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00:00 *Musique*
00:06 Bonjour Général François Lecoindre.
00:08 Bonjour Madame, bonjour.
00:09 Vous publiez "Entreguerre" chez Gallimard,
00:11 le témoignage d'une confrontation à la réalité de la violence.
00:14 Ce sont vos mots.
00:15 Cette confrontation, c'est votre expérience de soldat
00:18 qui a risqué sa vie, qui a vu la mort.
00:20 Expérience vécue, écrivez-vous, dans l'indifférence
00:23 et l'ignorance délibérée de nos concitoyens.
00:26 Ce livre, en fait, c'est un rappel à nous tous qui vivons en paix ici.
00:29 C'est une alerte ?
00:31 Oui, c'est une alerte.
00:34 C'est d'abord un témoignage.
00:36 C'est un témoignage et c'est une tentative de comprendre
00:39 comment il est possible qu'on ait, collectivement,
00:42 nous, notre société, refusé de voir cette réalité qui se poursuivait
00:48 et imaginer qu'on pouvait et qu'on allait pouvoir
00:51 s'exonérer définitivement du besoin de se préparer à la guerre.
00:58 Vous parlez d'ignorance délibérée de nos concitoyens.
01:01 Les mots, vos mots sont durs.
01:03 Ça veut dire quoi ? Qu'on est naïf, qu'on est inconscient ?
01:06 Non, c'est plus que ça.
01:06 Ça veut dire qu'on considère que comme la guerre est la pire des barbaries,
01:09 on veut absolument l'effacer, la délégitimer entièrement, la nier.
01:17 C'est pour ça que je pense qu'il y a une démarche délibérée,
01:19 une volonté presque morale, d'ailleurs.
01:23 Et on se flatte d'être capable de dire
01:26 nous allons délibérément renoncer à la guerre.
01:29 Sauf qu'en réalité, ce n'est pas nous qui choisissons
01:32 et que la guerre est un phénomène qui, malheureusement,
01:34 je le pense, est profondément lié à l'homme,
01:37 à la violence que l'homme a au cœur et puis à la vie des relations internationales.
01:42 Ça veut dire que pour vous, cette période de paix dans laquelle
01:45 nous avons grandi, nous étions enfants, adolescents,
01:48 nous-mêmes après la chute du mur de Berlin,
01:52 cette période de paix, elle n'a jamais vraiment existé ?
01:55 Oui, je pense qu'elle n'a jamais vraiment existé.
01:57 En fait, l'Occident, en particulier l'Europe,
02:02 s'est enfermée dans une bulle assez virtuelle,
02:06 à l'intérieur de laquelle elle ignorait même ou elle ne voulait pas regarder
02:09 les conflits qui continuaient à se dérouler partout dans le monde.
02:14 Alors que les États-Unis, eux, et c'est pour ça que je distingue bien
02:17 les Européens et l'Occident, mais avec une vraie raison,
02:19 les États-Unis, eux, continuaient à se préparer à la guerre,
02:22 continuaient à avoir une vision des relations internationales
02:25 qui étaient fondées sur les rapports de force, sur la puissance.
02:28 Les Européens, eux, pour des raisons historiques qu'on comprend bien,
02:31 d'ailleurs, parce qu'effectivement, le suicide de l'Europe
02:35 après les deux conflits mondiaux, ou ce qui avait failli conduire
02:38 au suicide de l'Europe, semblait être tellement terrible
02:41 qu'on pensait, par ailleurs, par la construction européenne,
02:44 établir un modèle d'élaboration de quelque chose de politique
02:47 très différent qui nous exonérerait de la guerre.
02:50 - Mais cette bulle virtuelle que vous évoquez, elle a explosé,
02:53 là, avec la guerre en Ukraine, la guerre aux portes de l'Europe.
02:57 La prise de conscience, elle est arrivée, là, maintenant ?
03:00 - Je l'espère. Mais vous savez, je...
03:03 - Vous n'en êtes pas certain.
03:04 - Non, parce qu'en 1995, j'étais à Sarajevo.
03:08 C'est même pas aux portes de l'Europe, c'est au cœur de l'Europe, Sarajevo.
03:11 Et donc, ça aurait dû exploser à ce moment-là.
03:14 Et ça n'a pas explosé, pourtant.
03:16 Ce qui se passe en Syrie depuis tant d'années n'est pas si loin.
03:21 Et je veux bien qu'on dise que l'Afghanistan, c'est loin,
03:24 ce qui s'y passe, parce que c'est vrai que c'est loin.
