On connait leur visage, leur analyse, leur voix, mais les connait-on vraiment ? Quel a été leur parcours, leur formation, quelles épreuves ont-ils du dépasser pour exercer leur magistère ? Quelles sont leurs sources d'inspiration, leur jardin secret ? Une fois par semaine, Rebecca Fitoussi reçoit sur son plateau des personnalités pour un échange approfondi, explorer leur monde et mieux apprécier le regard qu'ils et qu'elles portent sur notre société. Ils, elles, sont artistes, scientifiques, historiens, universitaires, chefs de restaurants, associatifs, photographes, ou encore politiques.
Une collection de grands entretiens inspirante dans un monde en manque de repères et de modèles. Année de Production : 2023
Une collection de grands entretiens inspirante dans un monde en manque de repères et de modèles. Année de Production : 2023
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00:00Générique
00:02...
00:22-"Notre invité est un artiste qui vous a tour à tour amusé,
00:26touché, ému, parfois fait hurler de rire, parfois choqué aussi.
00:32Mais un choc gentil, celui qui vous fait dire l'air contri,
00:35oh non, c'est mal de rire là-dessus.
00:37Lui, il a tellement bien assumé qu'il nous a vite fait déculpabiliser.
00:41Il appartient à une époque où l'humour était provoque, cynique,
00:45sans complexe, presque sans limite.
00:47Mais pas méchant, non. Ne dites jamais qu'il est un humoriste méchant.
00:51Il en a marre de ce surnom qui lui a été attribué.
00:54Et puis, il n'a pas fait que de l'humour grinçant sur scène.
00:56Il a eu des rôles tendres au cinéma.
00:58Moi, je retiendrais le personnage de Michoud dans La crise.
01:01Comment ne pas être touché par cet homme vrai, drôle et pathétique à la fois ?
01:05C'est peut-être cela qui fait que notre invité est tellement aimé de son public.
01:09C'est parce que derrière ces vanessies,
01:11on perçoit surtout un homme en colère contre l'injustice, contre la bêtise.
01:15Le bon comique est-ce celui qui attaque fort mais qui vise juste ?
01:19Le bon humoriste, pour plaire et pour durer,
01:21doit-il porter des messages qui lui tiennent à cœur ?
01:24Est-ce que c'est cela qu'il conseille à ceux qui le poussent
01:26dans son festival d'UZÈS, seul en scène, chaque mois de mai ?
01:30Posons-lui toutes ces questions.
01:31Bienvenue dans Un monde à un regard. Bienvenue à vous, Patrick Timsit.
01:34Merci d'avoir accepté notre invitation ici au Dôme tournant, au Sénat.
01:38Est-ce que les artistes que vous programmez à UZÈS,
01:41vous les choisissez aussi en fonction de la force de leurs messages ?
01:45Est-ce que ça compte pour vous ?
01:46Il doit y avoir certainement un décalage.
01:49C'est-à-dire, quand je dis un décalage,
01:52quand ils pratiquent leur art avec un certain décalage,
01:55je retrouve des idées.
01:56Cet décalage que vous cherchez, le décalage ?
01:59Vous me posez la question, donc je réfléchis, c'est pour ça que je bafouille.
02:02Je réfléchis en même temps que je parle.
02:04François Alu, par exemple, c'est un danseur particulier.
02:08C'est le festival du seul en scène, mais multidisciplinaire.
02:12– Oui, absolument, il n'y a pas que des humoristes.
02:14– Non, on avait Pietra Gala l'année dernière,
02:18on a François Alu qui ouvre le bal,
02:20peut-être qu'on aura l'occasion d'en parler,
02:23mais c'est vraiment varié, c'est magicien, circassien, musique.
02:27– Mais les humoristes que vous programmez dans ce festival,
02:30qu'est-ce qu'ils ont de particulier ?
02:32Pourquoi vous les choisissez, eux ?
02:34Je pense à Pierre-Emmanuel Barré, Bounaïmine,
02:36je ne sais pas si je le prononce bien, Thaïse Wauquière, Tristan Lucas aussi ?
02:40– Ils ont un ton, ça c'est sûr, et puis c'est la soirée Comédie Club,
02:45ils me charrient aussi parce qu'ils me disent que c'est le seul en scène,
02:48alors j'ai rajouté un petit S à seul en scène cette année dans la fiche,
02:52ils sont cinq pour faire un seul en scène, donc ça charrie,
02:56mais oui, ils ont un ton, d'abord, je trouve ça intelligent,
03:01je ne parle pas de moi là, je parle d'eux,
03:03je trouve que dans leurs discours, c'est de l'humour, mais il y a toujours du fond.
