
00:04 Allez, bonne fin de journée, RTL Bonsoir, votre émission continue, on s'occupe de vous, on vous accompagne jusqu'à 20h et on va accueillir maintenant nos invités pour tout comprendre.
00:12 Avec un sujet qui vous concerne certainement de près ou de loin. Ce matin, franchement on est tombé de l'armoire en découvrant ce rapport de Santé Publique France sur la santé mentale des jeunes.
00:21 Ecoutez bien, les hospitalisations en psychiatrie chez les filles de 10-14 ans par exemple, et bien elles ont été multipliées par plus de 3 en 2021-2022 par rapport à la période précédente.
00:31 *J.-L. M.* On note aussi une augmentation de 106% chez les 20-24 ans, l'étude alerte aussi sur l'automutilation, les scarifications, les brûlures en forte hausse chez les jeunes filles notamment.
00:42 Tous les milieux sociaux, toutes les régions sont concernées pour essayer de comprendre à quel point nos enfants vont mal et s'ils vont mal, on accueille le professeur Manuel Bouvard, bonsoir.
00:52 *M. Bouvard* Bonsoir. *J.-L. M.* Vous êtes pédopsychiatre à l'hôpital Charles Périns de Bordeaux et contributeur au livre "La santé mentale en France" chez LEH Éditions.
00:59 *M. Bouvard* Avec nous également le correspondant RTL à Strasbourg, Yannick Holland, bonsoir. *Y. Holland* Bonsoir à tous.
01:03 *M. Bouvard* Yannick, vous êtes parti à la rencontre de jeunes filles dans les rues de Strasbourg, alors quel constat vous pouvez en tirer ?
01:08 *Y. Holland* Eh bien c'est assez étonnant, les lycéennes que je rencontre en parlent très librement, comme Pénélope, 17 ans, qui est passée par là quand elle était au collège.
01:15 *P. Pénélope* J'en ai vu autour de moi et ça m'a aussi touchée. À un moment c'était presque stylé d'être scarifiée ou d'être dépressive, tout ça, alors que c'est une maladie et c'est quelque chose de grave.
01:27 Je sais qu'il y avait des amis qui avaient fait des tentatives de suicide. J'ai vu plusieurs psys, j'ai vu plusieurs personnes qui m'ont aidée quand même et après, c'est surtout mes parents qui m'ont défendue, surtout ma mère.
01:37 Et son cas est loin d'être rare, un groupe de lycéennes, des jeunes quelques mètres plus loin, et elles connaissent, elles aussi, toutes des filles qui se scarifient.
01:44 J'ai au moins deux copines pour qui ça a été sévère, on les a vraiment aidées pour s'en sortir. Elle se scarifiait beaucoup, toutes les semaines, et elle avait vraiment des marques partout.
01:53 J'ai aussi des copines dans les sports que je faisais qui prétendaient que c'était leurs animaux de compagnie alors que c'était potentiellement des rasoirs ou autre.
01:59 Déjà avant le confinement, c'est une personne qui était très seule et qui avait du mal à s'intégrer. Souvent, elle venait et elle disait ouvertement "oh là là, hier je me suis fait du mal" et c'était un peu une sorte de fierté pour elle.
02:08 Elle était quand même vraiment male, mais il y avait une partie d'elle qui avait besoin de montrer ça aux gens.
02:12 Pour avoir, pour une fois, de l'affection qui est montrée par ce billet.
02:15 Et ces adolescentes mettent en cause les réseaux sociaux et les séries télé qui mettent en scène des adolescentes qui se scarifient ou qui se font du mal.
02:22 Des témoignages assez pharons avec vous Yannick Holland du côté de Strasbourg pour RTL. On se tourne vers vous Professeur Manuel Bouvard, le pédopsychiatre.
02:31 Est-ce que vous êtes surpris par ces témoignages de jeunes ?
02:33 Notre correspondant a rencontré un groupe de lycéennes et il a obtenu des témoignages tout de suite. Il n'a pas eu vraiment à chercher.
02:39 Alors pas du tout. Il n'y a pas de surprise parce que c'est un phénomène que maintenant on rencontre très nettement depuis une dizaine d'années
02:48 qui s'est considérablement amplifié depuis la période du Covid. Donc on voit ces jeunes se malaisent.
02:54 Dont les scarifications sont un peu la partie émergée de l'iceberg qui viennent témoigner par une attaque sur son propre corps de son sentiment de malaise
03:03 souvent en rapport avec des tableaux d'anxiété, de dépression.
03:07 Le taux de trouble émotionnel au sens large a considérablement augmenté depuis ces quatre-cinq dernières années.
03:13 Et le fait que ça augmente autant et qu'autant de jeunes soient touchés, comment vous pouvez l'expliquer ?
03:17 Alors c'est difficile vous savez d'avoir des explications qui soient on va dire pérennes et stables.
03:22 Ce qu'on sait aujourd'hui c'est que ce phénomène il est repéré depuis à peu près les années 2015 et les dix ans d'années.
03:30 On l'a vu notamment au travers de la fréquentation des urgences pour ces problématiques scarifications, idéations suicidaires.
03:37 Et puis ça a été amplifié alors à l'occasion du Covid. Alors là on a des processus qu'on peut mieux cerner.
03:43 Il y a eu le confinement, la perte des relations amicales qui touche quand même beaucoup ces populations adolescentes.
03:48 Le développement des jeux vidéo, des réseaux sociaux, ça c'est les facteurs directs.
03:53 Et puis des phénomènes qui sont plus indirects mais il y a eu une augmentation des violences intrafamiliales,
03:58 des situations d'anxiété familiale. Donc il y a un effet aussi sociétal indirect sur ces jeunes
04:04 qui sont à une période de leur vie qui est particulièrement sensible.
