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Art et designTranscription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis d'Occulture.
00:05 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoir.
00:09 Place à la rencontre.
00:12 Aujourd'hui, notre invité est réalisateur.
00:14 L'Empire, son 13e long métrage, sort sur les écrans mercredi prochain.
00:18 Son histoire, la guerre des étoiles chez les Ch'tis.
00:21 Soit le bien face au mal, soit l'origine du monde et sa destruction possible,
00:26 soit le mystère de l'amour qui surgit, le tout sur la côte d'Opal et armé de sabres lasers.
00:31 Vous l'aurez compris, bien, mal, monde, amour, et j'y mets des majuscules.
00:36 Il s'agit ici de revenir au principe premier, au mythe fondateur, mais version contemporaine et terrestre.
00:42 Que se passe-t-il quand cela se mélange aux humains, quand ils débarquent dans la caverne ?
00:46 Qu'arrive-t-il quand sur une plage du Pas-de-Calais, des Jedi se confondent à la réalité,
00:51 forcément plus confuse, forcément plus obscure ?
00:54 - Bonjour Bruno Dumont. - Bonjour.
00:56 - Bienvenue dans les Médias de Culture.
00:58 - Bruno Dumont, pourquoi avoir eu recours à la guerre des étoiles pour évoquer la question du bien et du mal ?
01:05 Et pas autre chose, pas une autre histoire.
01:08 - Justement, je voulais affronter le bien et le mal de Visu, les voir vraiment.
01:15 Sur Terre, c'est un peu compliqué parce que tout ça, c'est entremêlé, c'est souvent caché.
01:23 On voit bien que ça existe, que c'est présent, mais je voulais justement rentrer plutôt dans les mythes,
01:31 c'est-à-dire là où on voit les représentations et les incarnations des grandes entités, notamment morales.
01:39 Donc voir le bien, voir le mal, et comprendre la raison pour laquelle ces deux entités sont venues sur Terre
01:48 et pourquoi elles se sont emmêlées et pourquoi on est aussi bon que mauvais.
01:52 - Donc c'est pas juste une blague, c'est pas juste pour le plaisir d'un putsch de dire "Star Wars, Bruno Dumont" ?
01:59 - Non, c'est sérieux. J'avais fait un premier film qui s'appelait "La vie de Jésus" et dont le héros s'appelait Freddy,
02:06 qui était un gars mauvais. - Il tue quelqu'un, il tue un arabe, il est raciste.
02:13 - Il est très très méchant. Donc ça m'a toujours entêté de comprendre pourquoi.
02:19 Et donc l'idée de remonter dans une histoire fabuleuse pour expliquer pourquoi Freddy est comme il est,
02:29 et pourquoi nous sommes comme ça, tous, à peu près pareil mais un peu différent quand même,
02:38 donc j'ai voulu raconter un récit fabuleux et en même temps aller au cinéma, spectaculaire, avec des effets spéciaux,
02:47 un truc très très divertissant en fait. - Vous assumez ça, vous vouliez faire du divertissement sur une question extrêmement sérieuse.
02:57 - Moi j'aime bien que le sérieux soit divertissant, j'aime bien poser des questions,
03:02 mais je pense pas que les questions sérieuses sont forcément emmerdantes.
03:07 On peut aussi poser des questions sérieuses et s'amuser.
03:11 - Etant son proche. - Sire, voici enfin parmi nous. - Ne tardons pas.
03:18 - Nous livrons bataille pour la cause dont vous êtes la souveraine. Ici, sur la terre.
03:25 - Vous avez pas vu un ovni ? - Un quoi ? - Un ovni.
03:30 - Les humains sont attachants. C'est pour cela que nous allons envahir la terre toute entière.
03:37 - Le prince d'Etenef doit être enlevé de la surface de la terre. - Celui qui touche un mot serait dit.
03:41 - Il y a deux cas de sa gueule. - L'entreprise est vouée à l'échec.
03:46 - La gendarmerie, ils sont de coups. - Mais les humains, Johnny, ils sont nuls.
03:51 - Faites attention à ce que vous dites, vous vous adressez quand même à la gendarmerie nationale. - So what ?
03:56 - Les forces adverses sont redoutables. - Même si on est ennemis, t'es vraiment belle.
04:00 - Tu veux que je te la dégage ?
04:02 - Si on a la force, on a la sagesse.
04:06 - T'as pas peur du démon, toi ? - J'ai surtout pas peur des hommes.
04:10 - C'est quoi ça ? - C'est une belle bande de losers. - C'est peu de le dire.
04:16 - Ils vont s'en prendre plein la gueule.
04:18 - À la bataille !
04:23 - Les cadeliers, mon empire !
04:29 - Bon, allez, ouvre la voiture.
04:33 - Ouais, la voiture qui a parti.
04:36 - Voilà pour la bande-annonce de votre 13e film, Bruno Dumont.
04:41 Il sort en salle mercredi prochain, le 21 février.
04:44 Il s'appelle "L'Empire".
04:46 Dans votre film, j'en dis le synopsis, plus que "La guerre des étoiles" chez les Ch'tis.
04:51 J'approfondis un petit peu.
04:53 Il y a d'un côté "La Reine" interprétée par Camille Cotin, côté bien.
04:57 Il y a de l'autre "Belles et Buttes" interprétée par Fabrice Lucchini.
05:01 Chacun a ses disciples sur terre.
05:03 Jane du côté du bien, Johnny de l'autre.
05:06 Avec en jeu le Marga, fils de Johnny.
05:09 Le Marga, c'est un bébé qui serait du côté du mal.
05:14 L'enjeu est de tuer ce Marga pour supprimer le mal et faire régner le bien.
05:20 Si je vous ai bien comprise, Bruno Dumont,
05:22 cette film étant la présuite de la vie de Jésus,
05:27 le Marga, c'est Freddy en fait.
05:29 Le bébé, c'est Freddy plus tard.
05:31 - C'est la boucle est faite.
05:33 - Pourquoi vous étiez hanté par votre premier film comme ça ?
05:36 Vous voulez à tout prix situer la fondation de ce premier film ?
05:41 - C'est mon premier film, c'est quand même important.
05:46 Il a toujours été ou pas bien compris, ou critiqué.
05:50 Comment on peut héroïser un mec mauvais ?
05:54 Déjà, quand on me disait "mais c'est qui ce gars ?"