03:26 Mais malgré tout, ce qui se passe au Moyen-Orient,
03:28 ce qui se passe au Sahel, c'est quand même tout près de chez nous.
03:33 Tout près de chez nous. Et ça concerne, d'ailleurs, des populations
03:35 qui ont des liens très puissants avec la France et les Français.
03:39 - Mais alors, sans doute, les déclarations du président de la République
03:42 vont davantage veiller l'opinion publique.
03:45 Quand Emmanuel Macron envisage l'envoi de troupes au sol,
03:48 il a réitéré sa position ce week-end à la tribune du dimanche,
03:53 dans The Economist aussi en fin de semaine dernière.
03:55 Cette déclaration, est-ce qu'elle vise justement à tous nous secouer ?
04:01 Ou alors, ça fait partie d'une stratégie qu'on n'a pas encore comprise ?
04:05 - Alors, je ne peux pas imaginer que vous n'ayez pas compris
04:07 la stratégie du président de la République.
04:09 Mais étant plus chef d'état-major des armées,
04:12 j'ai du mal à en parler comme ça.
04:13 D'abord, je pense que le président de la République ne dit rien au hasard.
04:17 Et évidemment, dans son message, il y a toujours plusieurs cibles.
04:21 Il y a la cible internationale.
04:24 Je ne me prononcerai pas sur cela.
04:26 - C'est-à-dire qu'il s'adresse à la Russie, notamment ?
04:28 - Il s'adresse à la Russie, il s'adresse à nos partenaires européens,
04:30 il s'adresse à un président de la République.
04:32 Ça parle et c'est un discours qui porte très loin.
04:35 Mais ça s'adresse également, certainement, à notre opinion publique.
04:39 Ça, c'est très clair.
04:40 Et je pense que c'est dans les démocraties,
04:44 le rôle des dirigeants que d'être capables, quand il le faut,
04:49 parce qu'ils ont des informations, des renseignements,
04:51 parce qu'ils doivent avoir un degré de conscience
04:53 compte tenu de leur responsabilité,
04:55 qui n'est pas le degré de conscience de vous et de moi.
04:58 Eh bien, c'est de leur rôle d'éveiller les consciences.
05:01 - Ça signifie que dans l'esprit du président de la République,
05:04 les Français ne sont pas prêts, au moins à l'idée,
05:07 d'un conflit de haute intensité sur le sol européen.
05:12 - Est-ce que c'est prêt à l'idée d'un conflit de haute intensité
05:16 sur le sol européen ? Je ne sais pas.
05:17 Mais vous remarquerez que le président de la République,
05:20 depuis qu'il a pris ses fonctions, a relancé un effort de défense
05:23 qui avait été complètement arrêté pendant plusieurs quinquennats.
05:28 Et donc, déjà, cet effort-là est la marque d'une prise de conscience
05:31 de la classe politique, du président de la République en particulier.
05:33 Mais je me souviens, quand il a été élu la première fois,
05:35 l'ensemble des politiques portaient ce discours-là.
05:38 Et cette volonté, cette prise de conscience des politiques,
05:41 elle a été renouvelée depuis la réélection du président de la République.
05:44 - Mais par exemple, le 21 juillet...
05:46 - Aujourd'hui, ils disent le contraire.
05:48 - Le 21 juillet 2021, vous quittez vos fonctions de chef d'état-major des armées.
05:52 Sept mois plus tard, quasiment jour pour jour, la Russie envahit l'Ukraine.
05:55 Militairement, est-ce qu'on était prêt à ce moment-là ?
05:57 On y était préparé ?
06:00 - Alors, en fait, la question ne se pose pas pour la France aujourd'hui.
06:05 Parce que, comme vous l'avez dit, la Russie a envahi l'Ukraine, pas la France.
06:09 - Mais la question, c'est de savoir, quand Emmanuel Macron parle de troupes au sol,
06:13 est-ce qu'on en a les moyens, tout simplement ?
06:15 Même si on a fait un effort avec un budget, une loi de programmation
06:18 jusqu'en 2030 qui donne 400 milliards de crédits à la défense,
06:22 est-ce qu'on a les moyens de nous y aller ?
06:24 - Je vous entends très bien, mais je ne suis plus chef d'état-major des armées.
06:26 Donc, je ne veux pas répondre à ces questions-là.
06:28 Invitez le chef d'état-major des armées, posez-lui la question, il le fera.
06:31 Mais en revanche, je reviens sur ce que je disais.
06:33 C'est l'Ukraine qui a été envahie.