03:07– Et le petit jeune qui démarre, Thierry Lhermitte, vous le coachez ?
03:11Vous êtes un peu son mentor, allez-y.
03:12– Thierry Lhermitte, c'est drôle parce que c'est un rendez-vous aussi d'amitié,
03:17c'était indispensable, puis qu'il ouvre, je l'ai faite l'année dernière,
03:22la Masterclass, mais une rencontre avec le public, avec Thierry Lhermitte,
03:26je trouve que ça… les gens sont déjà ravis de rencontrer cet homme,
03:32de discuter, ça va être vraiment… en plus, il va y avoir toute…
03:37moi j'ai passé deux heures, deux heures et demie,
03:40tout ce long moment, ce beau moment,
03:43où il va y avoir sa vie, son esprit, sa carrière.
03:46– Comme ici, ce que je fais avec vous. – Exactement.
03:49– Pierre-Emmanuel Barré a un humour très acide,
03:51certains pourraient dire que c'est un humoriste méchant,
03:54comme ça a été dit sur vous, vous vous reconnaissez un petit peu en lui ?
03:59– Je ne regarde pas les choses en disant, tiens c'est bien, on dirait du moi,
04:05non, non, je regarde et j'aime, certains le font, moi pas,
04:10même quand c'est très décalé, même quand c'est très différent de ce que je fais,
04:14d'ailleurs, ça l'est à chaque fois, moi je ne vois pas…
04:18– On a dit de vous que vous étiez méchant,
04:20parce que c'est vrai que vous avez égratigné tout et tout le monde,
04:23la Shoah, l'Islam, les gays, les Roms, les personnes en situation de handicap.
04:26– Je n'ai pas égratigné la Shoah, les gays, tout ça.
04:29– Mais vous en avez parlé avec humour.
04:30– Oui, c'est des sujets que j'aborde et on peut tout d'un coup trouver ça violent,
04:37moi au contraire je me dis, mais il faut aborder les sujets,
04:40il faut en parler, avec humour en tout cas au début du fond, et puis la forme oui.
04:47– Sans regret, jamais ?
04:48Sans regret, après coup, ou une vanne un peu déjeunée ?
04:50– Quand j'ai regretté, j'ai coupé, quand je regrette,
04:54de temps en temps on tente des choses et puis on se dit,
04:56ah non ça peut mal passer, ce n'est pas forcément bien interprété,
05:00ou comme je le voudrais, je coupe.
05:02Vous savez, je travaillais avec un metteur en scène, Ahmed Amidi,
05:07et Ahmed il avait une expression qui était fantastique,
05:11il disait, plus la corbeille est drôle, plus le spectacle est bon quoi,
05:15c'est-à-dire que ce n'est pas un problème pour nous de couper les choses,
05:18il ne faut pas s'obstiner avec ce qu'on a souffert,
05:21à faire tel ou tel passage du spectacle, ça ne passe pas, ça ne passe pas,
05:26ou s'il y a un danger pour que ce soit vraiment interprété à l'inverse,
05:30c'est des choses, c'était incroyable, ce qu'avait vécu Bedos par exemple,
05:34avec certains sketchs, où il était là, le Maroc, il disait,
05:37le Maroc c'est bien mais il y a beaucoup d'Arabes,
05:39alors qu'est-ce que vous leur mettez dans la gueule les Arabes ?
05:42Et là il était, mais non, c'est pour dénoncer, moi je joue le mauvais rôle,
05:46c'est pour ça qu'on pense que je suis méchant, on peut penser,
05:50pas mon public, parce que c'est un public qui ne vient pas vous voir,
05:52il ne vient pas voir un méchant.
05:54– Mais ça veut dire que les gens ne comprennent plus le second degré,
05:56vous pensez ?
