• il y a 8 mois
Cours de cinéma donné par Ollivier Pourriol, philosophe, le 1er mars 2024, dans le cadre de la thématique Fair-play au Forum des images.

La «main de Dieu» de Maradona ou le coup de boule de Zidane ne sont pas que des gestes fous qui auraient échappé à leurs auteurs, ce sont des chefs-d’œuvre à l’envers que l’on peut inscrire, comme on le verra, dans une mythologie remontant au moins à L’Iliade d’Homère…
Info : https://www.forumdesimages.fr/les-programmes/toutes-les-rencontres/cours-eloge-du-mauvais-geste-par-olivier-pourriol

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Transcription
00:00:00 Merci Anne pour cette présentation. Je remercie Anne Marast qui vient de vous présenter la
00:00:16 séance, Claude Farge et Fabien Gaffey qui l'un dirige le Forum des images et l'autre
00:00:22 le programme et Quentin grâce à qui vous allez avoir des images derrière vous et je
00:00:28 crois la séance est filmée pour ceux qui aimeraient la revoir chez eux au ralenti.
00:00:33 Alors je vais commencer, c'est vrai j'ai écrit un livre qui s'appelle "Éloge du
00:00:36 mauvais geste", on dirait un titre d'avocat mais c'est un titre de philosophe et d'amateur
00:00:44 de sport, amateur au sens vraiment amateur du terme, c'est-à-dire j'aime ça mais sans
00:00:49 y connaître particulièrement quoi que ce soit de précis et j'ai pris deux gestes
00:00:55 aujourd'hui, tous les deux célèbres y compris chez ceux qui n'aiment pas le sport parce
00:01:00 qu'ils en ont forcément entendu parler, tout dépend de leur date de naissance bien
00:01:04 sûr mais il y en a un qui date de 2006, donc tout le monde était né a priori, c'est
00:01:09 le fameux coup de tête de Zidane qui a eu lieu en finale de la coupe du monde de football
00:01:15 et le deuxième geste auquel on s'intéressera ce sera celui de Diego Maradona en 1986 qui
00:01:21 avait mis un but de la main en quart de finale contre l'Angleterre et à partir de ces deux
00:01:26 gestes j'ai fait une sélection d'extraits, j'aurais pu en choisir d'autres évidemment,
00:01:30 d'extraits de films, de cinéma, certains documentaires, d'autres de fiction, d'autres
00:01:36 documentés et de fiction de manière à essayer de comprendre plusieurs axes, le premier c'est
00:01:43 qu'est-ce qu'il reste du geste guerrier dans le geste sportif, il y a les jeux olympiques
00:01:48 qui approchent, les jeux olympiques traditionnellement c'est une trêve entre peuples qui se font
00:01:53 la guerre, entre états, entre cités qui se font la guerre, c'est un moment de trêve,
00:01:58 le sport, mais c'est une trêve dans laquelle restent tous les gestes de la guerre mais
00:02:04 éloignés de leur enjeu guerrier, le lancer du javelot au début c'est pour viser quelqu'un,
00:02:09 si on enlève quelqu'un ça devient une performance juste de le lancer le plus loin possible alors
00:02:14 que sur un champ de bataille ce qui compte c'est d'atteindre sa cible, pas qu'elle soit
00:02:17 éloignée.
00:02:18 Donc ça c'était le premier axe, le deuxième c'est la manière dont le cinéma a changé
00:02:24 la manière de filmer le sport, parce que le sport au départ n'était pas filmé, peut-être
00:02:30 parmi vous certains ont suivi des matchs ou le tour de France à la radio avant que la
00:02:34 télé s'y intéresse, et vous allez voir que la télévision selon les moments où elle
00:02:40 le capte, où elle filme les gestes sportifs va le faire en étant de plus en plus influencée
00:02:47 par le cinéma.
00:02:49 Et enfin la dernière question c'est peut-on vraiment débarrasser le sport de ce qu'il
00:02:57 a de combat, d'affrontement, de lutte à mort archaïque et originelle, et ce sont des questions
00:03:04 que je vais poser avec vous, je n'ai pas forcément les réponses.
00:03:07 On va commencer par revivre un moment pour ceux qui l'ont vécu en direct, France-Italie,
00:03:12 on est dans les prolongations, en 2006 Zinedine Zidane le capitaine français qui a en 1998
00:03:21 mené la France à une victoire 3-0 en finale contre le Brésil, est déjà champion du
00:03:25 monde, on est à la fin du match, il y a égalité un par tous, on est à 13 minutes de la fin,
00:03:31 et quelque chose, un moment décisif n'a pas été filmé, je vous montre ce qui se
00:03:37 passe quand on ne filme pas le geste qu'on est censé commenter.
00:03:42 Il y a Foch sur Materazzi, il y a quelque chose aussi.
00:03:46 De l'autre côté on s'est expliqué entre Trezeguet et Materazzi, c'est en tout cas
00:03:52 ce que Buffon vient dire à l'arbitre assistant, que s'est-il passé entre Trezeguet et Materazzi ?
00:03:58 J'espère qu'il ne s'est rien passé parce que...
00:04:00 Ouais, ouais, ouais, ouais, ouais.
00:04:08 Le juge de Juch ne semble pas intervenir.
00:04:10 Maquenelle avec Buffon, tiens, on voit Zizou, ouh Zinedine, oh Zinedine, pas ça, pas ça
00:04:24 Zinedine, pas ça Zinedine, oh non, oh non pas ça, pas aujourd'hui, pas maintenant,
00:04:32 pas après tout ce que tu as fait.
00:04:37 Aïe, aïe, aïe, aïe, aïe, aïe, aïe.
00:04:39 On pensait que c'était Trezeguet qui était dans le coup, pas du tout, parce que c'est...
00:04:49 Oh non Zinedine.
00:05:01 C'est très très très très chaud entre Materazzi, Raymond Domenech, Jean-Luc Buffon et Domenech.
00:05:09 Ils essaient de faire intervenir le 4ème arbitre sur la télé.
00:05:12 Non mais ça ne se fait pas, ça ne peut pas se faire.
00:05:18 Ça ne peut pas se faire.
00:05:19 Il va sortir un carton, il va sortir un carton.
00:05:20 Il va sortir un carton inavancé d'âme, c'est carton rouge, oh non, et voilà ce que je redoutais,
00:05:24 c'est épouvantable, ce n'est pas possible.
00:05:27 Oui, il n'y a même pas lieu de contestation.
00:05:29 Mais non, on ne peut pas contester, on ne peut pas contester.
00:05:32 Même s'il s'est passé des choses avant, Zinedine ne doit pas répondre, ne doit pas mettre ce coup de tête.
00:05:39 Ce n'est pas vrai, c'est son dernier match, c'est la finale de la Coupe du Monde.
00:05:44 Ce n'est pas possible.
00:05:52 Oh non, non, non, non, non.
00:05:58 Sur l'image qu'on a vue, on ne peut pas reprocher à l'arbitre argentin de sortir le carton rouge, évidemment.
00:06:04 Mais c'est terrible.
00:06:07 C'est terrible.
00:06:10 On était dans un compte de fées jusque-là.
00:06:13 Ce qui s'est passé avant, on ne l'a pas vu.
00:06:16 Mais quoi qu'il arrive, Zinedine ne doit pas répondre, Jean-Michel.
00:06:20 Absolument non, aucune circonstance à tout.
00:06:25 Aïe, aïe, aïe, aïe.
00:06:27 Et c'est la dernière fois, et c'est la dernière fois.
00:06:31 Il nous a fait tant aimer, il nous a donné tant de bonheur.
00:06:34 Ce dernier plan est très beau.
00:06:37 Zidane tourne le dos à la caméra, il ne regarde pas la Coupe du Monde qu'il vient de perdre.
00:06:42 Il y a les deux hommes en noir, on dirait un chœur antique.
00:06:46 Dans le livre que j'ai écrit, je suis allé un peu loin.
00:06:48 J'étais très d'accord avec le regretté Michel Serres, qui disait qu'au moment où Zidane a fait ce geste,
00:06:55 le monde s'est coupé en deux.
00:06:57 D'un côté, il y a ceux qui disaient "mais quel abruti, il a fait perdre son équipe".
00:07:00 De l'autre côté, il y a ceux qui se sont dit "mais quel geste splendide, seul un".
00:07:04 Ils n'étaient pas nombreux sur cette position au départ,
00:07:07 mais Michel Serres, lui en philosophe, avait fait l'analyse suivante en disant
00:07:11 "les grands footballeurs, comme les grands sportifs, s'affranchissent des règles".
00:07:16 C'est-à-dire que quand ils gagnent, c'est parce qu'ils sont au-dessus des règles.
00:07:20 Il rappelle quelque chose d'archaïque, c'est que quand on parle du stade, on parle des dieux du stade.
00:07:24 Et donc, il considère que Zidane s'est comporté comme un dieu du stade.
00:07:28 Ça foudre à frapper l'adversaire, parce qu'à un moment, quelque chose lui a échappé.
00:07:35 Il a été traversé par une violence et en même temps, c'est un moment où il a renoncé à gagner.
00:07:40 Vous avez vu le moment de flou, très intéressant, puisque les commentateurs n'ont pas vu le geste.
00:07:45 L'arbitre n'a pas vu le geste. La plupart des joueurs n'ont pas vu le geste.
00:07:49 Bouffon, le gardien italien, a vu le geste. Va voir quelqu'un qui a vu le geste.
00:07:53 Et soudain, la télévision, qui à l'époque ne fait pas partie de l'arbitrage,
00:07:59 donc l'arbitre qui met un carton rouge n'applique pas le règlement.
00:08:02 Il n'a pas le droit d'utiliser une image qu'il n'a pas vue à cette époque-là, en 2006.
00:08:08 Donc l'arbitre fait un geste illégal, mais que tout le monde trouve légitime.
00:08:13 On n'est pas dans Antigone, mais il y a quelque chose entre la loi et la légitimité qui se dessine.
00:08:21 Et vous avez un écart qui, pour la première fois dans l'histoire du football,
00:08:26 a été comblé par le fait qu'une image captée qui n'aurait pas dû l'être a été utilisée pour arbitrer.
00:08:33 Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les caméras sont présentes, l'arbitre arrête le jeu, va voir la caméra, vérifie, le ralentit, etc.
00:08:40 Et prend ensuite sa décision, y compris au rugby et dans d'autres sports.
00:08:44 A l'époque, j'avais été très frappé, moins que Materazzi, par le geste.
00:08:51 Je m'étais demandé si Michel Serres avait raison.
00:08:55 En analysant, je me suis dit que oui. Il y a un livre très beau.
00:08:59 Il n'y a pas beaucoup de femmes dans les extraits que je vais vous montrer.
00:09:02 Une femme qui a réfléchi sur ces gestes, c'est Simone Veil, avec un W, l'élève d'Alain,
00:09:07 qui a écrit un magnifique livre, qui est assez ignoré, un tout petit livre, qui s'appelle "L'Iliade".
00:09:13 Elle parle de l'Iliade de Mer, l'Iliade ou le poème de la force.
00:09:17 Dans ce livre magnifique, consacré à l'œuvre de Mer, qui parle de la guerre de Troyes,
00:09:23 parce que l'Iliade, c'est Ilion, c'est la ville de Troyes, la cité de Troyes.
00:09:27 Elle dit la chose suivante, elle dit que la violence traverse ceux qui l'exercent.
00:09:34 Ils n'en sont pas originaires, ils n'en sont pas dépositaires, la violence les traverse.
00:09:39 Et le vainqueur est toujours emporté par sa violence, qui finit par le briser.
00:09:43 Elle fait la remarque suivante, c'est que tous les héros dans l'Iliade, y compris Achille, le merveilleux Achille,
00:09:50 tous les héros pleurent. Et il y a un moment où ils ont tous peur également.
00:09:55 Les larmes de Zidane, on ne les voit pas, on sent qu'il y en aura peut-être.
00:09:58 En tout cas, il n'y aura pas d'excuses, il n'y aura pas de regrets.
00:10:01 Aujourd'hui, on est moins dans l'Iliade que dans autre chose, qu'il faudrait essayer de qualifier.
00:10:06 Mais je vous propose aujourd'hui de faire une sorte de transport dans le temps.
00:10:12 Je ne sais pas ce que regardent les footballeurs comme film ou ce qu'ils lisent comme livre,
00:10:16 mais à supposer que Zidane n'ait pas lu l'Iliade, ce qui n'est pas sûr,
00:10:20 il a peut-être vu l'adaptation cinématographique de Wolfgang Petersen en 2004,
00:10:25 puisque là on est en 2006, donc deux ans avant, il y avait le film 3,
00:10:29 où vous allez voir Achille incarné par Brad Pitt qui vient défier Hector incarné par Eric Bana.
00:10:36 Hector a tué le cousin et amant d'Achille sans le faire exprès.
00:10:43 Je vais vous raconter quand même le match de la guerre de Troyes en deux secondes.
00:10:48 Il y a un parallèle entre les deux situations.
00:10:51 Zidane en 2006 est fâché, ou n'aime pas beaucoup son entraîneur qui est Domènech.
00:10:57 Dans l'Iliade, vous avez Achille qui est le champion grec,
00:11:01 celui sans qui les grecs ne peuvent pas l'emporter, c'est vraiment le meilleur joueur de l'équipe grecque.
00:11:07 C'est un peu la même situation, il fait la tête à Agamemnon, son entraîneur,
00:11:11 celui qui dirige l'équipe des grecs, parce qu'Agamemnon lui a pris sa protégée,
00:11:17 sa maîtresse, son esclave Briseis, et donc Achille boude.
00:11:22 Toute l'histoire de la guerre de Troyes, de l'Iliade en tout cas, repose sur la colère d'Achille.
