L'invité du jour : Philippe Boxho, les histoires insolites d'un médecin légistes !

  • il y a 7 mois
Retrouvez William Leymergie entouré d’experts, du lundi au vendredi en direct dès 12h30, pour une émission dédiée aux problématiques de notre quotidien.

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00:00 Avec plaisir.
00:01 Notre invité du jour, un métier à la fois fascinant et un peu terrifiant, il faut le dire.
00:06 Bonjour Philippe Boxo.
00:07 Bonjour Caroline.
00:08 Vous êtes médecin légiste depuis 30 ans et vous faites parler les morts dans deux livres que j'ai ici,
00:13 qui s'appellent "Les morts ont la parole" et puis "Entretien avec un cadavre".
00:17 Quelle drôle d'idée d'ailleurs de vous leur faire parler les morts.
00:19 Qu'est-ce qu'ils vous disent ?
00:20 Ils me disent comment ils sont morts, dans le meilleur des cas,
00:23 et dans le bien meilleur des cas, ils me disent quand ils sont morts.
00:26 Ce sont deux éléments essentiels pour permettre à une affaire judiciaire de progresser.
00:30 Il s'agit à chaque fois d'enquêtes, hein ?
00:32 Toujours.
00:33 Criminelles ?
00:34 Toujours, toujours.
00:35 La plupart du temps ?
00:36 Enfin, pas nécessairement criminelles, mais on est dans un contexte où,
00:38 quand on nous appelle, c'est que l'on imagine que le problème pourrait être criminel,
00:41 non pas nécessairement suicidaire, non pas une mort naturelle,
00:44 et on est là pour démontrer si le phénomène est criminel ou pas.
00:47 Alors vous avez des histoires qui peuvent paraître loufoques, qui sont toutes vraies,
00:52 même si vous avez peut-être changé les prénoms.
00:55 J'ai changé les prénoms, j'ai changé les noms, j'ai un petit peu romancé aussi,
00:58 parce que je n'avais pas envie que les gens reconnaissent les histoires.
01:01 Et pourquoi les raconter ? Quel est le message que vous voulez faire passer ?
01:04 C'est un message en direction du gouvernement belge.
01:06 En fait, je ne pensais pas du tout que le gouvernement...
01:08 J'ai oublié de préciser que vous étiez belge.
01:10 Oui, avec l'accent peut-être que tout le monde a compris.
01:12 Clairement, c'est un message envers le gouvernement belge.
01:14 Je n'ai jamais pensé que les livres arriveraient en France.
01:17 Pour moi, c'est complètement inédit, c'est inattendu.
01:20 Je suis très content, attention, mais voilà, ce n'était pas le but.
01:23 Le but, c'était de signer au gouvernement qu'on existe,
01:26 de signer à la population qu'on existe, parce que personne ne nous connaît.
01:29 Et en Belgique, nous sommes vraiment mis de côté,
01:32 à tel point qu'on a peur de l'avenir de la médecine égale en Belgique.
01:36 Mais comment ça, personne ne vous connaît ?
01:38 Votre métier, il est dans toutes les séries policières.
01:40 Oui, mais il est inconnu. Vous ne voyez que ce que les séries montrent.
01:42 Et ce que les séries montrent, ce n'est pas notre métier.
01:44 Ce n'est pas réaliste ?
01:45 C'est ce que la série a envie de montrer. Non, pas toujours.
01:47 Parfois, tout n'est pas irréaliste.
01:49 Mais parfois, ça ne correspond pas exactement à la vérité.
01:52 Alors, on nous donne aussi des capacités qu'on n'a pas,
01:54 ou on nous retire des capacités qu'on a.
01:56 Enfin, les séries, c'est fait pour être regardé,
01:58 ce n'est pas fait pour être de la science.
01:59 Ce que je voulais, c'est attirer l'attention des Belges
02:02 et de notre gouvernement en disant, attention, nous sommes en péril.
02:05 Mais si nous sommes en péril, la justice l'est aussi.
02:08 Et l'idée, c'était que nous avons fait une étude,
02:11 l'Université libre de Bruxelles a fait une étude qui prouve que
02:13 70, oui, 70, vous voyez, il faut que je traduise,
02:16 à peu près, meurtres par an en Belgique passent inaperçus
02:20 parce qu'on nous utilise mal ou pas du tout.
