• il y a 8 mois

Pascal Praud revient pendant deux heures, sans concession, sur tous les sujets qui font l'actualité. Aujourd’hui, une édition spéciale est consacrée à la mort de Robert Badinter.

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00:00:00 Il est 11h34 et cette émission, nous allons modifier les chapitres que nous avions imaginés
00:00:07 de traiter jusqu'à 13h parce qu'une information extrêmement importante vient de tomber.
00:00:12 Robert Badinter est mort.
00:00:19 Robert Badinter, 95 ans, qui est une figure importante de la vie politique
00:00:25 mais également de la vie de la justice en France. C'est lui, bien sûr, qui était à l'origine de l'abolition de la peine de mort en 1981.
00:00:34 C'est lui qui avait défendu Patrick Henry en 1977, après que Patrick Henry a tué le petit Philippe Bertrand à 3 dans l'Aude.
00:00:45 C'est lui également qui avait défendu Buffet et Bontemps, qui étaient deux criminels
00:00:51 qui avaient pris en otage des gardiens à la prison de Clairvaux, toujours à 3 d'ailleurs.
00:00:58 C'était une figure importante des années 70 qui militait pour l'abolition de la peine de mort.
00:01:05 Il avait d'ailleurs écrit un livre fameux qui s'appelait "L'abolition"
00:01:09 et Robert Badinter était un de ces avocats qui marquent l'histoire de la justice
00:01:15 mais qui marquent aussi l'histoire de la vie politique.
00:01:17 François Mitterrand disait très souvent "j'ai deux avocats", il disait "pour le droit j'ai Robert Badinter
00:01:25 et pour le travers j'ai un autre avocat qui était Roland Dumas".
00:01:33 C'était ces deux avocats qui avaient encadré, si j'ose dire, la politique pénale à l'époque de François Mitterrand.
00:01:41 Donc on va en parler assez longuement, forcément, puisque Robert Badinter était le mari d'Elisabeth Badinter.
00:01:46 C'est également une conscience de la société juive en France, bien sûr,
00:01:54 puisqu'il incarnait ce courant politique des juifs français qui longtemps ont été à gauche,
00:02:01 d'ailleurs jusqu'au début du 21e siècle.
00:02:04 Donc c'est tout cela, Robert Badinter, dont on va parler.
00:02:07 C'est un grand esprit qui nous a quittés ce matin.
00:02:10 A tout de suite.
00:02:11 Et si vous voulez réagir, vous composez ce numéro avec Pascal Praud sur Europe 1.
00:02:13 Appelez Pascal Praud au 01 80 20 39 21.
00:02:17 Europe 1.
00:02:18 Pascal Praud et vous.
00:02:19 Cette justice d'angoisse et de mort, nous la refusons parce qu'elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l'humanité.
00:02:33 La voix de Robert Badinter, j'imagine que c'est un de ces discours célèbres
00:02:39 qu'il avait donné à l'Assemblée nationale lorsqu'il était ministre de la justice,
00:02:43 et il le fut en 1981 lorsque François Mitterrand est devenu président de la République.
00:02:48 Il y a des personnalités qui marquent la vie d'un pays,
00:02:53 et Robert Badinter en faisait partie.
00:02:55 Son intelligence, son autorité, son charisme, sa qualité, sa bienveillance également.
00:03:05 Sur beaucoup de sujets, c'est quelqu'un qui aura traversé nos vies.
00:03:08 Avec une précision dans l'élocution qui était toujours sidérante,
00:03:15 et puis également avec des valeurs qu'il avait transmises.
00:03:19 C'était un enfant qui avait grandi au cœur de cette Europe bouleversée.
00:03:24 Il était de 1928, donc il avait 10 ans en 1939 lorsque a éclaté la deuxième guerre mondiale,
00:03:33 et qu'il était juif, et que bien sûr, être juif en 1940 était particulièrement difficile.
00:03:41 Et puis il y a eu ce parcours exceptionnel, étincelant,
00:03:44 d'un avocat, un des meilleurs ou sinon le meilleur de sa génération,
00:03:48 jusqu'à devenir garde des Sceaux en 1981,
00:03:51 et d'être le père de l'abolition de la peine de mort avec François Mitterrand.
00:03:56 Louis Dragnell nous a rejoint.