00:11:28 C'est même le premier vers de l'Iliade sur la colère d'Achille.
00:11:35 Là, vous avez la colère de Zidane qui s'est manifestée.
00:11:38 Je vous donne juste un élément antique, archaïque.
00:11:41 Chez les grecs, vous avez une distinction qui est faite entre la tête, le nous, l'esprit,
00:11:47 les entrailles, les désirs, les épitumiailles.
00:11:51 Vous avez l'étage de l'intellect, vous avez l'étage des désirs,
00:11:54 et entre les deux, vous avez le thumos, le thumos qui est à hauteur de la poitrine,
00:11:58 le cœur au sens du XVIIe siècle, quand on dit "Rodrigues, as-tu du cœur ?"
00:12:02 ça veut dire "as-tu du courage ?" et cette passion est intermédiaire.
00:12:06 C'est à la fois une passion de tête, parce que c'est la passion de la noblesse,
00:12:09 et c'est une passion au sens où c'est juste au-dessus du ventre.
00:12:12 Ça a la chaleur d'une passion qui vient du ventre,
00:12:15 et en même temps, ça a la profondeur ou l'absolu d'une décision d'esprit.
00:12:19 Je me suis toujours demandé pourquoi Zidane avait frappé son adversaire à la poitrine.
00:12:24 Il y a une hypothèse physiologique, c'est qu'il est plus petit que son adversaire,
00:12:28 et quitte à lui donner un coup de boule, il ne va pas se résoudre à sauter en l'air
00:12:31 pour essayer de lui toucher le menton, évidemment.
00:12:33 Deuxième hypothèse, il sait qu'il n'est pas dans l'axe des caméras,
00:12:37 il sait que l'arbitre ne regarde pas, donc il va le frapper d'une manière à ne pas laisser de traces,
00:12:41 il ne va pas lui casser le nez, il va juste l'humilier.
00:12:43 Et troisième hypothèse, qui est la mienne, un peu archaïque, un peu ambitieuse,
00:12:47 c'est qu'il a frappé au siège du courage, du cœur et de la noblesse.
00:12:51 Il a voulu l'humilier, non pas en lui faisant mal,
00:12:54 mais en le touchant précisément à l'endroit qui est celui de la noblesse,
00:12:58 qu'il n'a pas, puisqu'il l'avait insulté.
00:13:00 Donc il a répondu à une insulte par un trait divin, en le mettant à terre, en l'humiliant,
00:13:05 c'est l'origine du mot humilier, humus, la terre, il l'a mis à terre sans lui faire mal.
00:13:11 Et vous avez vu peut-être dans l'image précédente, vous aviez trois docs en bleu,
00:13:15 trois docteurs qui n'avaient rien à faire, parce qu'en fait ils étaient par terre mais ils n'avaient pas mal.
00:13:19 Bon, extrait suivant, 3.
00:13:24 [bruit de moteur]
00:13:28 [bruit de moteur]
00:13:34 [bruit de moteur]
00:13:47 [bruit de moteur]
00:14:03 J'ai déjà vécu ce moment dans mes rêves.
00:14:07 Je vais faire un pacte avec toi.
00:14:10 Que les dieux nous en soient témoins.
00:14:12 Nous devons promettre que le vainqueur autorisera les rituels funéraires du vaincu.
00:14:16 Les lions ne pactisent pas avec les hommes.
00:14:20 [bruit de moteur]
00:14:27 Maintenant tu sais qui est ton adversaire.
00:14:30 [bruit de moteur]
00:14:37 C'est toi que je croyais combattre hier.
00:14:40 Et j'aurais voulu que ce soit toi.
00:14:42 Mais j'ai traité ce garçon avec l'honneur qu'il méritait.
00:14:44 C'est avec ton épée que tu lui as fait honneur.
00:14:47 Tu n'auras plus d'yeux ce soir, plus d'oreilles ni de langue.
00:14:50 Tu vas errer dans les enfers, aveugle, sourd et muet et tous les morts sauront
00:14:54 qui est Hector, le fou qui a cru avoir tué Achille.
00:14:58 [bruit de moteur]
00:15:04 [bruit de moteur]
00:15:18 [bruit de moteur]
00:15:47 [bruit de moteur]
00:15:57 [bruit de moteur]
00:16:17 Bon voilà, ça continue pendant quelques minutes.
00:16:20 C'est un combat qui a été tourné sur plusieurs semaines.
00:16:23 Il y a eu un blessé dont ils ont dû interrompre le tournage.
00:16:27 Donc ça a été très long.
00:16:29 C'est l'inverse de ce que vous avez vu précédemment.
00:16:31 Vous avez des gestes en temps réel. Là c'est l'inverse.
00:16:33 Vous avez des gestes qui sont faits pour être premièrement chorégraphiés.
00:16:37 Et qui sont des gestes qui sont montés.
00:16:39 Il y a du montage, évidemment. Ils ne font pas ça en une prise.
00:16:42 Il y a beaucoup de choses à dire sur les règles de cet affrontement.
00:16:47 Vous avez remarqué qu'ils commencent par enlever le casque.
00:16:49 Ce n'est pas juste pour montrer la qualité de leur coiffure.
00:16:52 C'est aussi pour renoncer à une protection.
00:16:55 Dans la noblesse de l'affrontement, dans la noblesse du tête à tête,
00:16:58 ou du face à face, il y a la certitude d'avoir affaire à telle personne.
00:17:02 Donc on s'identifie et on se déclare la guerre.
00:17:06 Là c'est un peu plus qu'une guerre, parce que c'est un affrontement privé.
00:17:09 Il y a un enjeu privé, un affrontement de vengeance.
00:17:12 Vous avez à la fois des beaux gestes.
00:17:14 Premièrement, dire qui on est. Ce n'est pas furtif.
00:17:18 Deuxièmement, enlever son casque.
00:17:20 Renoncer à une protection.
00:17:22 Vous avez remarqué que c'est Achille le premier à le faire.
00:17:24 Hector le fait. Donc réciprocité.
00:17:26 Troisième manifestation de noblesse, c'est quand en miroir,
00:17:29 on fait la même chose que l'autre, que l'adversaire.
00:17:32 Si je vous souris, vous me souriez.
00:17:34 Si je relève mon casque, vous enlevez votre casque.
00:17:36 Et quand vous vous affrontez, vous allez le faire à l'intérieur, dans l'ordre.
00:17:40 Vous avez vu qu'ils ont une lance, mais cette lance, ils ne la lancent pas.
00:17:43 Ils s'en servent comme d'une pique. Pourquoi ?
00:17:45 Parce que justement, ils veulent s'affronter face à face,
00:17:48 dans la proximité, en prenant un risque égal.
00:17:51 Au moment où je te donne un coup de lance, tu risques de m'en donner un.
00:17:54 Alors que si je suis loin, si je vise mieux que toi,
00:17:57 j'aurai un avantage indigne.
00:17:59 Ce qui fait que, par exemple, dans l'histoire militaire,
00:18:02 le moment où les Anglais sont les premiers à s'être servi des arcs,
00:18:06 ça a été considéré comme une arme qui manquait de noblesse.
00:18:10 Et d'ailleurs, à Azyncourt, la fameuse bataille
00:18:13 où l'aristocratie française en armure s'est fait tuer
00:18:17 par des archers à distance,
00:18:19 la noblesse française s'est retrouvée ridiculisée
00:18:22 par la piétaille des archers qui les ont tués à distance, sans noblesse.
00:18:25 Donc là, vous avez la proximité, la réciprocité, le risque partagé.
00:18:30 Ils ont exactement les mêmes armes.
00:18:32 Et quand une arme se casse, on renonce à s'en servir.
00:18:35 La lance à moitié cassée pourrait continuer à servir.
00:18:37 D'ailleurs, dans la Grèce antique, les lances qui servaient aux oplites
00:18:42 avaient des pointes des deux côtés.
00:18:44 Donc on pouvait continuer, quand la lance était cassée,
00:18:46 à s'en servir comme d'une épée ou comme d'une sorte de couteau.
00:18:50 Là, ce n'est pas le cas, parce qu'on est dans la prise de risque maximale.
00:18:53 Et il y a un ordre.
00:18:54 Une fois que la lance est cassée, une fois que les lances sont brisées,
00:18:57 comme on dit, on passe à l'épée, le bouclier, etc.
00:19:01 Donc, vous avez un mélange de beaux gestes, de belles règles
00:19:06 qui sont respectées des deux côtés,
00:19:08 sur promesses insultantes de non-réciprocité.
00:19:13 Achille a quasiment la certitude de l'emporter,
00:19:15 c'est vraiment le meilleur guerrier de son époque.
00:19:17 Hector n'a aucun doute sur l'issue du combat,
00:19:19 même s'il le mène avec cœur, il sait qu'il va perdre,
00:19:22 il sait qu'il va se faire tuer.
00:19:23 Donc sa seule négociation, c'est pour le respect de sa dépouille.
00:19:27 Vous imaginez des adversaires qui commencent en disant
00:19:29 "Bon, écoute, juste on se met d'accord, tu rends mon cadavre à ma famille, d'accord ?"
00:19:33 Et l'autre, il dit "Non, il n'y a pas de pacte entre les lions et les hommes."
00:19:39 La première fois que j'ai lu ça, ou que je l'ai entendu, je ne me souviens pas,
00:19:42 j'ai cru que Achille disait que lui était un homme alors que l'autre n'était qu'une bête.
00:19:51 Alors que c'est l'inverse.
00:19:53 Achille lui promet de se comporter de manière inhumaine ou non humaine.
00:19:57 Il dit "Moi, je suis un lion, je ne passe pas de pacte avec les hommes."
00:20:00 Parce que ce sont les humains qui se mettent d'accord sur des interdits.
00:20:04 Il est très beau le mot interdit.
00:20:06 Quand on le subit, il n'est pas beau.
00:20:07 Mais le mot lui-même, interdit, c'est ce qu'on s'est dit entre nous.
00:20:11 Donc ils commencent par discuter, ils se mettent d'accord.
00:20:14 Mais il y a une chose sur laquelle ils ne sont pas d'accord, c'est sur le sort de la dépouille.
00:20:17 Et Achille, après avoir tué Hector, va tenir sa promesse.
00:20:21 C'est-à-dire qu'il va attacher la dépouille d'Hector à son char et va le traîner autour de Troie
00:20:27 pour que le père, les amis, la femme, les enfants d'Hector voient le cadavre de leurs proches
00:20:36 démantipulés, décomposés, humiliés.
00:20:41 Maintenant, pour mettre un peu de baume sur ce cœur blessant
00:20:50 ou sur la dépouille d'Hector à venir, que je ne vous montre pas,
00:20:53 je voulais commenter ce combat qui est ultra chorégraphié.
00:20:58 Ceux qui l'ont chorégraphié ont pris comme référence Mohamed Ali pour la manière de boxer.
00:21:05 Ils se sont inspirés de la manière de bouger de Mohamed Ali,
00:21:09 qui était surnommé "l'abeille", qui se surnommait lui-même "l'abeille",
00:21:13 qui évitait les coups, qui faisait de l'esquive, etc.
00:21:16 qui était aussi une sorte de danseur.
00:21:19 Ils se sont inspirés de danseurs, ils se sont inspirés d'arts martiaux fondés sur l'esquive.
00:21:24 Autrement dit, le combat que vous voyez n'a absolument rien d'historique.
00:21:28 Ce n'est certainement pas une reconstitution.
00:21:31 Mais à partir des éléments de l'armement réel des grecs détroyants de l'époque,
00:21:36 ils ont inventé un objet cinématographique pour satisfaire les spectateurs contemporains habitués à voir du sport.
00:21:45 C'est traité comme un sport, comme une danse, comme quelque chose d'extrêmement monté.
00:21:51 Je les ai pris au sérieux, donc je suis allé voir.
00:21:54 D'abord, je vais vous montrer quelque chose d'encore plus outré.
00:21:58 C'est un film que vous avez peut-être vu de Zack Snyder, qui s'appelle "Trois Sangues",
00:22:03 qui est adapté d'une bande dessinée de Frank Miller,
00:22:06 où vous avez cette fois une stylisation totale de l'acte guerrier,
00:22:11 qui est filmé véritablement comme un geste sportif.
00:22:14 Je demande d'être sensible, même s'il y a du sang, même si c'est agicle, etc.
00:22:18 aux outils cinématographiques qui sont utilisés.
00:22:21 C'est très proche de la manière dont Canal+ filme un match de foot aujourd'hui.
00:22:24 Vous allez voir qu'il y a un "travelling" sur le roi Léonidas.
00:22:27 Il est suivi sur des rails.
00:22:30 Vous avez des accélérations, vous avez des ralentis,
00:22:33 vous avez tous les outils de ce que Walter Benjamin,
00:22:36 philosophe juif allemand, mort pendant la Seconde Guerre mondiale,
00:22:40 a appelé l'inconscient visuel.
00:22:43 Il écrit ça dans un petit livre très beau qui s'appelle
00:22:46 "L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique".
00:22:50 Il écrit ça dans les années 30.
00:22:51 C'est quoi la reproductibilité technique ?
00:22:53 C'est la photographie et le cinéma.
00:22:57 Le cinéma, on parle de copie.
00:23:01 Quand un film sort, c'est sur 100 copies, 200 copies, 300 copies.
00:23:04 Il n'y a pas d'original au cinéma.
00:23:06 Il y a le négatif original, mais ce n'est pas lui qu'on projette.
00:23:09 Une époque où les images sont faites pour être reproduites,
00:23:13 elles augmentent la perception naturelle, nous dit Walter Benjamin,
00:23:17 en leur ajoutant des dimensions dont notre perception naturelle est incapable.
00:23:21 Il donne deux exemples.
