Table ronde - Le pouvoir des récits désirables
Elisabeth Cialdella, Directrice générale - M Publicité (Groupe Le Monde et L'Obs)
Sarah Herz, Directrice du Creative Studio - Condé Nast France
Luc Wise, Président Fondateur - The Good Company
Elisabeth Cialdella, Directrice générale - M Publicité (Groupe Le Monde et L'Obs)
Sarah Herz, Directrice du Creative Studio - Condé Nast France
Luc Wise, Président Fondateur - The Good Company
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00:00 Et notre première table ronde va s'intéresser aux récits désirables
00:05 pour savoir comment est-ce que ces récits ont le pouvoir de transcender les imaginaires
00:11 et comment ils aident à se projeter dans un futur désirable et non-anxiogène
00:16 ce qui est un petit peu la problématique en ce moment sur ces sujets.
00:21 J'invite pour en parler Elisabeth Cialdella, directrice générale de M Publicités et Groupe Le Monde et L'Obs
00:27 Sarah Herz, directrice du Creative Studio de Condé Nast
00:31 et Luc Weiss qui est président et fondateur de The Good Company.
00:36 On peut les applaudir. Bonjour.
00:38 Bonjour à tous les trois.
00:52 Alors peut-être Elisabeth, pour commencer, qu'est-ce que c'est qu'un récit désirable ?
00:58 Vous avez une minute.
01:00 Une minute.
01:02 Alors en fait, pour répondre justement à cette question de qu'est-ce que le désirable,
01:08 peut-être que je vais emprunter les propos d'une personne qui s'est exprimée récemment dans une tribune
01:14 dans Le Quotidien Le Monde qui est Benjamin Simonhower,
01:17 que certains d'entre vous doivent connaître puisqu'il est directeur de la recherche à l'Institut Français de la Mode.
01:23 Il est également philosophe et il nous partageait une définition justement
01:27 de ce que pourrait être quelque chose de désirable pour une marque
01:31 qui serait d'être adoubée par des figures référentes auxquelles les consommateurs peuvent s'identifier
01:38 et aussi peut-être exprimer, peut-être plus que peut-être,
01:43 mais certainement exprimer la contemporanéité qui est quelque chose de très important.
01:49 Donc, si j'ai encore 30 secondes, pour une marque média finalement,
01:57 incarner ce sujet de la désirabilité, c'est certainement avant tout être adoubé par les lecteurs, bien évidemment,
02:05 et les lectrices, ça veut dire proposer des contenus pertinents qui nourrissent la confiance
02:11 parce qu'on a avant tout des modèles de confiance, bien sûr,
02:15 et puis bien sûr accompagner les jeunes générations dans leur compréhension d'un monde qui est complexe,
02:20 on l'a vu, notamment via l'étude qui vient d'être présentée, en effet il y a beaucoup de sujets,
02:26 d'où aussi l'importance en effet d'en parler, d'être pédagogique.
02:30 Et puis sur le sujet de la contemporanéité, ce qui est certainement quelque chose aussi de très important pour un média,
02:37 ça veut dire vraiment là aussi donner des clés de compréhension, je pense que pour être désirable,
02:42 il faut donner des clés de compréhension, il faut capter les nouvelles tendances, bien sûr,
02:46 il faut explorer des alternatives, je crois aussi, et proposer des moyens d'action
02:51 qui mettent en avant les marques et les créateurs qui s'inscrivent là-dedans.
02:55 Et puis c'est faire rayonner des sujets, bien sûr de figure inspirante, je crois que c'est là aussi très important,
03:02 parce qu'il y a un sujet de modèle, de rôle modèle qui est très fort.
03:05 Et puis c'est innover, bien sûr, c'est adapter nos formats aux récits, aux comportements,
03:13 enfin en tout cas les formats de ces récits qui se veulent désirables, aux comportements de nos audiences,
03:19 donc aller sur des formats, bien sûr, audio, des formats vidéo, dans nos pages, sur nos sites,
03:25 aussi sur les plateformes, parce que c'est aussi important de rencontrer les audiences,
03:29 notamment les plus jeunes, sur ces plateformes, bien sûr en restant en phase avec nos valeurs
03:35 et sans se trahir au niveau des sujets, de la façon dont on les traite,
03:39 peut-être que ça veut dire qu'il faut investir aussi beaucoup, en effet, pour mettre en avant des récits désirables,
03:46 il faut investir dans les contenus, il faut investir dans les journalistes,
03:49 quand on est en groupe média, il faut investir dans le format image, dans le format vidéo, dans les photographes, voilà.