06:35 La vraie question à se poser, c'est est-ce que l'Ukraine était prête à cette agression de la Russie ?
06:38 Et la grande surprise qui a été celle de tous les Européens,
06:42 et de tous les journalistes et de tous les observateurs,
06:45 et qui est à mettre une sorte d'admiration sans borne pour le peuple ukrainien,
06:50 qui a été capable de résister à cette agression de la Russie,
06:53 et qui a été capable de se mettre en situation de guerre et de défense,
06:57 tout moyen réuni avec sa jeunesse, ça, c'est tout à fait extraordinaire.
07:00 Et c'est d'ailleurs ce qui me fait ne pas désespérer,
07:04 parce que vous le dites depuis le début, oui, je me pose la question de savoir,
07:08 nous, nous posons la question, les politiques se posent la question de savoir
07:10 quelle est la capacité de résistance de nos opinions publiques,
07:14 mais au-delà de nos populations et de nos sociétés.
07:16 L'Ukraine donne un exemple tout à fait extraordinaire d'une capacité d'un réveil,
07:21 et d'un réveil d'ailleurs d'un sentiment national ukrainien tout à fait extraordinaire.
07:24 - François Lecointre, on va continuer de parler de la situation internationale,
07:27 de votre livre aussi "Entre guerre chez Gallimard".
07:29 Ce sera juste après le Fil info dans une minute.
07:31 Il est 8h40, Mathilde Romagnon.
07:33 - "Reporter sans frontières" mène une action ce matin à Paris,
07:37 près de l'Arc de Triomphe, pour protester contre l'accueil
07:40 réservé au président chinois Xi Jinping.
07:43 Il est en visite en France pour deux jours.
07:45 Il est reçu ce matin par Emmanuel Macron à l'Elysée
07:48 pour évoquer ensemble la réciprocité commerciale avec la Chine,
07:51 mais aussi la guerre en Ukraine.
07:54 Il faut que l'État mette des moyens dans la ville de Sevran,
07:56 selon son maire Stéphane Blanchet.
07:59 Dans cette commune de Seine-Saint-Denis,
08:01 deux hommes d'une trentaine d'années ont été tués par balle hier soir,
08:04 moins de 48 heures après une fusillade qui a fait un mort,
08:08 des faits liés au trafic de drogue selon les autorités.
08:11 L'armée israélienne appelle ce matin les habitants de Rafah
08:14 à rejoindre des zones humanitaires.
08:16 Une opération d'ampleur limitée est prévue dans cette ville du sud
08:21 de la bande de Gaza, selon Israël.
08:24 Le tunnel sous la Manche a 30 ans aujourd'hui, long de 50 km.
08:28 Il permet de relier la France et le Royaume-Uni par train.
08:32 Il a été inauguré le 6 mai 1994.
08:35 C'était à Calais par la reine Elisabeth II et le président François Mitterrand.
08:39 Et toujours avec le général François Lecointre,
08:50 ancien chef d'état-major des armées,
08:51 qui publie Entre-Guerres chez Ganimar.
08:53 On a besoin de votre éclairage sur une question d'actualité,
08:55 François Lecointre.
08:56 Est-ce que le fondement de notre dissuasion, c'est l'arme nucléaire ?
08:59 Est-ce qu'attaquer un territoire de l'Union européenne,
09:01 c'est s'attaquer aux intérêts vitaux de la France ?
09:05 Je vous pose la question parce que s'attaquer aux intérêts vitaux de la France,
09:08 c'est l'une des conditions de l'utilisation de l'arme nucléaire.
09:13 - Alors, d'abord, il faut savoir que la doctrine de la dissuasion nucléaire française,
09:19 elle s'élabore à travers les déclarations publiques des présidents de la République successifs.
09:25 Et donc, effectivement, chaque discours d'un président de la République
09:27 doit être scruté, analysé avec beaucoup d'attention.
09:32 La France a toujours refusé de définir de façon trop précise
09:37 ce qu'étaient ses intérêts vitaux, évidemment.
09:41 Parce que c'est comme le principe de la ligne rouge.
09:43 Si vous définissez précisément la ligne rouge que vous avez fixée,
09:48 eh bien, vous vous contraignez à une perte de liberté d'action
09:51 le jour où cette ligne est franchie.
09:53 Ou au contraire, vous autorisez l'ennemi à aller jusqu'à l'extrême proximité de cette ligne rouge
09:59 et à avoir toute liberté d'action sans que vous-même vous agissiez,
10:02 puisque vous avez vous-même fixé une ligne rouge.
