• il y a 7 mois

Le vendredi soir, Pierre de Vilno reçoit un invité pour revenir sur l’actualité.
Retrouvez "Les invités d'Europe Soir week-end" sur : http://www.europe1.fr/emissions/l-invite-europe1-week-end

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00:00 - Le grand témoin de l'actualité de ce vendredi soir, vous le connaissez bien, il est l'un des philosophes français les plus connus, les plus lus, les plus médiatisés.
00:11 Ses initiales BHL le précèdent et vous êtes le bienvenu sur Europe 1. Bonsoir Bernard-Henri Lévy.
00:17 - Bonsoir Pierre de Villeneuve.
00:18 - Vous publiez "Solitude d'Israël" chez Grasset, un livre indépendant de la situation encore très mouvante au Proche-Orient.
00:25 On l'a vu encore la nuit dernière avec l'attaque sur l'Iran, un livre qui rappelle en revanche à quel point le peuple d'Israël a souvent été laissé pour compte
00:34 entre les mains de grands empires, parfois aujourd'hui disloqués ou disparus. On va précisément parler des points que vous abordez, mais d'abord il y a un timing.
00:45 Il y a un timing et une leçon à retenir, celle que oui, Israël conduit une guerre dure et impitoyable, mais cette guerre est juste et aussi parce qu'Israël joue sa survie dans ce conflit.
00:58 - Voilà. Cette guerre est surtout inévitable quand vous avez affaire à une menace existentielle, quand vous êtes entouré d'ennemis qui ne veulent pas grignoter un bout de territoire, mais qui veulent vous annihiler.
01:14 - De la mer au Jourdain.
01:15 - Quelle autre solution ? Voilà.
01:17 Ce mot d'ordre, ce slogan que l'on entend aussi en France, aux Etats-Unis, de la mer au Jourdain, ça veut dire quoi ?
01:24 Ça veut dire "Raser Israël", "Éradiquer Israël".
01:28 Donc, quand vous avez affaire à ça, comment faire autrement en effet que de vous défendre ?
01:36 Et c'est la situation tragique dans laquelle se trouve ce pays, que je connais bien, qui n'aime pas la guerre, qui n'a pas une culture spartiate.
01:46 Israël, c'est un pays de "Sincinatus", de paysans-laboureurs ou de "start-uppers" qui font la guerre sans l'aimer et qui n'ont qu'une hâte, c'est de revenir, comme le "Sincinatus" de la République Romaine,
02:02 de revenir à leur jardin, de revenir à leur labour, de revenir à leur métier, de revenir à leur école.
02:08 Ils n'aiment pas la guerre.
02:09 - C'est pour ça que chaque Israélien ou presque est un réserviste, c'est-à-dire qu'il sait faire la guerre, on lui a appris à faire la guerre, c'est vrai pour les femmes également.
02:16 Mais aujourd'hui, en gros, disons-le, si Tzahal s'arrête, si Tzahal arrête ses opérations, Israël n'existe plus.
02:23 - C'est un mot, c'est une chose qui se dit beaucoup en Israël, Israël ne peut pas perdre une guerre.
02:32 Si Israël perd une guerre, si Israël flanche face à ses adversaires surpuissants, Israël disparaît, bien sûr.
02:43 - Mais c'est la plus longue des guerres qu'Israël a connues jusqu'à présent.
02:47 - C'est la plus longue et c'est probablement, bien sûr, celle où Israël a affaire à l'adversaire le plus redoutable.
02:56 Parce que, quand vous regardez bien, autour du Hamas, les puissances qui s'agrègent autour du Hamas, c'est l'Iran, grande puissance régionale avec volonté impériale,
03:10 c'est la Russie, dont on sait aussi l'importance géopolitique, c'est la Turquie, qui malgré le fait qu'elle est en principe dans le camp occidental et dans le camp...
03:23 - Ça on n'a jamais vraiment su.
03:24 - Voilà, a pris partie tout de suite, dès le 7 octobre pour le Hamas, c'est le Qatar et les nostalgiques...
03:34 - Vous dites que c'est l'empire des cinq rois et leurs alliés.
03:36 - Voilà, bien sûr.
03:37 - Alors les cinq rois ?
03:38 - Les cinq rois, c'est ceux que je viens de citer, j'ai oublié la Chine. La Chine qui fait partie aussi de cet international du pire.