03:56 - Je vais faire un rebond avec vous, Sarah Herz chez Condé Nast, bonjour.
04:01 - Bonjour.
04:02 - Est-ce que vous pouvez nous expliquer quel écho fait chez vous ce mot "désirabilité" des récits ?
04:09 - Alors, en fait, il y a plusieurs définitions, plusieurs étymologies du mot "désirable",
04:14 celle que je trouve la plus inspirante, la plus poétique, c'est d'être confrontée à l'absence, à la disparition d'une étoile.
04:21 Alors peut-être que le luxe, les contenus, les histoires qu'on va créer,
04:24 elles ont peut-être pour objectif de faire scintiller le monde,
04:27 un monde dont on a redit la vulnérabilité et la fragilité, et s'inventer de nouveaux récits qu'on va faire différemment.
04:34 Alors moi, je gère un studio de création comme vous, je crois,
04:37 et sur le fond, j'ai essayé de partager une culture du luxe dans nos équipes.
04:44 J'ai été super inspirée par tous les livres autour de la gastronomie humaniste de Ducas,
04:51 les livres de Baptiste Morisot, de Philippe Escola, d'Emmanuel Cochet.
04:55 Ce sont des auteurs qu'on embarque dans nos histoires.
04:57 On a pu faire un livre avec Perrier-Jouet, inspiré par Emmanuel Cochet.
05:02 Donc ça, c'est une culture qu'on essaye de partager en interne avec nos marques,
05:07 pour que la désirabilité naisse aussi du sens.
05:11 Et sur la forme, on fait des shootings de mode, on fait beaucoup de choses.
05:17 On essaie de ne plus faire flyer des mannequins, de dépenser moins d'énergie,
05:22 de mieux payer les gens aussi, si possible.
05:26 De ne plus faire flyer vos mannequins ?
05:28 Je ne sais pas si vous l'avez aussi.
05:30 Je me suis dit, mince, celle-là, je ne l'ai pas donné.
05:32 C'est un câble vogue, mais disons qu'avant, on avait aussi des choses qu'on pouvait fliquer.
05:35 D'accord, pour prendre l'avion, c'était donc ça.
05:38 Non, on a des très beaux mannequins en France,
05:41 tout comme on a des très beaux poulets de Brest.
05:44 Après, c'est des très beaux poulets japonais au Japon.
05:46 On essaie d'utiliser les ressources locales, les ressources au sens noble du terme.
05:52 Le diable se cache dans les détails.
05:56 Ce qui est important avec vous, Luc, qui dirigeait l'agence The Good Company,
06:01 c'est de parler de la transformation de la publicité également, dans les récits,
06:06 pour façonner ces nouveaux récits et embarquer très largement la société et le grand public
06:12 dans ces nouvelles façons de consommer.
06:14 C'est le cas dans le luxe.
06:16 Pour vous, les récits, particulièrement dans le luxe,
06:19 sont particulièrement puissants pour faire transformer ces consommateurs.
06:23 Oui, bien sûr. Je pense que les marques de luxe ont une responsabilité très forte
06:29 dans les changements qu'on doit faire.
06:31 Je pense que, premièrement, c'est pour rejoindre un peu ce qui a été dit.
06:34 Je crois beaucoup dans le pouvoir des récits.
06:37 Je pense que les récits façonnent notre façon de voir le monde.
06:40 C'était déjà le cas lors des mythes grecs.
06:45 C'est même l'invention du théâtre grec.
06:47 C'est pour expliquer ou raconter aux gens ce qui est désirable, ce qui ne l'est pas,
06:51 ce qui est bien, ce qui ne l'est pas.
06:53 De tout temps, les récits ont façonné notre façon de voir le monde.
06:56 Et M. Ducasse, à juste titre, disait que lui, à sa manière,
07:00 il faisait aussi évoluer les récits de ce qu'est un repas de qualité,
07:05 ce qu'est la gastronomie.
07:07 Donc, moi, je pense que les marques de luxe,
07:09 et pour reprendre ce que vous disiez,
07:11 les marques de luxe, elles ont cette chance formidable
07:13 d'être déjà un peu adoubées par des décennies, voire des siècles d'histoire.
07:19 Et donc, quand une marque de luxe parle, forcément c'est cool.
07:22 Forcément c'est bien.
07:24 Il y a un fort pouvoir de prescription.