10:04 Donc, de la même manière, dans la dissuasion nucléaire,
10:06 les présidents de la République successifs conservent un flou.
10:10 Et je pense que c'est inhérent au principe même de la dissuasion et de la spéculation intellectuelle.
10:15 - C'est l'ambiguïté stratégique dont on entend beaucoup parler en ce moment.
10:17 - C'est l'ambiguïté. De toute façon, la dissuasion, c'est un jeu de spéculation.
10:23 Par ailleurs, la France a, à plusieurs reprises,
10:26 et le président de la République l'a déjà fait depuis le début de son mandat,
10:29 rappelé dans des discours que l'on ne pouvait pas imaginer que les intérêts vitaux de la France
10:34 ne soient pas liés aux intérêts de l'Union européenne et de l'Europe.
10:38 Donc, on peut le dire ensuite de plusieurs façons, à plusieurs moments.
10:43 Et donc, c'est très important.
10:44 Et vous avez raison de continuer à être attentif à ces discours-là
10:47 et à ces messages.
10:48 Mais moi, ça ne me surprend pas ni ne me choque.
10:50 La difficulté ensuite, c'est bien sûr,
10:53 quel est le signal qu'on envoie à un ennemi potentiel ?
10:55 Quel est le signal qu'on envoie à nos partenaires européens ?
10:57 Et comment l'acceptent-ils ?
10:59 Donc, ça, c'est un travail qui est un travail préalable d'État-major, de relations diplomatiques,
11:04 qui fait que la France se tourne vers ses principaux partenaires de l'Union européenne
11:08 et leur dit "Que pensez-vous si on dit ça et ça ? Est-ce que vous l'accepteriez ?
11:11 Irions-nous plus loin ?"
11:13 C'est un travail constant.
11:14 Moi, je l'ai vu faire depuis le début du quinquennat,
11:17 du premier quinquennat du président de la République.
11:18 Donc, quand le président de la République dit hier dans la tribune dimanche
11:22 "Si la Russie l'emporte, la seconde d'après, il n'y a plus de sécurité possible
11:25 en Roumanie, en Pologne, en Lituanie et non plus chez nous",
11:30 il en a déjà d'abord parlé avec les Européens, avec les 27.
11:35 Il a parlé de la dissuasion nucléaire avec eux.
11:39 Je ne suis pas aujourd'hui dans le secret des discussions et des travaux d'État-major.
11:42 - Comment est-ce que vous voyez dans la manière de fonctionner pour une telle communication ?
11:46 - Je pense que le président de la République, d'abord lui, ses équipes,
11:49 les États-majors, les ministères, parlent en permanence et échangent, évidemment.
11:54 C'est pour ça qu'on a des réseaux diplomatiques.
11:56 Ensuite, ça n'empêche pas que le président de la République est aussi sa liberté de parole.
12:01 On est dans des relations internationales avec un vocabulaire, avec une grammaire
12:04 qui n'interdise pas aussi que les déclarations publiques puissent être utilisées,
12:09 même si on en a parlé avant, pour choquer, pour surprendre, pour étonner, pour provoquer des réactions.
12:15 Je me souviens très bien des réactions qui ont été provoquées par ce que disait le président de la République
12:19 en évoquant l'OTAN en situation de mort cérébrale.
12:22 Vous vous rappelez ?
12:24 Je ne sais pas si le président de la République avait utilisé les termes auprès de tous ses partenaires de l'OTAN.
12:28 Toujours est-il qu'il avait certainement évoqué, et plus que certainement,
12:32 il avait évidemment évoqué les sujets de l'évolution de l'OTAN,
12:35 des difficultés de la finalité et des grandes orientations de l'OTAN avec tous ses partenaires,
12:41 avant d'utiliser, ce qui est une façon aussi de réveiller et de créer le débat, y compris à l'international.
12:46 Vous avez vu évoluer pendant tout votre mandat de chef d'état-major, entre 2017 et 2021,
12:53 vous avez vu évoluer le monde, qui a encore beaucoup évolué depuis trois ans,
12:57 et notamment la place de la Chine. On parle beaucoup du retour des empires.
13:00 Le président chinois qui est arrivé hier en France, c'est un ami de la France,
13:05 c'est un rival pour reprendre les termes de la doctrine maintenant de l'Union européenne ?
13:11 Je pense que c'est au-delà de ça, enfin, c'est ni ami ni rival.
13:15 C'est un acteur majeur du monde qui vient.