05:57 Je pense que c'est la vocation du cinéma et de l'art en général d'aller titiller le mal.
06:04 Je pense que c'est bien de le faire, mais je vois bien que c'est compliqué.
06:09 Un héros de cinéma, c'est souvent un modèle.
06:14 Freddy pose problème en fait.
06:16 C'est un garçon qui pose problème au cinéma, puisque c'est un héros de cinéma.
06:20 - Et qui vous pose problème à vous aussi, puisque vous voulez presque...
06:23 - Non, mais ça me pose problème.
06:25 Le mal me pose problème, mais il faut bien le résoudre.
06:28 Je pense que le cinéma est là pour ça.
06:31 Mais en même temps, dans l'histoire du cinéma, il y a beaucoup de héros mauvais.
06:34 Et dans le théâtre, je ne vous le dis pas.
06:37 - Mais le cinéma n'est pas là pour résoudre la question du bien ou du mal,
06:39 il est là pour poser la question du bien ou du mal.
06:41 - Non, il est là pour purger.
06:43 - Ah ouais ?
06:44 - Ah bah, comment ?
06:46 Aristote... Non, c'est la fonction de l'art.
06:49 La poétique, c'est justement de faire un travail purgatif
06:53 et de nous soulager de toute cette inhumanité que nous avons en nous.
06:57 Et donc, c'est ça l'art.
06:59 Il ne faut surtout pas empêcher l'art, le théâtre, le cinéma, la littérature,
07:05 de faire ce travail-là.
07:07 Ce n'est pas du divertissement du tout.
07:10 Ce n'est pas fait pour rigoler.
07:12 Je pense que c'est très important dans la civilisation.
07:17 Ça fabrique de l'humain.
07:20 - Donc, le cinéma est là pour... Je comprends ce que vous dites.
07:23 C'est la catharsise, de montrer, de représenter les émotions pour s'en purger.
07:29 - Mais c'est Victor Hugo, c'est tout l'art.
07:32 Il y a tous les grands auteurs le disent depuis Saufok, le Réveillon...
07:36 - Mais ça ne résout pas pour autant le problème de la question du mal.
07:39 C'est-à-dire la question de pourquoi il y a du mal.
07:42 - Ah bah ça, j'en sais rien.
07:43 - Ça, je ne vous pose pas la question.
07:45 Je vous dis que le cinéma ne pose cette question-là, mais il ne répond pas.
07:48 - Non, mais d'abord, on ne peut pas répondre à tout.
07:50 La nature est là, des forces sont là.
07:53 Il y a des forces contraires qui sont là.
07:55 Je ne sais pas pourquoi.
07:57 Donc, on les voit venir dans le film.
07:59 On voit qu'il y a des forces.
08:00 On voit que ces forces bataillent.
08:03 Et on voit qu'il y a une force particulière qui s'appelle l'amour,
08:07 qui contrecarre tout.
08:08 C'est-à-dire qui pose des problèmes au bien et au mal.
08:11 Mais pourquoi ? Fichtre, je n'en sais rien.
08:15 - Pourquoi avoir voulu remonter non pas à cette question du bien et du mal, Bruno Dumont,
08:19 ou comprendre votre premier film, "La vie de Jésus", avec celui-ci,
08:23 mais être presque revenu à une dimension très épurée ?
08:28 Une histoire très simple, en fait.
08:30 Un mythe où là, clairement, le mal s'ébelle et bute.
08:34 Il y a Johnny, et puis de l'autre, il y a Camille Cotin et il y a Jane.
08:39 Pourquoi autant d'épures dans un monde qui est, comme vous l'avez dit, si impur ?
08:42 - Parce que le monde terrestre est un monde qui n'est pas épuré,
08:46 qui est un monde complexe.
08:47 Mais par contre, le monde des idées est un monde, c'est ce qu'on appelle l'éther, c'est Platon.
08:52 C'est-à-dire que les idées sont pures.
08:54 Il y a le bien, le mal, le beau, le juste, l'injuste.
08:58 Et tous les mythes, tous les récits fabuleux racontent des histoires entre les dieux
09:03 qui s'entremêlent, qui s'opposent, qui luttent.
09:08 Mais en fait, tout ça, c'est l'intérieur de nous.
09:10 Donc c'est une façon fabuleuse de représenter
09:13 toutes les batailles intestines qui se font dans notre cœur
09:17 et dont nous sommes les sujets, en fait.
09:20 - Est-ce que, si je vous pose la question de "vous aviez un message à délivrer",
09:25 vous allez me dire "non, sûrement pas".
09:27 - Je vais vous dire non.
09:28 - Loin de moi, cette idée-là. Je ne fais pas des filmathèses et je n'ai pas de message politique.
09:32 Vous avez quand même l'idée de rappeler la présence du bien et du mal
09:35 et aussi quand même de dire "ce bien et ce mal ne sont pas des entités pures,
09:39 nous sommes ici dans la caverne, enracinés".
09:43 Est-ce que c'est un film anti-platonistien, anti-mythe de la caverne, en fait ?
09:47 - Non, mais il n'y a rien de pur ici-bas.
09:49 Il n'y a rien de pur. Tout est impur, tout est mêlé, tout est entremêlé, tout est caché.
09:54 Mais on voit quand même qu'il y a des choses belles.
09:57 On voit qu'il y a de l'amour, on voit qu'il y a de la grâce, on voit ça partout.
10:01 Et en même temps, on voit qu'il y a de la disgrâce et qu'il y a du mal.
10:06 On voit le mal partout, tous les jours et ça ne s'arrête jamais.
10:10 Il y a quand même quelque chose qui est là, qui ne progresse absolument pas.
10:15 Donc on a beau avoir des téléphones portables, il y a quelque chose qui ne bouge pas.
10:19 C'est le bien et le mal.
10:21 C'est ce qu'on appelle la nature humaine.
10:24 Et moi, ça me passionne, cette nature humaine,
10:27 parce qu'elle n'a pas grand-chose à faire justement de la modernité.
10:33 - Donc le cinéma serait un moyen de connaître ou de montrer cette nature humaine ?
10:39 - Je pense que le cinéma, c'est une optique.
10:42 C'est un moyen d'exploration extraordinaire qui n'est pas intellectuel.
10:46 Ça, c'est bien parce que ça empêche de trop réfléchir.
10:51 Moi, je filme des gens qui se mettent en branle dans une histoire.