00:03:58 C'est vrai qu'au-delà de ce parcours, il y aura aussi beaucoup de tristesse
00:04:03 aujourd'hui qu'on entendra pour les gens de ma génération,
00:04:06 pour qui Robert Badinter est une figure, véritablement une figure,
00:04:10 qui nous a accompagnés, qui nous a permis de réfléchir,
00:04:13 que nous avons entendu toute notre vie,
00:04:16 depuis l'âge de 10 ans, 11 ans, qu'on peut s'intéresser aux choses politiques,
00:04:20 qu'on voyait chez Chancel, chez Pivot, dans les journaux de 13h, dans les journaux de 20h,
00:04:26 et qui venait effectivement parfois remettre les pendules à l'heure
00:04:31 sur les sujets sociétaux qui nous traversent.
00:04:34 - Oui, Robert Badinter, c'est avant tout une conscience.
00:04:37 Je pense que pour l'immense majorité des Français,
00:04:40 c'est quelqu'un qui est une sorte d'éveilleur,
00:04:43 qui tire les sonnettes d'alarme quand il voit des grandes métamorphoses
00:04:47 dans la société, des problèmes.
00:04:49 Et puis, je pense que ça restera la plus grande figure au ministère de la Justice.
00:04:54 - À chacune des passations des pouvoirs, chaque discours presque de nouveau garde des Sceaux,
00:04:59 il y a une référence qui est faite à Robert Badinter,
00:05:01 qui a été garde des Sceaux pendant 5 ans.
00:05:03 Il a été avocat, vous l'avez rappelé, pendant 30 ans.
00:05:06 9 ans, président du Conseil constitutionnel.
00:05:09 Pendant 16 ans, il a été sénateur.
00:05:12 Et vous l'évoquiez aussi, c'est le parcours d'une vie.
00:05:15 Son père a été arrêté par la Gestapo, il habitait à Lyon.
00:05:20 Et donc, c'était Klaus Barbie qui est venu interpeller son père.
00:05:24 Sa mère et sa famille bénéficient d'un commissaire de police
00:05:29 qui édite des fausses cartes d'identité.
00:05:32 Et c'est ça qui permet aux enfants Badinter d'être protégés,
00:05:37 d'une certaine manière, pendant la guerre.
00:05:39 Et puis, à gauche comme à droite, ça restera vraiment une immense figure
00:05:44 qui dépasse les partis politiques.
00:05:46 - François-Olivier Gisbert est avec nous.
00:05:48 François-Olivier Gisbert qui a écrit une trilogie absolument formidable
00:05:53 sur la Ve République. Bonjour François-Olivier Gisbert.
00:05:56 - Bonjour Pascal.
00:05:57 - Et merci d'être avec nous.
00:05:58 Je dis d'abord qu'il y a beaucoup de tristesse.
00:06:00 C'est en tout cas ce que je ressens à l'instant même.
00:06:03 Parce que c'est quelqu'un qui a traversé nos vies
00:06:06 avec une intelligence, avec une autorité morale,
00:06:09 avec une hauteur de vue qui n'est pas si fréquente
00:06:12 et qui rappelle le monde d'hier, d'une certaine manière,
00:06:15 de ceux qui faisaient d'abord le métier qu'il faisait,
00:06:18 avocat, mais aussi de la politique.
00:06:20 - Tout à fait. Alors je suis d'accord avec ce que vient de dire Louis Dragnel
00:06:24 sur "c'était une conscience".
00:06:26 Évidemment, c'est une conscience qui nous a accompagnés pendant longtemps.
00:06:30 Mais j'ajouterai aussi, parce que moi j'ai eu la chance de le connaître
00:06:33 un peu avant, même avant, quand il était avocat pénaliste,
00:06:37 je dirais que c'était aussi un combattant.
00:06:39 Et c'était assez extraordinaire, d'ailleurs, comme il aimait
00:06:42 s'emparer de causes souvent qui semblaient perdues.
00:06:45 Et c'était un combattant dans la mesure où, à l'époque,
00:06:48 j'étais journaliste au Nouvel Observateur, je me souviens,
00:06:51 et il appelait pour faire avancer le dossier.
00:06:55 Et c'est cette image aussi que je garde, c'est-à-dire sa passion
00:07:00 de son métier d'avocat. C'était vraiment un grand avocat,
00:07:03 ça je crois qu'il faut le rappeler.
00:07:06 Et en même temps, c'est vrai qu'après, il reste le grand ministre de la justice,
00:07:14 parce que d'abord il a fait ce discours admirable à l'Assemblée nationale
00:07:18 au moment de la présentation du vote de la loi pour la suppression d'un thème de mort.
00:07:23 Et puis ensuite, effectivement, un rôle important des ailleurs.
00:07:28 Ça a été ça, quoi.
00:07:30 Et donc, évidemment, on est tous tristes quand on va prendre la mort d'un grand personnage comme celui-là.