13:23 Et je pense que ce que souhaitent les Européens, c'est que le monde qui vient ne s'articule pas entièrement
13:29 autour d'une confrontation entre la Chine et les États-Unis,
13:32 et que l'Europe et la France pensent avoir une voie à porter dans une relation qui doit être équilibrée,
13:41 qui doit être aussi capable ou être aussi une relation de négociation,
13:46 et pas seulement une relation de confrontation.
13:48 La France le pense d'autant plus qu'elle est présente dans le Pacifique,
13:55 en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie, et que donc elle considère, je pense à juste titre,
13:59 qu'elle peut avoir un rôle à jouer.
14:00 Et précisément sur ces régions dont vous parlez, votre livre parle de l'expérience du combat,
14:06 mais il y a d'autres formes de combat aujourd'hui, une autre forme de guerre dont on parle beaucoup,
14:10 la guerre hybride.
14:11 Et ce matin même, il y a quelques minutes sur France Info Radio,
14:14 on publiait cette étude de la cellule d'investigation de Radio France
14:18 sur ce que la Chine, la Russie ou d'autres puissances font en Nouvelle-Calédonie que vous évoquez.
14:24 Cette guerre hybride aussi, est-ce qu'on n'est pas parfois naïf
14:28 par rapport aux intentions de la Chine notamment ?
14:33 - Oui bien sûr, enfin on est naïf en pensant qu'on est dans un monde de bisounours
14:37 et qu'on va en permanence être gentil avec tout le monde et que tout le monde va être gentil avec nous.
14:42 Parler de la Nouvelle-Calédonie, je ne parle même pas de guerre hybride,
14:45 mais la guerre hybride existe bien sûr,
14:47 mais la protection de nos zones économiques exclusives,
14:50 et le pillage des ressources biotiques de nos zones économiques exclusives.
14:55 C'est un sujet très ancien qui nécessite évidemment
14:57 que la France en particulier soit capable d'avoir une marine nationale
15:01 avec des moyens de contrôle de cette zone économique exclusive
15:03 pour contrôler ses intérêts et ses ressources et les défendre.
15:07 Est-ce qu'on peut dire qu'on est en guerre ?
15:09 Non, on n'est pas en guerre.
15:10 En revanche, ce qui est clair, c'est qu'on est dans une relation de force
15:14 dans laquelle il faut être capable de montrer sa détermination
15:17 et montrer sa détermination, c'est avoir les moyens de faire valoir sa volonté, ça c'est très clair.
15:22 - Tout ce dont on parle beaucoup en ce moment, les cyberattaques, la désinformation,
15:26 vous considérez, vous comme soldat, que c'est une guerre ?
15:29 - Ce que je considère, c'est que de toute façon, quand il y a une guerre,
15:32 tous les moyens sont mis en œuvre, dans tous les champs possibles de la confrontation.
15:36 Et que ce qui est vrai, mais là aussi ça me gêne,
15:37 parce que je ne suis pas chez la Vétéran Général des Armées,
15:39 ce n'est plus à moi d'en parler,
15:41 c'est qu'on a vu s'ouvrir de nouveaux espaces de confrontation depuis 10 à 20 ans,
15:45 qui sont les fonds sous-marins,
15:47 parce qu'aujourd'hui il y a une activité humaine de plus en plus importante
15:50 dans les grands fonds sous-marins, avec des dons,
15:52 donc il y a forcément des confrontations là,
15:55 dans l'espace exo-atmosphérique, dans l'espace cybernétique.
15:59 Donc oui, de toute façon, chaque fois qu'un espace s'ouvre à l'activité humaine,
16:03 en réalité s'ouvre la possibilité de confrontation, de rapport de force,
16:07 et c'est ce qu'il faut que nous soyons capables d'assumer.
16:10 - Dans quelques semaines, il y a des dirigeants du monde entier
16:12 qui seront en Normandie pour le 90e anniversaire du débarquement.
16:16 S'il fallait aujourd'hui défendre le sol européen,
16:20 est-ce que vous seriez inquiet sur ces alliances ?
16:25 - D'abord, il y a des obligations contractuelles et juridiques aujourd'hui.
16:29 - Mais que valent-elles en situation de crise ?
16:31 C'est là qu'elles sont éprouvées ?
16:34 - Écoutez, je ne suis pas Madame Irma, donc j'ai du mal à vous dire.
16:37 Je pense que l'OTAN est une alliance extrêmement importante.