00:23:23 Le gros plan.
00:23:25 Dans la nature, même si vous êtes très proche de votre amoureuse,
00:23:28 vous ne pouvez pas faire un gros plan.
00:23:30 Il faut des lunettes spéciales.
00:23:33 Et il y a le ralenti.
00:23:35 Le ralenti, c'est équivalent du gros plan, mais avec le temps.
00:23:37 C'est quoi le ralenti ?
00:23:39 C'est quelque chose dont la nature vous prive.
00:23:43 C'est l'idée que vous allez pouvoir profiter davantage d'un moment qui vous plaît.
00:23:47 Alors que nous, le temps passe, le soir on y repense,
00:23:49 mais on ne peut pas se refaire nos meilleurs moments au ralenti.
00:23:52 Ce serait formidable, mais au cinéma on peut le faire.
00:23:56 Ces outils du cinéma, si vous réfléchissez,
00:23:59 c'est eux qui nous manquent quand on voit un vrai match.
00:24:03 Maintenant il y a des écrans dans les stades.
00:24:06 Les premiers matchs que je suis allé voir, il n'y avait pas d'écran dans les stades.
00:24:10 Et si vous tournez la tête et que vous ratez le but,
00:24:13 vous ne le revoyez jamais.
00:24:15 Il y a quelque chose qui vous manque, parce que vous êtes loin,
00:24:17 vous n'avez qu'un seul angle.
00:24:19 Alors que vous êtes habitué avec la télévision,
00:24:21 à avoir des outils cinématographiques qui sont le gros plan, le ralenti,
00:24:24 la multiplicité des angles et des valeurs de plan.
00:24:27 Je vous montre 300.
00:24:29 Vous allez voir que ce combat entre les spartiates et les perses,
00:24:33 ce sont deux équipes de l'époque,
00:24:36 la bataille des Thermopyles, digne des portes chaudes.
00:24:39 Vous avez d'un côté les spartiates, c'est eux qui sont suivis,
00:24:42 c'est eux qui sont héroisés.
00:24:44 Ils sont filmés exactement comme si c'était un match de foot,
00:24:48 avec des règles un peu différentes.
00:24:51 [Musique]
00:24:57 Pas de gardiens !
00:24:59 Pas de prisonniers !
00:25:03 [Musique]
00:25:07 [Musique]
00:25:10 [Musique]
00:25:17 [Musique]
00:25:25 [Musique]
00:25:32 [Musique]
00:25:35 [Musique]
00:25:45 [Musique]
00:25:53 [Musique]
00:26:00 [Musique]
00:26:03 [Musique]
00:26:11 [Musique]
00:26:18 Ils ont l'air assoiffés !
00:26:20 [Rire]
00:26:21 Donnons-leur quelque chose à boire !
00:26:24 [Bruit de feu]
00:26:26 Vers la falaise !
00:26:29 [Musique]
00:26:32 [Bruit de feu]
00:26:35 [Musique]
00:26:38 [Musique]
00:26:42 [Musique]
00:26:45 [Musique]
00:26:48 Halt !
00:26:50 Halt !
00:26:55 Ça commence très bien !
00:26:57 [Bruit de feu]
00:26:58 Aaaaaaah !
00:27:00 C'est une équipe qui a des cris de supporters en même temps.
00:27:05 Vous avez l'idée d'une équipe au sens où Rousseau, dans le contrat social,
00:27:10 explique la différence entre une association et une simple agrégation.
00:27:14 Il dit qu'une association, c'est lorsqu'il y a une réciprocité,
00:27:18 lorsque vous avez passé un contrat avec quelqu'un d'autre
00:27:22 pour vous protéger réciproquement.
00:27:25 C'est exactement le cas de la phalange des oplites spartiates,
00:27:29 puisqu'ils protègent leurs voisins de gauche avec leur bouclier,
00:27:32 ils ont tous le même équipement.
00:27:34 Alors qu'en face, ils ont affaire à une simple agrégation,
00:27:37 un simple agrégat de soldats perses
00:27:40 qui se battent simplement parce qu'ils ont peur de leur chef.
00:27:43 Vous voyez, c'est la différence entre une forme politique présentée comme idéale,
00:27:47 avec toutes les critiques qu'on peut faire quant à cette représentation,
00:27:52 et en face, vous avez le sentiment d'un désordre.
00:27:54 Donc ils ne sont que 300, mais comme ils sont une équipe,
00:27:57 c'est cet idéal sportif qui vient aussi du contrat social,
00:28:00 l'idée que 300 associés, c'est plus fort que des centaines de milliers d'hommes
00:28:04 qui sont simplement agrégés.
00:28:06 Pas de philosophiens qui sont juste additionnés, comme des grains de sable.
00:28:10 Et vous avez remarqué évidemment les corps de ces spartiates.
00:28:16 Pour l'anecdote, ils ont tous été recrutés dans des salles de sport à Los Angeles,
00:28:22 c'est vrai, où vous avez des acteurs qui essayent de rentrer dans ce genre de film.
00:28:27 Et c'est une tendance contemporaine,
00:28:30 c'est des acteurs qui se proposent comme des corps remplaçables, substituables,
00:28:35 dans des films où leur visage par ailleurs est masqué pendant les scènes d'action,
00:28:41 même si certains sont repérés, ils valent surtout par leur masse.
00:28:46 Deuxième référence pour le combat que vous avez vu tout à l'heure, c'était Mohamed Ali.
00:28:51 Mohamed Ali a été filmé beaucoup, parce qu'il était d'abord très photogénique.
00:28:55 Il y a un film documentaire extraordinaire qui s'appelle "When we were kings",
00:28:59 qui a documenté le fameux combat du siècle entre Mohamed Ali et George Ferman.
00:29:06 Je vous montre simplement un extrait, mais décisif, de ce film.
00:29:11 Je vous demande de penser à ce que dit Walter Benjamin.
00:29:16 Walter Benjamin, toujours dans le même livre, parle de la situation du spectateur de cinéma.
00:29:22 Il dit que quand on est spectateur de cinéma, on est dans une situation de semi-expertise,
00:29:27 ou de demi-expertise.
00:29:29 Ça veut dire quoi ?
00:29:30 Si je vous montre un film de boxe, vous allez comprendre comme si vous connaissiez la boxe.
00:29:36 Si c'est bien mis en scène, vous allez comprendre ce qui se passe.
00:29:39 Alors que si vous voyez un match de boxe sans les commentaires,
00:29:42 et si vous ne savez pas les règles, vous n'allez rien comprendre.
00:29:45 Ça me fait ça pour le rugby. J'ai regardé ça depuis l'âge de 5 ans avec mon père.
00:29:49 A l'époque, je croyais que France Gall, c'était une chanteuse et un match qui revenaient régulièrement.
00:29:54 Je confondais toujours les deux.
00:29:56 C'est vrai, c'était les années 80.
00:29:58 Je n'ai jamais compris les règles.
00:30:01 Même maintenant que j'ai l'impression de les comprendre,
00:30:03 si je dois les expliquer, elles changent tellement vite.
00:30:05 Comment ils font pour faire un sport aussi physique
00:30:09 et être capable de comprendre ce qui se passe avec ce ballon, avec ces règles, avec cet arbitre ?
00:30:14 Sans les commentaires, vous seriez simplement inexperts ou ignorants.
00:30:19 Le cinéma ne fait pas de commentaires.
00:30:22 Mais là, vous allez voir que l'outil cinématographique qui est utilisé
00:30:24 pour vous montrer le tournant de ce match, c'est le ralenti.
00:30:29 On aurait dit deux mômes en train de se bagarrer.
00:30:38 Au troisième et au quatrième round, Ali restait dans les cordes.
00:30:42 Il parlait sans cesse à Foreman. C'était impressionnant.
00:30:47 Il fallait être tout près pour le voir.
00:30:49 Et Foreman le martelait de ses coups prodigieux qui avaient impressionné les sparring partners.
00:30:54 Ali tanguait comme en haut d'un mât, partant en arrière, glissant, se redressant.
00:30:59 Après un des coups, il a dit à Foreman, "Tu me déçois, George.
00:31:04 Il faut que tu y mettes plus de pêche, mon George.
00:31:07 À quoi tu joues, là ? Je sens rien."
00:31:09 Et Foreman, fou de rage, continuait à le rouer de coups surpuissants.
00:31:13 Au cinquième round, Foreman était claqué.
00:31:17 Il s'était épuisé en trois rounds.
00:31:21 Ali se réjouit un peu. Il reste environ 40 secondes pour la cinquième round.
00:31:25 Une détermination de Ali qui tombe sur la tête de Foreman.
00:31:34 Foreman avec sa droite.
00:31:36 Ali se déplace, il a une bonne tête, une bonne droite.
00:31:40 Il se déplace et il le retient.
00:31:43 Foreman le détruit.
00:31:45 Ali se déplace à la droite.
00:31:47 Foreman se déplace avec sa gauche.
00:31:49 Ali se déplace avec sa gauche.
00:31:51 Foreman se déplace à nouveau.
00:31:54 Foreman a été touché trois ou quatre fois.
00:31:56 Il a perdu la tête.
00:31:57 Soudain, Ali lui a décoché une droite.
00:32:00 On a vu la sueur gicler comme une fontaine.
00:32:03 Nous réalisions que derrière cette folie se cachait une tactique.
00:32:08 Je me suis alors tourné vers Norman et je lui ai dit,
00:32:11 "Le démon l'a vaincu, cette femme aux mains tremblantes
00:32:14 qui d'après le sorcier devait l'anéantir, le détruire."
00:32:18 C'est peut-être la tactique d'Ali,
00:32:20 de laisser l'homme se débrouiller.
00:32:22 30 secondes, la gauche et la roue 8.
00:32:25 Une bataille très éveillée.
00:32:30 Ali, une main d'épaules.
00:32:32 Une autre main d'épaules.
00:32:35 Cette fois, il a travaillé sur le dos de Foreman.
00:32:37 C'est une conclusion.
00:32:39 3, 2, 1.
00:32:46 2, 3, 4, 5, 6.
00:32:51 Foreman se fait battre à la main.
00:32:53 8, 9, 10.
00:32:55 Il a été battu.
00:32:58 Là, vous avez à la fois le commentaire,
00:33:00 et c'est du commentaire rétrospectif.
00:33:02 Vous avez reconnu peut-être l'écrivain et commentateur Norman Mailer
00:33:06 qui explique ce qu'ils n'ont pas perçu.
00:33:10 Même les experts n'ont pas compris ce que faisait Muhammad Ali
00:33:13 puisqu'il se laissait frapper par un adversaire plus fort que lui, physiquement.
00:33:16 Personne ne comprenait pourquoi il se laissait frapper sans rien faire
00:33:19 en étant dans les cordes.
00:33:21 Être dans les cordes, normalement, pour un boxeur, ce n'est pas un bon signe.
00:33:25 Il est vraiment acculé.
00:33:27 Sauf que là, si vous avez eu le temps de percevoir quelque chose,
00:33:30 Muhammad Ali a utilisé les cordes comme une manière d'esquiver,
00:33:33 ou d'encaisser.
00:33:35 Il avait une stratégie, un peu comme dans la bataille des thermopiles
00:33:38 que vous avez vu précédemment, où les trois sens spartiates,
00:33:41 comme ils n'étaient pas nombreux, ont utilisé les portes étroites,
00:33:44 les thermopiles, les portes chaudes, pour diviser la masse de leur adversaire.
00:33:49 Cette folie apparente, se mettre dos à quelque chose,
00:33:52 cache une stratégie.
00:33:54 On ne peut pas la comprendre si on ne connaît pas les règles.
00:33:57 Et même quand on connaît les règles, si on n'est pas Muhammad Ali,
00:34:00 on ne la comprend pas tout de suite.
00:34:02 Vous avez peut-être remarqué le moment du ralenti.
00:34:04 Vous avez vu le moment où il décrit.
00:34:06 Vous ne pouvez voir ce qui se passe que parce que c'est au revue,
00:34:10 que parce que c'est au ralenti,
00:34:12 et que parce que vous êtes préparés par quelqu'un qui vous l'explique.
00:34:15 La seule autre personne à l'avoir compris en temps réel,
00:34:18 vous avez peut-être remarqué quelque chose dans ce ralenti.
00:34:21 En fait, il y a un flash photographique.
00:34:24 Il y a un excellent photographe,
00:34:26 qui a sûrement cette photo avec de la sueur qui gicle,
00:34:29 qu'on attend depuis cinq rondes.
00:34:31 Donc il y en a un qui a compris ce qui se passait, c'est le photographe.
00:34:34 On ne sait pas lequel c'est, mais la photo doit exister quelque part.
00:34:37 Et il y a un deuxième geste, que vous n'avez peut-être pas vu,
00:34:41 parce que c'est un geste qui n'est pas fait, pourtant il est filmé.
00:34:45 C'est un geste qui n'est pas perceptible,
00:34:48 mais qui va être commenté plus tard dans le film.
00:34:50 C'est le moment où vous avez vu, George Foreman va aller au tapis,
00:34:53 et juste au moment où il va tomber,
00:34:55 Mohamed Ali pourrait encore lui décocher un coup,
00:34:58 et ne le fait pas.
00:35:00 Il retient son geste parce qu'il sait que son adversaire est déjà en train de tomber.
00:35:03 Il ne frappe pas un adversaire en train de tomber.
00:35:05 Vous voyez, premièrement, le rapport aux règles.
00:35:09 C'est que Mohamed Ali utilise les cordes,
00:35:11 qui est normalement un signe de domination,
00:35:14 ou un signe de défaite, comme une stratégie.
00:35:18 Le rapport aux cordes est transformé par Ali.
00:35:21 Il n'est pas au-dessus des règles, mais il est dedans.