05:57– Ah, je n'ai jamais dit ça, moi ils me comprennent, ils viennent me voir,
06:00non, non, le second degré s'adresse à certains qui l'aiment, je dirais,
06:05ce n'est pas que les autres ne le comprennent pas,
06:07c'est qu'ils s'en foutent, c'est que ça ne les fait pas rire,
06:09moi il y a plein de choses qui ne me font pas rire,
06:11mais je ne vois pas pourquoi on m'en voudrait, je ne leur en veux pas,
06:13ce n'est pas plus intelligent de comprendre le second degré,
06:16c'est une certaine forme d'esprit, moi ça me plaît,
06:20parce que je trouve ça très pudique finalement le second degré,
06:24on se cache derrière, vous voyez, sur mes adieux,
06:30je finissais par quitter le public en l'engueulant,
06:33en disant vous n'allez pas me manquer, j'ai plein de choses à faire,
06:36pour moi c'était une séparation quand on est encore amoureux,
06:40alors on gueule sur n'importe quoi pour que ça finisse mal,
06:45on ne peut pas finir comme ça en restant copain,
06:49non, c'est une déchirure, on souffre, alors on gueule,
06:54et il riait et c'était très émouvant de se séparer.
06:58Il vous manque déjà ce public ou pas ?
07:00Il m'a manqué pendant, chaque fois j'étais surpris de ce que j'étais touché,
07:09vraiment je pensais que j'allais être soulagé même d'arrêter ces 33-35 ans
07:20où à chaque fois un one-man-show, je mets un an, un an et demi pour l'écrire,
07:26et puis après on le répète, et puis après on le joue,
07:30et on me disait combien de temps ça dure, on en parlait,
07:33et moi je fais après un an et demi, deux ans de tournée,
07:37je le reprends sur Paris.
07:39On est meilleur quand on est seul sur scène ?
07:41Non, on n'est pas meilleur,
07:43mais moi je suis heureux quand je suis seul sur scène,
07:48ça me repose du reste du temps où je vois plein de gens,
07:51et puis au bout d'un moment, à force d'être seul sur scène,
07:55j'ai envie de voir du monde, alors je suis content de faire du cinéma,
07:59je suis content de repartir au théâtre comme je vais le faire.
08:02On a parlé de la scène, on n'a pas encore parlé de vos rôles au cinéma
08:06qui ont donné une autre image de vous, il y avait le Patrick Timsit sur scène,
08:10assez acide, un peu provoque,
08:13et puis il y a eu le Patrick Timsit plus sensible,
08:15des films comme Pédale douce, Un indien dans la ville,
08:18La crise de Colline Serrault, avec Mon petit coup de cœur à moi,
08:21qui était Michou, dont j'ai parlé en introduction.
08:23Est-ce que les réalisateurs ont perçu en vous autre chose
08:26que l'humoriste qu'on pouvait découvrir sur scène ?
08:29Est-ce qu'ils ont été grattés, est-ce qu'ils ont découvert autre chose,
08:31un personnage plus tragique d'ailleurs que comique ?
08:34C'est ce que j'aime, parce que quand on lit ce que j'ai fait,
08:39enfin quand on parcourt un petit peu le trajet, ce qui a été fait,
08:43il y a même eu des journalistes qui, tout à coup, se disaient,
08:47bon ben voilà, on commence à savoir finalement qui il est,
08:53puisqu'on ne sait pas, c'est un premier pas.
08:56Mais il y a eu des films aussi noirs, sombres que Le Cousin,
09:02le film d'Alain Corneau, mais j'ai commencé,
09:06pendant le confinement, cinq films, j'ai tourné cinq films,
09:09j'ai commencé avec Jean-Claude Van Damme,
09:11et le dernier que j'ai tourné, c'était pour Arnaud Despléchins.
09:15Donc on commence sur Netflix,
09:16on va au Festival de Cannes avec Arnaud Despléchins,
09:20c'est ce que j'aime.
09:21Et donc je crois que les...
09:23Vraiment, je vois dans les propositions qu'on me fait,
09:26d'ailleurs, je vais... Pareil, là.
09:29– Ça veut dire qu'ils trouvent autre chose en vous
09:30que l'humoriste qu'on voit sur scène ?
09:32C'est qu'ils ont perçu quelque chose ?
09:34– Oui, mais ils ont été à l'écoute, parce que par exemple,
09:37seul sur scène, je fais le livre de ma mère aussi, d'Albert Cohen,
09:41je suis rire et chanson et France Culture, c'est formidable ma vie.
09:46– Plus bourville que de funès ?
09:49– Je suis plus... Je ne sais pas, je suis là où je suis heureux d'être.
09:55C'est vraiment le plaisir d'être...