16:40 Je pense que ce qui est important, c'est que les Européens
16:42 ne se fassent pas vassaliser au sein de l'OTAN,
16:45 et qu'ils soient capables de prendre vraiment leur part du fardeau,
16:48 et qu'ils soient capables aussi, dans des endroits, dans des lieux,
16:51 et pour des circonstances dans lesquelles l'OTAN n'aura pas à s'engager,
16:55 de s'engager eux-mêmes de façon autonome et indépendante.
16:58 Ça, ça me paraît très important.
16:59 - François Lecointre, ancien chef d'état-major des armées,
17:02 on va vous retrouver, on va parler de votre livre,
17:04 et notamment du rôle de l'armée, du rôle d'un soldat.
17:07 Aujourd'hui, ce sera juste après le Fil info, il est 8h50.
17:11 Mathilde Romagnon.
17:12 - Les habitants de Rafah appelaient à rejoindre des zones humanitaires
17:17 par l'armée israélienne.
17:18 Ce matin, environ 100 000 personnes sont concernées.
17:22 Une opération d'ampleur limitée est prévue dans cette ville
17:25 du sud de la bande de Gaza, selon l'armée israélienne.
17:29 On apprend ce matin la mort d'un adolescent de 17 ans à Marseille.
17:32 Il a été tué par balle la nuit dernière,
17:34 dans le 13e arrondissement de la ville,
17:36 le où les auteurs ont pris la fuite.
17:38 Atos a reçu quatre propositions financières pour son sauvetage,
17:42 et se donne jusqu'au 31 mai pour choisir
17:46 le géant informatique français étant en difficulté financière.
17:48 Il a besoin de plus d'un milliard d'euros de liquidités.
17:52 Starliner, le vaisseau de Boeing, décolle ce soir
17:55 pour la Station spatiale internationale.
17:58 Un vol test d'une semaine avec deux astronautes à son bord
18:01 est crucial pour le géant américain après quatre ans de retard.
18:05 - France Info.
18:09 - Le 8h30 France Info, Jérôme Chapuis, Salia Brakia.
18:14 Toujours avec l'ancien chef d'état-major des armées,
18:16 le général François Lecointre,
18:18 dans votre livre "Entre guerres" publié chez Gallimard,
18:21 vous parlez longuement de l'expérience "Rwandais",
18:23 expérience d'impuissance, dites-vous, d'aveuglement
18:25 de certains responsables aussi,
18:27 qui voient la France d'être accusée
18:29 par certains de complicité dans ce génocide.
18:31 Vous écrivez, pour le regretter, en partant là-bas,
18:35 "Nous allions combattre le mal", c'est ce que vous écrivez,
18:39 "partir au combat avec des intentions morales",
18:41 c'est l'assurance de faire des erreurs ?
18:44 - Alors là, de toute façon, on ne part pas au combat
18:49 sans une réflexion préalable sur la finalité du combat.
18:54 Je pense que cette finalité doit être le mieux possible,
18:58 le plus possible, la défense de notre pays,
19:01 de ce qu'il incarne, de ses valeurs.
19:04 Et donc forcément, il y a une petite dimension morale,
19:06 parce que la France, elle est aussi un pays des droits de l'homme,
19:10 qui porte l'idée de la dignité de l'être humain,
19:12 et donc on va porter ça aussi, quand on va pour la France.
19:15 - Vous, vous avez toujours été en accord avec les objectifs de guerre
19:19 voulus par les dirigeants français.
19:21 À chaque fois que vous êtes parti sur le front,
19:24 vous étiez d'accord moralement avec chaque intervention ?
19:27 - Oui, j'étais d'accord avec chaque intervention.
19:30 Sinon, d'ailleurs, je ne sais pas si j'aurais accepté d'y aller.
19:35 - Mais on peut refuser ?
19:36 Quand on est militaire, on peut refuser d'y aller, au front ?
19:39 - On peut toujours démissionner.
19:40 Mais ensuite, ce n'est pas comme ça que les choses se passent en réalité.
19:43 En réalité, il n'y a pas de dichotomie absolue
19:46 entre un échelon politique qui commande et qui donne une grande orientation
19:50 et qui ensuite, d'ailleurs, va pousser des pions sur le terrain,
19:52 et puis un échelon d'exécution.
19:54 Il y a un travail constant de communication
19:58 entre l'échelon politique et l'échelon de base,
20:01 et un travail constant d'initiative et de proposition à la base,
20:06 qui remonte par échelon successif au sommet
20:08 et qui influe sur la perception qu'a le politique,
20:12 sur la perception qu'il a de notre capacité d'action,
20:14 et qui joue sur l'action qu'on va conduire.