02:22 - D'accord, alors racontez-nous quelques-unes de ces histoires.
02:25 Il y a des morts qui ne le sont pas, par exemple.
02:27 Des cadavres qui se réveillent ?
02:28 - J'ai un cadavre qui s'est réveillé, oui.
02:30 C'était un policier qui m'attendait.
02:33 En fait, c'était un monsieur qui était couché sur le ventre,
02:35 comme moi aujourd'hui, un veston, couché sur le ventre,
02:38 par terre, et il avait ruiné.
02:40 Et dans les rines, les mouches viennent pondre,
02:42 et donc vous avez des asticots qui apparaissent.
02:44 Et donc, pour les policiers, c'est logique.
02:45 Si il y a des asticots, c'est qu'il putréfie.
02:47 Si il putréfie, c'est qu'il est mort.
02:49 La logique est parfaite.
02:51 En m'attendant, ils essayaient d'identifier le bonhomme,
02:53 et ils ont passé, il y a un des deux qui a passé la main
02:55 entre le sol et le cadavre.
02:57 Il était allé dans la poche intérieure, voyez, ici, du veston,
02:59 et quand il a ressorti le portefeuille,
03:01 le cadavre lui a attrapé le bras.
03:02 - Ah oui, ça doit faire peur.
03:03 - Donc il n'était pas exactement mort.
03:04 - Pas tout à fait.
03:05 - Il était en état d'hypothermie, mais il n'était pas exactement mort.
03:07 Donc ces histoires qui arrivent de temps en temps, ça fait rire.
03:09 Pas le policier.
03:10 Le policier a eu quelques problèmes de santé après.
03:12 - Ah bon.
03:13 Et il y a parfois des meurtres, évidemment, qui sont déguisés en suicide
03:16 ou en accident, vous en avez en tête ?
03:18 - En accident.
03:19 Le plus beau que j'ai eu, c'est un gars qui a été pendu, en fait,
03:22 par sa femme et par l'amant de sa femme.
03:24 Et je l'ai découvert parce qu'il avait passé la corde autour d'un tuyau
03:28 qui était enveloppé dans du plâtre, de façon à l'isoler.
03:31 C'était à la cave, et la corde présentait du plâtre
03:34 sur à peu près toute sa longueur, qui allait jusqu'au sol.
03:36 La tâche était faite par terre.
03:38 On remonte autour de ce tuyau, et le corps pendait là.
03:43 130 kg, la femme faisait 60 kg.
03:45 Elle n'a pas pu le hisser toute seule, donc elle avait un complice.
03:48 Et en plus, le nœud qui permettait, le nœud coulant,
03:52 était d'une structure particulière qui fait penser à battelier.
03:55 Et son amant était battelier.
03:56 - Ah.
03:57 - C'était parfait.
03:58 - Vous n'étudiez pas que les corps, du coup ?
03:59 - Ah non, non, on doit tout regarder.
04:01 On ne fait pas ça tout seul non plus.
04:02 Il y a plein de gens autour de nous qui font partie
04:04 de ce qu'on appelle la police scientifique,
04:06 qui sont des experts en nœuds, en fibres, en sang,
04:10 en à peu près tout.
04:11 On a des experts en tout, qui nous permettent d'avancer
04:13 au plus loin dans un dossier.
04:14 - Vous dites que vous n'êtes pas connu.
04:16 Moi, j'ai le sentiment, au contraire, que votre métier fascine.
04:18 Et comment vous l'expliquez, cette fascination ?
04:21 - Je crois que les gens ont peur de la mort.
04:23 Tout le monde a peur de mourir.
04:24 Et la mort fascine, comme le meurtre fascine,
04:27 comme les enquêtes policières ont toujours fasciné,
04:29 comme on produit des séries policières en haut, tu en vois là,
04:31 qui fascinent.
04:32 Tout ça, c'est un système de fascination.
04:34 Donc mon métier, c'est vrai, fascine,
04:36 mais en même temps, on ne nous donne pas les moyens,
04:38 en Belgique en tout cas, en France, je ne sais pas,
04:40 mais en Belgique en tout cas, de le réaliser de la façon
04:42 la plus optimale qu'il soit.