09:59Je ne cherche pas à savoir si tout d'un coup...
10:02J'avais ce défaut, c'est un défaut même de jeunesse,
10:05on a toujours envie d'être ailleurs,
10:06on est quelque part et on se dit, qu'est-ce qui se passe ailleurs sans moi ?
10:10Disons que là, vraiment, je vais au contraire chercher l'endroit
10:15pour y rester sans avoir envie de regarder ce qui se passe ailleurs.
10:21– J'ai un document à vous proposer, Patrick Timsit,
10:23je vais vous le mettre entre les mains
10:25et puis je vais le décrire pour les gens qui nous écoutent.
10:27C'est un document proposé par nos partenaires, les Archives Nationales,
10:31il s'agit d'un prospectus invitant à la nuit des pieds noirs et de leurs amis.
10:35C'était le 12 janvier 1964 au Palais d'hiver à Lyon,
10:38avec comme invité star Enrico Macias
10:40et comme attraction l'élection de Miss Pieds Noirs,
10:43c'était entre 4 et 6 francs l'entrée pour l'anecdote.
10:46Les pieds noirs qui sont arrivés en masse au début des années 60 en France,
10:50avec un besoin de se retrouver parfois, la preuve.
10:531964, vous vous êtes déjà en France, vous êtes déjà arrivé à ce moment-là,
10:57c'est un document qui vous parle, qui évoque quelque chose peut-être ?
11:00– Évidemment, j'ai été élevé par mes parents pieds noirs,
11:05place de la République, on habitait cette maroquinerie, cette boutique,
11:11et je me rappelle parfaitement de cette vie que j'avais, de quartier,
11:18moi je suis un titi parisien, mais j'ai été élevé avec la musique,
11:24la culture d'Afrique du Nord, je dirais pas pieds noirs,
11:29j'irais d'Afrique du Nord parce qu'en plus j'ai eu la chance
11:32d'avoir des parents qui m'ont toujours élevé avec les Algériens,
11:36les musulmans, les Arabes, ma mère a été maroquinière après à Barbès,
11:41elle a été rue Poulet, donc cette musique judéo-andalou ou arabo-andalou,
11:48comme on veut, ça m'a toujours accompagné,
11:53et vraiment bien sûr que ça me parle Enrico Macias,
11:57comment ne pas être concerné ? – Vous dites Enrico Macias, c'est bon.
12:00– Enrico, Enrico, vous voulez dire Enrico Macias, Gaston on peut dire,
12:06c'est la merveille. – Parce que vous êtes né à Alger
12:08à l'époque où l'Algérie était française,
12:10vos parents ils tenaient effectivement une maroquinerie,
12:12mais quand vous avez deux ans, une bombe explose juste à côté de la boutique,
12:17ils ont fait sauter la caserne d'en face et mon père a dit à ma mère,
12:20on a une heure pour faire les bagages, on part.
12:23Alors vous avez j'imagine vous-même peu de souvenirs de ce moment-là,
12:25mais est-ce que vous avez eu l'occasion d'en reparler avec vos parents ?
12:28– Ben oui. – De ce traumatisme-là ?
12:30– Bien sûr, bien sûr, d'ailleurs ils m'ont demandé de ne plus en parler,
12:32parce que je ne sais pas pourquoi, ça leur fait mal,
12:34mais alors ils avaient peur, j'ai compris après,
12:37c'est pour ça que je peux en parler,
12:39parce qu'ils avaient peur qu'on pense que c'est eux qu'on voulait faire sauter,
12:43et c'est pour ça que c'est important de préciser,
12:45c'était la caserne d'en face, la caserne, la bombe a soufflé toute la baie vitrée,
12:51mon père voit tous les vers, tous les trucs, et c'est là où il dit à ma mère,
12:56et non seulement, vraiment, je n'avais pas de souvenirs,
13:00mais ça me touche d'autant plus, je dirais que là,
13:04avec l'Ukraine et les images de l'Ukraine,
13:07j'ai eu l'impression que j'avais une vraie,
13:11face à moi j'avais les images de ce qu'ont vécu mes parents,
13:14et donc ce que j'ai vécu dans les bras de mes parents,
13:17où on voit ces gens qui en une heure prennent le peu d'affaires,
13:22ou le plus d'affaires qu'ils peuvent, et le peu d'affaires qu'on peut emporter.
13:26– Ça a été un arrachement pour vos parents ?