00:35:23 Il est vraiment dans les cordes.
00:35:25 Et il s'en sert pour rebondir.
00:35:27 Et ensuite, au moment où il pourrait être sûr de conclure,
00:35:30 et vraiment d'achever son adversaire,
00:35:34 il retient son geste parce qu'il en a fait suffisamment.
00:35:38 Mais ce geste retenu, il n'y a que lui qui sait qu'il le retient,
00:35:41 son adversaire aussi certainement,
00:35:44 et les observateurs experts s'en sont aperçus.
00:35:48 Mais nous, demi-experts, semi-experts, comme dit Walter Maniamit,
00:35:52 quand nous regardons un film documentaire,
00:35:54 nous avons besoin de tout cet accompagnement
00:35:56 pour comprendre ce qui se produit en temps réel.
00:35:59 Un autre film qui ne vous propose pas du commentaire,
00:36:05 mais utilise des outils cinématographiques de mise en scène,
00:36:08 c'est "Raging Bull" de Martin Scorsese.
00:36:11 Je vais vous montrer un très court extrait.
00:36:13 Là, vous avez une stylisation.
00:36:15 Premièrement, il y a du noir et blanc,
00:36:17 parce qu'il y a beaucoup de sang, pas dans l'extrait que je vous montre,
00:36:19 mais il va y avoir beaucoup de sang.
00:36:21 Et pour que ce soit supportable, on offre le confort à la distance du noir et blanc.
00:36:24 Mais par ailleurs, je vous le dis,
00:36:26 parce que vous n'avez pas le temps forcément de le percevoir,
00:36:28 les dimensions du ring sont trichées.
00:36:30 C'est très agrandi.
00:36:32 Ça permet évidemment à la caméra de venir danser avec les boxeurs,
00:36:36 avec les acteurs boxeurs.
00:36:38 Mais ça permet surtout aux spectateurs d'avoir de l'espace pour sentir
00:36:45 qu'il y a une différence entre l'espace réel et l'espace vécu par un sportif.
00:36:50 C'est-à-dire que quand on a pris des coups dans la figure,
00:36:52 un ring change de dimension.
00:36:55 Et par ailleurs, la perception est trafiquée.
00:36:58 Vous allez entendre les cris, la rumeur,
00:37:01 et peut-être mêlée à cette rumeur,
00:37:03 allez-vous entendre des cris d'animaux, des cris d'oiseaux
00:37:06 qui ont été ajoutés au mixage pour faire partager aux spectateurs
00:37:10 quelque chose de l'ordre de l'expérience du boxeur.
00:37:14 On ne va pas vous frapper, mais on va altérer ce que vous percevez.
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00:38:30 Je ne vais pas parler de mauvais gestes,
00:38:32 mais je vous montre cet extrait pour montrer la différence
00:38:36 entre les expériences captées et les expériences mises en scène.
00:38:40 Ce n'est pas la même chose, vous avez vu tous les outils
00:38:43 cinématographiques qui sont utilisés.
00:38:45 Ces outils vous permettent de partager quelque chose
00:38:49 de l'altération du boxeur, du sportif,
00:38:53 et ça vous met en position de comprendre ce qu'il est capable de faire
00:38:57 dans des états altérés.
00:38:59 De la même manière que chaque fois que vous allez voir un film,
00:39:02 l'empathie ne va pas forcément vers le personnage sympathique,
00:39:06 l'empathie et la sympathie ce n'est pas la même chose,
00:39:09 l'empathie vous permet de partager la place de l'autre,
00:39:12 de vous mettre à sa place, y compris chez des personnages
00:39:15 que vous détesteriez dans la vie réelle.
00:39:17 Le cinéma s'est fait pour vous mettre dans la peau
00:39:20 de gens à qui vous ne serriez pas la main dans le quotidien.
00:39:23 C'est ça l'enrichissement que vous propose la fiction cinématographique,
00:39:27 c'est par tous ces outils vous faire comprendre des mauvais gestes.
00:39:30 Reginboul, Jack Lamotta se comporte mal dans sa vie privée notamment,
00:39:35 je ne vais pas vous montrer les passages,
00:39:37 mais vous pourrez revoir le film chez vous tranquillement.
00:39:40 Il y a une dernière référence pour vous expliquer le combat
00:39:45 qu'on a vu au départ dans Troie,
00:39:47 c'est la référence aux arts martiaux ultra chorégraphiés,
00:39:50 et vous avez les mêmes outils que dans Matrix,
00:39:53 sauf que dans Matrix il y a un petit outil en plus,
00:39:55 c'est que les corps que vous voyez ne sont plus des corps.
00:39:59 Dans Matrix ce que vous voyez c'est des corps de jeux vidéo,
00:40:02 c'est des corps virtuels, c'est des corps imaginaires,
00:40:05 et donc les enjeux changent.
00:40:07 L'idée d'un geste parfait dans un jeu vidéo ou dans un film
00:40:12 où on a affaire à du virtuel,
00:40:14 l'idée d'un geste parfait est vraiment possible,
00:40:17 mais à une condition, c'est d'oublier qu'on a un corps.
00:40:20 Je ne sais pas si c'est très clair ce que je viens de dire,
00:40:22 mais on va l'expliquer avec l'extrait.
00:40:25 [Bruit de moteur]
00:40:27 Comment t'ai-je battu ?
00:40:39 [Respiration lourde]
00:40:42 Tu es...
00:40:44 Tu es trop rapide.
00:40:46 Est-ce que tu penses réellement que ma rapidité ou ma force
00:40:50 ont quoi que ce soit à voir avec mes muscles dans un endroit pareil ?
00:40:54 Tu crois être en train de respirer de l'air.
00:41:00 Voilà, donc il est en train de lui expliquer
00:41:16 la nécessaire transgression de ce qu'il croit être les règles d'un affrontement.
00:41:21 Donc ce n'est pas qu'il lui fait l'éloge du mauvais geste,
00:41:23 il lui explique que certaines règles sont faites,
00:41:26 c'est les mots qu'il emploie, pour être violées,
00:41:28 et ces règles ne sont violables que dans un espace virtuel
00:41:32 où les limites du corps n'existent plus.
00:41:34 Il est en train d'essayer de lui expliquer
00:41:36 qu'il ne faut pas qu'il soit victime de l'idée qu'il a un corps,
00:41:39 parce que l'idée qu'on a un corps nous limite, forcément.
00:41:42 Notre corps est limité.
00:41:44 Donc là, il essaie de lui faire prendre conscience
00:41:46 que dans cet espace, c'est l'espace de la volonté pure.
00:41:50 Il n'y a qu'à penser pour faire.
00:41:52 Et c'est très difficile, ça prend tout le film
00:41:54 pour qu'il accepte l'idée que sa volonté peut être efficace.
00:41:57 Alors je vous montre quand même le moment où il a une petite prise de conscience.
00:42:01 Qu'est-ce que tu attends ?
00:42:08 Augmente ta vitesse.
00:42:12 On n'est pas le meilleur quand on le croit,
00:42:15 mais quand on le sait.
00:42:17 Vas-y, arrête d'essayer de me frapper, frappe-moi !
00:42:29 Bon là, il y a un petit progrès.
00:42:40 Alors vous avez remarqué, il y a la position du spectateur,
00:42:42 c'est ceux qui regardent devant l'écran,
00:42:44 c'est aussi eux qui lui ont téléchargé de la compétence.
00:42:47 Ils assistent à un combat virtuel sur un écran.
00:42:51 Et sur cet écran, il n'y a pas vraiment d'écore,
00:42:54 ils observent deux volontés qui s'affrontent avec des outils virtuels.
00:42:59 Est-ce que vous avez remarqué le moment où le point de Néo,
00:43:04 incarné par Keanu Reeves,
00:43:06 vous avez remarqué le moment où son point se dimultiplie ?
00:43:09 Ça, c'est un outil cinématographique qui n'est pas évoqué par Walter Benjamin,
00:43:15 mais qui vient de la statuaire indienne.
00:43:17 Vous connaissez peut-être le dieu Shiva.
00:43:20 Combien de bras ? On va le faire à main levée.
00:43:23 Qui pense que Shiva a deux bras ?
00:43:25 Ah bon ? Ok.
00:43:27 Quatre ?
00:43:28 Quatre bras ?
00:43:29 Six ?
00:43:30 Qui pense que le dieu Shiva, vous savez le dieu de la guerre et de la danse ?
00:43:34 On peut faire les deux.
00:43:36 Six ?
00:43:37 Huit ?
00:43:38 Huit ?
00:43:39 Dix ?
00:43:40 Plus ?
00:43:42 Qui pense que ça peut être un chiffre en nombre impair ?
00:43:46 Deux bras ?
00:43:47 Sept ?
00:43:48 Voilà.
00:43:49 Très bien, pourquoi pas.
00:43:50 Alors, en réalité, le dieu Shiva a deux bras,
00:43:53 mais quand on dispose uniquement d'un matériau solide,
00:43:56 que ce soit un métal ou de la pierre,
00:43:59 pour exprimer la vitesse d'un mouvement surnaturel,
00:44:02 parce que c'est le dieu de la guerre et de la danse
00:44:05 et du mouvement surnaturel,
00:44:08 donc de la vitesse qui n'est pas mesurable,
00:44:11 qui n'est même pas visible,
00:44:13 vous avez l'idée que le même bras peut occuper des positions
00:44:17 qui pour un être humain normal serait successive,
00:44:20 il peut les occuper en même temps.
00:44:22 Donc ce que vous avez vu depuis de nombreux siècles
00:44:25 dans la statue indienne, vous le voyez dans Matrix,
00:44:28 sous la forme d'un effet qui est la superposition
00:44:31 de positions successives à un même moment, dans un même plan.
00:44:34 Et cette astuce vous permet à vous, spectateurs,
00:44:37 qui n'êtes que pauvrement capables de donner un coup de poing en même temps,
00:44:40 d'être en position de semi-expertise et d'empathie,
00:44:44 et de comprendre comment vous pouvez atteindre une vitesse surnaturelle
00:44:47 grâce à cette modification, à cet enrichissement
00:44:50 de la perception naturelle.
00:44:52 Et ça, c'est exactement ce qu'explique Walter Benjamin,
00:44:55 et c'est exactement pourquoi quand vous regardez
00:44:59 aujourd'hui des matchs, etc.,
00:45:03 les plus jeunes d'entre nous, comme ils passent
00:45:06 par le biais du jeu vidéo, attendent de voir,
00:45:09 quand Kylian Mbappé marque un but,
00:45:12 ils attendent de voir le même personnage que dans le jeu vidéo
00:45:15 faire le même genre de gestes extraordinaires, virtuels.
00:45:18 Vous voyez donc, l'idée d'une dématérialisation du corps
00:45:21 a changé le geste sportif, à la fois dans la manière
00:45:24 de le concevoir, ça change les attentes des spectateurs,
00:45:27 ça change la manière de le filmer,
00:45:30 ça change le rapport au sport.
00:45:33 Je vais vous remontrer un dernier extrait du film "Trois".
00:45:39 "Trois", tout à l'heure, je vous ai montré le moment du combat,
00:45:42 je vous ai montré comment, si on le dépliait,
00:45:45 ce combat, dedans vous aviez tout ça,
00:45:48 et probablement d'autres choses encore, de la danse aussi,
00:45:51 parce que c'était une question de danse, mais ça on verra tout à l'heure.
00:45:54 Mais sur la question du beau geste et du mauvais geste,
00:45:57 on avait Achille en train de traîner le corps d'Hector autour de Troyes,
00:46:02 le soir il ramène le corps d'Hector dans le camp des Grecs,
00:46:06 qui campe sur la plage, à peu de distance de Troyes,
00:46:09 et il reçoit la visite, non pas d'un fantôme,
00:46:12 mais du père d'Hector, Priam, le roi de Troyes,
00:46:15 qui parce qu'il connaît bien sa ville et le paysage,
00:46:18 se faufile jusque dans la tente d'Achille,
00:46:21 lui baise les mains et lui dit "voilà, je viens de faire quelque chose
00:46:24 qu'aucun être humain n'a jamais fait, je baise les mains de l'homme
00:46:27 qui a tué mon fils".
00:46:30 Qui es-tu ?
00:46:31 J'ai enduré ce que jamais un autre homme sur terre n'a enduré avant moi.
00:46:36 J'ai embrassé la main de l'homme qui vient de prendre mon fils.
00:46:41 Je suis le père d'Achille,
00:46:48 et je suis le père de l'homme qui vient de tuer mon fils.
00:46:52 Je suis le père d'Achille,
00:46:54 et je suis le père d'Achille,
00:46:56 et je suis le père d'Achille,
00:46:59 et je suis le père d'Achille,
00:47:02 et je suis le père d'Achille.
00:47:05 Je suis le père d'Achille,
00:47:08 et je suis le père d'Achille.
00:47:11 Je suis le père d'Achille,
00:47:14 et je suis le père d'Achille.
00:47:17 Je suis le père d'Achille,
00:47:20 et je suis le père d'Achille.
00:47:23 Crois-tu vraiment que la mort m'effraie à présent ?
00:47:28 J'ai vu mon fils aîné mourir,
00:47:31 je t'ai vu traîner sa dépouille derrière ton chat.
00:47:35 Redonne-moi mon fils.
00:47:40 Il a le droit d'avoir des funérailles convenables, tu le sais bien.
00:47:45 Redonne-moi mon fils.
00:47:48 Il a tué mon cousin.
00:47:50 Il croyait que c'était toi.
00:47:53 Combien de cousins as-tu déjà tués ?
00:47:58 Combien de fils, de pères, de frères et d'époux ?
00:48:03 Combien de braves, Achille ?
00:48:06 Je connaissais ton père.