04:43 - Qu'est-ce qui vous manque alors comme moyens ?
04:45 - Des moyens, des moyens financiers d'abord.
04:47 C'est la seule profession en Belgique,
04:49 la seule spécialisation en médecine,
04:52 que l'on peut exercer qu'une autre spécialité
04:54 de façon à pouvoir gagner sa vie.
04:56 Parce que tout le monde sait que comme c'est un geste,
04:57 on ne le gagne pas.
04:58 Donc c'est déjà un problème, c'est déjà quelque part un arrêt.
05:01 Donc il nous faut du financement.
05:02 Et d'autre part, les gens qui entrent en médecine égale,
05:05 on est tellement peu nombreux, sont surchargés de travail
05:08 et finissent par partir parce que c'est une vie qui est impossible.
05:11 - Comment vous êtes devenu, vous, médecin légiste ?
05:13 On imagine que ce n'était pas forcément votre rêve d'enfant.
05:15 - Non, mon rêve d'enfant, c'est d'être policier,
05:17 comme à peu près tous les petits garçons, je crois,
05:18 policier, pompier, etc.
05:20 Donc moi, je voulais être prêtre,
05:21 et j'avais rencontré l'évêque de mon diocèse
05:24 qui m'a dit "écoute, avant d'entrer en prêtrese,
05:26 tu devrais d'abord aller faire des candidatures,
05:28 ce qui correspond au baccalauréat, où tu veux.
05:31 Et j'hésitais entre le droit et la médecine,
05:33 et c'est tout à fait par hasard que j'ai fait la médecine.
05:36 En fait, c'était des étudiants qui nous inscrivaient
05:38 à l'époque des dinosaures, où il n'y avait pas encore les ordinateurs,
05:40 on inscrivait par le papier.
05:42 Et il y avait un étudiant qui inscrivait en droit,
05:44 une étudiante qui inscrivait en médecine.
05:45 Et moi, j'hésitais depuis une heure.
05:47 Et puis, c'est eux qui venaient en disant
05:49 "quelqu'un pour le droit, quelqu'un pour la médecine".
05:51 Et au bout d'une heure, je me suis dit "allez, si je reviens demain,
05:53 je serai dans la même situation, tant pis, j'y vais,
05:55 le prochain qui viendra en médecine".
05:57 Ils sont arrivés en même temps, et le gars qui inscrivait
05:59 pour le droit, très poli, a laissé passer la fille
06:01 qui inscrivait pour la médecine. J'ai fait la médecine.
06:03 - Voilà, à quoi ça tient, finalement.
06:05 - Ça ne tient pas à grand-chose.
06:06 - Pas à grand-chose, et une carrière de 30 ans
06:08 de médecin légiste, il nous reste vraiment quelques secondes.
06:10 Peut-être le cas qui vous reste le plus choquant,
06:12 qui vous a le plus marqué ?
06:13 - Le cas le plus choquant, c'est l'écart d'enfant,
06:15 mais ça, je n'en parlerai pas.
06:16 Mais sinon, un cas extraordinaire, c'est le gars
06:19 qui a voulu se suicider avec l'arme à feu, une arme à feu,
06:21 et qui a les bras un peu trop courts,
06:23 c'était une carabine, et il avait les bras un peu trop courts
06:26 pour toucher la détente, et il était obligé
06:28 de la mettre de travers. Résultat, alors qu'il visait
06:30 le coeur en la mettant de travers, il a raté son coeur,
06:32 il a tiré 14 fois pour arriver, finalement, à mourir.
06:36 - Oh là là, c'est atroce, ça.
06:37 - Ah oui, c'est atroce, mais les histoires sont atroces.
06:39 C'est la façon de les raconter qui les rend agréables.
06:41 - Et vous les racontez très bien.
06:42 - Je vous remercie.
06:43 - "Entretien avec un cadavre et les morts ont la parole",
06:46 deux livres aux éditions, Kénes, qui racontent
06:49 votre métier de médecin légiste.
06:51 Merci beaucoup d'être venu nous en parler.
06:53 [Musique]

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