13:28– Ça a été un arrachement, mais on n'a jamais été élevé dans la…
13:33– La colère ? – La nostalgie, et encore moins la colère,
13:36parce que mon père, ça a été extraordinaire,
13:39il a vendu, il n'a fait pas grand-chose déjà,
13:41donc ça ne fait pas partie de ses riches pieds noirs,
13:43qui ont tout perdu, une main devant, une main derrière,
13:45deuxième chose qu'il a, il n'a même pas perdu ses amis,
13:48parce qu'il avait vendu sa maroquinerie à un Algérien qui l'a payée,
13:52et lui, je m'en souviens bien de M. Madi, il l'a payée jusqu'aux derniers centimes,
13:57et je me souviens même de son fils, de M. Madi,
14:00qui travaillait, où mon père a pu aussi l'aider, à Paris.
14:04Donc non, il n'y a pas de colère, quand il est arrivé,
14:08c'était au contraire, l'Eldorado, Paris.
14:12– Ça a créé quand même une proximité avec ces peuples qu'on voit migrer,
14:15et qui migrent, ça a créé un lien particulier avec leur histoire,
14:18avec ce qu'ils vivent ?
14:19– La preuve, c'est que l'Eldorado, vous voyez, je n'avais pas réfléchi à ça,
14:24mais vous me dites, effectivement, le lien est carrément évident,
14:29c'est-à-dire que là, il y a Internet, ce qu'ils voient,
14:33ces gens qui vont aujourd'hui, qui veulent l'Eldorado,
14:36mon père l'a vécu comme ça, avec cette boutique,
14:39Place de la République, plus grande, où il travaillait jour et nuit,
14:45comme un fonctionnaire.
14:46– Parce que c'est difficile de se réinstaller quelque part,
14:47et surtout là où on ne vous attend pas, et même pas du tout,
14:50j'imagine que c'est ça qu'ont vécu vos parents.
14:51– Et pas aimés, les pieds noirs n'ont pas eu un bon accueil,
14:55de ce qui m'a été…
14:56– Transmis.
14:57– Ce n'est même pas mes parents qui m'ont relaté ça,
14:59on s'instruit un peu, on voit bien que les pieds noirs,
15:04tout d'un coup, mais de toute façon, tout ce qui arrive fait peur,
15:07ce n'est pas les pieds noirs qui ont pas été…
15:09Toute personne qui arrive, on se dit, qu'est-ce qu'il veut celui-là ?
15:13Et il vient, le fameux sketch de Fernand Henault,
15:16vous voyez comme quoi les comiques aussi ont leur part
15:19pour marquer l'histoire avec le boulanger,
15:22il vient voler, manger le pain des Français,
15:25il n'y a plus de pain, c'était le boulanger, mais…
15:28– Et cette marocainerie à Barbès,
15:29est-ce que ça a été un lieu d'apprentissage pour vous,
15:33une école de la comédie humaine ?
15:34– Largement, c'était la cour des miracles,
15:40ma mère était très aimée, elle était seule dans sa boutique,
15:44elle n'avait besoin de personne,
15:46et tous les commerçants autour prenaient soin de surveiller
15:50ce qui s'y passait, tout ça, et elle parlait tellement,
15:54vous voyez, on a toujours un petit point commun dans la famille,
15:57on parle beaucoup, on est là,
15:59et puis elle avait tellement la pêche que quand j'y allais,
16:02moi j'ai rencontré mon premier transsexuel,
16:06j'allais vous dire, j'avais dix ans,
16:08n'aie pas peur mon chéri, cet homme est une femme,
16:11et donc vous voyez, ça remonte.
16:13– C'est beau, c'est comme ça que votre mère a présenté
16:16la personne qui est en train de…
16:17– Bien sûr, et il est venu fêter parce qu'il m'a dit,
16:20moi je ne suis pas homosexuel, je suis un cas médical,
16:23je suis XXY, vous regardez le premier court-métrage
16:26qu'on a fait avec mon ami Nicolas,
16:29pas l'anecdote, il y a effectivement cet homme-femme XXY,
16:39ce cas médical, et il y avait une dame énorme en kilos
16:45et en cœur aussi, non-voyante,
16:49qui passait ses après-midi chez ma maman,
16:52du coup ma mère l'emmenait en vacances avec elle, il y avait tout…
16:57– Ils vous ont inspiré tous ces personnages, pour la suite ?