03:44 Aujourd'hui, il y a vraiment une lutte civilisationnelle mondiale entre celles et ceux, dans le monde entier, qui se réclament de la démocratie
03:55 et ceux qui, au contraire, se réclament de modèles tyranniques. C'est ceux que j'appelle les cinq rois.
04:00 Et Israël est en première ligne de cette bataille-là, cette bataille de la démocratie contre des régimes dictatoriaux, totalitaires, revanchistes contre l'Occident,
04:12 voulant prendre leur revanche contre l'Occident et abattre l'Occident. Dans cette bataille, Israël est en première ligne.
04:20 - Il y a un pays que vous avez cité, et on le cite un peu rapidement parce qu'il y a une ambiguïté, c'est le Qatar.
04:25 Le Qatar est un pays, j'allais dire ami, un pays qui est très présent en France, pour des questions de capitaux dans le football,
04:32 il est là et en même temps, on sait qu'il est facilitateur. Il a été au début pour la libération des otages, et il est là sans être là.
04:40 Quel est votre point de vue sur le Qatar ?
04:42 - Je suis révolté de ce double jeu que joue le Qatar. D'un côté, il prétend être facilitateur, en effet, de la libération des otages,
04:54 de l'autre côté, c'est lui qui abrite les chefs politiques du Hamas, c'est lui qui leur donne asile,
05:03 et c'est lui qui très longtemps, jusqu'à présent, probablement jusqu'à aujourd'hui, finance le Hamas.
05:09 Donc, comment est-ce qu'on peut d'un côté être le grand argentier et donner l'hospitalité au Hamas,
05:18 et de l'autre côté prétendre être facilitateur de quoi que ce soit ?
05:21 Il y a là un double jeu dont le Qatar est coutumier, et qui fait qu'il s'inscrit, pour moi, de plein droit,
05:29 dans cet international du pire dont je vous parlais à l'instant.
05:33 - Il y a un timing aussi, qui est un timing français, c'est celui de la France insoumise,
05:39 qui est en campagne pour les Européennes, Jean-Luc Mélenchon attise la haine d'Israël, vous le dites dans votre livre,
05:44 et Alexis de La Fontaine, qui était à Lille cette semaine, alors que Jean-Luc Mélenchon a été interdit d'une réunion à l'université de Lille,
05:50 a rencontré les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Je vous propose d'en écouter un, qui a été interviewé par Alexis de La Fontaine, et il s'appelle Habib.
05:59 - L'Occident, surtout l'Europe et la France, ils sont sous emprise sioniste.
06:05 Ça veut dire que les sionistes, ils déclenchent les guerres pour leur intérêt,
06:09 ils déclenchent le sionisme partout, sur toutes les couches de la société,
06:15 ils sont dans les médias, dans les industries, etc.
06:19 Et eux, c'est eux qui veulent nous imposer, ils veulent nous imposer avec l'Amérique, Israël surtout,
06:27 et l'Amérique, ils veulent nous imposer un ordre mondial.
06:30 - Vous entendez ?
06:31 - Ça ne vous rappelle rien ? Je suis partout, les années 30, cette France rance, antisémite, du juif qui est dans les médias, du juif qui est dans l'industrie ?
06:40 - Mais c'est ce que je dis dans ce livre.
06:43 Là, on vient d'entendre la version caricaturale, mais Mélenchon parle comme ça.
06:49 Lorsque Mélenchon dit que la France est entre les mains du CRIF,
06:54 lorsqu'il dit que son ami Jérémy Corbyn, l'ancien leader travailliste, est tombé à cause de l'influence du lobby juif en Angleterre,
07:04 il dit avec un peu plus d'art oratoire, et encore, ce qu'on vient d'entendre là.
07:09 Et toute la France insoumise aujourd'hui est tombée dans ce discours plus que rance.
07:17 - Mais ça marche, vous avez vu cet électeur, il y en a plein d'autres comme lui.
07:21 Mélenchon a fait 20% aux élections présidentielles de la dernière fois.
07:25 - On verra si ça marche. En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'il y a là, en effet, toute une vieille tradition que Mélenchon est en train de capter.
07:36 Et à laquelle il est en train de donner sa voix.
07:38 - Donc l'antisémitisme s'est déplacé ? C'est-à-dire qu'il a quitté les salons cossus du XVIe arrondissement d'avant-guerre,
07:44 pour ensuite rentrer dans cette population-là, dans cet électorat-là ?