00:07:38 - Vous restez avec nous, France Olivier, parce que Jean-Louis Debré,
00:07:41 qui était président également du Conseil constitutionnel, est là.
00:07:44 Restez vraiment quelques secondes, France Olivier, parce que Jean-Louis Debré doit intervenir.
00:07:49 Merci, Monsieur Debré, d'être avec nous.
00:07:52 - Je vous en prie.
00:07:53 - Je disais qu'il y a beaucoup de tristesse, parce que je rapportais cette idée
00:07:58 que M. Badinter appartient au monde d'hier, une autorité morale, une conscience, une intelligence,
00:08:05 une qualité qu'on aimerait retrouver parfois, à la fois dans le monde des avocats,
00:08:09 mais aussi dans le monde de la politique.
00:08:12 - Je crois que Robert Badinter n'appartenait pas au monde d'hier.
00:08:18 Il appartient au monde d'aujourd'hui, de demain, au monde de celles et ceux qui croient en un idéal.
00:08:27 D'abord, en tant qu'ancien magistrat, je voudrais rendre hommage à l'avocat,
00:08:34 à l'avocat qui, dans des circonstances difficiles, a toujours défendu le droit, la liberté.
00:08:41 Et puis, Badinter, c'est plus qu'un avocat, c'est une voix, une voix qui interpelle,
00:08:49 qui interpelle les uns et les autres sur la construction d'un monde qui est un monde de liberté.
00:08:56 Alors, avec l'aide de François Mitterrand, il a eu ce rôle essentiel,
00:09:04 qui était l'abolition de la peine de mort dans un moment difficile.
00:09:09 Et il a su, dans ce moment difficile, être celui qui s'élève au-dessus de tout
00:09:15 et qui, contrairement à ce que l'opinion publique croit, monte la direction.
00:09:21 Et la direction, c'était la fin de la peine de mort.
00:09:25 Je me souviens, quand j'étais juge d'inspection, on nous avait beaucoup reproché,
00:09:31 on avait signé un article pour dire que les magistrats, ou certains magistrats,
00:09:36 étaient dans le sillage de Badinter, car, je reprends le mot qui était celui de Badinter,
00:09:43 on a une justice qui ne tue pas, c'est une justice qui juge.
00:09:48 Merci beaucoup Jean-Louis Debré, vous avez vous-même été président du Conseil constitutionnel.
00:09:54 Nous sommes également avec François-Olivier Gisbert, qui rappelait le parcours de l'avocat Badinter.
00:10:01 Il faut rappeler deux procès célèbres, Buffet et Bontemps, qu'il avait défendu,
00:10:06 et il avait perdu, puisque Buffet et Bontemps avaient été condamnés à mort.
00:10:10 Et quelques années plus tard, il avait défendu Patrick Henry,
00:10:15 qui avait tué le petit Philippe Bertrand.
00:10:17 Et cette fois-ci, il avait gagné, puisque Patrick Henry n'avait pas été condamné à mort.
00:10:22 Et il avait plaidé d'ailleurs, uniquement, pendant une heure, très court,
00:10:27 il avait plaidé uniquement sur la peine de mort.
00:10:31 Il avait écrit un livre très célèbre, François-Olivier Gisbert, qui s'appelle "L'abolition",
00:10:35 et il racontait, moi je me souviens avoir lu "L'abolition" quand j'étais étudiant,
00:10:39 il racontait qu'il avait assisté à la prison de la santé, à une exécution.
00:10:45 C'est-à-dire que tu arrives à 3h du matin, tu vas dans la cellule,
00:10:49 puisqu'il était l'avocat de celui qui était condamné à mort,
00:10:54 tu entres avec lui dans la cellule et tu vas jusqu'à la guillotine.
00:10:57 Et il racontait précisément cette séquence assez invraisemblable, disons-le,
00:11:04 qui nous paraît d'ailleurs à des années-lumière aujourd'hui du monde dans lequel nous sommes, François-Olivier.
00:11:08 - Alors c'est vrai qu'il avait le lyrisme, la belle parole qu'ont souvent les avocats,
00:11:15 avec cette voix incroyable, et en même temps il avait une sincérité folle.
00:11:20 Et c'est vrai que ce que vous vous rappelez là, sur "L'abolition" de la peine de mort,
00:11:24 ce combat qu'il a mené pendant longtemps, il racontait toujours cette histoire.
00:11:29 Il a raconté avec, comment dire, tellement d'émotion à chaque fois.
00:11:34 Il y avait chez lui, il ne faut pas perdre ça de vue, une immense sincérité aussi.
00:11:39 C'est-à-dire que ces combats, ce n'était pas juste comme ça aujourd'hui.