10:55 Et puis je regarde, je n'ai pas d'idée tellement...
10:58 Vous savez, je les laisse un peu faire d'ailleurs.
11:00 Et je les filme pour voir comment ça se passe.
11:02 - Vous aviez quand même une idée ?
11:04 - Un petit peu, j'ai une petite idée, mais pas tant que ça.
11:09 - Que vous laissiez faire les acteurs, c'est une chose, mais...
11:11 - Les acteurs ont une partie prépondérante.
11:14 - Mais vous saviez ce que vous vouliez faire ?
11:16 - Non, mais non, je ne sais pas.
11:18 L'acteur, il finit.
11:20 C'est-à-dire, quand je dis à un acteur, tu vas vers lui, tu vas vers elle, tu lui dis ça,
11:25 c'est lui ou elle qui interprète.
11:28 Bon, alors je filme. Après, je vois bien l'intensité qu'il peut avoir.
11:32 Après, on fait des prises en donnant peut-être des couleurs, etc.
11:36 Donc c'est vraiment une...
11:38 C'est assez compliqué en fait.
11:40 C'est pas des marionnettes comme ça que je tiens et je tire sur un fil, etc.
11:45 Un acteur, c'est très récalcitrant d'abord.
11:48 Ils sont récalcitrants.
11:50 Il y a des choses qu'ils font.
11:51 - Ce n'est pas des exécutants, quoi ?
11:52 - Non, non, non. Il y a des choses qu'ils ne veulent pas faire, des choses qu'ils ne peuvent pas faire.
11:55 Parce que moi, je suis des acteurs qui ne peuvent pas courir.
11:58 Je vais lui dire "tu cours".
12:00 Je dis "non, je ne peux pas, j'ai un empêchement".
12:02 Donc on fait autrement.
12:03 Mais ce n'est jamais un problème.
12:05 C'est-à-dire que très bien, tu ne cours pas.
12:07 - On va revenir sur ça, votre rapport à...
12:11 Voilà, comment vous créez sur justement le jeu des acteurs.
12:14 Mais j'aimerais en finir avec cette question du bien et du mal avec vous, Bruno Dumont.
12:19 Et notamment, en fait, vous l'avez dit, on l'a compris.
12:22 Il n'y a pas d'entité pure, on n'est pas dans le monde de Platon, dans le monde des idées.
12:26 On est dans un monde où tout est mélangé.
12:29 Et ça revient régulièrement dans ce film, "L'Empire".
12:32 On l'a entendu dans la bande-annonce.
12:33 Les humains sont nuls, en même temps ils sont attachants.
12:36 En fait, vous faites presque un éloge de la médiocrité.
12:39 - Ah non, non, non, non, non.
12:41 Mais en même temps, ils ont la grâce.
12:43 Ils ont la possibilité d'être nuls et ils ont la possibilité d'être géniaux.
12:48 - Quand j'en dis médiocrité, c'est d'être entre les deux.
12:50 - D'abord, quand on dit "les humains sont nuls", ce sont les chevaliers du margas,
12:55 c'est-à-dire les chevaliers diaboliques, qui disent ça.
12:58 Ils méprisent les hommes.
13:01 Donc ils sont nuls, c'est le mal qui dit ça.
13:03 Mais le bien pense qu'au contraire, que l'humanité est absolument resplendissante.
13:08 - Camille Cottin dit "ils sont attachants".
13:10 - Voilà.
13:11 Non, non, mais moi j'ai une vision assez ouverte de l'humanité.
13:15 Je pense qu'il y a le meilleur et le pire.
13:17 Vraiment, le meilleur et le pire.
13:19 - Alors vous ne trouvez pas que le risque, c'est qu'on soit toujours entre deux ?
13:24 - Ce n'est pas le risque, c'est la liberté.
13:26 Notre liberté fait qu'on est entre deux et ça vous le choisir.
13:29 Nous savons ce qu'il faut faire et nous ne le faisons pas.
13:34 On sait très bien ce que c'est le bien.
13:36 Pourquoi on ne le fait pas ?
13:37 Parce qu'on est traversé par des passions.
13:40 Mais on sait très bien ce qu'il faut faire.
13:42 - Ça dépend, il y a quand même plein de dilemmes.
13:44 - Oui, c'est ça le dilemme.
13:46 C'est justement ces deux forces qui viennent et qui vous versent à faire ce que vous devriez faire.
13:56 - Mais par exemple...
13:57 - Pourquoi quand c'est limité à 90, vous roulez à 130 ?
14:01 - Mais non, mais ça c'est trop simple comme exemple Bruno Dumont.
14:04 - C'est comme ça.
14:05 - Mais non, vous avez été prof de philo, vous connaissez le dilemme du tramway.
14:08 - Non.
14:09 - Alors, on est dans un tramway, vous avez le choix en fait,
14:13 soit de continuer à rouler sur le même chemin
14:17 et vous prenez le risque de tuer une mère et son enfant qui passent à ce moment-là.
14:21 - Oui.
14:22 - Mais vous avez aussi le choix en fait de détourner le tramway,
14:25 donc de sauver cette femme et son enfant,
14:27 mais vous êtes détourné et vous tuez 5 ouvriers.
14:31 - Pfff, quel dilemme !
14:33 - Bah oui, mais c'est un vrai dilemme, là.
14:35 La question du bien animal elle-même est mélangée.
14:38 - Oui, mais je pense qu'on n'est jamais dans des conditions pareilles.
14:40 Ça ne se pose pas.
14:41 Et puis on n'a pas la connaissance de l'avenir,
14:43 donc on ne sait pas qu'il va y avoir un accident.
14:45 Si on le savait, on ne prendrait jamais sa voiture.
14:49 Évidemment.
14:50 Quand on prend sa voiture, on ne sait pas qu'il va se passer quelque chose.
14:53 Donc il y a quand même une ignorance qui nous sauve.
14:56 Heureusement qu'on ne sait pas.
14:58 - Mais au jour le jour, on négocie tellement de mini-choses.
15:01 - Oui, mais on négocie des choses.
15:03 On peut faire des choix sur ce que l'on connaît,
15:06 mais on ne choisit pas ce qu'on ne connaît pas.
15:08 Si vous avez une maladie, etc., vous ne le savez pas.
15:10 Vous ne pouvez pas le savoir.
15:12 Si vous prenez votre voiture et que vous allez faire un AVC, vous le savez.