20:17 Le soldat n'est pas un être d'abord insensible,
20:20 c'est évidemment quelqu'un qui a les mêmes réactions,
20:22 les mêmes scrupules et les mêmes difficultés morales que n'importe quel citoyen.
20:26 Et ensuite, ce n'est pas un être passif et imbécile.
20:29 C'est donc quelqu'un qui va en permanence essayer, lui, d'apporter une réponse,
20:33 en fonction de ce qu'on lui a demandé de faire,
20:35 de ce qu'il comprend de la situation,
20:36 de ce que l'ennemi qui est en face de lui fait.
20:37 Et donc l'initiative, qui est une qualité extrêmement importante dans les armées,
20:42 et la confrontation entre cette initiative et l'intention de l'échelon supérieur,
20:46 va produire quelque chose qui doit permettre d'emmener les gens en combat.
20:51 Mais ce qui se cache derrière, quand même, il y a cette idée de la guerre juste.
20:54 Parce que j'imagine que vous, sur le front, à chaque fois, vous avez dû vous poser cette question.
20:59 Le mal, le bien, est-ce que je participe à une guerre juste ?
21:03 Vous vous êtes posé la question pour le Rwanda, vous étiez aussi à Sarajevo.
21:06 Il y en a d'autres qui se sont posé la question pour la Libye,
21:09 qui a conduit à la mort de Muammar Kadhafi.
21:13 Cette question de la guerre juste, vous vous la posez constamment ?
21:16 Oui, d'abord, on apprend ça en école.
21:19 Donc on se pose en permanence la question de la guerre juste.
21:23 C'est une question aussi de droit international.
21:26 Mais en revanche, ce que vous disiez tout à l'heure dans la question que vous m'avez posée,
21:30 la vraie difficulté pour moi, ce n'est pas la guerre juste,
21:32 parce que je trouve que les conflits dans lesquels la France est engagée,
21:35 elle l'a fait en recherchant en permanence les conditions de la guerre juste.
21:39 En revanche, ce qui se pose, c'est l'aspect moral, de moraline, si vous voulez.
21:45 C'est-à-dire, je viens pour venger quelqu'un,
21:48 je viens pour venger l'indignation de mon opinion publique.
21:51 Notamment sur les opérations humanitaires qui ont été...
21:54 Des opérations d'humanité.
21:56 Alors, ces opérations, on peut comprendre que l'opinion publique les veuille,
22:00 mais il ne faut pas que le soldat qui s'engage dans ce type d'opération,
22:03 qui est poussé par cet élan d'indignation humanitaire et d'humanité,
22:09 se laisse dérégler ou dérégler son jugement,
22:12 jusqu'à, quand il est engagé, vouloir se faire le porteur de l'indignation
22:17 et de l'envie de vengeance de notre propre opinion publique.
22:20 C'est ce que j'ai trouvé le plus difficile au Rwanda.
22:22 C'est le moment où, en réalité, comme on avait identifié le mal,
22:26 comme on pensait que le mal absolu était là,
22:28 finalement, nous nous sentions portés par une opinion publique
22:32 et nous pensions, nous pouvions penser,
22:34 qu'il aurait été justifié des choses qui auraient été en dehors du droit de la guerre.
22:38 C'est peut-être le moment le plus fort, d'ailleurs, de votre livre,
22:40 ce moment où vous racontez que vous étiez face à quelqu'un
22:44 dont vous étiez à peu près convaincu qu'il avait participé au génocide.
22:47 Et là, évidemment, les soldats, vous-mêmes,
22:50 vous êtes traversés par des pulsions de morts,
22:54 et vous devez les affronter.
22:55 Le risque de basculer dans l'animalité, c'est ce que vous dites.
22:58 - Oui, d'abord, je pense que le soldat,
23:04 et la façon dont il va au combat,
23:08 et la façon dont il vit au sein de ses unités,
23:10 c'est une sorte de condensé d'humanité.
23:13 Au cœur de l'humanité, d'ailleurs,
23:16 c'est précisément le fait que nous devions,
23:19 nous devrions être capables de domestiquer cette animalité
23:23 qui est en nous, cette bestialité.
23:25 C'est qu'on ne peut pas prétendre faire l'ange sans risquer de faire la bête.
23:29 Et que c'est ça le drame de l'humain,
23:33 et sa capacité à surmonter ces instincts-là,
23:38 que chacun de nous ressent,
23:40 mais que lui ressent parce qu'il est face à des situations de violence extrême
23:44 auxquelles nous échappons, nous.
