Il est l'un des rares magistrats connus du grand public. Et pour cause il est une des figures emblématiques de la lutte contre le terrorisme et le djihadisme. Sa marque : son franc-parler et sa liberté. Tantôt qualifié de, « grande gueule », qui parle « cash », il avait alerté sur la menace terroriste imminente deux mois avant les attentats du 13 novembre 2015. Amateur de rock, et auteur de roman policier à ses heures perdues, comment trouve-t-il sa place dans le monde feutré de la justice ? Peut-on juger et prendre position médiatiquement ? Dix ans après les attentats de Charlie Hebdo, quel est l'état de la menace terroriste aujourd'hui en France ? Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit Marc Trévidic, dans l'émission « Un monde un regard », sur Public Sénat.
Une collection de grands entretiens inspirante dans un monde en manque de repères et de modèles. Année de Production :
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00:00« Son nom, son visage, sa fonction, notre invité fait partie des rares magistrats que
00:27le grand public connaît.
00:28Prendre position publiquement ne lui fait pas peur, les médias ne lui font pas peur,
00:33il sait même s'en servir quand il les juge utiles pour faire avancer une affaire.
00:36C'est lui par exemple qui, deux mois avant les attentats du 13 novembre, alerte sur la
00:41menace terroriste imminente en France.
00:44C'est lui qui pousse l'instruction autour de l'assassinat des moines de Tibhirine en
00:48Algérie, en faisant publier une lettre ouverte au président Hollande.
00:53Lui encore qui assumera de s'appuyer sur les enquêtes journalistiques de Mediapart pour
00:57instruire l'affaire Karachi.
00:59Parler, publier, communiquer, on le dit cash, on le dit grande gueule.
01:04Quand il dénonce le manque de moyens pour lutter contre le terrorisme ou les crimes
01:08de droit commun.
01:09Quand il critique l'accumulation de textes de loi qu'on ne peut pas appliquer.
01:13Quand il dit qu'un ministère de la justice, au fond, ça ne sert à rien.
01:18Il dérange, il agace le pouvoir, il l'égratigne.
01:22Est-il alors un juge rebelle ?
01:24Ce serait quoi pour lui, une justice qui fonctionne bien ?
01:27Posons-lui toutes ces questions.
01:29Bienvenue dans un monde d'un regard.
01:30Bienvenue Marc Trévidique.
01:31Merci d'avoir accepté notre invitation ici au Sénat.
01:33Président de chambre à la cour d'appel de Versailles, ancien juge antiterroriste, mais
01:37aussi romancier, auteur notamment de huitièmes sections chez Séry Noir et Gallimard.
01:43Vous n'aimez pas beaucoup, je crois, la façon dont le pouvoir politique gère le monde de
01:48la justice.
01:49Qu'est-ce qui vous dérange ?
01:51Ce qui me dérange, c'est qu'on en est resté un peu à la monarchie.
01:54Toute justice émane du roi.
01:56C'est le point de départ.
01:58Ce qui fait que je pense que les politiques foncièrement sont restés sur cette vision
02:02de la justice et non pas sur une justice moderne, c'est-à-dire indépendante.
02:05Ils ont du mal à accepter cette prise d'indépendance dans les années 90 de la justice.
02:13Ils essayent quand même de garder leur avantage, notamment à la direction administrative.
02:20Il faut savoir qu'on a cette particularité en France quand même, par rapport à plein
02:23de pays, d'avoir ces deux ordres juridictionnels, et de tenir la justice d'une manière ou
02:28d'une autre sous sa coupe, tout simplement, alors qu'une grande démocratie devrait pouvoir
02:33évoluer sur ce terrain-là aussi.
02:35Vous allez même plus loin, je vous ai entendu dire qu'un ministère de la justice, ça
02:39ne sert à rien.
02:40Mais le monde de la justice peut avoir besoin d'un ministre, par exemple, qui fait pression
02:43pour obtenir des crédits, plus d'argent ?
02:46Oui, mais on peut effectivement avoir un ministère du service public de la justice
02:52dont le rôle serait uniquement de donner les moyens de fonctionnement.
02:56Mais comme est conçu le ministère de la justice aujourd'hui, c'est vraiment, comme disait
03:01Rachid El-Atti, le patron des procureurs, c'est dans ce sens-là, dans le sens politique.
03:07Mais un service gestionnaire, est-ce qu'il faut un ministre pour avoir un service gestionnaire ?