15:15 Non, vous ne le savez pas.
15:17 Donc il ne faut pas non plus...
15:19 Il faut aussi être bienveillant avec la nature humaine.
15:22 On n'est pas en hyper contrôle tout le temps.
15:24 On sait tout le temps ce qu'on fait.
15:26 On est toujours maître de ce qu'on fait.
15:28 Non, il y a quand même des impondérables.
15:30 Il y a des choses adverses.
15:31 Il y a une autre voiture qui arrive en face.
15:33 - Donc on connaît le bien, mais les passions, l'ignorance,
15:38 fait qu'on ne peut pas accomplir le bien.
15:42 - Sur Terre, nous sommes brouillés.
15:44 C'est-à-dire que ce n'est pas clair.
15:45 L'humanité n'est pas claire.
15:47 Il y a des chercheurs, il y a des savants, il y a des écrivains,
15:50 il y a des illuminés.
15:51 Ah si, il y a des gens qui sont illuminés et qui savent le bien.
15:54 Voilà.
15:55 Qui disent que le bien, c'est ça.
15:56 Le mal, c'est ça.
15:57 Il ne faut pas faire ceci.
15:58 Il ne faut pas faire cela.
16:00 Ceux-là, je ne sais pas où ils ont vu la vérité,
16:02 mais cette vérité-là, moi, je ne la connais pas.
16:05 - Dans votre film, il y a une dimension complètement irréelle
16:08 parce que justement, il y a du Star Wars dans ce film.
16:12 Il y a une cathédrale qui est transformée en vaisseau spatial.
16:18 Il y a des sabres lasers.
16:19 Des têtes sont découpées avec ces sabres lasers.
16:24 Tout à coup, les gens sont pris presque de posture mécanique
16:29 et prêtent allégeance au mal ou au bien.
16:34 On voit bien qu'il y a une intrusion de l'irréel.
16:37 En quoi cet irréel-là vous permettait de soutenir cette vérité ?
16:41 Permettait de dégager cette vérité-là de le bien
16:44 et trop embrouillé pour l'atteindre tel quel ?
16:46 - D'essayer de façon amusante de rendre visible ce bien et ce mal
16:52 dont nous parlons, qui n'est pas visible.
16:54 Voilà.
16:55 Donc, vous avez des chevaliers qui arrivent sur Terre
16:57 et qui, effectivement, tentent de prendre possession des humains.
17:02 C'est pour ça que la plupart des personnages du film sont à moitié humains.
17:06 Ils ne sont même plus humains.
17:07 Ils sont en train de devenir infernaux,
17:11 de devenir des anges ou de devenir des gens bien.
17:14 Mais ce n'est pas très loin de la vérité.
17:17 C'est un peu ce qui se passe.
17:19 Il y a des gens très mauvais.
17:21 Il y a des gens qui décident de rentrer en guerre,
17:26 de tuer des populaces.
17:28 Vous voyez, l'irréel répond à la question.
17:30 Mais c'est toujours des chevaliers.
17:31 Il y a toujours des gens qui pensent qu'il faut détruire l'autre.
17:35 Mais c'est comme si depuis la nuit des temps, c'est comme ça.
17:38 Il y a des gens qui pensent ça.
17:40 Il faut tuer.
17:42 Ne me demandez pas pourquoi.
17:44 - Je ne vais pas vous poser la question.
17:45 - Non, mais je n'en sais rien.
17:46 Je le vois.
17:47 Je vois qu'il y a un désir suprême.
17:50 - Pourquoi l'avoir fait passer à travers des moyens irréels
17:54 si justement, au quotidien, c'est ce qu'on voit ?
17:57 - Oui, mais je pense qu'il y a des moyens.
17:59 Il y a ce qu'on appelle la civilisation.
18:02 On peut s'humaniser par la civilisation, par la culture, par l'art.
18:08 Mais il faut régénérer ça tout le temps.
18:11 Toutes les générations, il faut leur redonner une dose.
18:14 C'est pour ça que le progrès n'existe pas.
18:17 - Il faut leur redonner quoi ?
18:18 Une dose de mythe avec un rappel ?
18:21 - Ce sont des sauvages.
18:22 Il faut les réhumaniser par la culture, par l'art.
18:25 - Vous faites un travail de réhumanisation.
18:27 - Oui, c'est le travail de la culture.
18:29 Les petits enfants qui arrivent sur Terre, c'est comme l'enfant sauvage.
18:34 Ils sont très gentils, ils sont très beaux.
18:36 Mais en même temps, on sait qu'ils ont une puissance aussi à faire le contraire.
18:40 Donc, il faut les éduquer.
18:41 - Pour autant, est-ce que vous diriez que vous proposez à un cinéma, Bruno Dumont,
18:45 qui soit pédagogique ?
18:47 - Il y a quelque chose de pédagogique, mais il ne faut pas que ce soit embêtant.
18:50 - Didactique ou scolaire ?
18:52 Comme quand vous étiez prof ?
18:54 - Je ne suis pas didactique.
18:56 Pourtant, j'étais prof.
18:58 - Vous étiez un bon prof, d'ailleurs ?
19:00 - J'étais prof, oui.
19:01 - Mais un bon ?
19:02 - Ce n'est pas à moi de le dire, Madame.
19:05 Je ne sais pas.
19:07 - Moi, j'essaie toujours, voyez-vous, et c'est peut-être là mon problème.
19:11 J'essaie de ne pas fabriquer un film en me disant, voilà, je vais vous faire rire.
19:18 Je me dis, avez-vous le temps de venir derrière moi avec cette caméra ?
19:27 Et moi, voyez-vous, ce qui me fait rire, c'est ça.
19:31 Peut-être que ça va vous faire rire aussi.
19:34 Alors, ceux qui participent à cette invitation n'attendent pas autre chose.
19:40 Ceux qui ont l'habitude de dire, voilà, moi, je suis dans les films où l'on vient en disant,
19:45 moi, je suis le petit rigolo de la soirée, rassurez-vous, je vais être très drôle.
19:50 Ceux que l'on fait aujourd'hui et qui font partie un peu d'un plan publicitaire.
19:54 - Si vous ne l'aviez pas reconnu, Bruno Dumont, cette musique vous y est.
20:10 - Oui, c'était le réalisateur Jacques Tati, bien sûr, dans Radioscopie sur France Inter en 1974.