00:48:09 Il est mort beaucoup trop jeune,
00:48:13 mais il a eu la chance de ne pas vivre assez longtemps pour voir son fils tomber.
00:48:20 Tu as pris tout ce qui comptait pour moi.
00:48:24 Mon fils aîné,
00:48:27 héritier de mon trône,
00:48:29 défenseur de mon royaume.
00:48:32 Je ne peux changer ce qui s'est passé, c'est la volonté des dieux.
00:48:38 Mais accorde-moi au moins une faveur.
00:48:43 J'ai aimé mon garçon depuis que je suis né.
00:48:47 J'ai aimé mon garçon depuis le moment où il a ouvert les yeux
00:48:51 jusqu'au moment où tu l'as fermé.
00:48:55 Laisse-moi laver son corps.
00:48:59 Laisse-moi dire les prières.
00:49:04 Laisse-moi lui mettre des pièces sur les yeux pour le passeur.
00:49:14 Si je te laisse sortir d'ici,
00:49:18 si je te laisse le prendre,
00:49:22 ça ne changera rien.
00:49:26 Tu seras toujours mon ennemi au matin.
00:49:30 Tu es toujours mon ennemi ce soir.
00:49:34 Mais même des ennemis peuvent se respecter.
00:49:38 Voilà un film à passer dans toutes les écoles de sport,
00:49:42 dans beaucoup d'endroits.
00:49:46 Voilà pour le geste de Zidane.
00:49:50 Dans le livre, je fais une hypothèse.
00:49:54 Je ne pourrai jamais la vérifier sauf si un jour on partage un moment ensemble.
00:49:58 Ce qui est peu probable.
00:50:02 Je fais l'hypothèse que le moment où Zidane donne ce coup de tête,
00:50:06 c'est parce que sa tête jusqu'ici il a utilisé pour mettre des buts.
00:50:10 Il n'a pas fonctionné.
00:50:14 Et au moment où Zidane donne ce coup de tête, il est blessé.
00:50:18 Il a l'épaule déboitée. Il a 34 ans. Il est fatigué.
00:50:22 Il est probablement en hypoxie.
00:50:26 Il est peut-être dans un état comme dans le Raging Bull où il entend des cris d'oiseaux.
00:50:30 On ne sait pas. Dans ces niveaux-là d'altération du corps et de l'esprit.
00:50:34 Comme c'est le dernier match de sa vie,
00:50:38 il interrompt de ne plus obéir à l'enjeu sportif et de partir,
00:50:42 de quitter le terrain sans avoir perdu. En faisant un geste qui annule
00:50:46 la question de qui a gagné et qui a perdu.
00:50:50 Un geste humain, non pas un geste de joueur, mais un geste de quelqu'un qui décide
00:50:54 qu'à un moment on arrête de jouer. Un geste d'adulte dans un environnement d'enfant.
00:50:58 C'est un geste qui est inexcusable,
00:51:02 qui est contre-exemplaire.
00:51:06 Quelqu'un m'a dit il n'y a pas longtemps, comment tu peux défendre le geste de Zidane ?
00:51:10 Qu'est-ce qu'on dit aux enfants ? J'ai dit aux enfants, le jour où tu atteins le niveau de Zidane,
00:51:14 tu pourras te permettre de faire ça en finale de Coupe du Monde.
00:51:18 Le dieu du stade n'est pas fait pour être exemplaire.
00:51:22 Parce que personne ne peut être à sa place. Il est fait pour faire quelque chose
00:51:26 comme un personnage de fiction. Les dieux, c'est des fictions.
00:51:30 Il est là pour montrer ce que aucun être normal
00:51:34 ne pourrait s'autoriser. Ce sont des êtres essentiellement transgressifs.
00:51:38 La transition est toute trouvée avec Maradona
00:51:42 qui a fait un geste, vous allez voir, il a appelé lui-même la main de Dieu.
00:51:46 Très intéressant. Vous avez vu tout à l'heure,
00:51:50 dans Matrix, la main qui occupait plusieurs positions en même temps.
00:51:54 Là, c'est quasiment le cas.
00:51:58 Pour les joueurs qui ne méritent pas ça du football anglais. Maradona.
00:52:02 Oui, oui, Maradona.
00:52:06 Val d'Ano. Maradona, il était là. Non, dites-moi.
00:52:10 De la main. Non, de la main. De la main, il se dit.
00:52:14 Il a mis de la main. Il l'a mis de la main.
00:52:18 Il n'a pas vu M. Benasseur. On va le revoir.
00:52:22 C'est clair comme de l'eau de roche, on va le revoir.
00:52:26 M. Benasseur.
00:52:30 A la sixième minute de la deuxième mi-temps, Maradona.
00:52:34 Et on la revient. On l'a vue immédiatement.
00:52:38 C'est évident, il n'y a que M. Benasseur pour ne pas l'avoir vue.
00:52:42 Ah oui, il peut tendre son drapeau.
00:52:46 Ah oui, un superbe coup de poing.
00:52:50 Il a jeté un coup d'œil M. Benasseur sur M. Dotscheldt.
00:52:54 Ah, il ne sait plus où il allait, là, M. Benasseur.
00:52:58 Se jure-t-il que l'Argentine, sur ce but non valable, mène 1 à 0 ?
00:53:02 But marqué de la main, du poing,
00:53:06 par Maradona.
00:53:10 Oh là là là là là, quel arbitrage ! C'est incroyable.
00:53:14 Avec le commentaire de l'époque,
00:53:18 vous aurez connu Thierry Roland et Jean-Michel Larcher. Thierry Roland qui invente la catégorie
00:53:22 de but non valable, mais accordé quand même.
00:53:26 À l'époque, tous les spectateurs
00:53:30 voient mieux que l'arbitre.
00:53:34 C'est l'invention de la télévision et c'est quelque chose qui va s'aggraver.
00:53:38 C'est pourquoi la caméra a fini par rejoindre l'arbitrage. C'est que ce n'était pas possible
00:53:42 d'avoir la personne qui prend la décision qui en sait moins
00:53:46 que n'importe quel semi-expert tranquillement installé sur son canapé.
00:53:50 Et là, vous avez quelque chose de très intéressant, c'est l'idée que ce dieu du stade
00:53:54 qui est Maradona, qui est le meilleur joueur du monde
00:53:58 à cette époque, peut-être avec Michel Platini, puisqu'on est en 1986,
00:54:02 dans deux styles très différents évidemment, va lui-même
00:54:06 qualifier son geste à la sortie de ce match lorsque les
00:54:10 journalistes vont lui dire "qui a marqué ce but ?"
00:54:14 Il dit "un peu la tête de Maradona et un peu la main de Dieu".
00:54:18 Donc il fait un aveu et c'est lui-même qui a inventé la qualification de son geste.
00:54:22 C'est la main de Dieu. Évidemment, il ne peut pas marquer un but face
00:54:26 à un gardien qui fait déjà 30 cm de plus que lui et qui a le droit de tourner les bras, alors que lui
00:54:30 fait une taille assez minime.
00:54:34 Il utilise la broussaille de ses cheveux pour masquer, parce qu'il sait exactement
00:54:38 où est l'arbitre. Donc là, vous avez deux rapports à la règle et à l'arbitrage.
00:54:42 Est-ce que l'arbitre, dont le faire plaît, est-ce que vous êtes censé le remplacer ?
00:54:46 C'est dans le premier extrait que vous avez vu avec Zidane, puisqu'en fait,
00:54:50 il y a les joueurs français, Vittor, Macchiavelli, etc., qui ont arrêté de jouer
00:54:54 quand ils ont vu qu'il y avait un joueur italien par terre. Ils ont remplacé l'arbitre.
00:54:58 Et Domenech, l'entraîneur, leur a reproché de ne pas avoir continué à jouer,
00:55:02 de s'être substitué à l'arbitre. Donc dans le faire plaît, il y a l'idée
00:55:06 qu'on peut aider l'arbitre.
00:55:10 Ce qui se conçoit. On a le droit de jouer avec des règles qu'on accepte et qu'on
00:55:14 applique, même quand quelqu'un ne vous voit pas. Dans l'Antiquité, il y a un mythe
00:55:18 qui s'appelle le mythe de l'anneau de Giges, quelque chose que vous trouvez chez Platon.
00:55:22 L'anneau de Giges vous pose une question très simple. Si vous aviez un anneau
00:55:26 qui vous rend invisible, est-ce que vous vous comporteriez de la même manière ?
00:55:30 Je vous laisse avec la réponse. Ce qui est très certain, en tout cas, c'est que Maradona
00:55:34 lui, est encore plus fort parce qu'il est capable de se rendre invisible.
00:55:38 C'est beaucoup plus fort et c'est pour ça qu'on dit que c'est un dieu. Et juste
00:55:42 après, il va mettre un but, mais celui-là à la fois valable et légal,
00:55:46 en dribblant toute la défense anglaise. Je ne vous montre pas le but
00:55:50 parce qu'il est moins intéressant, il est juste
00:55:54 beau. C'est un beau geste de Maradona. Maradona, c'est ce dieu ambivalent
00:55:58 qui est capable du meilleur et du pire
00:56:02 en même temps, de manière indissociable. Il est capable du meilleur
00:56:06 peut-être parce qu'il est capable du pire. Il y en a même qui considère qu'il n'a pas rendu service au football
00:56:10 par sa manière de dribbler toute une équipe. Ça ne se fait pas.
00:56:14 Le dribble, ce n'est pas l'esprit du football. L'esprit du football
00:56:18 c'est de passer la balle qui va plus vite. La balle qu'on passe va plus vite qu'un joueur
00:56:22 qui court. Donc, avoir l'idée qu'on va dribbler toute une équipe, c'est une forme d'humiliation
00:56:26 de ses propres coéquipiers. Platini méprisait Maradona pour cette raison.
00:56:30 Platini, c'est quelqu'un qui fait des passes de 50 mètres
00:56:34 sans bouger à des gens qui courent. Et Maradona, c'est
00:56:38 quelqu'un qui dribble 10 adversaires sans faire une passe
00:56:42 à ses camarades. Il y a deux relations au jeu, deux relations
00:56:46 au fair play. Le fair play pour
00:56:50 la manière faire de jouer pour Maradona. Par ailleurs, c'est intéressant, le mot
00:56:54 "fair play" s'est inventé par les Anglais. Là, il fait ça contre des Anglais. Donc, il fait ça
00:56:58 aux inventeurs du fair play. Et il se trouve qu'à la fin, vous avez peut-être remarqué
00:57:02 que c'est un joueur anglais qui a fait la passe malgré lui à Maradona.
00:57:06 Et bien, le joueur anglais qui a fait l'erreur de passer la balle à Maradona
00:57:10 qui ensuite a fait une main qui a marqué, est venu échanger son maillot
00:57:14 avec Maradona. C'est-à-dire, il a continué à considérer que Maradona était au-dessus
00:57:18 des autres, même quand il fait des gestes au-dessus des lois.
00:57:22 Maradona, il nous introduit à autre chose,
00:57:26 à l'idée qu'on voit
00:57:30 dans Gladiator, dans les films de Gladiator et dans Spartacus.
00:57:34 Je vous ai mis quelques extraits de films pour accompagner
00:57:38 Maradona dans l'analyse cinématographique de son geste.
00:57:42 Donc, la première chose, évidemment, vous avez vu que, un peu comme tout à l'heure
00:57:46 avec Zidane, l'arbitre n'a pas vu. Donc, c'est un geste qui n'existe
00:57:50 que s'il est joué. Maradona, lui-même, va
00:57:54 engueuler ses coéquipiers. Vous ne voyez pas, parce que c'est quelque chose qui a été raconté après.
00:57:58 Parce que lui sait, évidemment, qu'il a marqué un but valable, mais
00:58:02 illégitime. Et donc, il engueule ses coéquipiers qui pensent que l'arbitre
00:58:06 ne va pas accorder le but et leur dit "mais soyez contents". Donc, il dit, il faut
00:58:10 mimer la joie et cette joie était tellement bien mimée que l'arbitre a fini par accorder le but.
00:58:14 Il s'est dit que toute l'équipe d'Argentine ne pouvait pas faire semblant d'être joyeuse si le but
00:58:18 n'était pas valable. A l'époque, il n'y a pas d'autre moyen de vérification que la joie des joueurs
00:58:22 pour valider les gestes. Alors, je vous montre
00:58:26 un premier extrait du film Gladiator de Ridley Scott.
00:58:30 C'est 14 ans plus tard, c'est en 2000. Et là, on n'est pas sur un terrain
00:58:34 de sport, on est sur un champ de bataille.
00:58:38 Et sur un champ de bataille, là, dans l'affrontement que vous allez voir,
00:58:42 tout est permis. Donc, tout ce qui est un mauvais geste
00:58:46 sur un stade devient un geste correct lorsque c'est militaire.
00:58:50 Mais observez les outils qui sont utilisés par le cinéma pour vous faire
00:58:54 jouir de ces mauvais gestes. Ce sont les mêmes outils que je vous ai
00:58:58 décrit tout à l'heure avec Walter Benjamin. Il y a du gros plan, il y a de l'accélération, bizarrement,
00:59:02 il y a du ralenti, il y a du recadrage, il y a du détramage.
00:59:06 C'est une manière de traiter l'image pour vous faire sentir une forme de confusion.
00:59:10 Et tout l'enjeu, c'est de vous montrer une situation confuse en vous
00:59:14 permettant de saisir des gestes dedans. Vous voyez, donc, le travail du cinéaste,
00:59:18 c'est de mettre en scène à la fois la confusion, il est là pour vous faire peur,
00:59:22 vous n'avez pas envie d'être dans ce qu'il vous montre, et il est là pour vous mettre en position
00:59:26 également de semi-expert pour vous faire comprendre des gestes dont vous seriez incapables.