16:59– Oui, de leur énergie, des histoires qu'ils racontaient,
17:03on riait beaucoup, moi quand je quittais l'école,
17:05je me précipitais, ou dans le bureau de mon père,
17:08parce que c'était la même ambiance, le bureau de mon père,
17:10la petite maroquinerie, lui il avait une agence immobilière,
17:13il avait une grosse maroquinerie,
17:16vous savez moi j'ai été élevé petit,
17:18alors maintenant quand je la vois, je me dis que ce n'était pas si gros,
17:20mais bon, moi j'y jouais, j'y passais ma vie,
17:23j'avais ma petite blouse, ma mère préférait que je joue
17:26à la maroquinerie plutôt que j'aille au square,
17:28c'était moins dangereux, donc vous voyez qu'on n'était pas si impressionnés.
17:31– Et à l'allure de celui que vous êtes aujourd'hui,
17:32qu'est-ce que vous diriez au petit garçon qui s'apprête à se lancer dans la vie ?
17:36Qu'est-ce que vous lui diriez ?
17:37– Si je voyais moi petit comme ça, t'as raison, profite,
17:41j'étais heureux, j'étais aimé, on n'a jamais manqué de rien,
17:47on habitait la cuisine, et c'est pas pour faire chialer quand je dis ça,
17:51la cuisine de la boutique, mon père se débrouillait toujours,
17:54pour que ce soit chaleureux, humain,
17:57il avait bricolé une mezzanine sur laquelle ils avaient mis leur lit,
18:02et puis après on a eu un deux-pièces,
18:05alors on était encore plus heureux, les choses arrivaient.
18:07– Et vous avez un peu suivi ces traces à votre père,
18:09parce que vous avez été agent immobilier aussi,
18:11c'est comme ça que vous rencontrez quelqu'un qui vous fait connaître le théâtre ?
18:15– Alors moi c'est mon chien.
18:16– Vous prenez votre chien, voilà, c'est ça,
18:18mais vous êtes agent immobilier à ce moment-là ?
18:19– J'étais agent immobilier à ce moment-là.
18:20– Et en 48 heures ?
18:21– Je m'ennuyais, ouais, là j'ai eu le choc, quoi.
18:25Et six mois que je promène mon chien avec cette personne au Bois-de-Boulogne,
18:30il a un atelier de théâtre, Jean-Michel Noiré, comme ça on va le citer,
18:33et puis c'est un atelier, c'est pas des cours, il me dit viens, viens, viens,
18:38et un jour je déboule comme ça, et là il me fait faire deux impros,
18:45les gens rient, j'ai dit je vais essayer, c'est formidable,
18:48c'est peut-être ça que je veux faire,
18:49je sentais que j'avais envie de savoir, je ne voulais pas le regretter,
18:53et j'ai fermé l'agence en 48 heures, j'étais pas heureux,
18:57l'ambiance, mon premier sketch d'ailleurs, qui était un peu connu,
19:02c'était les petites annonces,
19:04où j'apprenais à traduire une annonce immobilière.
19:07– Vous n'étiez pas à votre place dans le monde de l'immobilier,
19:09c'était pas ça ?
19:09– Non, non, c'était surtout cette ségrégation dans les locations,
19:14– Ah oui ?
19:14– Bah oui, vous faites un dossier,
19:17vous faites un dossier avec les consignes du propriétaire,
19:20et les consignes elles sont claires, c'est pas que un salaire,
19:24c'est au niveau, est-ce qu'il est noir, est-ce qu'il est arabe,
19:28mais oui, moi je m'amusais à foutre en l'air les annonces,
19:33pas des concurrents, parce que j'ai tellement l'impression
19:37de ne rien avoir à faire avec ces gens-là,
19:42je prenais un accent, je faisais allô, bonjour,
19:45j'ai un téléphone pour l'annonce, c'est loué monsieur, c'est loué,
19:48bon, je rappelais, bonjour monsieur, j'appelle pour l'annonce,
19:52ou madame, oui, alors c'est un deux-pièces et tout ça,
19:55et là je me présentais comme la caisse d'assurance,
19:58chaque agence immobilière a affaire à une assurance,
20:02sinon vous ne pouvez pas travailler,
20:04et là ils disaient non mais c'est une jeune, ou c'est un jeune,
20:08ils ne savaient pas que c'était loué du coup,
20:09après toute la journée, ils disaient oui, c'est loué, c'est loué,
20:12et c'est vraiment ça, il ne faut pas se cacher,
20:15bien sûr que ça doit l'être encore,
20:17c'est très compliqué de trouver sa place
20:22et d'être honnête avec soi-même, parce que parfois on n'a pas le choix,
20:27et on a un patron qui est comme ça,
20:29on est dans une branche, c'est comme ça, voilà,
20:33et donc je ne suis même pas fâché contre ceux qui le font,
20:35parce que je serais plutôt triste s'ils sont obligés de le faire.