04:08 On a des jeunes à l'image de notre société, une société qui va mal donc des jeunes qui vont mal ?
04:12 Alors je ne sais pas si on peut faire cette vision qui serait en miroir mais il est sûr que quand la société va pas bien,
04:19 vous avez un impact sur la jeunesse. Ils ont une perception beaucoup moins épanouie de leur vie
04:25 et surtout une perception beaucoup moins épanouie de leur futur.
04:28 Mais je pense qu'il y a quand même un phénomène qui a touché très spécifiquement cette tranche d'âge,
04:34 c'est-à-dire du 12, 18 et particulièrement, et ça nous a particulièrement surpris au départ,
04:41 les jeunes adolescents, c'est-à-dire le 12, 15 ans, qui sont arrivés massivement aux urgences
04:45 avec des problématiques sévères, avec des idées à sciences suicidaires ou des passages à l'acte,
04:51 ce qui était très inédit dans ce qu'on avait pu observer auparavant.
04:55 Professeur, je vais me faire un peu l'avocat du diable, mais est-ce qu'on n'est pas aussi dans une société
04:59 qui a tendance à se victimiser assez facilement, où les gens s'écoutent peut-être un petit peu plus qu'avant ?
05:04 Je le reformulerai, si vous me le permettez.
05:07 Je vous en prie.
05:08 On l'entend très très bien dans votre reportage, on parle quand même beaucoup plus facilement de ses problèmes de santé.
05:13 On parle beaucoup plus facilement de son état psychologique.
05:18 On exprime plus facilement ses difficultés.
05:20 Et ça, je trouve que c'est plutôt un phénomène positif, parce que pendant très longtemps,
05:25 il faut quand même imaginer qu'il y a 20 ans, une jeune fille qui avait des idées suicidaires, elle n'en parlait pas.
05:31 Quand tu commences à en parler, c'est qu'on était déjà proche de passage à l'acte,
05:35 voire même après des passages à l'acte.
05:37 Le fait qu'on puisse en parler, le fait qu'il y ait quand même un phénomène,
05:40 même s'il est encore imparfait de déstigmatisation, de dire "on peut souffrir, on peut aller mal",
05:46 sans que ce soit de la folie, sans que ce soit dramatique, me semble plutôt un pas positif.
05:52 On évoquait les chiffres, par exemple 246% d'augmentation des hospitalisations en psychiatrie chez les filles de 10 à 14 ans.
06:01 Est-ce que notre système de soins est prêt à faire face ?
06:03 Est-ce que vous arrivez à faire face, vous qui êtes soignants à l'hôpital ?
06:06 C'est une bonne question. Alors, est-ce qu'on arrive à faire face ?
06:09 Je vais vous répondre oui, mais dans des conditions qui se sont considérablement dégradées.
06:14 C'est encore très en dessous des besoins.
06:17 La prévention c'est important, il y a le gouvernement, vous parliez des mesures qu'a mises en place Mon Soutien Psy,
06:22 on le rappelle, c'est 8 séances de psy remboursées par an.
06:24 C'est pas suffisant ça, par exemple ?
06:26 C'est pas suffisant parce que la formule de Mon Soutien Psy a été insuffisamment mise en place,
06:31 elle n'a pas pris en compte les besoins notamment des psychologues,
06:34 la pédopsychiatrie par exemple, le nombre de psychiatres d'enfants a diminué considérablement depuis 10 ans.
06:40 On a perdu plus de 2000 professionnels en 10 ans,
06:46 et on est dans une situation aujourd'hui qui est quand même très particulière.
06:49 Vous avez des départements en France, en 2024, où il n'y a plus de pédopsychiatres.
06:54 Il y a un besoin considérable de formation à tous les niveaux des professionnels de santé,
06:58 du médecin généraliste jusqu'au médecin spécialiste.
07:01 - Pour les parents, est-ce qu'il y a des signes qui doivent nous alerter
07:05 quand on remarque quelque chose d'anormal chez nos ados ?
07:08 Est-ce qu'il y a des "symptômes" qui sont courants ?
07:13 - Les signes sont toujours multiples,
07:15 donc il n'y a pas un signe qui va venir dire "ça, celui-là, il va mal".
07:20 Je crois qu'il faut surtout repérer une rupture dans le fonctionnement,
07:25 c'est-à-dire l'arrivée d'un adolescent qui va s'isoler,
07:28 d'un adolescent qui va montrer une insatisfaction,
07:32 et puis l'émergence de symptômes qui sont parfois au début minimes,
07:36 comme l'anxiété, des difficultés à aller voir les copains,
07:39 des difficultés à sortir parfois,
07:42 qui sont un peu les prémices de ce malaise.
07:46 - Merci beaucoup, Manuel Bouvard.
07:48 Je rappelle que vous êtes pédopsychiatre, professeur à l'hôpital Charles Pérince de Bordeaux,
07:52 et que vous avez contribué au livre "La santé mentale" en France.
07:55 On a besoin de vos lumières ce soir sur l'état de nos enfants ici dans notre pays.
07:59 Merci beaucoup, Manuel Bouvard. Dans un instant, RTL Bonsoir continue
08:03 avec la bataille d'anecdotes du soir.
08:05 Bien évidemment, le match des infos pour Brio Dîner, c'est juste après ça,
08:08 entre Cyprien et Isabelle. On va apprendre plein de choses,
08:10 et on va s'amuser, et ça fera du bien. A tout de suite.
08:13 Julien Célier, Isabelle Choquet et Cyprien Sénier.