07:48 - Je crois qu'en effet, il y a une grande partie de l'opinion qui a fait un travail, qui a compris les égarments du passé,
07:58 qui a compris que l'antisémitisme était une abjection, et qu'une grande partie, en effet, de tout ça a migré du côté de l'extrême-gauche et de la France insoumise.
08:09 C'est incontestable. J'entendais hier soir Jean-Luc Mélenchon parler à Lille, et comparer le recteur de l'université de Lille à Adolf Hichmann.
08:21 Là on est dans la banalisation du nazisme, on est dans une espèce...
08:31 Parce que comparer le recteur de Lille à Hichmann, c'est à la fois insulter le recteur de Lille, c'est odieux,
08:37 mais c'est aussi tout de même hausser Adolf Hichmann à la hauteur d'un recteur honorable d'une grande université française.
08:48 Donc aujourd'hui, de toute façon, la France insoumise, vous pouvez leur parler de n'importe quoi,
08:52 vous pouvez leur parler du chômage, des retraites, de l'Europe, ils vous répondent Gaza.
08:57 Et ils vous répondent en effet...
09:00 - Donc on en revient à l'essence de votre livre, c'est la faute du juif, c'est la faute du juif qui se retrouve seul, la solitude du juif errant.
09:07 - On en revient à ce que j'appelle cette nouvelle théologie de la réprobation, qui est devenue un élément doctrinal fondamental dans toute une partie des opinions occidentales,
09:21 et hélas, dans une partie de la jeunesse.
09:24 C'est la raison pour laquelle, pour moi, le cœur de ce livre, c'est d'essayer de revenir aux racines, de revenir aux origines,
09:32 d'expliquer aux gens, et notamment aux jeunes gens, les fondamentaux de cette tragédie du Proche-Orient.
09:39 - Et c'est justement ce qu'on va faire après une première pause.
09:42 Merci beaucoup Bernard-Henri Lévy.
09:44 "Solitude d'Israël", publié chez Grasset.
09:46 On se retrouve dans un petit instant sur Europe 1.
09:48 Comme tous les vendredis soirs, les grands témoins de l'actualité.
09:56 Et ce soir, Bernard-Henri Lévy pour son dernier livre, "Solitude d'Israël", publié chez Grasset.
10:02 On parlait, juste avant la pause publicitaire, de ce mythe, de cette légende, et cette question d'ailleurs, du juif errant, qui est central.
10:11 Celle de l'antisémitisme dans Londres, on vient d'en parler.
10:15 Et elle rejoint votre récit, cette question, lorsque vous parlez des décisions impérialistes dans le Commonwealth, par exemple,
10:22 lorsque le général Allenby disait que la Palestine n'était ni juive, ni arabe, mais anglaise.
10:27 Ça c'est très intéressant, parce que je pense qu'il y a beaucoup de gens qui soit l'ont oublié, soit ne l'ont jamais étudié.
10:31 Il y a une origine de cette terre qui est biblique, qui a été conquise, qui a été contestée,
10:37 sur laquelle il y a, encore une fois, une guerre, un conflit en ce moment.
10:42 Il y avait un départ extrêmement difficile, et cette phrase du général Allenby,
10:49 qui va d'ailleurs à l'encontre de ce que disait le premier ministre britannique juste avant, en est l'exemple.
10:55 - Oui, et notamment le ministre de l'Affaires étrangères, ancien premier ministre, Balfour.
11:01 Cette phrase du général Allenby, elle vient éteindre le feu de l'espoir
11:08 qu'avait allumé quelques semaines ou quelques mois plus tôt, Balfour, dans sa fameuse déclaration.
11:13 - Oui, qui disait "on va tout faire pour un foyer national pour le peuple juif en Palestine".
11:17 - Voilà. - Et cette déclaration Balfour, qui a été évidemment un texte magnifique,
11:23 - En 1917. - ça a créé l'idée, jusqu'à aujourd'hui, qu'Israël serait une création de l'impérialisme de l'époque,
11:30 c'est-à-dire la Grande-Bretagne. Et ce que j'explique dans un des chapitres du livre,
11:36 ce que je raconte, c'est les efforts colossaux qu'a fait l'impérialisme de l'époque, c'est-à-dire la Grande-Bretagne,
11:42 pour empêcher la naissance d'Israël, pour limiter l'arrivée des juifs dans cette patrie promise.