20:15 - Est-ce que Jacques Tati fait partie des réalisateurs dont vous avez le plus regardé les films ?
20:21 - Tout à fait. Quand j'étais étudiant, il y avait un ciné-club et c'est là où j'ai découvert Tati.
20:27 J'ai dû voir mon oncle à peu près 20 fois, 30 fois.
20:31 J'adorais, c'était vraiment un univers.
20:34 C'est vraiment du cinéma tel qu'on vient d'en parler.
20:37 C'est réel mais en même temps c'est irréel.
20:40 Cette espèce de mélange des deux, c'est un enchantement.
20:43 C'est toute la poésie.
20:45 Les humains ne sont pas nuls.
20:49 Regardez, on a Jacques Tati. Jacques Tati n'est pas nul.
20:52 Voilà un bon exemple de génie, si vous voulez qu'on donne le mot à un cinéaste.
20:58 - Et puis Jacques Tati est drôle. Vraiment très drôle.
21:02 Et vous aussi Bruno Dumont, vous êtes drôle.
21:04 - Oui, super. Et puis Tati est drôle parce qu'il est fin.
21:07 C'est très fin ce qu'il fait.
21:09 Il y a une bande-son qui marche dans un sens, une image qui va de l'autre côté.
21:13 C'est très brillant.
21:15 C'est un comique très intelligent, je trouve, Tati.
21:19 - Est-ce que c'est vraiment mon oncle que vous préférez comme film de lui ?
21:23 Parce qu'il en a fait très peu, il en a fait 6 ou 7 de films Jacques Tati.
21:26 Il y a des films qui sont plus critiques.
21:29 - Oui, non, j'aime peut-être moins les derniers qui ne sont pas forcément les plus critiques.
21:33 - Oui, voilà, mais j'aime bien Monsieur Hulot, tout ça.
21:37 Vraiment, je suis partant.
21:39 - Est-ce que vous êtes d'accord pour dire, Bruno Dumont, que vous avez choisi le rire
21:44 en cours de filmographie, en cours de parcours ?
21:48 - Ce n'était pas prévu.
21:50 Quand j'ai fait Camille Claudel avec Juliette Binoche, on était...
21:56 - Qui est pas un film drôle.
21:58 - Voilà, justement. C'est comme ça.
22:00 On est allé en campagne à un moment donné, et c'est Juliette qui a eu un fou rire
22:04 dans un moment qui ne s'y prêtait pas.
22:07 Et je me suis dit, mais il y a forcément une voix.
22:12 Le tragique, il n'est pas fermé au canal comique.
22:18 Et je me suis aperçu qu'en fait, c'est un curseur.
22:20 C'est pour ça qu'on parle souvent trop bonne à coulisses.
22:23 La coulisse bouge.
22:25 Donc si vous saturez le tragique, vous tombez dans le comique.
22:28 En fait, ça monte et ça descend.
22:30 Et pour moi, cette découverte a été une révélation.
22:33 C'est-à-dire que ça ouvre un champ à la fois d'une possibilité
22:37 d'aller dans le pur tragique, parce que j'adore le tragique,
22:41 mais le comique est juste à côté.
22:44 Et ça crée un trouble. C'est très troublant.
22:47 Surtout dans Camille Claudel, on avait fait avec les patientes
22:55 une petite représentation théâtrale de Don Juan.
22:59 C'était drôle, et ce n'est pas drôle non plus.
23:02 On n'avait pas envie de rire.
23:04 - Mais on la voit esquisser un sourire et puis se refermer tout de suite.
23:09 - Tout à fait.
23:10 Donc ça, c'est un bon exemple.
23:12 C'est-à-dire que le fou fait rire et ne fait pas rire.
23:14 Et c'est très troublant.
23:16 - Donc si je vous suis bien, Bruno Dumont,
23:18 il n'y a pas d'un côté le comique, de l'autre côté le tragique.
23:21 Il faut aller jusqu'au bout du tragique pour trouver le comique.
23:27 Donc en fait, on ne pourrait pas dire que tout à coup, il y a eu une bascule chez vous,
23:30 où tout à coup, vous vous êtes dit, avec le petit quinquin et après Camille Claudel,
23:36 il y a 10 ans, en 2014, que vous alliez devenir drôle.
23:40 Vous vous êtes dit "je vais être encore plus tragique".
23:43 - Oui, voilà. Je m'aperçois quand même que mon cinéma, c'est un peu des inibés,
23:50 qu'il est prêt à la fantaisie.
23:52 Et je pense que c'est cette fantaisie qui a ouvert la vanne du comique,
23:56 qui était juste là.
23:57 Et aujourd'hui, j'y vais, j'y vais franchement.
23:59 Mais mon prochain film, ce ne sera pas drôle.
24:01 - Ce ne sera pas drôle du tout ?
24:03 - Du tout.
24:04 - Mais est-ce que vous avez eu l'impression aussi de vous ouvrir,
24:08 au moment où vous parliez de Juliette Binoche,
24:10 c'était votre premier film avec une actrice professionnelle.
24:13 Vous parliez de l'ouverture au rire.
24:15 - C'est vrai, pareil, tout à fait.
24:16 - Et donc, est-ce que vous pensez qu'en fait,
24:18 vous avez clairement embrassé à ce moment-là ce que vous disiez au début,
24:21 à savoir le divertissement, de vous dire
24:23 "maintenant, je ne veux plus faire forcément un cinéma trop servi".
24:26 - Non, mais j'avais une mauvaise expérience des acteurs professionnels,
24:29 quand j'ai commencé.
24:30 C'est-à-dire qu'ils me prenaient de haut.
24:34 Je n'aimais pas.
24:35 Je n'aimais pas leur contact.
24:36 C'était des gens que je trouvais méprisants, arrogants, hautains.
24:41 Donc, je suis très vite parti sur les non-professionnels.
24:45 Et tout d'un coup, avec Juliette d'ailleurs,
24:48 j'ai fait une rencontre et j'ai changé d'avis.
24:51 Mais je m'aperçois, quand je travaille avec Fabrice Fucchini,
24:56 avec les Assez-doux, etc.,
24:57 en fait, je travaille avec leur nature.
25:00 Je travaille comme avec des non-professionnels.
25:02 Donc, ce sont des gens comme les autres.
25:04 Et maintenant, j'ai grand plaisir à travailler avec eux.
25:07 Mais quand je mets en scène les Assez-doux,
25:11 en fait, c'est les Assez-doux comme c'est Brandon, Lavigne...