03:13Voilà, ça se discute.
03:15Et puis, à vrai dire, c'est même étonnant que la justice ait besoin de réclamer des
03:21moyens, s'agissant de la fonction la plus régalienne qui soit, elle devrait être privilégiée,
03:26logiquement, dans une société.
03:28Et c'est exactement l'inverse de ce qui se passe en France.
03:30Donc est-ce que le ministère de la justice sert ?
03:32Puisque ça fait des années que la justice n'est pas opérisée.
03:34Il y a des ministères de la justice, depuis très longtemps, sans jamais qu'on ait changé ça.
03:39Je ne suis pas sûr.
03:40C'est plutôt une façon de rentabiliser un budget minimum et faire passer des lois
03:51qui, généralement, répondent à des faits divers.
03:53Partout, il est écrit que vous dérangez, que vous attirez des inimitiés.
03:57Est-ce que c'est vrai, c'est réel, vous le ressentez et vous ressentez des pressions ?
03:59Ah ben oui, j'ai des gens qui ne m'aiment pas, fatalement, et qui n'aiment pas la façon
04:04dont je conçois, justement, la justice, le rôle des magistrats,
04:10qui n'aiment pas, traditionnellement, que j'aille dans les médias, etc.
04:15Et puis, j'en ai beaucoup aussi qui apprécient beaucoup qu'on parle de la justice de cette façon.
04:19Donc, en fait, j'ai aussi beaucoup de collègues qui apprécient vraiment,
04:22qui sont très, très, très contents que, de temps en temps,
04:25je puisse dire des choses qui ne vont pas, sans être dans un syndicat, si vous voulez.
04:29C'est ça, la particularité.
04:31Et c'est ce que je reproche aux différents syndicats de magistrats en France,
04:35c'est qu'ils sont un peu trop à discuter du point d'indice, vous voyez,
04:39de nos conditions matérielles, à nous, magistrats, sans avoir de grandes idées
04:46pour améliorer le fonctionnement global de la justice.
04:49C'est pour ça que je suis à l'écart des syndicats.
04:53Moi, la justice fonctionne très, très mal.
04:56Les Français le savent, ils le regrettent.
04:59Et il n'y a rien qui est prévu pour qu'un jour on règle ce problème-là.
05:03– D'après vous, les juges devraient prendre la parole publiquement plus souvent ?
05:08– Dans leur domaine, bien entendu.
05:10Si un juge ne vient pas dire, voilà, ça ne fonctionne pas,
05:14mon domaine, pénal, théorique, enfin peu importe,
05:17je suis juge d'affaires familiales, ça ne fonctionne pas,
05:19juge des enfants, voilà, ça ne fonctionne pas.
05:21Si on ne vient pas dire, expliquer pourquoi ça ne fonctionne pas,
05:25le degré de difficulté que l'on recouvre,
05:30on va être finalement toujours pointé du doigt
05:33comme les responsables des dysfonctionnements.
05:36Un juge des enfants qui, pendant toute sa carrière,
05:39constate qu'il n'arrive même plus à placer les enfants
05:43parce qu'il n'y a pas de place dans les foyers,
05:44en accueil d'urgence, etc.
05:45Donc ces décisions ne sont même pas appliquées
05:47alors qu'il y a de l'enfance en danger.
05:49C'est une chose essentielle pour la France.
05:53Alerter sur le fait qu'un jeune de 18 ans
05:55qui sort de l'assistance éducative, il est à la rue,
05:58qu'on a un taux de SDF,
06:00de ceux qui sortent du système, c'est incroyable.
06:03Des vrais problèmes de société
06:05qui n'intéressent pas les politiques, très franchement.
06:09Donc il faut que les professionnels les mettent en avant
06:12pour que la politique, les politiques s'en saisissent,
06:14qu'ils soient obligés de s'en saisir.
06:16Parce qu'il y a une opinion publique derrière qui va dire,
06:18oui, là, ce qu'on dit, c'est clair, c'est clair,
06:20donc pourquoi on fait rien ?
06:22Et puis voilà, et puis les malades en maison d'arrêt,
06:27psychiatrique, je veux dire, comment on fait ?
06:29Tous ces problèmes importants,
06:31je vous assure que si on n'en parle pas,
06:33ce ne sont pas les choses qui vont d'emblée passionner les foules
06:37et passionner nos politiques.