11:50 - Pourquoi ? Par crainte ? Par idéologie ? - Par impérialisme, parce que, comme tous les impérialistes,
11:59 ils voulaient persévérer dans leur être, et qu'il n'était pas question pour eux de lâcher cette terre-là,
12:07 dont ils avaient reçu le mandat de l'administrer, et voilà. Donc il y a une légende d'un Israël fruit de pointes avancées
12:18 du colonialisme occidental. Israël fait colonial, c'est ça la légende. Israël fait colonial.
12:24 La réalité, c'est qu'Israël s'est construit à la pointe de la baïonnette, contre les pouvoirs impériaux.
12:33 - Envers et contre tout. - Envers et contre tout. 1947-1948, la naissance d'Israël, c'est d'abord une guerre de libération
12:40 contre les britanniques. Et les britanniques soutenaient plutôt, tout ça on a oublié, soutenaient plutôt les arabes
12:48 qui eux-mêmes refusaient, qui ne s'appelaient pas encore palestiniens, et qui refusaient l'idée d'un foyer national juif.
12:56 - Donc cette solitude d'Israël, c'est aussi une fragilité géographique, géostratégique d'Israël.
13:03 - Israël est un état incroyablement vulnérable. C'est une nation solide, c'est un peuple... c'est le plus vieux peuple du monde,
13:17 naturellement. Mais cet état, il est d'une fragilité terrible.
13:22 - Il y a eu d'ailleurs plusieurs hypothèses assez farfelues de la place d'Israël sur le globe. Il y a même certaines personnes,
13:29 je parle sur votre contrôle, qui ont dit "pourquoi est-ce qu'on y mettrait pas Israël, ou en tout cas le peuple juif, au Brésil ?"
13:33 - Au Brésil, en Ouganda, vous avez eu pendant très longtemps les leaders du pan-arabisme qui disaient "pourquoi est-ce que vous n'avez pas fait Israël en Allemagne ?"
13:44 "Puisqu'après tout, vous avez la seule légitimité d'Israël", disaient-ils, ce qui n'est pas exact, "c'est réparation après le crime de la Shoah"
13:56 "mais après tout, le crime de la Shoah, c'est vous les Européens, c'est pas nous les Arabes, il fallait faire ça en Bavière."
14:01 Donc, bien sûr qu'il y a eu tout ça. Le résultat, c'est un état minuscule, une petite bande de terre, parce qu'Israël c'est ça,
14:10 qui est l'équivalent de trois départements français, et qui est en état de guerre, qui fait face à l'assaut de ses adversaires depuis le jour de sa création.
14:23 Depuis le jour de sa création, Israël va de guerre en guerre. Jusqu'à présent, Israël les gagne, mais enfin, vous savez, comme disait Jean-Jacques Rousseau dans "Le contrat social",
14:35 "on n'est jamais assez fort pour être sûr d'être toujours le plus fort."
14:40 Et avec cette puissance d'Israël, on suscite ce qu'on appelle communément l'antisémitisme. C'est terrible, mais ça revient également à cause de cela,
14:52 même si aujourd'hui on est bien d'accord que c'est périphérique, il y a eu un drame, il y a eu un pogrom, comme vous le dites et comme vous le rappelez.
14:58 Mais l'antisémitisme est là, à Londres il y a des familles juives qui ne sortent plus le samedi, alors que c'est quand même jour de shabbat dans les rues,
15:05 parce qu'ils ont peur de la violence des manifestations pro-palestiniennes.
15:09 Et puis alors en France, et j'aimerais avoir votre avis quand même là-dessus, à chaque fois les politiques sortent la même carte à jouer, c'est la carte de la laïcité.
15:19 On ressort le principe de laïcité, pas d'abaya, pas de camisse, pas de kippah, pas de croix ostentatoires, et tout le monde sera heureux. Oui ou non ?
15:27 Ben oui, mais c'est une équivalence absolument scandaleuse, parce que tout ça n'est pas comparable.
15:36 L'abaya c'est une manifestation vestimentaire de revendication d'une idéologie, ça n'a d'ailleurs rien à voir avec la religion,
15:49 d'une idéologie, la croix ou la kippah, ça n'a rien à voir avec cela, c'est tout à fait autre chose.
15:56 Et d'ailleurs, vous avez ça d'un bout à l'autre du spectre politique. Marine Le Pen, par exemple, dit régulièrement qu'elle est contre le voile islamique et le port de la kippah.