25:16 - Vous partez de ce que vous connaissez d'eux en vrai ?
25:18 - C'est-à-dire que je ne veux pas de leur...
25:20 - Vous ne voulez pas du jeu ?
25:21 - Voilà.
25:22 Mais Juliette n'aimait pas ça.
25:23 Elle n'aimait pas que je dise ça.
25:25 Parce qu'elle me dit "non, non, c'est mon métier".
25:28 - Parce qu'elle se sentait attaquée sur son jeu ?
25:30 - Non, oui, on se discutait.
25:33 Et moi, je dis "mais Camille Claudel, elle est en toi.
25:37 Moi, je vais faire Camille Claudel à partir de toi".
25:39 Et en discutant avec elle,
25:41 elle me dit "j'apprends qu'elle a le poster de Camille Claudel depuis son adolescence".
25:47 - Avec Adjani ? Le film avec Adjani ?
25:49 - Non, non, le vrai poster de Camille Claudel.
25:52 - Ah oui, d'accord, ok.
25:53 - Donc je lui dis "tu vois, Camille Claudel est en toi".
25:55 Et après, je l'ai dirigée à partir d'elle.
25:59 Mais elle était réticente, elle voulait toujours...
26:02 Mais voilà, elle a raison.
26:04 De toute façon, elle a raison de se défendre.
26:06 - Et qu'est-ce que vous n'aimez pas dans le jeu ?
26:08 - L'artifice.
26:10 - Mais là, dans l'Empire, il n'y a que de l'artifice.
26:12 - Oui, mais il y a de l'artifice dans les moyens que j'utilise.
26:15 Mais les acteurs sont très naturels.
26:17 Moi, j'aime bien le naturel.
26:19 Je n'aime pas que ça sente le théâtre.
26:21 - Mais par exemple, vous avez parlé à un moment donné
26:23 des chevaliers autour du...
26:26 - Du Marga.
26:27 - Voilà, du Marga, qui sont réunis à cheval autour de Johnny.
26:32 Et là, ils disent un texte
26:35 et vous avez gardé les moments où ils se reprennent,
26:39 les moments où ils hésitent.
26:41 - Voilà.
26:42 - Donc ça, ça pourrait presque montrer qu'il y a du jeu
26:45 puisqu'ils ont récité quelque chose.
26:47 - Oui, parce que dans la réalité,
26:49 il y a toujours des accidents,
26:51 il y a toujours du bruit,
26:52 il y a toujours des hauts, des bas.
26:54 Il n'y a que dans les purs que c'est bien.
26:57 On fait des... Voilà.
26:59 Moi, ça ne me dérange pas qu'un acteur coince.
27:03 Je trouve ça beau, même, qu'il coince.
27:06 Voilà, qu'il grippe un peu.
27:08 Moi, ça me touche.
27:09 Donc je laisse tourner la caméra et je peux monter ça.
27:13 Ça n'empêche pas que ce soit...
27:15 Je trouve que c'est beau.
27:18 - Et puis, dans cette même scène,
27:20 il faudra que les auditeurs et auditrices
27:22 aillent voir absolument votre film
27:23 pour voir de quelle scène je parle.
27:24 Mais donc à cette scène, effectivement,
27:26 où ils sont réunis,
27:27 où on entend qu'ils récitent un texte
27:29 avec tous les accidents que ça comprend de reprise.
27:32 Mais on voit aussi, en fait, que...
27:34 Là où vous êtes quand même peut-être attaché au jeu,
27:36 c'est qu'en fait, on voit qu'il rejoue
27:38 une scène qu'on ne cesse de jouer nous-mêmes.
27:40 C'est-à-dire un jeu, une place à occuper,
27:43 un rôle à jouer quand on est avec d'autres, face à d'autres.
27:46 Ça aussi, ça vous intéresse, par contre,
27:47 de révéler tout ce qui est simulacre ?
27:49 - On joue tous.
27:51 Moi, là, je joue au réalisateur.
27:52 Là, vous jouez à la journaliste.
27:54 On est tous en train de jouer.
27:55 On a tous un rôle social.
27:56 Et c'est du jeu.
27:58 En fait, c'est du jeu.
28:00 On est tous dans un petit théâtre.
28:02 - Et vous voulez...
28:03 Est-ce que c'est une manière de le critiquer, ça ?
28:06 Ou de dire, "Regardez, en fait, on est tous des pantins,
28:10 il y a l'écran."
28:11 - Mais non, mais pourquoi dire...
28:12 Non, mais pourquoi vous que ce soit des pantins ?
28:14 Quand je dis théâtre, c'est pas péjoratif.
28:16 Même si on joue, on joue.
28:18 C'est pas parce qu'on joue qu'on est des pantins.
28:20 Je pense qu'on a...
28:21 - Parce que pour vous, dans le jeu, il y a quelque chose de faux,
28:23 alors qu'on pourrait très bien dire que dans les rôles sociaux qu'on a,
28:25 on pourrait être...
28:26 - Mais on a la liberté.
28:27 Il y a surtout la liberté.
28:28 Il y a des fils, on est tenus par des fils,
28:30 parce qu'on a une nature, on a un corps,
28:32 on dépend de notre corps, on vieillit, etc.
28:34 Bien sûr qu'on peut pas voler.
28:36 Je voudrais bien voler, mais je peux pas voler.
28:38 Donc on a des ficelles, mais on a aussi une autonomie incroyable.
28:42 Donc moi, j'ai pas une vue...
28:44 Vraiment pas une vue des gens comme si tous les gens étaient
28:47 des espèces de marionnettes, etc.
28:50 Pas du tout, au contraire.
28:51 Je pense qu'on est libres,
28:53 et on a une responsabilité immense devant cette liberté qu'on a, justement.
28:57 On est responsable pour beaucoup.
28:59 Parce qu'on a cette liberté d'entreprendre, de dire, de faire.
29:03 Moi j'aime bien l'action.
29:05 On se définit dans l'action.
29:07 On est ce qu'on fait.
29:08 On est ce qu'on joue.
29:10 Alors on peut raconter tout ce qu'on veut.
29:12 Moi j'écoute souvent des gens qui disent ceci, cela, etc.
29:15 Des cinéastes qui disent "Moi j'adore Dreyer, Bergman, etc."