07:27 Ce que je trouve intéressant aussi dans les marques de luxe,
07:30 c'est que quand elles font des récits, elles ont deux formes de puissance.
07:34 Elles ont une puissance économique, mais elles ont aussi une puissance symbolique.
07:39 C'est-à-dire, quand une marque de luxe prend la parole,
07:41 en général, elle a le moyen de le faire,
07:43 parce que l'industrie du luxe se porte bien.
07:46 Et donc, elle a une capacité à dire les choses avec des moyens considérables.
07:51 Et aussi, elle a une puissance symbolique.
07:53 C'est ce que je disais tout à l'heure.
07:55 Une marque du groupe LVMH ou Kering est de nature adoubée, désirée,
08:03 et a des figures d'ailleurs imposantes par son histoire.
08:06 Quand elle dit quelque chose, on l'écoute.
08:09 Et donc, une marque de luxe a cette double puissance,
08:12 à la fois économique et symbolique,
08:14 qui fait que quand elle parle, elle est écoutée et elle est désirée.
08:18 Je venais ce matin, je réfléchissais à ce débat,
08:22 et j'en ai dans le quartier des grandes banques.
08:26 Les grandes banques, elles ont beaucoup d'argent pour faire de la pub.
08:29 Des dizaines, voire des centaines de millions d'euros.
08:31 Mais si une banque me dit quelque chose, je ne suis pas certain de trouver ça cool.
08:35 Il va falloir que vraiment, ils s'y emploient pour trouver ça cool.
08:38 D'ailleurs, on essaie en tant que publicitaire.
08:40 Mais quand une marque de luxe me parle,
08:43 que ce soit un spiritueux, que ce soit une marque de mode,
08:46 que ce soit une marque de joualerie,
08:48 d'essence, elle est cool.
08:50 Et donc, si elle dit des choses qui sont intéressantes,
08:54 qui font changer les mentalités en termes d'écologie,
08:57 on l'écoute de par sa puissance financière,
09:00 mais aussi de par sa puissance et sa légitimité symbolique.
09:04 Et c'est là où je trouve que le luxe, vraiment,
09:06 a un rôle clé à jouer dans les transitions,
09:09 dans nos modes de consommation, qu'on doit jouer.
09:12 Il y a un autre sujet, le ruissellement.
09:15 Le ruissellement, on en débat beaucoup,
09:17 économiquement, est-ce que ça existe ou pas ?
09:19 On va rentrer dans ce débat-là.
09:20 Mais ce qui est certain, et là aussi, on écoute M. Ducasse,
09:23 j'ai eu cette idée, là aussi, c'est qu'il y a
09:25 un ruissellement du luxe vers d'autres formes de consommation.
09:28 Donc, si le luxe arrive à dire, ça, c'est cool,
09:31 la biodiversité, c'est cool,
09:33 Guerlain dit préserver la biodiversité, c'est cool,
09:36 ça peut inspirer d'autres marques de d'autres secteurs.
09:39 C'est plus difficile pour Tom Hop,
09:41 mais top down, le luxe peut être prescriptif
09:44 aussi pour d'autres secteurs.
09:45 Donc, petit plaidoyer pour la responsabilité dans le luxe.
09:48 Pouvoir économique, pouvoir symbolique
09:50 et pouvoir de prescription.
09:52 Merci Luc, on a parlé de quelques mots de poésie,
09:56 mais est-ce que c'est finalement pas ça, un petit peu d'art aussi,
09:59 et derrière, des créateurs de ces nouveaux récits,
10:04 qui sont-ils pour vous, ces personnes,
10:07 et qu'est-ce qu'elles doivent avoir
10:09 pour pouvoir créer ces nouveaux imaginaires ?
10:12 Elisabeth.
10:14 Alors, c'est pas forcément,
10:17 c'est pas moi qui vais être la plus légitime, en effet,
10:19 pour dire que doivent avoir ces créateurs, par contre.
10:22 Je pense qu'en effet, il y a ce sujet de portée,
10:29 peut-être déjà, avant tout, c'est de répondre à des attentes.
10:33 En effet, et on se rend compte qu'il y a des attentes
10:38 pour en effet avoir ces récits, pour avoir ces modèles,
10:43 et porter en effet des discours
10:47 qui portent ces sujets de responsabilité.