06:39– Pour vous, c'est ça qui expliquerait la mauvaise image de la justice
06:42auprès de l'opinion publique dont vous parliez il y a un instant ?
06:45– L'opinion publique ne connaît pas le fonctionnement de la justice,
06:48ne connaît pas ses juges, ne connaît pas nos difficultés.
06:51Ce que voit l'opinion publique, c'est qu'ils arrivent
06:54et qu'il leur faut, dans certains endroits,
06:57un délai très long pour rencontrer un juge,
07:00pour même des choses essentielles comme le droit de la famille,
07:05ou alors un simple conflit de voisinage
07:07qui va durer pendant dix ans, c'est ça.
07:11Bon, il faut expliquer, il faut faire comprendre
07:14comment ça fonctionne et quelles sont nos difficultés.
07:17Ils connaissent surtout la justice par les faits divers
07:20et généralement les choses qui ne fonctionnent pas bien.
07:21Ah mais comment ça se fait que celui-là, il a été libéré,
07:25qu'il a pu recommencer ?
07:27Et en fait, il y a des réponses, généralement très claires,
07:30mais pas les réponses populistes des politiques qui vont dire
07:34« Ah ben c'est pas grave, on va voter une loi demain »,
07:36on sait très bien que ça ne donne rien.
07:38Il faut vraiment un discours construit qui explique tous ces problèmes.
07:42– Marc Trémitique, vous avez instruit des affaires sensibles,
07:44vous avez été un juge antiterroriste qui a marqué les esprits,
07:47notamment parce que lorsque vous quittez vos fonctions de juge antiterroriste,
07:51vous pressentez que des attentats vont se produire sur le sol français.
07:55En août 2015, à trois mois donc des attaques du 13 novembre,
07:58vous interrogez un islamiste arrêté à son retour de Raqqa,
08:01fièvre de Daesh en Syrie, à ce moment-là,
08:04et il vous dit qu'un concert de rock va être visé,
08:08que tout le monde se porte volontaire là-bas pour frapper la France.
08:11Vous êtes choqué par ce qu'il vous dit.
08:13Quand quelqu'un là-bas dit qui est volontaire pour aller frapper la France,
08:17tout le monde lève la main.
08:18– Oui, oui, tout à fait, à Raqqa, en tout cas dans les catibas francophones,
08:22franco-belges, j'allais dire, et puis avec Abaoude,
08:25qui voulait vraiment faire des attentats.
08:29Oui, c'est pour ça que je me suis permis de bien préciser
08:32que ça devenait quasiment inévitable ce qui allait nous arriver.
08:35On avait eu une année très difficile, 2015, mais même 2014,
08:38il y a eu plusieurs tentatives d'attentats,
08:41on se souvient du Thalys, organisé par Abaoude précisément.
08:44– Mais vous aviez été entendu à ce moment-là,
08:46où la machine était impossible à arrêter, c'était trop tard.
08:50– Bon, alors, en interne à la DGSI, tout le monde était d'accord,
08:55on n'y arrive plus, on va se prendre un gros attentat, c'est sûr.
08:58Voilà, il n'y avait plus les moyens, ils tiraient la sonnette d'alarme,
09:01si vous voulez, mais en fait, je crois que ce n'est pas propre à la France,
09:05malheureusement, il faut qu'il y ait un massacre
09:09pour que vraiment, là, tout d'un coup, l'argent arrive.
09:12Et c'est ce qui est arrivé après le 13 novembre 2015,
09:15ils sont passés à 26 au parquet national antiterroriste,
09:19enfin, je veux dire, on passe de 8 à 26.
09:23Pour la DGSI, ils ont eu un recrutement massif,
09:26donc malheureusement, il leur a fallu un bain de sang
09:30pour qu'enfin, il y ait une prise de conscience
09:32du fait qu'on a été sous-dimensionnés.
09:36C'est dommage, je le comprends aussi, c'est comme ça partout finalement,
09:40oui, vous inquiétez pour rien, etc.
09:44– C'est ce qu'on vous disait.
09:46– Oui, ça ne sert à rien d'inquiéter les gens,
09:49c'est à peu près ça, oui, tout à fait, bien sûr.
09:51Simplement, je leur dis ce qui va leur arriver.
09:55– Vous qui avez eu beaucoup de terroristes face à vous,
09:58que vous avez interrogés, qu'est-ce qui les anime ?