29:20 Mais quand on voit leur film, on se demande pourquoi ils disent ça,
29:22 parce que c'est absolument pas là.
29:23 Vous voyez ce que je veux dire ?
29:24 On est ce qu'on fait.
29:25 On peut avoir des modèles et échouer à...
29:27 Oui, d'accord.
29:28 Vous êtes dur.
29:30 Je suis exigeant, oui, peut-être.
29:32 Et vous avez raison sur l'action,
29:34 parce qu'il y a une grande partie aussi des scènes qui ne sont pas parlées, en fait, dans vos films.
29:38 Une grande partie de scènes qui ne sont pas parlées,
29:40 et qui sont dans l'action, où en fait on voit juste des gens qui...
29:43 Et puis je pense que le cinéma, il a une possibilité justement de ne pas dire,
29:47 et de montrer.
29:49 Mes acteurs sont souvent taiseux,
29:52 parce que justement, le paysage est là pour finir.
29:57 La caméra, elle peut se retourner,
29:59 elle peut montrer le paysage dans lequel le personnage est enchassé,
30:04 et ça en dit très long, par exemple, sur ce qu'il est en train de vivre.
30:08 Donc c'est quand même un art de l'image.
30:10 C'est pas un art de la vie.
30:12 Ou du discours en tout cas, ça c'est clair que c'est pas du discours.
30:14 Moi le cinéma réel, sociologique, tout ça, ça m'intéresse pas du tout.
30:19 On la voit très bien la vie.
30:21 Le cinéma, c'est pas la vie du tout.
30:23 Ça a l'air, c'est un peu grave.
30:25 - Mais attendez, vous me dites que c'est pas la vie,
30:26 vous me dites que ça parle du bien et du mal.
30:28 C'est ça la vie ?
30:29 - Mais c'est comme Tati, c'est-à-dire on recourt par une représentation,
30:33 pour représenter la vie.
30:34 De toute façon, on parle de la vie.
30:35 Moi je parle du présent, mais par des chemins de traverse.
30:39 Et si vous regardez bien, il manque des choses en fait.
30:42 Voilà, tout n'est pas fini, etc.
30:44 Donc il y a l'impression de réalité qui est forte,
30:46 parce que c'est des vrais paysages, c'est des vrais gens, etc.
30:50 N'oubliez pas que le cinéma, c'est faire du vrai avec du faux.
30:53 Tout est faux en fait.
30:55 - Dans un monde désacralisé comme le nôtre,
30:59 le sacré est surtout présent et actif dans les univers imaginaires.
31:06 Mais on commence à se rendre compte
31:09 que les expériences imaginaires sont constitutives de l'être humain
31:14 au même titre que ces expériences yournes.
31:18 Dans ce cas, la nostalgie pour les épreuves et les scénarios illicitiques,
31:24 nostalgie déchiffrée dans tant d'oeuvres littéraires et plastiques,
31:30 révèle le désir de l'homme moderne d'un renouvellement définitif et total,
31:36 d'une "renovatio" qui puisse transmuer l'existence.
31:41 - L'historien des religions et des mythes, Mircea Eliade,
31:45 c'était en 1979, Bruno Dumont.
31:48 - Est-ce que vous êtes d'accord avec ce que dit Mircea Eliade ?
31:51 Il dit deux choses dans cet archive.
31:52 Il dit d'abord que le sacré n'a pas disparu d'un monde pourtant désacralisé.
31:55 - Tout à fait. Moi j'ai beaucoup lu Mircea Eliade.
31:58 C'est lui qui m'a appris ce que c'était que le sacré
32:01 et notamment ce que c'était que le profane.
32:03 Et comment le profane, c'est le sacré.
32:06 - Alors dites-nous. Nous qui n'avons pas lu Mircea Eliade.
32:09 - C'est moi qui fais du cinéma, je peux vous dire que quand je filme un chant de pomme de terre,
32:13 une fois qu'il est filmé, ce n'est plus un chant de pomme de terre.
32:16 Voilà.
32:17 C'est comme les souliers de Van Gogh.
32:19 Quand vous regardez les souliers de Van Gogh, ce ne sont plus des souliers.
32:22 Ce sont des souliers qui sont transfigurés par la peinture de Van Gogh.
32:27 Le cinéma, il transfigure ce qu'il tourne.
32:31 Donc moi je suis toujours en train de transfigurer.
32:34 C'est pour ça que je peux filmer petit, parce que ça va être grand.
32:38 La caméra va transcender ce qu'elle filme.
32:43 Parce que je crois à ça, c'est une croyance en fait.
32:46 - On parle de sacré donc.
32:48 - Oui, ça veut dire que la dimension sacrée,
32:52 elle est contenue dans la réalité modeste et profane du commun.
32:56 C'est pour ça que quand j'ai fait "La vie de Jésus", j'ai appelé ce film "La vie de Jésus".
32:59 Je n'ai pas filmé Jésus, j'ai filmé un gars du Nord,
33:04 qui était là, qui est un homme ordinaire,
33:08 mais qui a été sacralisé par la caméra, d'autant plus qu'il était mauvais.
33:12 Et en plus, j'ai sacralisé le mal.
33:15 Vous voyez où ça va. Donc ça va très loin.
33:18 - Est-ce qu'il suffit de prendre une caméra pour transfigurer un champ de pommes de terre ?
33:24 Si moi je le fais.
33:26 - Pourquoi pas.
33:28 - Est-ce qu'il suffit de la caméra pour cette transformation ?
33:30 Non, il faut autre chose.
33:32 C'est un art de l'arrangement. Le cinéma, c'est l'art des plans.
33:35 C'est l'art d'associer un plan puis un autre.
33:38 En fait, c'est des combinaisons.
33:40 Donc il faut associer.
33:42 C'est-à-dire, il faut à la fois faire un plan de...
33:45 Moi, j'ai vu, il faut faire un plan,
33:47 après, il faut peut-être mettre un homme qui marche dans le champ.
33:51 Après, c'est ce que j'avais fait quand j'avais fait "L'humanité".
33:54 Peut-être qu'il faut filmer ses pieds.
33:56 Peut-être qu'il faut filmer la terre qui s'accroche à ses pieds.
33:59 - Comment on sait ça, justement ?
34:01 - Il faut monter plus haut pour voir son visage,
34:03 quand il marche sur la terre,
34:05 et que ses chaussures sont terreuses.
34:07 Donc c'est plutôt un art de la...