16:09 Comme si les deux étaient équivalents. Ce n'est pas l'équivalent, ce n'est pas la même chose.
16:15 La France d'aujourd'hui est marquée par la violence notamment des jeunes.
16:20 Et la laïcité, d'ailleurs, ça ne veut pas dire le refus des religions. La laïcité, ça veut dire interdire aux religions de prétendre imposer leur loi à la République.
16:31 C'est ça que ça veut dire la laïcité. Donc vous êtes pour la laïcité à ce titre-là ?
16:36 Je suis pour la laïcité au sens où les religions n'ont pas à faire la loi, n'ont pas à intervenir dans la fabrication de la loi républicaine.
16:48 Mais ça a beau être expliqué, réexpliqué, vous le savez, les gens ne le comprennent pas d'une certaine manière.
16:52 Les gens croient que la laïcité, ça veut dire bouffer du curé, bouffer du rabbin et bouffer de l'imam.
16:59 Mais comment ça se passe ? On réexplique et on dit c'est comme ça et vous avez mal compris ? Ou est-ce qu'on abandonne et on fait un autre concept ?
17:06 Non, moi je n'abandonne pas, c'est la raison pour laquelle j'écris des livres.
17:10 C'est que je ne me lasse pas de rappeler ça, de rappeler que la laïcité, c'est ce que je viens de vous dire,
17:16 je ne me lasse pas de rappeler ce dont nous parlions tout à l'heure,
17:22 c'est à savoir que s'il y a bien une nation qui est un exemple de lutte anticoloniale réussie, c'est bien Israël.
17:32 Voilà, je ne me lasse pas de tout ça. Au contraire, il faut l'expliquer, il faut faire de la pédagogie.
17:37 Et pour moi ce livre, il y a évidemment l'émotion et la colère après le 7 octobre.
17:43 On la sent, on la sent.
17:44 Bien sûr, bien sûr, j'ai décidé de l'écrire le 8 octobre lorsque je suis arrivé en Israël,
17:50 puisque je me suis précipité aussitôt après cette invasion d'Israël, pour gros, plus invasion, mais le but du livre, c'est au contraire de faire de la pédagogie, de réexpliquer aux gens.
18:01 Justement, c'est bien que vous expliquiez, parce que la question que j'allais vous poser, c'est la France qui aujourd'hui est marquée par les violences des jeunes,
18:07 on l'a encore vu dans le journal avec des jeunes très très jeunes.
18:10 Là, les deux qui ont tabassé le jeune de 22 ans via une application de rencontre, ils ont 14 et 15 ans, on en est là.
18:18 La France d'aujourd'hui, elle regarde Israël, elle regarde le conflit, elle regarde avec quel recul Bernard-Henri Lévy, avec quelles informations, avec les réseaux sociaux,
18:27 la France qui a 14, 15 ans, 17 ans ?
18:31 Elle regarde avec les réseaux sociaux et elle regarde...
18:36 Elle regarde par automatisme, elle regarde sans discernement ?
18:40 Vous savez, l'autre jour, j'ai eu une amie qui m'a parlé de sa petite fille, qui joue sur un nouveau jeu vidéo, qui paraît-il, le jeu consiste à...
18:57 Pas comme autrefois, les jeux qui consistaient à aller chercher la princesse, non, ça consiste à, en un temps record, rejoindre un abri nucléaire.
19:08 C'est à ça que jouent les enfants dans ce jeu qui paraît-il est en circulation, rassembler des vivres, rassembler sa famille et rejoindre un abri nucléaire.
19:17 Il paraît que c'est un des jeux qui fonctionnent aujourd'hui et qui marchent.
19:21 Donc, on vit en effet dans un climat incroyablement anxiogène.
19:26 Les images de violence du Hamas, la Cisjordanie dansant de joie après les images de femmes juives éventrées et de gens emmenés en otage comme dans l'Antiquité, près des débuts de la Romanité.
19:51 Tout ça, plus les menaces nucléaires de la Russie, plus les menaces nucléaires de l'Iran, plus cette façon con, tous ces gens, tous ces états voyous de jouer avec le nucléaire, de briser le tabou,
20:04 comme personne ne l'avait fait jusqu'à présent, de lever l'interdit, tout cela crée, dans un pays comme le nôtre, un climat incroyablement anxiogène et donc producteur de violence.
20:16 Des mots sont utilisés, l'ensauvagement, retirer des sauvageons de Jean-Pierre Chevenement, des civilisations, vous êtes d'accord avec ce mot-là ? Des civilisations ?