00:59:30 [Générique]
00:59:34 [Cris de l'enfer]
00:59:36 [Cris de l'enfer]
00:59:38 [Cris de l'enfer]
00:59:40 [Cris de l'enfer]
00:59:42 [Cris de l'enfer]
00:59:44 [Cris de l'enfer]
00:59:46 [Cris de l'enfer]
00:59:48 [Cris de l'enfer]
00:59:50 [Cris de l'enfer]
00:59:52 [Cris de l'enfer]
00:59:54 [Cris de l'enfer]
00:59:56 [Cris de l'enfer]
00:59:58 [Cris de l'enfer]
01:00:00 [Cris de l'enfer]
01:00:02 [Cris de l'enfer]
01:00:04 [Cris de l'enfer]
01:00:06 [Cris de l'enfer]
01:00:08 [Cris de l'enfer]
01:00:10 [Cris de l'enfer]
01:00:12 [Cris de l'enfer]
01:00:14 [Cris de l'enfer]
01:00:16 [Cris de l'enfer]
01:00:18 [Cris de l'enfer]
01:00:20 [Cris de l'enfer]
01:00:22 [Cris de l'enfer]
01:00:24 [Cris de l'enfer]
01:00:26 [Cris de l'enfer]
01:00:28 [Cris de l'enfer]
01:00:30 [Cris de l'enfer]
01:00:32 [Cris de l'enfer]
01:00:34 [Cris de l'enfer]
01:00:36 [Cris de l'enfer]
01:00:38 [Cris de l'enfer]
01:00:40 [Cris de l'enfer]
01:00:42 [Cris de l'enfer]
01:00:44 [Cris de l'enfer]
01:00:46 [Cris de l'enfer]
01:00:48 [Cris de l'enfer]
01:00:50 [Cris de l'enfer]
01:00:52 [Cris de l'enfer]
01:00:54 [Cris de l'enfer]
01:00:56 Alors vous avez peut-être entendu ce qu'il dit, c'est du latin.
01:00:58 Il dit "Roma victor".
01:01:00 Donc c'est pas un ami qui s'appelle Victor,
01:01:02 c'est Rome victorieuse.
01:01:04 Donc là c'est l'équipe d'Italie qui gagne dans ce combat.
01:01:06 Et les outils qui sont utilisés,
01:01:08 vous avez vu la première chose,
01:01:10 c'est le tacle par derrière.
01:01:12 Au moment où il va se faire tuer par ce type en flamme,
01:01:14 il y a quelqu'un de son équipe
01:01:16 qui passe par derrière et qui tue l'ennemi.
01:01:18 Donc tout ce qui serait interdit
01:01:20 dans un stade,
01:01:22 avec des règles de sport,
01:01:24 est non seulement autorisé, mais encouragé
01:01:26 sur un champ de bataille.
01:01:28 Puisque là en fait, il n'y a pas de triche
01:01:30 au sens où la seule règle
01:01:32 c'est de survivre et d'être à la fin victorieux.
01:01:34 Donc là vous avez une équipe romaine
01:01:36 menée par un chef
01:01:38 qui met la main à la patte.
01:01:40 Il ne fait pas ça de loin,
01:01:42 on est dans la proximité,
01:01:44 dans la solidarité et dans la prise de risque commune.
01:01:46 Et en face, il a des barbares
01:01:48 qui attaquent de manière dispersée.
01:01:50 Et vous avez souvent ça dans le cinéma américain.
01:01:52 Vous avez d'un côté
01:01:54 l'empire romain
01:01:56 qui représente l'empire américain.
01:01:58 Et dans 300,
01:02:00 ce n'était pas un empire,
01:02:02 c'était une cité spartiate,
01:02:04 une alliance, une fédération de cités grecques
01:02:06 face à l'empire perse
01:02:08 qui était un empire présenté comme injuste.
01:02:10 Et là vous avez l'empire romain
01:02:12 qui est présenté comme
01:02:14 l'ancêtre
01:02:16 d'un état fédéral
01:02:18 juste et puissant
01:02:20 par son collectif.
01:02:22 Donc là, le mauvais geste,
01:02:24 quand il est élevé au niveau de la politique
01:02:26 au niveau de la guerre, devient
01:02:28 la bonne chose à faire.
01:02:30 Ce qui est intéressant, c'est que dans ce contexte,
01:02:32 le personnage
01:02:34 qui va devenir le gladiateur,
01:02:36 c'est lui, c'est un général romain.
01:02:38 Il va être,
01:02:40 il va se retrouver à être
01:02:42 une créature de stade.
01:02:44 Je vais vous montrer deux extraits.
01:02:46 Un extrait gladiateur et ensuite un extrait d'un film
01:02:48 de Emir Kusturica consacré à Maradona.
01:02:50 Et vous allez voir
01:02:52 la proximité de traitement
01:02:54 des deux.
01:02:56 [Musique]
01:02:58 (bruit de clochette)
01:03:00 Sans l'empereur entre ! Vous levez vos armes, vous le saluez et ensuite vous lui parlez ensemble !
01:03:09 Faites toujours face à l'empereur, ne lui tournez jamais le dos !
01:03:14 Allez et mourrez avec honneur !
01:03:17 (acclamations)
01:03:20 (musique)
01:03:34 (acclamations)
01:03:36 (acclamations)
01:04:02 (musique)
01:04:10 (acclamations)
01:04:22 (acclamations)
01:04:26 Il y en a un qui ne salue pas, c'est le gladiateur, lui ne salue pas parce qu'il ne respecte pas celui qui le met en situation de mourir.
01:04:36 Si vous comparez les deux extraits, le premier n'a pas de spectateur, il n'a que des acteurs au sens où ils se battent, donc il n'y a que des combattants.
01:04:43 Et là vous avez d'anciens combattants, la plupart sont des anciens militaires ou des prisonniers de guerre,
01:04:49 qui se retrouvent à faire une mort spectaculaire offerte à des civils dans une situation "on fire",
01:04:54 parce que "fire" ça veut dire juste, la situation "on fire" c'est qu'ils vont devoir affronter une force supérieure à la leur qui a gagné d'avance.
01:05:02 C'est comme du catch mais avec des vrais morts à la fin.
01:05:04 Et lui en fait, le gladiateur, qui est un ancien général, qui est un militaire, va importer sur le terrain, dans l'arène, dans le spectacle,
01:05:14 il va importer les règles qui sont les siennes, les règles de l'armée, et il va transformer cet agrégat,
01:05:20 cette simple agrégation de prisonniers et d'esclaves en forces militaires.
01:05:25 Il va créer un collectif, je vous passe les détails, mais si vous voulez revoir le film, vous verrez.
01:05:29 Il va leur proposer un contrat qui va avoir lieu juste après, il leur dit "on a plus de chances de s'en sortir si on est ensemble,
01:05:36 est-ce que vous avez été dans l'armée ?" et un dit "oui, je me suis battu avec toi à tel endroit".
01:05:39 Donc il va reprendre la tête d'une force militaire, et c'est comme si sur le terrain sportif, où il est censé avoir perdu d'avance,
01:05:46 il va lui importer des règles qui vont compenser la disproportion, la dissymétrie des forces en présence,
01:05:52 par lui, sa compétence militaire guerrière.
01:05:56 Maintenant je vous montre un extrait, vous avez compris que la force politique est supérieure à la force sportive,
01:06:03 puisque César, il ne faut pas lui tourner le dos, il faut le saluer, il faut mourir pour lui, il faut accepter d'avance de mourir pour lui.
01:06:09 Et ce qu'on va voir dans les films, c'est l'inverse, c'est que c'est celui qui est un dieu du stade,
01:06:15 ou disons qu'en devenant un dieu du stade, ça va pouvoir créer une forme de subversion politique,
01:06:19 il va retourner le rapport de domination et de pouvoir, c'est plus lui qui va subir le pouce en haut ou en bas, ou l'inverse,
01:06:26 et c'est lui qui va, grâce à la faveur populaire qu'il va gagner par sa démonstration de compétence sportive,
01:06:33 qui va pouvoir être en situation de faire de la politique.
01:06:36 Alors, dans un premier temps, je vous montre un moment assez exceptionnel, ce film de Kusturica,
01:06:41 je vais juste bidouiller un peu pour vous mettre les sous-titres.
01:06:46 Ce que vous allez entendre, c'est la voix d'Emir Kusturica, qui commente un moment très particulier de la vie de Maradona,
01:06:54 parce que Maradona, comme tout dieu, a beaucoup de vices, et il revient d'un grand moment de maladie,
01:07:01 et il prend un bain de foule alors qu'il n'est plus champion depuis très longtemps.
01:07:07 ... et Bocca Junior, Diego choisit Bocca, précisément pour ces raisons aristocratiques.
01:07:13 Bocca payait moins d'argent, mais en le rejoignant, il réalisait un rêve,
01:07:19 en se rapprochant de la fois où il passait par le stade de Bomboniero avec son père,
01:07:24 et promet que l'un jour, il jouerait devant des centaines de milliers de gens pour Bocca Junior.
01:07:30 Diego arrive au stade de Bocca, 24 ans plus tard, comme un footballeur retiré,
01:07:36 portant une flamme qui, sauf la flamme, guère le chemin de retour de l'esclavage de drogue,
01:07:43 de retour à être un de ses fans de football.
01:07:46 "Un jour un dieu, toujours un dieu."
01:07:49 Cette nuit, il m'a rappelé le dieu mesoportamien Gilgamesh.
01:07:53 La façon dont Diego a été accepté, c'est de prouver que pour Dieu, tout est pardonné.
01:08:01 Kémir Kusturica partage l'analyse de Michel Serres.
01:08:05 Il y a des dieux du stade, et ce qu'on vient voir, ce n'est pas simplement du beau jeu,
01:08:10 on vient voir des êtres transgressifs à qui on pardonne tout d'avance,
01:08:14 ou parfois pas d'avance, il faut réfléchir un peu.
01:08:17 L'idée que le spectacle sportif est fait pour être exemplaire,
01:08:20 c'est quelque chose que vous allez beaucoup entendre au cours des mois qui viennent,
01:08:24 et la réalité est peut-être un tout petit peu différente.
01:08:27 On vient voir des gens qui ont le droit de ne pas être exemplaires,
01:08:30 mais qui ont conquis ce droit par leur excellence.
01:08:33 Le revers de la compétence, ce n'est pas juste l'admiration de l'expertise,
01:08:36 c'est aussi pardonner d'avance à ceux qui font des choses exceptionnelles.
01:08:41 Tout ça, évidemment, se discute.
01:08:43 Je ne suis pas en train de vous dire que mal se comporter est exemplaire,
01:08:47 mais que si on veut séparer le bon grain de livret, comme on dit,
01:08:53 ce n'est peut-être pas aussi simple que ça.
01:08:55 Peut-être qu'il y a un revers de la médaille,
01:08:57 et que ce revers a toujours une forme de violence.
01:09:01 Je vais vous montrer un film un peu rare,
01:09:03 c'est un film qu'on ne connaît pas pour beaucoup de raisons.
01:09:07 C'est un film qui s'appelle Spartacus, vous connaissez l'histoire,
01:09:09 qui date de 1953.
01:09:11 C'est un film italien de Riccardo Fredda.
01:09:15 C'est un film étonnant, parce qu'il précède de ces temps le film de Stanley Kubrick,
01:09:20 que vous connaissez, Spartacus,
01:09:22 et il paraîtrait, d'après un spécialiste de cinéma très renseigné,
01:09:27 que les producteurs du Spartacus de Kubrick auraient cherché même à détruire le film de 1953,
01:09:33 pour qu'il n'y ait pas d'antériorité.
01:09:36 C'est un mauvais geste qui n'a pas eu lieu.
01:09:38 Je vous montre plusieurs extraits de ce film très court,
01:09:41 et vous allez voir, c'est étonnant,
01:09:43 parce qu'ils sont vraiment traités comme des champions sportifs,
01:09:47 alors que ce sont des gens qui risquent leur vie.
01:09:49 Regardez.
01:09:51 [ Bruits de pas ]
01:09:53 [ Bruits de pas ]
01:10:03 [ - Plus fort, ils font le bruit, plus fort ! ]
01:10:05 [ - On dirait que vous avez peur de vous faire mal ! ]
01:10:07 [ Bruits de pas ]
01:10:12 [ - Raccordez tout de suite l'arme. ]
01:10:14 [ - Calme-toi, Lentulo. ]
01:10:16 [ - N'oublie pas que ce ne sont pas ceux qui t'appellent "Maestro" ]
01:10:19 [ - Excusez-moi, c'est vrai. ]
01:10:20 [ - Tu es un grand acteur de métier. ]
01:10:22 [ - Tu as un mot de parole pour faire des acteurs. ]
01:10:24 [ - J'en ai assez, je te le dis. ]
01:10:26 [ - Après les jeux de cirque, je me retiens. ]
01:10:28 [ - J'ai acheté une ville. ]
01:10:30 [ - Je vais me reposer. ]
01:10:31 [ - C'est toujours la même histoire avec les autres acteurs libres. ]
01:10:34 [ - Je vous parle profondément. ]
01:10:36 [ - Je vous valorise jusqu'au point où les plus belles femmes vous courent à la presse, et vous... ]
01:10:39 [ - À peine vous avez fait un peu de chance, vous me plantez sur deux pieds. ]
01:10:42 [ - C'est dégueulasse. ]
01:10:44 [ - Je vous parle profondément. ]
01:10:46 [ - Je vous parle profondément. ]
01:10:48 [ - Je vous parle profondément. ]
01:10:50 [ - Je vous parle profondément. ]
01:10:52 [ - Je vous parle profondément. ]
01:10:54 [ - Je vous parle profondément. ]
01:10:56 [ - Je vous parle profondément. ]
01:10:58 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:00 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:02 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:04 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:06 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:08 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:10 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:12 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:14 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:16 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:18 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:20 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:22 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:24 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:26 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:28 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:30 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:32 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:34 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:36 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:38 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:40 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:42 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:44 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:46 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:48 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:50 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:52 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:54 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:56 [ - Je vous parle profondément. ]
01:11:58 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:00 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:02 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:04 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:06 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:08 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:10 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:12 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:14 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:16 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:18 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:20 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:22 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:24 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:26 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:28 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:30 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:32 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:34 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:36 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:38 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:40 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:42 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:44 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:46 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:48 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:50 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:52 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:54 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:56 [ - Je vous parle profondément. ]
01:12:58 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:00 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:02 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:04 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:06 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:08 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:10 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:12 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:14 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:16 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:18 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:20 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:22 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:24 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:26 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:28 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:30 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:32 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:34 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:36 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:38 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:40 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:42 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:44 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:46 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:48 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:50 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:52 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:54 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:56 [ - Je vous parle profondément. ]
01:13:58 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:00 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:02 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:04 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:06 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:08 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:10 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:12 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:14 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:16 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:18 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:20 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:22 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:24 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:26 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:28 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:30 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:32 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:34 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:36 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:38 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:40 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:42 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:44 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:46 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:48 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:50 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:52 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:54 [ - Je vous parle profondément. ]
01:14:56 Le projet de Auguste Comte, qui est un sociologue, philosophe, dont vous pouvez voir la statue au place de la Sorbonne.