10:03– Pas toujours la même chose.
10:05J'ai connu une période où, à l'époque al-Qaïda,
10:10ils partaient dans les camps d'entraînement en Afghanistan,
10:13puis après, ils allaient faire le djihad en Tchétchénie, en Bosnie, etc.
10:18ou en Algérie, pour ceux qui étaient d'origine algérienne.
10:22Il n'y avait pas forcément une haine de la France,
10:25il n'y avait pas forcément des départs en disant
10:26je vais revenir et vous faire un attentat.
10:28L'époque islamique, c'était que ça, c'est-à-dire,
10:31c'est des jeunes, français ou pas, mais qui ont vécu en France,
10:35qui partaient rejoindre l'État islamique avec la haine de la France,
10:39et ils espéraient bien revenir faire des attentats.
10:42Donc on avait, la motivation était vraiment de la haine, si vous voulez.
10:45Quand on est salafiste djihadiste, on peut rejoindre un groupe terroriste,
10:49on peut rejoindre une zone de djihad, pour 20 000 raisons,
10:53pas forcément dans le but de venir faire d'attentats terroristes
10:56après au retour en France.
10:57Mais c'était malheureusement le cas avec l'État islamique.
11:00– Juste après l'attentat du Bataclan, vous disiez,
11:02la porte de sortie, c'est un travail contre la radicalisation
11:05et contre l'idéologie islamiste, ça peut prendre 10 ou 15 ans,
11:08il faut travailler sur les causes, est-ce qu'on a fait ce travail ?
11:11– Alors, on a commencé à le faire, parce que comme on faisait rien,
11:15mais vraiment rien, il faut bien imaginer, vous vous rendez compte,
11:18c'est parce qu'il y a eu tous ces français qui sont partis en Syrie,
11:21qu'à partir de 2014, on commence à s'inquiéter de la radicalisation
11:25en maison d'arrêt, de faire des quartiers d'observation
11:30de la radicalisation, toutes ces choses-là, tout ça n'existait pas.
11:32La seule chose qui existait, c'est Donia Bouzard pour les filles,
11:36qui avait commencé en 2012-2013.
11:39Mais avant, on a eu plein de jeunes radicalisés,
11:41on a eu du terrorisme, et on ne faisait strictement rien.
11:46– Il y avait eu Mohamed Merah aujourd'hui ?
11:47– Oui, bien sûr, on avait évidemment des jeunes radicalisés,
11:52j'allais dire, depuis les années 90, donc on ne faisait rien.
11:56Alors, on a commencé à créer des structures,
11:59essayer d'avoir des professionnels, y compris des psychologues,
12:02des psychiatres, essayer d'évaluer les gens, essayer en maison d'arrêt
12:06de voir ceux qui ont pas l'éthique à terrorisme, mais qui se radicalisent,
12:09faire du renseignement pénitentiaire, pour qu'à la sortie de la DGSI,
12:13ils connaissent les noms de ceux qui sont radicalisés
12:16en maison d'arrêt ou en centre de détention.
12:19– Et les leaders ?
12:19– Voilà, donc il y a plein de choses qui ont été faites et qui sont très utiles.
12:23Mais là encore, ça ne s'est mis que parce que c'était la catastrophe.
12:27– Et vous pensez que c'est suffisant ou pas ?
12:29C'est-à-dire que, j'imagine que vous êtes encore très concerné par le sujet,
12:32que vous avez des informations et évidemment une intuition.
12:35Est-ce que vous avez l'impression que la menace terroriste aujourd'hui
12:38est encore très forte en France ?
12:40– Alors, elle est forte, mais elle vient pas de l'extérieur.
12:44Elle est vraiment des jeunes ou des groupes de jeunes
12:47qui vont vouloir faire quelque chose sans être guidés par un groupe extérieur.
12:51Aujourd'hui, c'est ça la menace.
12:53– C'est ce qu'on appelle la menace endogène.
12:54– Oui, oui, mais ce qui m'inquiète moi plus, c'est l'âge.
12:58Il faut comprendre que moi, j'ai commencé en 2000 l'anti-terrorisme,
13:02je n'avais jamais vu de mineurs sur les bancs de la Galerie Saint-Éloi.
13:08Il a fallu l'État islamique pour qu'on voit les premiers mômes de 15-16 ans.
13:13Vous voyez ? Et les femmes aussi massivement, ce qu'on n'avait pas non plus.