10:50 Enfin, en tous les cas, nous on le voit en tant que médias,
10:53 en effet, les personnes, elles rentrent dans nos contenus
10:56 par l'actualité, évidemment, on est un groupe média d'actualité,
10:59 donc le sujet de la news, en fait, de la hard news,
11:04 le sujet des grands moments qui en effet vont faire
11:06 qu'on va se rassembler autour d'une information,
11:10 c'est parfois porté par des sujets qui sont plutôt anxiogènes.
11:14 Et dans ce sens-là, en fait, on voit que nos audiences,
11:18 elles nous disent "mais oui, bien sûr, on vient pour ce sujet,
11:20 ce contrat entre guillemets de base, même si c'est pas un très joli mot,
11:24 mais on va rester, on va être fidélisés, et on va passer du temps aussi
11:29 parce que vous allez nous donner à lire d'autres choses".
11:32 Et donc, en effet, justement, ces histoires de marques,
11:38 ces histoires de création, et dans ce sens-là, on le voit bien,
11:43 c'est là où des sujets plus lifestyle vont rencontrer
11:47 beaucoup d'interactions, notamment sur les réseaux sociaux.
11:50 On parlait en effet de, alors ça peut sembler un peu anecdotique,
11:55 mais en même temps, des sujets sur le mois de janvier,
11:58 sur le lifestyle qui a fait le plus d'interactions,
12:00 c'est un sujet sur le flan pâtissier, voilà, donc la flantophilie.
12:04 Donc oui, il y a un intérêt sur comment ces produits sont sourcés,
12:08 comment est la composition, comment est l'expérience, en effet, de nourriture.
12:15 Donc oui, les audiences, elles sont là pour ça,
12:19 et d'où l'importance, en effet, et la responsabilité que nous allons avoir,
12:23 en effet, de proposer des récits qui soient puissants,
12:27 de travailler sur des couvertures qui mettent en avant ces sujets-là,
12:34 les sujets de la beauté avec des approches qui soient plus inclusives,
12:38 de parler de mode en mettant en avant, en effet, des créateurs qui soient engagés,
12:43 et puis de partager aussi sur des propositions sur le tourisme
12:47 qui soient plus responsables, on en a parlé beaucoup,
12:50 c'est aussi important, ça correspond aussi aux attentes,
12:53 bien évidemment, et dans ce sens-là, c'est aussi répondre à un état d'esprit
13:00 qui, on l'a vu avec la dernière étude du Cevipop,
13:03 ce qui est donné dans "Le moral des Français",
13:06 il y a trois mots qui sont lassitude, qui sont méfiance, et qui sont bourrosité.
13:12 Donc bien évidemment que proposer des récits puissants
13:15 qui font appel à d'autres imaginaires, c'est très important,
13:18 et c'est très attendu par les audiences,
13:21 et on le voit nous au niveau de la façon dont se concentrent
13:24 les fréquentations, les interactions, les engagements.
13:27 Merci, Sarah, les créateurs de ces récits doivent-ils être en avance
13:33 sur les autres, sur ces sujets, être mieux informés,
13:37 et donc mieux formés sur ces sujets ?
13:40 Mais en fait, un récit puissant, il est porté évidemment par des créateurs puissants,
13:46 puissants au sens du Spinozien qui augmente en fait la capacité d'être,
13:50 et ce qui est intéressant aujourd'hui dans ces récits,
13:54 c'est que le luxe ne répond à aucun besoin.
13:57 Dans les écoles de marketing, on nous dit que le marketing
13:59 se répond à un besoin, en fait le luxe peut tout faire,
14:02 il a tous les pouvoirs.
14:04 Le pouvoir aussi d'inventer des nouveaux possibles,
14:07 de faire de la science-fiction, de transformer un diamant
14:11 qui abîme la terre, vous en parlez de vertu,
14:14 mais malgré tout, faire du diamant ça abîme la terre,
14:17 ou extraire de l'or ça abîme la terre,
14:20 ces nouveaux récits inventent des nouvelles capacités
14:24 de faire des très belles choses qui réenchantent le monde.
14:26 Inventer du cuir autrement pour Hermès en explorant le cactus,
14:31 veuve clico qui crée ainsi un sac avec Stella McCartney issue du raisin,
14:37 enfin voilà, ces récits nous transportent,
14:41 sans renier aux histoires des marques,
14:43 dans un futur que je trouve réenchanté, épanxogène.
14:48 La vertu de tous ces récits, c'est que ces récits nous sortent
14:52 d'une vision très anthropocène au sens où l'homme était tout puissant
14:57 et que l'homme va prendre une place peut-être un peu moins forte,
15:00 moins présente, pour donner lieu à des récits qui mettent la nature,
15:05 les ressources humaines plus en lumière.