20:26 Oui, c'est un mot qui vient d'un grand philosophe du XXe siècle et un grand sociologue.
20:34 Et bien sûr que la civilisation c'est un processus, ce n'est pas un état naturel, la civilisation c'est un travail, la civilisation elle est conquise sur un monde de pulsions, l'homme est un loup pour l'homme, etc.
20:52 C'est une conquête la civilisation, cette conquête elle est fragile et bien sûr qu'elle peut être ruinée aussi, et elle peut se déconstruire, c'est une construction la civilisation, et elle peut se défaire.
21:03 Très vite, on l'a vu.
21:05 C'est la thèse de, ce n'est pas tout à fait un philosophe mais en vérité c'est Sigmund Freud dans un grand livre qui s'appelle "Malaise dans la civilisation" qui a été publié au moment de la guerre de 14,
21:17 et qui disait que la civilisation était un mince vernis sur un océan de pulsions et de haine qui pouvait se craqueler très très vite.
21:29 Dis donc c'est optimiste.
21:31 Oui, c'est pas pessimiste parce que ça veut dire que les institutions, les lois, la volonté des hommes peuvent beaucoup et peuvent s'instituer contre cela.
21:45 Mais bien sûr que Freud par exemple pensait vraiment que l'ordinaire de l'humanité c'est la pulsion de mort, que c'est même ça qui souvent fait lien entre les humains,
22:00 et qu'il faut beaucoup d'efforts pour que la pulsion de vie, l'amour, la sociabilité l'emportent et fassent elles aussi lien social.
22:09 C'est pas l'évidence, mais tous les grands philosophes politiques, Thomas Hobbes pensait ça aussi.
22:15 Ça fait du bien de vous entendre Bernard-Louis Lévy, on remet quand même, je suis désolé je suis catholique je vais dire à l'église au milieu du village,
22:22 mais ça fait du bien, vous venez de dénumérer toutes les horreurs et ce jeu vidéo qui est complètement aberrant où il faut se réfugier dans un abri,
22:33 alors qu'on vient de jouer à un autre jeu vidéo, puisque la plupart des jeux vidéo aujourd'hui c'est l'équivalent d'il faut dégommer tout le monde.
22:39 Là voilà, on prend un peu de recul avec vous et c'est la raison pour laquelle vous êtes notre grand témoin de l'actualité.
22:45 On revient dans un instant et notamment pour parler de votre livre "Solitude d'Israël" chez Grasset.
22:49 A tout de suite sur Europe 1.
22:55 "Solitude d'Israël", dernier livre de Bernard-Louis Lévy qui a la gentillesse et l'amabilité de passer par le studio d'Europe 1 pour être notre grand témoin de l'actualité ce soir.
23:03 Vous dites dans votre livre "les Palestiniens ne veulent pas d'une solution à deux états" et en même temps les Palestiniens sont prisonniers du Hamas.
23:11 Alors qui veut quoi et surtout est-ce que les Palestiniens ont les moyens de se rebeller contre le Hamas qui est présenté comme celui qui les emprisonne ?
23:20 Ce que je dis c'est qu'en effet l'autorité palestinienne, les représentants politiques des Palestiniens ont systématiquement refusé toutes les occasions qui se sont présentées depuis 1947-48 d'avoir une solution à deux états.
23:40 Il y a eu Rabin à un moment donné avec Arafat, la poignée de main, mais bon ça n'a pas suivi.
23:45 Oui, ça a déclenché l'intifada, ça a déclenché des centaines et des milliers de morts.
23:55 Voilà donc toutes les opportunités qui se sont présentées, les accords de Camp David, Tabas, ou le barraque et les prémices et ainsi de suite, le leadership palestinien les a refusés, numéro un.
24:11 Numéro deux, c'est vrai que lorsqu'on voit par exemple là la manière dont les Palestiniens de Cisjordanie ont réagi au massacre perpétré par le Hamas, c'est vrai que ça glace les sangs.
24:25 Ils ne les ont pas condamnés, il y a eu sur les réseaux sociaux palestiniens, pas de Gaza, de Cisjordanie, des choses terribles et il y a des sondages, je ne sais pas ce qu'ils valent, mais enfin ils ne doivent pas être loin de la réalité,
24:43 qui indiquent qu'une immense majorité de ces Palestiniens de Cisjordanie approuvent, trouvent juste, pensent que c'est un acte libérateur que d'avoir perpétré le pogrom du 7 octobre.