13:16Donc, ça s'est quand même élargi énormément.
13:19Et le fait d'avoir aujourd'hui dans les interpellations,
13:21vous regardez sur les affaires,
13:22c'est tout le temps des jeunes et souvent des mineurs, aujourd'hui.
13:26En tout cas, c'est très jeune.
13:27– Pourquoi d'après vous ?
13:28C'est une colère qui est exploitée par les plus âgés ?
13:30– Parce que l'endoctrinement ne fonctionne plus du tout de la même façon.
13:35Pendant des années, à l'époque de l'al-Qaïda,
13:36l'endoctrinement c'était vraiment profond, il lisait la littérature, j'allais dire.
13:41Donc, c'est par la pensée qu'il s'endoctrinait vraiment,
13:43par une réflexion, etc.
13:45Et puis, ça a été l'image.
13:48Après, ça a été l'image.
13:49L'image, c'est montrer des victimes, des frappes américaines, en Irak,
13:53des vidéos, quoi, qui vont émouvoir.
13:56Et donc, l'endoctrinement par l'image, c'est moins profond,
13:59mais c'est immédiat comme résultat.
14:01Un jeune, en 3-4 mois, il va être sensibilisé,
14:03surtout s'il est très jeune, justement.
14:05– Et qu'il est sur les réseaux sociaux.
14:06– Voilà, tout à fait, voilà.
14:08Donc, il y a l'émulation après des réseaux sociaux.
14:10Donc, il y a l'image, l'émulation des réseaux sociaux.
14:12Regarde ça, t'as vu ce qu'ils ont fait ?
14:13La désinformation massive qu'ont permis les réseaux sociaux.
14:17C'est de la désinformation massive.
14:19On croit, parce qu'on est en France,
14:23et qu'on a une offre d'informations qui est très large,
14:26que les jeunes qui ont une sensibilité salafiste vont aller…
14:32– Faire le tri, aller vers des bons médias.
14:34– Non, ils vont vers le média qui va les conforter déjà dans leur opinion.
14:40C'est ça le problème.
14:42Souvent, on fait ça, on va voir quelque chose parce qu'on sait que…
14:46Et avec une désinformation massive,
14:48quand on voit les informations qui arrivent sur les réseaux sociaux,
14:51alors on se dirait aux États-Unis, la campagne Trump, c'est pareil.
14:55Et là, c'est fou, parce qu'on va pouvoir chauffer à blanc des gens
15:00en leur faisant croire que,
15:02regardez le mécanisme pour Samuel Paty,
15:06vous pouvez faire passer n'importe quoi.
15:08Vous pouvez accuser quelqu'un d'avoir montré une caricature,
15:10même s'il n'a absolument pas fait.
15:12Ce n'est pas grave, ce sera la vérité.
15:13Ça sera diffusé sur les réseaux sociaux, d'avoir tenu des propos.
15:18Et ça, c'est un grand danger.
15:20– Comment vous appréhendez le dixième anniversaire
15:22de la tuerie de Charlie Hebdo ?
15:24– Moi, de toute façon, c'est un tellement mauvais souvenir
15:27d'avoir perdu quelqu'un que j'aimais bien.
15:29Et pour tous les Français, de toute façon, j'appréhende…
15:36C'est même pas que j'appréhende,
15:38c'est-à-dire que rien n'a changé quand même, malgré tout.
15:40On en est toujours…
15:41Regardez, on juge l'affaire Samuel Paty.
15:46On est au même niveau qu'il y a dix ans.
15:49On sait aujourd'hui qu'on ne peut pas tout montrer
15:53et qu'il faut faire attention parce qu'il y a des gens derrière
15:55qui ne vont pas apprécier.
15:57Donc on est dans un pays de liberté, de droits d'expression, etc.
16:00Mais avec une prise de risque,
16:03si moi j'ai envie de montrer une caricature,
16:07c'est évident que je prends un risque.
16:09C'est objectif et ce n'est pas normal.
16:12Donc on a cette pression quand même
16:15et je pense que les profs notamment,
16:17ils ont toujours la peur d'aller trop loin en expliquant,
16:21dès qu'ils parlent de religion, etc.
16:23Et ce n'est pas logique.
16:25Donc on a cette pression de l'extérieur,
16:27des réseaux sociaux, des gens radicalisés,
16:31cette espèce de surveillance qui fait qu'on n'est pas libre
16:33de faire son boulot dans certaines professions normalement.