01:15:02 Il y a un musée à côté, puisqu'il n'habitait pas loin.
01:15:04 Le projet, c'était de remplacer les saints du calendrier que vous connaissez, par des saints de l'humanité.
01:15:14 Par les grands hommes.
01:15:16 Ceux à qui la patrie est reconnaissante.
01:15:18 Auguste Comte a fait la liste.
01:15:20 Dedans il y a Archimède, il y a Galilée, il y a Socrate.
01:15:24 Une secte qui a réussi au Brésil.
01:15:26 Certains Brésiliens, adeptes de cette philosophie positiviste, de cette église positiviste, ont appelé leurs enfants Socrate, Galilée, Archimède.
01:15:36 Donc Socrates, porte vraiment le nom de Socrate.
01:15:39 Et Socrates, dans une équipe qui s'appelle les Corinthiens, a essayé de faire vivre un modèle de démocratie dans un Brésil qui était dictatorial.
01:15:49 Avec égalité de salaire entre les joueurs et ceux qui font les vestiaires, etc.
01:15:53 Et ça a existé. Ils ont fait exister ça collectivement.
01:15:56 Donc il y a au moins une équipe de sportifs qui, dans l'histoire du sport contemporain, a essayé de faire de la politique.
01:16:03 Et une politique qui n'était pas réactionnaire.
01:16:05 Et donc c'est vraiment deux raretés en une seule équipe.
01:16:08 Je vous montre un dernier extrait de ce film Spartacus.
01:16:11 Vous avez à la fin un mauvais geste et un beau geste.
01:16:16 Partez de là !
01:16:18 Tu es libre, tu peux partir.
01:16:20 Et toi ?
01:16:21 Je t'atteindrai bientôt, où que tu sois.
01:16:24 Je t'attendrai toute la vie.
01:16:26 Eh oui, la vie et la liberté sont en nous.
01:16:32 Non, Crash !
01:16:41 Les Romains, je ne peux pas accepter la liberté
01:16:46 jusqu'à ce que les chaînes ne soient pas enlevées à tous les esclaves.
01:16:50 C'est la liberté !
01:16:52 Tu es fou, Spartacus.
01:17:15 Tu refuses la liberté qui t'a été offerte.
01:17:17 Et ça fait mal à l'esprit que tu seras encore enchaîné ce soir.
01:17:20 Même si tu pourrais être libre.
01:17:22 Je n'accepte pas la liberté de nos carnépices.
01:17:28 Nous en prendrons nos propres.
01:17:29 Bien sûr, et nous le suivrons, Spartacus.
01:17:31 Nous le suivrons !
01:17:34 Voilà un acte fondateur.
01:17:36 Il refuse la liberté pour lui.
01:17:38 Et il décide d'essayer de la conquérir collectivement.
01:17:41 C'est un acte de magnanimité.
01:17:43 Vous connaissez ce mot.
01:17:44 C'est magna anima, la grande âme, la grandeur d'âme.
01:17:48 Le philosophe Alain prenait comme exemple de magnanimité
01:17:52 une anecdote qu'on rapporte sur le...
01:17:54 Vous connaissez l'empereur Alexandre.
01:17:56 Alexandre le Grand, au moment de traverser un désert
01:17:59 pour aller conquérir, comme d'habitude,
01:18:01 s'est retrouvé sans eau au milieu du désert.
01:18:04 Et on lui a présenté un casque rempli d'eau juste pour lui,
01:18:08 alors que tous ses soldats mouraient de soif.
01:18:11 Et devant tout le monde, au lieu de partager le casque,
01:18:14 au lieu de le boire lui-même, il le renverse dans le sable.
01:18:16 Vous voyez, il refuse la faveur qui lui est faite
01:18:19 en se disant qu'ainsi il va donner un exemple.
01:18:22 Est-ce que c'est un mauvais geste ?
01:18:25 Ou est-ce que c'est un bon geste ?
01:18:27 En tout cas, c'est un acte de champion au sens de chef.
01:18:31 Vous avez quelqu'un qui refuse qu'on lui accorde une faveur
01:18:34 parce qu'il n'y a pas à recevoir une faveur dans le bourreau.
01:18:37 Donc c'est un calcul politique.
01:18:41 Et c'est un moment, vous voyez, quand dans un film vous voyez ça,
01:18:44 c'est censé transformer l'agrégat de spectateurs que vous êtes
01:18:47 en peuple du film, si on peut employer cette expression
01:18:51 que j'ai déjà entendue chez Deleuze ou Serge Danais.
01:18:54 Il dit qu'il faut faire se lever le peuple du film.
01:18:56 Ça ne veut pas dire qu'en sortant vous allez faire la révolution,
01:18:58 mais que vous pouvez ressentir quelque chose comme une solidarité
01:19:01 avec des inconnus avec qui vous partagez une forme d'égalité
01:19:05 fusse dans la soumission.
01:19:08 Maintenant, je vous montre un extrait du Spartacus de 1960,
01:19:12 de Kubrick. J'attire votre attention sur deux points.
01:19:15 Premièrement, un acte de magnanimité là aussi,
01:19:18 mais qui n'est pas fait par le héros.
01:19:20 Donc c'est très intéressant.
01:19:22 Deuxièmement, un retournement des armes des esclaves contre les maîtres.
01:19:28 Et troisièmement, je vous demande d'observer la nature du combat
01:19:31 et de le comparer à celui que vous avez vu au début dans Troie,
01:19:35 un combat ultra chorégraphié avec dedans de la danse,
01:19:38 des arts martiaux et de la virtuosité.
01:19:41 Et là, vous allez avoir l'inverse.
01:19:45 [Musique]
01:19:49 [Musique]
01:19:53 [Musique]
01:19:56 [Musique]
01:20:06 [Musique]
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01:20:58 [Musique]
01:21:11 [Musique]
01:21:14 [Musique]
01:21:19 C'est un combat qui est faire,
01:21:31 qui est juste au sens où les armes sont à chaque fois calibrées
01:21:35 avec un avantage et un inconvénient.
01:21:37 Une arme d'attaque et une de protection.
01:21:40 C'est dissymétrique, mais il y a des règles dans l'affrontement.
01:21:43 Je ne sais pas pourquoi, les femmes sont toujours très cruelles dans ces films.
01:21:47 C'est elles qui veulent du sang.
01:21:50 Là, les hommes ne valent pas mieux.
01:21:53 Eux aussi, ils disent "tue-le, espèce d'imbécile".
01:21:56 Vous avez remarqué la maladresse.
01:21:59 C'est ça qui est très intéressant dans cet affrontement.
01:22:01 Ce n'est pas beau à voir.
01:22:03 Parce que la vraie violence n'est jamais belle à voir.
01:22:05 Quand on a peur, on ne fait pas de beaux gestes.
01:22:07 Quand on est agressif non plus.
01:22:09 Le premier beau geste que vous voyez, c'est d'épargner son adversaire.
01:22:14 Et ça se transforme tout de suite en retournement de l'arme contre les maîtres.
01:22:18 Mais le premier geste efficace que vous voyez, c'est celui du militaire.
01:22:22 Parce que le jet du javelot est parfait.
01:22:26 Le militaire entraîné à tuer fait un beau geste.
01:22:29 Pas au sens de beau moralement, mais d'efficace.
01:22:32 Et tous les gestes faits par des gens qui ont peur ne sont pas beaux.
01:22:35 Donc là, vous avez une forme de réalisme, même si c'est stylisé,
01:22:38 qui n'a rien à voir avec l'esthétisation suprême que vous avez dans "300" ou dans "3".
01:22:44 Pourquoi je vous montre cet extrait maintenant ?
01:22:47 On a parlé de football, de gladiateurs.
01:22:50 Il y a un film qui va être projeté tout à l'heure, qui s'appelle "Coup de tête".
01:22:53 Il ne s'agit pas du coup de tête de Zidane, parce que c'était en 1979.
01:22:56 C'était bien avant.
01:22:57 C'est avec Patrick Devers, évidemment.
01:22:58 Un film de Jean-Jacques Hano.
01:22:59 Vous avez une situation comparable.
01:23:01 Vous avez un prisonnier, qui est Patrick Devers, qui est accusé d'un viol
01:23:05 et qui se retrouve à être sorti de prison parce qu'il se trouve que c'est un des meilleurs joueurs de l'équipe.
01:23:10 C'est une équipe amateur.
01:23:11 On est dans une ambiance championnat, deuxième division, nationale.
01:23:16 Je ne sais plus exactement.
01:23:17 Vous saurez tout à l'heure.
01:23:18 Mais parce qu'il a des qualités sportives, on transgresse la loi.
01:23:23 On le fait sortir de prison juste pour le match.
01:23:26 Là, vous avez un moment qui est la mi-temps.
01:23:28 L'équipe perd 1-0.
01:23:29 L'équipe que vous suivez, vous avez un moment assez extraordinaire qu'on n'a pas besoin de commenter.
01:23:36 On a pris un but, c'est formidable.
01:23:38 Parce qu'attention, c'était pas les charlons, les autres.
01:23:40 Écoutez, moi, je n'ai pas l'habitude de vous faire des compliments.
01:23:42 Je vous dis 1-0 à la mi-temps.
01:23:44 Formidable !
01:23:45 Et je tue jusqu'au bout.
01:23:47 Alors, alors, alors.
01:23:48 Vous avez été magnifiques.
01:23:54 On a pris...
01:23:56 On a pris un petit but, je le prévoyais.
01:24:02 Oh !
01:24:03 Allez, allez, allez !
01:24:05 C'est formidable !
01:24:07 Allez, allez, allez !
01:24:09 Allez, allez, allez !
01:24:10 D'accord, d'accord.
01:24:12 Le premier qui marque, repas gratuit pendant un mois au pénalty.
01:24:16 C'est d'accord ?
01:24:17 Et plein d'essence gratuite pendant un mois aussi, au premier but.
01:24:20 OK, messieurs.
01:24:21 Je dis, c'est de train qu'on est meilleurs.
01:24:24 On va gagner...
01:24:26 Parce qu'on est les plus forts !
01:24:28 On va gagner...
01:24:29 Parce qu'on est les plus forts !
01:24:31 On va gagner...
01:24:32 Parce qu'on est les plus forts !
01:24:34 Vive la Meuse !
01:24:35 L'autre moitié à la fin du match, si on gagne.
01:24:45 L'autre moitié...
01:24:46 À la fin du match...
01:24:51 L'autre moitié, si on gagne.
01:24:54 Seulement si l'on gagne.
01:24:56 Oh, merde !
01:24:58 Non, non, non !
01:24:59 C'est tout à mon doigt !
01:25:00 C'est tout à mon doigt !
01:25:01 Les magasins de l'eau, 50% de réduction sur le sale à manger à celui qui marque.
01:25:06 Ça va !
01:25:07 À qui marque un point, je lui fais livrer le cuisinier.
01:25:09 4 feux, double broche automatique, four auto-nettoyant, hublot à double paroi.
01:25:13 Bon, eh bien, merci, Martine.
01:25:15 Maintenant, il faut nous laisser travailler.
01:25:17 Vive la Meuse !
01:25:22 Oh, les vaches !
01:25:23 Bon.
01:25:25 Bon, alors...
01:25:28 La pratique, elle est simple.
01:25:29 On va leur rentrer dans le chou, à ces merdeux !
01:25:32 Ils nous ont traités de gonzesses, on va leur faire voir si on a des petites bites.
01:25:35 Alors, Berthier, Moriot et Spivak, je veux que vous me les défonciez !
01:25:39 Oh, Spivak !
01:25:40 Tu sais ce qu'il a dit, numéro 10 ?
01:25:42 Les Polacks, leur chier sur la gueule !
01:25:44 Bon, alors, celui-là, il touche plus un ballon.
01:25:46 À la première occasion, tu lui prends la canne.
01:25:48 Ces types vous méprisent.
01:25:49 Alors, vous avez 45 minutes pour régler vos comptes.
01:25:51 Souvenez-vous, on marque pas avec ses pieds, on marque avec ses couilles !
01:25:56 On ne gagne pas avec ses techniques.
01:25:58 On gagne avec sa haine.