24:54 Troisième chose, je pense que dans l'histoire des peuples, il y a tout de même des moments où on se réveille, ça finit par arriver, ça peut être à l'occasion d'une...
25:06 - Ça aurait été une bonne occasion quand même. - Oui, ça aurait été une belle occasion, il y a des occasions plus différentes et plus tristes, par exemple une défaite militaire,
25:16 le peuple allemand s'est réveillé en 1945, d'un coup, comme on se réveille d'un état de somnambulisme, donc je pense, moi je garde espoir en effet,
25:31 dans le fait que les Palestiniens finiront par se réveiller de ce cauchemar réveillé dans lequel ils sont plongés, entretenus depuis des décennies, et finiront par comprendre
25:44 que la seule solution, ce n'est pas la Palestine de la rivière à la mer, mais que c'est la coexistence de deux états vivant pacifiquement côte à côte.
25:53 - Là, il y a eu ce film qui a été montré aux journalistes des GoPros du Ramas, c'est-à-dire que les gens qui ont tué dans les kiboutz que vous avez visités d'ailleurs au sud d'Israël,
26:06 il y a eu plusieurs images très pénibles à voir dans ce film qui n'a pas été diffusé pour le grand public, mais je tiens à dire qu'il y a une image qui moi m'a choqué particulièrement,
26:17 c'est quand les pick-up, donc les voitures avec la benne derrière, ramènent les corps sans vie des Israéliens, là ce n'est pas 10 personnes, ce n'est pas 20 personnes,
26:31 c'est tout Gaza qui accueille avec victoire les terroristes du Ramas. Est-ce que cette image nous conforte, vous et moi, et ceux qui nous écoutent,
26:45 et ceux qui ont vu aussi que les Palestiniens sont maraboutés par le Ramas aujourd'hui, et qu'ils ne voient qu'une chose, ils sont encouragés aussi,
26:54 puisque vous citez plusieurs organismes extrêmement importants, comme notamment l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, l'UNRWA,
27:03 qui elle-même a des directives très très claires, c'est-à-dire qu'il y a au niveau de l'ONU une façon de diriger une politique qui est extrêmement effrayante.
27:15 Pour ce qui est d'abord des Palestiniens maraboutés, non, parce que je crois qu'il y a aussi des Palestiniens du silence, qu'on n'a pas vu dans les scènes dont vous parlez,
27:25 qui savent que le Ramas est un état criminel, qui savent qu'ils vivent un cauchemar éveillé, qui n'osent pas le dire, qui n'en ont pas...
27:37 Voilà, c'est aussi très difficile de se révolter contre une dictature. Donc cette part-là de la population palestinienne, elle existe.
27:45 Et d'ailleurs, lorsque on avait avant le 7 octobre des cas extrêmement nombreux d'opposants au Ramas qui étaient exécutés sommairement, haut et court,
27:55 dans des conditions souvent atroces, parce que justement ils s'opposaient, parce qu'ils étaient soupçonnés de collaborer avec l'entité sioniste, ainsi de suite.
28:03 Donc ça existe aussi cette part-là de la population palestinienne. Elle est silencieuse. Voilà. Mais bien sûr qu'elle est là.
28:10 Après, le Ramas... L'islamisme radical contemporain a inventé cette chose atroce depuis 20 ans,
28:20 qui est le fait de filmer les pires exactions et les pires tortures, et de les brandir comme des trophées.
28:29 Ça c'est une nouveauté dans l'histoire. Ça commence, je connais bien cette histoire, parce que ça commence avec la décapitation de votre confrère, Daniel Pearl,
28:39 ce journaliste américain juif, kidnappé par Al-Qaïda en 2002, et décapité, et filmage de cette décapitation qui a circulé.
28:50 - Et ça continue. - Voilà. Et puis après, il y a eu Daesh, étape numéro 2 de l'islamisme radical qui a fait pareil,
28:57 avec ses otages alignés sur une plage et décapités en série, et puis aujourd'hui, le Ramas.
29:04 Donc ça, ce mélange de l'hypertechnique et de l'absolu fanatisme, et de la cruauté et du sadisme plus extrêmes, ça c'est une nouveauté,
29:14 et c'est une des caractéristiques de cet islamisme radical. Je rappelle dans le livre que les nazis effaçaient leurs crimes, effaçaient les traces,
29:25 jusqu'à la dernière minute, ils avaient cette obsession de ne pas laisser d'ordre écrit, ainsi de suite.