16:36– À vous entendre en dix ans,
16:38on n'a non seulement pas progressé mais même reculé ?
16:40– Oui, je trouve, je trouve, je trouve.
16:42Vous imaginez, on a connu des époques où ça posait…
16:46Regardez des humoristes, des gens comme Desproges et tout,
16:48ils pouvaient sortir des trucs,
16:49je suis sûr qu'ils ne pourraient plus les sortir maintenant.
16:51Globalement, il y a des sujets, il ne faut pas y toucher.
16:54Et puis en plus ça devient hystérique, le débat devient hystérique.
16:57– Ce qui est fou dans votre histoire,
16:58c'est que le terrorisme a marqué votre enfance
17:00en frappant indirectement votre famille en 1986.
17:04On va le voir avec cet archive que je pose entre vos mains
17:07et qui nous vient de nos partenaires, les archives nationales.
17:09C'est une photo de l'hommage rendu aux Invalides
17:11le 21 novembre 1986 à Georges Bess,
17:14président directeur général de la régie Renault,
17:16victime de l'organisation terroriste d'extrême gauche Action Directe.
17:20Action Directe a revendiqué son assassinat en bas de chez lui, à Paris,
17:24en raison, je cite, des dégâts sociaux
17:26provoqués par les décisions de licenciements massifs.
17:29Et il se trouve que Georges Bess était le patron de vos parents,
17:32tous les deux cadres chez Renault, et ils ont été marqués par ce drame.
17:36En quoi cette irruption du terrorisme indirect dans votre enfance
17:41a pu peut-être marquer votre parcours ?
17:43Est-ce que votre parcours s'explique un peu, en partie,
17:46à cause d'un tel événement, d'un tel drame ?
17:48– C'est vrai que moi j'ai vu ma mère pleurer quand Georges Bess a été tué.
17:51Elle l'appréciait beaucoup et ça m'a fait quelque chose.
17:55Et puis surtout, c'est incompréhensible.
17:58Je pense que la première approche qu'on a quand on est jeune du terrorisme,
18:02c'est de ne pas comprendre pourquoi, en fait, qu'est-ce que c'est que ce truc-là ?
18:06C'est quoi ces gens, tout d'un coup, qui se permettent de tuer des personnes
18:11pour leurs idées, enfin voilà, c'est une approche qui est la même aujourd'hui
18:20pour toutes les personnes qui ne se renseignent pas vraiment
18:23sur les causes du terrorisme ou autres.
18:26Et puis il y a eu Rue de Rennes en 86, c'est quand même 85-86.
18:30Il y a eu des grosses périodes où chaque Français était effectivement choqué là-dessus.
18:37Mais pour moi, ça a été plutôt le début d'une réflexion
18:40et de vouloir comprendre pourquoi il y avait du terrorisme.
18:44Et notamment en 86, essayer de comprendre.
18:48J'ai essayé de lire, j'ai essayé de comprendre ce truc-là, d'où ça venait.
18:52– Et chez vous, il y avait une vraie opposition droite-gauche, je crois.
18:55Votre mère, née à Dakar, qui avait vécu les 16 premières années de sa vie
19:00en Afrique, très sensible aux problématiques d'accueil des immigrés,
19:03d'injustice, plutôt de gauche.
19:05Votre père, plutôt homme de droite, et tous les deux se consolaient
19:08lorsque le candidat de l'un l'emportait et l'autre, donc 74 évidemment et 81.
19:13Une enfance où quand même la politique a été assez présente.
19:16Est-ce que ça vous a donné une vision politique ?
19:20Est-ce que ça a marqué votre engagement citoyen politique ?
19:23– Ah ben c'était quelque chose, les voir discuter.
19:27Et puis bon, alors c'est vrai que du coup, quand j'étais jeune,
19:30j'étais plus du côté de ma mère, parce que…
19:33– Pourquoi évidemment ?
19:34– Non mais les jeunes, à cette époque-là, les jeunes étaient plus de gauche,
19:38je pense, dans les habitants, parce que c'était aussi un changement possible,
19:43des choses qui allaient changer, etc.
19:45Et on pensait que tout ce qui était, voilà, qu'allait réformer la France,
19:51c'était comme un peu… la France était un peu plan-plan, enfin c'était…
19:54– Fallait la secouer.