01:26:25 Voilà, c'est ce qu'on appelle le fair play dans ce film.
01:26:29 La chanson est de Pierre Bachelet, pour ceux de qui on parle.
01:26:33 Donc on est dans l'esprit guerrier, mais au plus mauvais sens du terme.
01:26:39 Une philosophie du jeu développée par des notables de province
01:26:45 qui offrent des primes de match.
01:26:47 On est loin des sommes offertes actuellement aux footballeurs,
01:26:50 mais vous voyez, c'est des avantages en nature
01:26:52 qui sont censés leur donner du cœur à l'ouvrage.
01:26:54 C'est tout à fait comparable à la scène de vestiaire de gladiateur
01:26:58 tout à l'heure dans Spartacus.
01:27:00 Et vous avez exactement la même situation.
01:27:02 Vous avez entendu ce qu'il a dit, on ne marque pas avec sa tête,
01:27:07 on marque avec une autre partie du corps.
01:27:09 Et c'est comme si le joueur incarné par Patrick Devers, regardez bien,
01:27:13 va appliquer à la lettre ce conseil.
01:27:17 - Jean-Philippe ! Jean-Philippe ! Jean-Philippe !
01:27:22 - Jean-Philippe !
01:27:24 - Jean-Philippe !
01:27:50 - Bichlon ! Bichlon !
01:27:52 - Ça ne va pas être simple maintenant de le refoutre en douleur.
01:28:13 - C'est pas possible ! C'est pas possible !
01:28:18 - Voilà le commentaire le plus simple, effectivement.
01:28:23 Si quelqu'un fait un exploit sur le terrain, l'alias populaire,
01:28:26 c'est l'équivalent contemporain de Spartacus.
01:28:28 C'est-à-dire que si un joueur de foot voulait véritablement utiliser
01:28:32 la puissance politique qu'il peut incarner,
01:28:34 il aurait peut-être les moyens de le faire,
01:28:36 mais pour l'instant, ça n'existait qu'au cinéma.
01:28:39 Des films comme Rollerball, par exemple,
01:28:41 où il y avait un champion qui se demande à qui il rend service,
01:28:44 à qui ça rend service qu'il offre le spectacle,
01:28:47 qui empêche de penser aux vrais problèmes.
01:28:49 Si un footballeur comprend que le football, c'est l'opium du peuple,
01:28:53 s'il commençait à le dire, qu'est-ce que ça produirait comme effet ?
01:28:57 Ça pourrait être assez étonnant, mais pour l'instant,
01:28:59 ça n'a lieu que dans la fiction.
01:29:01 Je vous disais qu'il n'a pas marqué avec les parties du corps proposées
01:29:04 par ceux qui l'ont encouragé dans les vestiaires,
01:29:07 mais c'est un but qu'il n'a mis pas exprès.
01:29:09 Le deuxième, il va le mettre exprès, il fait gagner son équipe,
01:29:12 et il est applaudi par ceux-là même qui l'ont mis en prison
01:29:15 et qui l'ont, je le précise, faussement accusé de viol.
01:29:18 Il est faussement accusé de viol, il est accusé à tort,
01:29:20 il subit une injustice, et là, c'est par une nouvelle injustice
01:29:24 qu'il va pouvoir récupérer une forme de crédit social.
01:29:28 Le temps passe, j'avais prévu de vous montrer deux autres choses,
01:29:32 je vais le faire pour ceux qui ont la patience.
01:29:35 Pour l'instant, si on résume ce qu'on a vu,
01:29:38 on a vu des beaux gestes ou des mauvais gestes, du fair play,
01:29:41 sur le terrain. Vous aviez le champ de bataille,
01:29:44 ce n'était pas les mêmes règles que l'arène ou que le terrain,
01:29:47 et au fond, la tendance historique lourde,
01:29:51 c'est de passer d'un affrontement à mort
01:29:54 à un affrontement qui passe par des règles
01:29:57 qui sont censées être de moins en moins violentes.
01:30:00 Dans l'histoire des affrontements, vous avez la corrida,
01:30:04 puis maintenant c'est un peu moins en vogue, la boxe,
01:30:06 on en parle un peu moins, il y a des formats plus extrêmes,
01:30:09 mais plutôt pour les jeunes.
01:30:11 Et le football lui-même, entre 1979 et aujourd'hui,
01:30:14 a bien changé, puisque ce qui à l'époque était censé
01:30:17 être normal dans l'affrontement physique, avec beaucoup de vices,
01:30:20 est devenu impossible par l'implication des caméras,
01:30:23 l'avare, etc. Même le rugby, des gestes qui étaient
01:30:26 considérés comme normaux il y a quelques années,
01:30:29 sont devenus des agressions qui supposent des cartons.
01:30:32 Vous avez une réglementation de plus en plus fine
01:30:35 et confortive dont on pense pouvoir évacuer la violence,
01:30:38 et en même temps vous avez ce fond archaïque qui reste.
01:30:41 Il y a une autre manière de s'en libérer, c'est au lieu d'affronter des humains,
01:30:44 c'est d'affronter autre chose.
01:30:47 Un surfeur par exemple, il ne va pas affronter des humains.
01:30:50 Bien sûr il y a des compétitions de surf, mais ce qu'il affronte,
01:30:53 c'est la vague, c'est un élément. Et on ne peut pas être violent
01:30:56 avec une vague, parce que la vague sera toujours plus forte que vous,
01:30:59 donc vous êtes obligé de l'épouser, de rentrer dans un pli.
01:31:02 C'est plus Spider-Man que Hulk, si il faut prendre une métaphore.
01:31:05 Vous allez devoir vous faufiler. Quelqu'un qui fait du skateboard,
01:31:08 il affronte un élément qui s'appelle le béton, et quand il tombe,
01:31:11 c'est lui qui se fait mal. La seule violence que va subir un skateboarder,
01:31:14 c'est éventuellement celle du béton contre lui.
01:31:17 Pourquoi je vous dis ça ? Quand on parle de fair play,
01:31:20 on suppose toujours qu'on affronte d'autres humains.
01:31:23 Mais quand on affronte plus des humains, on n'a plus affaire
01:31:26 à des sports de règles, on a affaire à des sports élémentaires,
01:31:29 on a affaire à des lois naturelles.
01:31:32 Je vais vous montrer deux exemples. Le premier, c'est The Walk,
01:31:35 qui raconte l'histoire vraie d'un funambule français
01:31:38 qui s'appelle Philippe Petit. Comme nul n'est prophète dans son pays,
01:31:41 quand il a simplement traversé en tendant une corde
01:31:46 les tours de Notre-Dame, face à la préfecture de police,
01:31:49 il s'est juste fait arrêter, et il y a eu un entrefilé
01:31:52 dans le Parisien le lendemain. Alors il allait faire ça ailleurs,
01:31:55 à New York, en 1973-74, alors que les Twin Towers n'étaient pas encore achevés.
01:32:02 Il a tendu un câble de nuit entre les Twin Towers,
01:32:05 et là ce que vous allez voir, c'est évidemment pas...
01:32:07 Ça a été documenté, mais un peu de loin,
01:32:09 donc vous avez une reconstitution, mais exacte, du geste de Philippe Petit.
01:32:13 Écoutez bien pourquoi il fait ce qu'il fait.
01:32:15 Il ne fait pas ça pour affronter quelqu'un,
01:32:18 il ne fait même pas ça pour affronter lui-même.
01:32:20 Il fait ça comme un mauvais geste, parce que c'est interdit ce qu'il fait,
01:32:24 c'est illégal, il va être arrêté tout de suite après.
01:32:27 Mais il fait ça parce que c'est aussi un beau geste.
01:32:30 On va essayer de comprendre pourquoi.
01:32:33 [Bruit de vent]
01:32:36 [Musique]
01:32:40 [Bruit de vent]
01:32:43 [Musique]
01:32:56 [Musique]
01:32:59 J'ai un pied sur le bâtiment, un pied sur le fil,
01:33:23 et le reste du monde s'estompe peu à peu.
01:33:26 Jeff n'existe plus.
01:33:38 Ma tour est déserte.
01:33:41 [Musique]
01:33:51 Je n'entends plus la rumeur de New York.
01:33:54 Tout est devenu silencieux.
01:33:56 Je ne vois plus que le fil,
01:34:01 qui flotte tout droit vers l'infini.
01:34:04 Et si je transfère mon poids,
01:34:13 je deviens un fumant bulle.
01:34:19 [Musique]
01:34:22 [Musique]
01:34:39 [Musique]
01:34:42 [Musique]
01:35:04 [Musique]
01:35:30 Dès que mon poids repose entièrement sur le câble,
01:35:33 je retrouve instantanément une sensation que je connais par cœur.
01:35:37 Je sens le fil qui me porte.
01:35:39 Je sens les tours qui portent le fil.
01:35:42 On va terminer sur cet extrait
01:35:45 dont je vous parlais des sports de règles.
01:35:47 Vous voyez les sports qui se passent dans un rectangle, souvent,
01:35:51 avec des humains qui s'affrontent, des équipes.
01:35:54 On peut tricher dans ces cas-là.
01:35:56 Mais quand on a affaire à des lois, des lois naturelles,
01:35:58 comme la gravité, par exemple, on ne peut pas tricher.
01:36:01 On est obligé de faire avec.
01:36:03 Mais lui, ce qui est très intéressant, c'est que pour tendre son fil,
01:36:06 il l'a fait de manière illégale, en se cachant,
01:36:09 avec des complices, en se déguisant.
01:36:11 Il a conçu ça, il le dit lui-même, comme un hold-up,
01:36:14 comme un braquage.
01:36:16 Et ça lui a permis de trouver le courage de faire quelque chose
01:36:19 que n'importe quel être humain sensé ne ferait jamais.
01:36:22 C'est inutile, c'est absurde, c'est dangereux.
01:36:26 Mais il le fait comme si c'était un mauvais geste.
01:36:30 Pourquoi ? Il le dit, parce qu'il veut devenir funambule.
01:36:33 C'est quoi un funambule ?
01:36:35 Il le théorise lui-même.
01:36:37 Il dit que c'est un être poétique, c'est une métaphore.
01:36:39 C'est une métaphore de la liberté.
01:36:41 Il fait ça entre les Twin Towers, qui sont des tours de bureaux,
01:36:44 et en bas, il fait ça à 7h du matin,
01:36:47 juste au moment où les ascenseurs se mettent en marche
01:36:49 et où les tours se remplissent d'employés.
01:36:51 Il fait ça pour des gens qui travaillent.
01:36:53 Il leur montre ce que ce serait d'être un oiseau,
01:36:56 d'être un être libre, un humain.
01:36:59 C'est plus fort que Matrix, parce que dans Matrix,
01:37:01 ils font juste du jeu vidéo.
01:37:03 Ils s'affranchissent de la gravité parce qu'ils sont dans un espace
01:37:06 qui n'est plus de l'espace, qui est autre chose.
01:37:08 Lui, il fait ça avec son vrai corps.
01:37:10 Il met sa vie en jeu.
01:37:12 Et ce n'est pas du sport, parce qu'il n'y a rien à gagner.
01:37:15 Il n'y a pas d'adversaire.
01:37:17 Et il a remplacé les règles par les lois.
01:37:19 Et en les transgressant, son acte entier est présenté
01:37:21 comme une transgression.
01:37:23 C'est en même temps un moment de libération.
01:37:25 Donc, si j'ai une hypothèse sur les mauvais gestes,
01:37:28 des grands champions, pas des gens qui ne font que ça.
01:37:34 Lorsqu'un grand champion fait un mauvais geste,
01:37:37 c'est comme s'il tombait.
01:37:39 Mais en tombant, parfois, c'est comme s'il s'envolait.
01:37:42 Zidane qui fait ce geste, ça lui ressemble et ça ne lui ressemble pas.
01:37:46 Ça déçoit.
01:37:48 Et en même temps, ça devient un être quasiment fictif.
01:37:51 En tout cas, on peut essayer de le sauver comme ça.
01:37:53 C'est ce qu'a fait Michel Serres.
01:37:55 C'est ce que font les gens amoureux de beaux gestes.
01:37:57 Quand quelqu'un qui d'habitude fait des beaux gestes en fait un mauvais,
01:38:00 on est obligé d'essayer de l'inclure dans la pièce qu'il est.
01:38:04 D'essayer de comprendre.
01:38:06 Ça ne veut pas dire que c'est imitable.
01:38:08 Ça reste inimitable.
01:38:10 Mais ça devient une référence.
01:38:12 Le funambule, évidemment, personne ne va s'amuser à faire la même chose.
01:38:14 Le coup de tête de Zidane, c'est exactement la même chose.
01:38:16 Personne ne va s'amuser à faire la même chose.
01:38:18 De manière plus générale dans le cinéma,
01:38:20 même pour les films qui ne concernent pas le sport,
01:38:23 lorsque vous avez un personnage qui râle par exemple,
01:38:26 ou lorsque quelqu'un le double dans la queue,
01:38:29 va vraiment provoquer un conflit,
01:38:31 ça vous soulage, vous spectateurs.
01:38:33 Parce que dans la vraie vie, quand quelqu'un vous double,
01:38:36 c'est rare d'avoir le courage de l'affronter.
01:38:38 Et au cinéma, c'est possible.
01:38:40 Donc le cinéma vous propose des transgressions libératrices.
01:38:45 Les mauvais gestes que vous voyez au cinéma,
01:38:47 et certains sportifs se prennent pour des fictions,
01:38:50 sont toujours l'expression d'une liberté
01:38:54 qui n'est possible que dans le rectangle de l'écran.
01:38:57 Je vous remercie de votre attention.
01:38:59 S'il y a des questions, je suis à votre disposition.
01:39:02 (Applaudissements)
01:39:05 (Applaudissements)

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