29:30 Staline, quand il torturait ses opposants à la Loubianca, il demandait qu'on fasse tourner des moteurs de camions pour couvrir les cris des suppliciés.
29:40 Là c'est l'inverse. On les brandit en effet, comme des signes de fierté, on les poste sur ses réseaux sociaux, et ça, Ramas, Daesh, Al-Qaïda.
29:52 C'est une des singularités de ce nouveau fascisme qui est l'islamisme radical.
29:58 - C'est différent parce qu'il est soutenu, et on vous le dit également dans le livre, par justement, on l'a dit tout à l'heure, les 5 rois plus les alliés.
30:05 - Voilà, avec le Hamas, que les gens dont vous parliez, l'ONU, l'UDRA, etc., nous présentent comme une petite organisation charitable, quasiment,
30:18 quand ce n'est pas organisation de résistance, en tout cas l'illibusienne, mais en réalité, le Hamas est extrêmement puissant,
30:25 à cause de ce conglomérat d'alliés qu'il a rassemblé autour de lui.
30:29 Il y a un chapitre dans mon livre qui s'appelle "L'Empire du Hamas".
30:32 L'Empire du Hamas, ça paraît paradoxal, parce que c'est vrai que le Hamas est une organisation dans une autre bande de terre,
30:40 plus petite que l'Israël, mais enfin, bande de gaz.
30:44 Mais l'Empire du Hamas se justifie par ce que je viens de vous dire là, par le fait que derrière lui, il est la marionnette,
30:51 il est instrumentalisé par les forces les plus redoutables, les plus puissantes et les plus offensives d'aujourd'hui,
31:02 contre l'Occident, contre l'Europe et contre les Etats-Unis.
31:08 - Bernard-Henri Lévy, je l'ai dit en introduction, vous êtes un personnage de l'histoire intellectuelle de France,
31:14 vous êtes lu, vous êtes écouté, vous êtes traduit dans de nombreux pays,
31:17 mais vous avez été entarté, vous avez été un gimmick, vous aviez votre marionnette dans les guignols,
31:23 il y a eu de la satire autour de ça, et puis on rigole, on rigole, mais finalement on vous écoute, on vous lit,
31:30 ce que vous nous produisez comme document est très important, c'est quoi votre force ?
31:34 Pourquoi est-ce qu'on vous écoute autant ?
31:37 - Je travaille en introspection.
31:39 - Je ne sais pas, parce que les gens doivent sentir, je ne sais pas, peut-être que je suis sincère, que...
31:46 - Est-ce que autant d'être aussi sincère, être aussi vrai, ça attire justement la satire et la rigolade ?
31:54 - Vous savez, une des raisons pour lesquelles on m'écoute un peu pour ce livre, c'est que, contrairement...
32:00 les droits de l'homme, la réparation aux victimes, moi je ne fais pas dans l'unilatéralisme, j'ai passé ma vie à ça.
32:13 J'ai passé ma vie à défendre les offensés, à défendre les naufragés, au Darfour, en Ukraine récemment,
32:23 les chrétiens du Nigeria, les libyens, les musulmans du Bangladesh lorsque j'étais tout jeune et que j'avais 20 ans,
32:31 vous voyez, moi c'est pas d'hier.
32:33 Hier j'étais à Strasbourg, où je venais présenter mon livre dans le cadre d'une soirée de solidarité avec Israël.
32:41 Et il y avait là quelques manifestants, à l'appel d'un collectif palestinien, qui prétendaient m'empêcher de parler.
32:47 La question est simple, c'était celle-là, où est-ce qu'ils étaient quand, avec d'autres, je défendais les Syriens massacrés par Bachar Al-Assad,
32:57 où est-ce qu'ils étaient lorsque j'allais crapahuter pour vos confrères du Monde ou vos confrères de Paris Match
33:04 pour couvrir des guerres oubliées dont tout le monde se fout, à commencer par eux ?
33:08 Moi c'est pas l'indignation à géométrie variable, vous comprenez ?
33:11 Et j'essaye d'être, depuis ma lointaine jeunesse maintenant, sur tous les fronts où se joue la dignité de l'humain.
33:20 Merci Bernard-Henri Lévy, merci d'avoir été notre grand témoin ce soir sur Europe 1 Solitude Israël.

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