19:56– Ouais, fallait la secouer, c'était quand même…
19:58Ce que proposait Dimitri Theron était un peu plus rock'n'roll, on va dire.
20:01Et même si Giscard a fait des avancées sur plein de domaines, en fait, sociaux aussi.
20:07Mais c'est surtout, à l'époque, il y avait vraiment deux clans,
20:12il y avait vraiment deux projets de société, deux clans.
20:14– À l'allure de celui que vous êtes aujourd'hui,
20:16quel conseil donneriez-vous au petit garçon que vous étiez ?
20:18Qu'est-ce que vous lui diriez avant qu'il ne se lance dans la vie ?
20:22– Ah, c'est compliqué, là.
20:24Il y a ce superbe film avec Sophie Marceau où Petite Fille,
20:29elle s'envoie un courrier donné chez un notaire
20:32et qu'elle devra ouvrir que quand elle aura 30 ans.
20:35Alors c'est une femme d'entreprise, hyper, etc.
20:38Et puis quand elle lit ce…
20:39Je ne sais plus le nom du film, désolé, j'avais beaucoup aimé.
20:41Quand elle lit ce courrier de elle, Petite Fille,
20:46elle se rend compte de tout ce qu'elle n'a pas fait,
20:48tout ce qu'elle a raté et ce qu'elle est devenue.
20:52À que bosser, le profit, etc.
20:55– Et à vous, qu'est-ce que vous écririez dans ce courrier si vous le faisiez ?
20:59– Il n'y a pas que le boulot, il faut quand même faire gaffe.
21:04Voilà, essayer de…
21:05Et puis je dirais quand même essayer de profiter.
21:07Mes parents sont morts jeunes,
21:10donc c'est bien, il faut quand même arriver à profiter de la vie.
21:14Il ne faut pas attendre la retraite
21:16parce qu'elle pourrait ne pas venir, si vous voulez, très clairement.
21:19– J'ai des photos à vous proposer, Marc Trévidic.
21:24La première, la voici, il s'agit de Boalem Sansal,
21:27écrivant franco-algérien emprisonné en Algérie,
21:29accusé d'atteinte à l'intégrité du territoire national.
21:33Il encourt la perpétuité et même la peine de mort.
21:36Qu'en pense le juge, très connaisseur du monde arabe, que vous êtes aussi ?
21:40– D'Algérie ?
21:42J'en pense que ça fait plaisir d'avoir vu Bachar renversé.
21:46J'aimerais bien un jour voir le régime algérien renversé, vous voyez ?
21:50Ah bah oui, non mais c'est n'importe quoi.
21:52Ils prennent quelqu'un de 80 ans parce qu'il écrit,
21:57parce qu'il dit ce qu'il pense,
21:59ben voilà la différence entre moi, je suis devant vous,
22:01je dis ce que je pense et personne ne va me mettre en prison pour ça.
22:05En Algérie, oui, et qu'on ne nous dise pas que ce n'est pas une dictature,
22:10les généraux algériens, les gens de la DRS, la Sécurité,
22:13ce sont des dictateurs, point.
22:14Et il faut le dire clairement,
22:16les politiques ne disent pas clairement les choses.
22:19Des gens qui mettent un écrivain en prison, c'est vraiment n'importe quoi.
22:24Voilà, j'espère qu'on le reverra,
22:27et que quelqu'un en France fera pression suffisamment,
22:31il paye notre rapprochement avec le Maroc,
22:33enfin tout ça c'est complètement mesquin de la part des criminels aussi.
22:40– Une deuxième photo, un peu plus légère encore que, vous allez voir,
22:43c'est une photo du groupe de rock alternatif Chaka Ponk.
22:47Là, je parle aux grands amateurs et joueurs de musique rock,
22:51initiés très tôt au Stones et à Bob Dylan par son oncle Biarro.
22:55Chaka Ponk s'auto-dissout après 20 ans de carrière pour arrêter de polluer,
23:01parce qu'en déplaçant les foules à leurs concerts,
23:03ils s'étaient aperçus que leur bilan carbone était absolument catastrophique.
23:06Ils font ce sacrifice, ils ont dissout leur groupe.
23:10Qu'est-ce que l'amateur de rock en pense ?
23:13– Décidément la dissolution, et la solution à tout, apparemment.
23:20Mais non, on peut continuer à faire du rock, je pense, sans se dissoudre,
23:25on peut faire attention à où on va, effectivement.