15:08 - Merci. Luc, comment continuer à faire rêver dans le luxe
15:14 tout en étant transparent, totalement transparent malgré les failles,
15:19 puisqu'il s'agit vraiment de faire rêver et vous l'avez dit Sarah,
15:23 on se doit d'être transparent.
15:26 Donc quelles sont les limites de ces récits désirables ?
15:30 - C'est une bonne question, je ne m'attendais pas.
15:33 - Merci.
15:34 - Elle a été piégeuse celle-là.
15:35 - Non, moi je trouve qu'en fait, bien sûr il faut que les marques de luxe
15:39 soient transparentes, mais pour moi il y a deux niveaux.
15:42 Il y a le niveau un peu publicitaire, le récit du rêve,
15:46 et là on doit proposer des rêves qui soient compatibles
15:49 avec les limites planétaires, des rêves éco-compatibles.
15:53 Et je pense que le luxe est très bien placé pour le faire,
15:56 pour plein de raisons.
15:58 Premièrement, on l'a dit, parce que les marques de luxe,
16:01 finalement, sont pionnières, elles ont toujours été pionnières,
16:04 elles ont montré un peu 20 ans d'avance sur la plupart des autres secteurs,
16:08 qui répondent peut-être plus à des besoins actuels,
16:10 alors que le luxe peut se projeter dans un futur souhaitable.
16:14 Et donc je pense qu'au niveau des récits, les marques de luxe
16:18 ont la chance de pouvoir proposer des récits qui conjuguent,
16:23 pourquoi pas, le rêve de manque d'avoir cette pièce,
16:28 et le rêve de manque d'avoir des solutions par rapport à la biodiversité,
16:32 ce que fait Guerlin.
16:34 Il y a un double manque que Guerlin peut compenser,
16:37 qui est à la fois le manque de "je veux ce produit,
16:39 parce que c'est un beau produit, historique",
16:41 et "je manque aussi de solutions pour agir, moi, en tant que personne,
16:44 pour la biodiversité".
16:46 Et donc je pense que les deux sont pas compatibles.
16:48 On peut avoir aujourd'hui des récits qui soient très désirables,
16:53 parce que très chics, et en même temps très écologiques.
16:56 Je pense que Stella McCartney l'a compris,
16:58 je pense que Vivian Westwood l'avait compris,
17:02 je pense qu'on peut avoir des récits qui combinent finalement
17:07 la qualité, l'écologie et le rêve.
17:10 Et je suis pas certain que la transparence joue un rôle là,
17:14 parce que le luxe, parce que tu m'as posé une question difficile,
17:18 donc j'essaie de remettre ma pensée dans l'ordre,
17:20 je pense que le luxe a la chance aussi, dans son expression publicitaire en tout cas,
17:26 de pas être dans un registre explicatif,
17:30 d'être plus dans la suggestion de ce qui est désirable.
17:34 Donc du coup, elle a pas besoin d'expliquer,
17:36 comme la grande distribution à la banque,
17:38 "j'ai fait ci, j'ai fait ça",
17:40 parce qu'elle est dans un registre qui est plus dans la suggestion,
17:43 du désir justement.
17:45 Si je veux draguer quelqu'un, je vais pas lui expliquer
17:48 "ma fiche je te paye, mon nombre d'années d'études", voilà.
17:52 Le luxe est dans une forme de séduction qui est en forme de rêve,
17:55 et je pense qu'elle peut proposer des manières de rêver
17:58 qui soient qualitatives et éco-compatibles.
18:01 J'en suis convaincu, Gucci est en train de le faire aussi en ce moment.
18:05 Donc voilà, ce niveau là publicitaire,
18:07 j'aurais presque pas envie d'être trop pédagogique,
18:09 pour reprendre au terme, ou trop transparent.
18:11 Je pense qu'on est plus dans l'ordre de "je crée du désir".
18:14 Après, une fois qu'on a fait ça, en tant que marque de luxe,
18:17 il y a un deuxième niveau de communication,
18:19 qui est davantage le reporting,
18:21 où évidemment, pour éviter le greenwashing,
18:23 il faut expliquer les choses, il faut expliquer les engagements.
18:26 Mais pour moi, c'est un peu deux niveaux différents.