20:41– J'ai des photos à vous proposer, Patrick Timsit,
20:44l'un des rituels de cette émission, la première photo,
20:47c'est Emmanuel Macron au Brésil avec le président Lula et le chef Raoni,
20:50à qui notre président a remis la Légion d'honneur,
20:53les deux présidents ont promis de lever un milliard d'euros,
20:56ou de dollars, pour l'Amazonie,
20:59vous qui avez fait l'expérience de l'émission en terre inconnue,
21:02c'était en Indonésie, en pleine nature,
21:04je crois que ça vous a beaucoup sensibilisé à ces peuples
21:07qui sont un peu isolés, fragilisés par le monde moderne,
21:11de se retrouver dans ce clan indigène d'une cinquantaine de personnes,
21:15qui sont les Mentawai, je peux dire que moi j'ai des amis Mentawai,
21:19– Vous avez revu ? – On s'est intervus, mais par Skype,
21:23parce qu'il y avait quelqu'un qui avait été…
21:25Moi j'ai toujours dit que j'amènerais mes enfants,
21:28que je présenterais, que je verrais mes enfants
21:31et les enfants que j'ai connus là-bas,
21:33– Pour qu'ils voient quoi ? Pour qu'ils comprennent quoi ?
21:36– Pour qu'ils comprennent que tout d'un coup ces gens sont au courant,
21:40largement au courant de notre existence, de notre façon de vivre,
21:44ils ont eux-mêmes des enfants qui parfois, même souvent,
21:48quittent ce clan, et ceux qui reviennent et ceux qui restent,
21:52et pour voir tout ce que j'y ai vu, tout ce que j'y ai appris,
21:57l'égalitarisme… – Que des choses où on nous réunisse malgré la distance ?
22:00– Oui, alors nous réunisse, qu'il vaut mieux accepter la différence,
22:04je préférais ça, parce que nous réunir ça dépend de nos caractères,
22:08et puis de notre envie d'être réunis finalement,
22:10mais oui, mettre la lumière sur eux pour les protéger, qu'on en parle,
22:18parce que quand on en parle, on ne pourra pas dire, ah bon, on ne savait pas.
22:21– Une deuxième photo, c'est une image d'un pêcheur sénégalais,
22:25c'est pêcheur sénégalais qui souffre de la surpêche de cargos bulldozers étrangers
22:29qui viennent se servir illégalement au large des côtes,
22:31qui ne sont pas les leurs et qui affament les populations,
22:33je vous en parle parce que vous jouez un pêcheur en difficulté,
22:36dans le film Tomber du camion, vous êtes Stan, un pêcheur qui se retrouve
22:40embarqué dans un trafic de vols d'objets provenant de camions,
22:43pour ce rôle, vous avez été immergé dans le drame de l'activité des pêcheurs,
22:48d'ailleurs est-ce que chaque film crée une sensibilité particulière,
22:52un engagement particulier sur un sujet, en l'occurrence là, celui des pêcheurs ?
22:56– Oui, parce que c'est quand même, ça fait partie de mes choix,
23:00je me dis, mais tiens, c'est tellement hétéroclite,
23:04ça ressemble tellement pas à la chose que j'ai au projet d'avant,
23:09ni à celui d'après, qu'on se dit, qu'est-ce qui pourrait réunir ?
23:12Alors je dirais la curiosité, le social, le sentiment de mépris,
23:17d'exclusion dans les personnages comme Michoud sur la crise,
23:20comme un indien dans la ville finalement, ce petit gamin,
23:23qui arrive dans Paris, c'est Crocodile Dandy, chez les gamins,
23:31et là, vraiment, boulogne sur mer, près de Calais,
23:37on est dans le…
23:40alors c'est fou parce que c'est tout près,
23:46c'est bien plus près que des endroits où j'ai été,
23:50où on se dit finalement ils sont différents,
23:52et là on a l'impression de découvrir,
23:55mais on serait passé à côté de cette mentalité,
24:02de ces gens pudiques que j'ai découverts,
24:06avec qui je passais du temps,
24:07et qui m'ont aidé finalement à préparer mon rôle.