23:27Bon, alors s'il faut commencer à jouer en acoustique pour ne pas polluer,
23:32avec l'électricité, c'est génial,
23:36mais on pourrait peut-être de l'électricité verte pour les guitares électriques.
23:41Non, mais c'est OK, c'est bien, il y a tellement de choses à faire,
23:45je pense, non, non, mais il ne faut pas commencer…
23:48Si on commence à dire que les arts polluent de manière générale,
23:51ouais, on va passer en revue tous les trucs, et puis on va…
23:54Alors la peinture dans les tableaux, peut-être que ça pollue aussi.
23:57– Vous êtes un grand amateur d'art, musique, poésie, ça vous parle,
24:01c'est pour ça que c'est difficile pour vous, cette question.
24:02– Si on commence à me dire, les livres, c'est du papier, c'est des arbres,
24:07ouais, enfin là, franchement, ça me gêne, qu'on récupère,
24:12qu'on essaie d'être intelligent, bien sûr, mais se dissoudre parce que…
24:18Non, ça me paraît excessif.
24:20– Une dernière petite photo, clin d'œil encore à Renault,
24:23qui arrête de fournir des moteurs à l'équipe Alpine de Formule 1.
24:27L'inventeur du moteur turbo dans les années 70 jette l'éponge,
24:30des résultats mauvais et des investissements de plus en plus lourds,
24:33la future écurie Alpine roulera avec un moteur allemand.
24:36Vous me dites quoi ?
24:37– Catastrophe, catastrophe, moi j'ai grandi avec Renault Formule 1,
24:42j'allais sur les Grands Prix quand ils ont commencé en 78-79 avec mon père,
24:47ils ont été innovants tout le temps,
24:51ils ont des gens très compétents pour faire des moteurs,
24:55c'est pas parce qu'ils se sont loupés sur un moteur qu'il faut…
24:58Voilà, ça me paraît consternant, et en plus, on est toujours pareil,
25:04on abandonne quelque chose de pointe,
25:08voilà, le français est de pointe, 50 ans de Formule 1, grosso mollo,
25:13pour aller prendre un moteur ?
25:15Non, ça a des impacts aussi dans l'industrie automobile,
25:20non mais c'est une grave erreur,
25:21j'espère qu'ils vont changer d'avis le plus vite possible.
25:23– J'espère qu'ils ont rendu votre message.
25:25J'ai une dernière question qui est en lien avec le lieu dans lequel nous sommes,
25:28Marc Trévidic, nous sommes entourés de 4 statues
25:30qui représentent chacune une vertu.
25:33Il y a ici la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence.
25:38Je vous interdis de dire la justice.
25:42Une parmi les 3 autres, prudence, sagesse, éloquence,
25:45laquelle vous parle ou vous caractérise vous, peut-être ?
25:48Vous donne envie ?
25:51– La sagesse, je me méfie un peu de l'éloquence.
25:56– Ah oui ?
25:57– Oui, je parle assez facilement,
26:00mais l'éloquence, elle sert le bien et elle sert le mal.
26:03L'éloquence, c'est aussi la propagande.
26:05Vous savez la différence entre persuader ou convaincre.
26:08On convainc par la raison, on persuade par des artifices.
26:12Donc l'éloquence, ce n'est pas une vertu, c'est un instrument redoutable.
26:17– Alors pas l'élimination, donc ce sera plutôt la sagesse.
26:21– Ah bah oui, la sagesse.
26:23La sagesse est une vertu si elle n'immobilise pas.
26:27On peut être sage et actif, il faut que la sagesse amène à la décision.
26:33La sagesse, ce n'est pas l'immobilisme, rien faire.
26:36On réfléchit avant d'agir, c'est ça que ça veut dire, la sagesse.
26:39Mais il faut agir, ne pas agir.
26:42Ok, je sais où est-ce qu'il faut faire, il y a ça, puis je ne fais rien.
26:47Ça n'a pas d'intérêt pour personne.
26:48– La sagesse sans la passivité.
26:49– Voilà, exactement.
26:50– Merci Marc Trévidique d'avoir été avec nous dans ce rendez-vous.
26:52Merci à vous de nous avoir suivis comme chaque semaine.
26:55Émissions à retrouver sur notre plateforme publicsena.fr en replay et bien sûr en podcast.
27:00Merci beaucoup, à très vite sur Public Sénat.
27:02– Sous-titrage ST' 501