23:46 Cette capacité à surmonter cette violence et cette animalité qu'il a en lui,
23:50 il la trouve dans le collectif.
23:54 Il la trouve parce qu'il est d'abord un être social,
23:57 parce qu'il est d'abord relié aux autres.
23:59 Et que c'est ça qui lui permet de retrouver, de conserver sa dignité.
24:02 En fait, on en revient à ce qu'on se disait en tout début d'entretien,
24:05 c'est vraiment l'objet de votre livre,
24:07 l'expérience du soldat sur le terrain,
24:09 qui est confronté à la violence, à la mort,
24:12 recevoir, risquer la mort, de donner la mort,
24:15 c'est incommunicable.
24:17 Vous n'avez pas l'impression de ne pas pouvoir transmettre
24:20 ce que vous avez vécu à nos contemporains
24:22 qui sont très loin, encore une fois, de tout ça.
24:24 - C'est pour ça que j'ai écrit un livre.
24:26 Je vous recommande de le lire.
24:28 Oui, c'est très difficile, mais c'est d'autant plus difficile
24:32 qu'aujourd'hui, nous nous sommes enfermés dans une bulle
24:36 dont nous pensons qu'elle nous préserve définitivement
24:38 toute forme de violence.
24:39 Moi, je ne le crois pas.
24:41 Et par ailleurs, ce que je trouve paradoxal,
24:42 c'est que même si nous sommes dans cette bulle,
24:44 nous sommes très sensibles à tout ce qui,
24:46 au sein de cette bulle, peut représenter,
24:48 incarner la violence.
24:50 Donc, je pense absolument nécessaire
24:54 de le communiquer à nos concitoyens
24:56 pour qu'ils s'arment moralement, qu'ils arment leurs esprits
24:58 et qu'ils comprennent que c'est un effort sur soi,
25:02 individuel et collectif, qui permet de conserver sa dignité.
25:05 - Général, pour terminer, une dernière question,
25:07 puisque vous êtes aujourd'hui grand chancelier
25:10 de la Légion d'honneur.
25:11 Jacques Chirac avait remis en 2006 à Vladimir Poutine
25:14 la grande croix de la Légion d'honneur.
25:16 Est-ce qu'il faut la lui retirer ?
25:18 - Ce n'est pas une décision du grand chancelier
25:20 de la Légion d'honneur.
25:22 - Qui décide ?
25:23 - C'est le président de la République.
25:25 Ensuite, la Légion d'honneur, quand elle est remise
25:28 lors de visites officielles,
25:30 et c'est extrêmement protocolaire,
25:33 elle rentre en réalité dans la grammaire
25:35 et dans le vocabulaire des relations internationales.
25:38 Et donc, que Jacques Chirac ait remis sa Légion d'honneur
25:41 à Vladimir Poutine, que cela pose aujourd'hui
25:43 la question de la lui retirer, est une chose.
25:45 J'observe par ailleurs que le président de la République
25:48 a remis les insignes de grande croix de la Légion d'honneur
25:51 au président Zelensky, et que celui-ci ne les a pas refusés.
25:54 Et que donc, dans cette grammaire et dans ce vocabulaire
25:56 des relations internationales,
25:58 alors que le président Zelensky aurait pu dire
26:00 "il n'en est pas question", ou alors commencer par la retirer
26:02 à Vladimir Poutine, il l'a accepté.
26:04 - Ça n'a pas été une condition.
26:06 - Je pense que c'est aussi toute la nuance
26:08 des relations internationales et de cette grammaire.
26:11 - Pour Vladimir Poutine, ce n'est pas vous qui décidez,
26:13 mais pour Gérard Depardieu, c'est vous ?
26:15 - C'est toujours le grand maître qui décide,
26:17 c'est-à-dire le président de la République.
26:19 - Merci beaucoup, Général François Lecointre.
26:22 Entre guerre, c'est chez Gallimard.
26:24 Merci d'avoir été avec nous ce matin sur France Info.
26:27 Je vous laisse en compagnie de Salia Braquilla,
26:28 les informer dans 5 minutes.
26:29 - L'événement politique de la semaine, c'est la visite
26:31 du président chinois en France,
26:33 deux jours pour évoquer la guerre commerciale,
26:35 mais aussi la guerre tout court,
26:37 celle aux portes de l'Europe en Ukraine avec la Russie.
26:40 On parle des enjeux de la visite de Xi Jinping
26:42 de Xi Jinping avec Renaud Delis et ses informés dans un instant.