18:29 J'active le désir, à travers l'émotion,
18:32 le désir que je montre, si possible,
18:35 si ça évite de montrer des nanas en porno chic,
18:38 bling bling à Dubaï,
18:40 et que c'est plutôt quelque chose d'un peu plus éco-compatible,
18:44 comme l'a fait la récente campagne Gucci,
18:46 ou comme l'a pu le faire Guerla,
18:48 ou comme le peut le faire Montclair,
18:50 ou certaines publicités,
18:52 parce qu'ils sont ancrés aussi dans l'écologie, ces marques-là.
18:55 Si on peut créer du désir comme ça,
18:57 et après, d'ailleurs, expliquer.
18:59 Pour moi, c'est deux temps un peu différents dans la communication.
19:02 Je pense que si tu commences à faire de la publicité,
19:05 même pour des marques très engagées du luxe,
19:07 où tu mets trop d'explications dans le truc,
19:10 tu casses le rêve.
19:12 Et je pense qu'on va transformer le monde
19:14 avec du reporting, des explications et des preuves,
19:17 mais je pense qu'on va aussi changer le monde
19:19 et qu'on va donner des visions aspirationnelles
19:22 différentes de celles qu'on a aujourd'hui.
19:25 Si je reprends un exemple très concret pour me faire comprendre,
19:28 si des gens comme M. Rollinger, M. Ducasse et M. Marx
19:32 arrivent à nous faire comprendre
19:34 que ce qui est chic aujourd'hui et demain,
19:37 c'est de manger des choses qui soient locales
19:40 et pas à l'autre bout du monde,
19:42 qui soient en petites quantités plutôt que l'abondance,
19:45 on aurait gagné la bataille.
19:47 Si Stella McCartney arrive à nous vendre
19:49 un rêve de luxe vestimentaire
19:53 qui est basé sur la R&D de nouveaux produits extrêmement innovants
19:57 versus des choses liées à la production animale,
20:02 on aurait gagné la bataille.
20:04 Je pense qu'il faut être transparent dans ce reporting.
20:07 Je pense que le rôle du storytelling de luxe
20:09 n'est pas d'être transparent,
20:11 il est d'être emportant, de nous emporter
20:14 un désir qui est plus sustainable et plus responsable.
20:18 - Merci Luc.
20:20 Je vois que le temps file comme d'habitude.
20:22 Elisabeth, un petit mot de la fin ?
20:25 - Peut-être que juste pour apporter une autre idée,
20:29 j'entends en effet les propos de Luc.
20:31 Je pense qu'il y a aussi un sujet qui est d'expérimenter.
20:35 Je crois que le désir peut aussi se nourrir par l'expérimentation.
20:40 Sur ces sujets, peut-être juste parler d'une nouvelle initiative,
20:46 notamment de la marque M le magazine,
20:48 avec un festival qui va se dérouler au mois de mars,
20:52 qui est porté par la marque Le Goût de M,
20:54 dont la thématique va être la réparation et la seconde vie.
20:58 On est complètement dans ces sujets,
21:03 de faire expérimenter ce que ça peut être,
21:06 même dans l'univers de marques de luxe, de produits de luxe.
21:10 Ce sujet de la seconde vie, de la réparation,
21:12 si on considère que réparer, comme le dit Marie-Pierre Lannelong,
21:16 la directrice de la rédaction, c'est anoblir.
21:19 On est complètement dans la préservation de cette expérience
21:23 et de cet univers du désir que peut porter une marque de luxe.
21:29 - Merci. Sarah, un petit mot de la fin ?
21:32 - Je reprends ce qu'on a évoqué, le défilé de Galliano pour Margiela.
21:37 Je pense que c'est un bon exemple de l'évolution du luxe.
21:40 Galliano, qui avait l'habitude de faire des défilés spectaculaires,
21:43 grandioses, exubérants, où tout était possible,
21:46 avec une émotion super forte, a fait là,
21:48 pour le plus beau défilé, de manière très sobre,
21:54 sous les ponts de Paris, des silhouettes très épurées,
21:57 inspirées par des photos de Brassaille.
21:59 Cette espèce de sobriété matérielle ne s'est pas accompagnée
22:02 d'une sobriété émotionnelle. Les deux sont compatibles.
22:06 - "Sobriété et zenouchic", ce sera le mot de la fin, alors ?
22:09 - Oui. - C'est bon, Luc ?
22:11 - On te laisse ce mot de la fin. J'oserais pas faire autrement.
22:14 - Le luxe et le chic, c'est un autre sujet.
22:18 Merci beaucoup à tous les trois pour les applaudir.
22:21 (...)