34:10 Oui, de la combinaison des plans entre eux.
34:13 Il faut que les plans soient heureux entre eux, en fait.
34:15 C'est comme des notes.
34:17 Vous associez des notes.
34:19 Il faut que ça sonne juste.
34:21 C'est comme un piano.
34:23 Vous pouvez faire des bons accords.
34:25 Et il y a des plans qui s'accordent bien.
34:27 Pourquoi ? Je ne sais pas.
34:29 - Comment on arrive à réaliser ça,
34:32 quand on est spectateur ou réalisateur,
34:35 que cet arrangement est le bon ?
34:38 Parce qu'il y en a plein qui prennent la caméra.
34:40 Enfin, il y en a plein. Il y en a !
34:42 - Mais d'abord, le cinéma, c'est la liberté.
34:44 Donc moi, je vous parle de mon travail.
34:46 On peut faire tout autrement.
34:47 Il y a tous les styles possibles, inimaginables.
34:49 - Et dès lors, on a du sacré.
34:50 Donc l'art est ici pour...
34:51 - Non, non, il y a des gens qui se foutent totalement du sacré.
34:53 - Oui !
34:54 - Non, non, c'est pas...
34:55 - Ça, c'est vous qui tenez, c'est ça.
34:56 - Oui, moi, ça m'intéresse.
34:57 Tous les cinéastes ne sont pas intéressés par ça.
35:00 On est libre.
35:01 Après, je pense que tout art, c'est l'art du spectateur.
35:04 C'est ce que disait Chaplin.
35:07 Un bon cinéaste, comme un bon boulanger...
35:09 C'est quoi un bon boulanger ?
35:10 Ce n'est pas tellement quelqu'un qui sait faire du pain.
35:13 C'est surtout quelqu'un qui connaît le goût des gens.
35:15 - Qui connaît la nature humaine.
35:16 On en revient là.
35:17 - Qui sait comment accorder la mie et la croûte
35:20 avec le palais de la personne qui va l'acheter.
35:24 Et moi, mon travail, c'est plutôt dans la connaissance du spectateur.
35:29 Mais donc, c'est la nature humaine.
35:31 Donc, je parie sur le spectateur.
35:33 Et je prends tous les risques.
35:36 Je ne cherche pas à lui faire coucou, etc.
35:40 J'ai toujours frappé par ce que disait Proust.
35:46 Il disait "J'écris pour moi".
35:48 J'écris pour moi.
35:50 C'est-à-dire qu'il pense que l'exigence qu'il a lui-même de l'écriture,
35:55 c'est un pari sur la nature humaine.
35:58 Donc, je n'écris pas pour vous, j'écris pour moi.
36:01 Et en écrivant pour moi, j'écris pour vous.
36:04 Mais sûrement mieux que ceux qui écrivent pour vous,
36:06 uniquement pour vous plaire.
36:08 C'est pour ça qu'on peut penser qu'on peut écrire pour soi,
36:11 qu'on peut filmer pour soi, et qu'en filmant pour soi,
36:13 finalement, il n'y a pas meilleure façon de filmer pour les autres.
36:17 On parlera dans une autre émission, Bruno Dumont,
36:20 de la deuxième chose que disait Mircea Eliade dans cet archive,
36:23 à savoir que ce sacralisé apparaissait à travers des scénarios initiatiques,
36:27 mais il me semble que c'est quand même le sujet de l'Empire.
36:30 Merci beaucoup Bruno Dumont.
36:31 Votre film "L'Empire" est à découvrir mercredi prochain dans les salles.
36:34 - C'est moi, merci beaucoup.
36:35 Nous parlions tout à l'heure de dilemmes, je ne sais pas si ça en sera un pour vous Bruno Dumont,
36:38 mais vous devez faire un choix entre deux chansons pour terminer cette émission.
36:41 Une chanson sur l'Empire ou une chanson sur le Nord.
36:44 Laquelle voulez-vous écouter ?
36:46 - L'Empire.
36:47 - Le Nord ?
36:48 - Oui.
36:50 - C'est une chanson sur l'Empire.
36:52 - C'est une chanson sur le Nord.
36:54 - C'est une chanson sur le Nord.
36:56 - C'est une chanson sur le Nord.
36:58 - C'est une chanson sur le Nord.
37:00 - C'est une chanson sur le Nord.
37:02 - C'est une chanson sur le Nord.
37:04 - C'est une chanson sur le Nord.
37:06 - C'est une chanson sur le Nord.
37:08 - C'est une chanson sur le Nord.
37:10 - C'est une chanson sur le Nord.
37:12 - C'est une chanson sur le Nord.
37:14 - C'est une chanson sur le Nord.
37:16 - C'est une chanson sur le Nord.
37:18 - C'est une chanson sur le Nord.
37:20 - C'est une chanson sur le Nord.
37:22 - C'est une chanson sur le Nord.
37:24 - C'est une chanson sur le Nord.
37:26 - C'est une chanson sur le Nord.
37:28 - C'est une chanson sur le Nord.
37:30 - C'est une chanson sur le Nord.
37:32 - C'est une chanson sur le Nord.
37:34 - C'est une chanson sur le Nord.
37:36 - C'est une chanson sur le Nord.
37:38 - C'est une chanson sur le Nord.
37:40 - C'est une chanson sur le Nord.
37:42 - C'est une chanson sur le Nord.
37:44 - C'est une chanson sur le Nord.
37:46 - C'est une chanson sur le Nord.
37:48 - C'est une chanson sur le Nord.
37:50 - C'est une chanson sur le Nord.
37:52 - C'est une chanson sur le Nord.
37:54 - C'est une chanson sur le Nord.
37:56 - C'est une chanson sur le Nord.
37:58 - C'est une chanson sur le Nord.
38:00 - C'est une chanson sur le Nord.
38:02 - C'est une chanson sur le Nord.
38:04 - C'est une chanson sur le Nord.
38:06 - C'est une chanson sur le Nord.
38:08 - C'est une chanson sur le Nord.
38:10 - C'est une chanson sur le Nord.
38:12 - C'est une chanson sur le Nord.
38:14 - C'est une chanson sur le Nord.
38:16 - Réalisation Félicie Fogère,
38:18 prise de son Ludovic Auger.
38:20 Pour réécouter cette émission, rendez-vous sur le site de France Culture et sur l'application Radio France.
38:25 Merci Nicolas, à demain.
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