24:10Et à comprendre leur détresse et leurs difficultés.
24:12Complètement, mais sans jamais se plaindre,
24:15on les découvre parce qu'on va poser des questions,
24:18parce qu'on les voit vivre, et finalement qu'on vit avec eux.
24:21L'intérêt de faire un film, c'est qu'on passe du temps,
24:24et ça a été une rencontre vraiment forte.
24:28Forte, et puis marin-pêcheur,
24:31vous découvrez un milieu qui est dur,
24:34mais où les gens sont passionnés.
24:35Donc c'est un métier, on pourrait dire,
24:38c'est de la pénibilité au travail, très fort, très dur,
24:41et en même temps une passion, où ils ne feraient pas autre chose.
24:45Et puis le port, un port,
24:48vous avez boulogne-sur-mer-ville, et boulogne-sur-mer-port.
24:54C'est vraiment, quand vous voyez le maire de boulogne-sur-mer,
24:58vous comprenez qu'il a deux villes, des univers complètement différents,
25:03et qu'il est vraiment sur le terrain.
25:05C'est un homme, c'est un homme près de tout le monde,
25:09près des gens, il connaît bien son domaine, qui est l'humain.
25:12– Une dernière question, qui est en lien avec le lieu dans lequel nous sommes.
25:15Nous sommes entourés de quatre statues, qui représentent chacune une vertu.
25:19Il y a la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence.
25:23Est-ce qu'il y a une de ces vertus que vous avez envie de défendre là,
25:26tout de suite, maintenant, ou qui vous caractérise, vous, peut-être ?
25:28– Les quatre sont défendables quand elles sont bien représentées, je dirais.
25:34Parce que je pourrais au contraire les descendre, chacune.
25:38Non pas les descendre pour me faire, voilà, ça y est, encore,
25:43il faut qu'ils salissent ce qui est beau.
25:44– L'humoriste méchant.
25:46– Mais de dire, la justice, il y a tellement de gens qui défendent la justice,
25:50qui se sentent du bon côté, et du côté de la justice,
25:53et qui font des ravages d'injustice, parce que pas à l'écoute,
25:59parce que violent, parce que sans lucidité des conséquences
26:07de leur acte, de leur décision, que je me dis,
26:11ben la justice, oui, quand elle est bien faite.
26:13La justice, quand elle est portée par des…
26:18– Des leaders.
26:19– Des leaders qui savent aussi être au service des lois,
26:21mais qui savent en faire quelque chose, c'est-à-dire qui restent humains,
26:25qui ne s'abritent pas derrière les lois, alors là c'est l'éloquence.
26:29– L'éloquence.
26:30– L'éloquence, les beaux parleurs qui vous endorment,
26:33donc c'est pour ça aussi, oui l'éloquence, formidable l'éloquence.
26:37– Donc toutes ces vertus à condition qu'elles soient bien représentées.
26:39– Exactement, exactement.
26:41– Parfait.
26:42– La prudence, moi j'ai toujours entendu, attention,
26:44dès que je voulais faire quelque chose par mes parents,
26:46donc la prudence, oui, mais ça n'empêche pas,
26:48il ne faut pas que ça empêche d'avancer.
26:49– Pas trop non plus, et la sagesse ?
26:51– La sagesse, oui, peut-être alors la sagesse.
26:55– Ah ben voyez, finalement vous faites un choix.
26:57– On a bien fait de faire le tour, parce que la sagesse,
27:01bizarrement, la sagesse, quand elle a une belle énergie,
27:05alors on peut être sage, si on ne s'endort pas.
27:08La sagesse n'est pas paresse, n'est pas endormissage.
27:11– Une vertu mais sous condition, c'est ce que j'entends.
27:12– Toujours.
27:13– Merci Patrick Timsit d'avoir été avec nous,
27:14merci de nous avoir accompagnés dans ce rendez-vous,
27:16merci beaucoup, émission que vous pouvez retrouver évidemment en podcast,
27:19merci beaucoup de nous avoir suivis, comme chaque semaine.
27:21À très bientôt sur Public Sénat, merci.
27:23– Sous-titrage ST' 501