00:11:43 On connaît, Nietzsche appelle ça la moraline, c'est-à-dire que tout le monde fait de la morale pour se faire bien voir par le système.
00:11:50 Et lui, au contraire, il avait comme ça des convictions très fortes, chevillées au corps,
00:11:55 et on a l'impression que c'était presque sa vie qui était en jeu quand il en parlait.
00:12:00 Et c'est pour ça que sur "L'abolition" de la peine de mort, c'était le meilleur avocat possible.
00:12:07 J'avais le sentiment, quand il en parlait, presque qu'il disait ça dans sa chaire.
00:12:11 Mais c'était un personnage magnifique.
00:12:14 - Alain Jacobovitz est avec nous, avocat célèbre également. Bonjour cher maître.
00:12:22 - Bonjour Pascal.
00:12:24 - Je disais, et je vais le dire à tous ceux qui vont intervenir sur cette antenne,
00:12:28 c'est qu'il y a beaucoup de tristesse aujourd'hui, parce que c'est un homme qui aura traversé nos vies
00:12:34 avec une conscience, une hauteur de vue, une intelligence peu fréquente, disons-le.
00:12:40 Nous sommes aujourd'hui, Pascal, le 9 février.
00:12:46 Le 9 février 1943, à Lyon, il y a eu une rafle de Klaus Barbie.
00:12:52 Parmi les victimes de cette rafle, il y avait un homme qui s'appelait Badinter.
00:12:58 C'était le père de Robert Badinter.
00:13:01 Robert Badinter lui-même a échappé à cette rafle par un pur miracle.
00:13:07 Je ne crois pas au destin, mais nous sommes le 9 février.
00:13:13 Et Robert Badinter a choisi de quitter ce monde le jour où son père a été raflé, le 9 février.
00:13:23 Voilà, pour moi, ça dit tant de choses de cet homme.
00:13:30 Je suis orphelin pour la deuxième fois de ma vie.
00:13:35 Je n'ai pas le mot pour dire ce que je perds, bien sûr, mais surtout ce que nous perdons,
00:13:47 ce que le barreau perd dans cet homme qui avait un supplément d'âme,
00:13:56 qui était capable d'être l'avocat des plus grands groupes financiers,
00:14:00 des gens les plus puissants, mais qui était également capable de revêtir sa robe
00:14:07 pour aller tendre la main à un homme dont on voulait couper la tête.
00:14:13 Voilà, c'était Robert Badinter.
00:14:16 Et c'était Robert Badinter jusqu'au dernier jour de sa vie, jusqu'à son dernier souffle.
00:14:20 Lui, qui encore il y a quelques jours, disait que le combat devait continuer
00:14:25 pour la suppression de la peine de mort, non seulement en France, mais de partout dans le monde.
00:14:31 Voilà, pardon, je ne suis pas très loquace, mais je n'ai pas vraiment la force d'en dire davantage.
00:14:45 - Alain Jakubowicz qui est avec nous, et je comprends votre émotion.
00:14:50 Et puis vous avez dit quelque chose, évidemment, qui fait tellement sens sur cette date du 9 février.
00:14:58 Et bien sûr qu'en l'espèce, personne ne peut imaginer que le hasard existe.
00:15:06 Alain Jakubowicz, est-ce que vous avez peut-être des souvenirs personnels avec lui ?
00:15:10 Est-ce que vous avez parfois échangé au cours de votre carrière ?
00:15:14 Est-ce qu'il avait avec ses confrères avocats parfois des échanges ?
00:15:21 - Oh, ce n'est pas parfois, c'est souvent.
00:15:24 J'ai eu cette chance, cet honneur de le voir assez régulièrement
00:15:29 et d'échanger sur des tas de sujets, bien sûr sur ceux de la justice
00:15:33 et d'être reçu dans son bureau à Paris,
00:15:38 où il y avait des morceaux de terre du camp d'Auschwitz.
00:15:45 Il est allé à Auschwitz après-guerre, tout de suite après-guerre,
00:15:50 et il avait ramené des pierres, des morceaux de terre qui étaient dans son bureau.
00:16:00 Il pouvait y trouver aussi bien le texte de l'abrogation de la loi abrogant la peine de mort
00:16:09 et puis de la terre, des pierres, qui pour lui étaient tout.
00:16:15 Qui lui ont donné sans doute ce supplément d'âme.
00:16:18 Quand on dit "mais où puisait-il cette force ?"
00:16:20 Eh bien il la puisait dans son histoire.
00:16:22 N'oubliez pas que Robert Badater était lui-même un enfant de réfugiés
00:16:26 qui a accédé aux plus hautes fonctions de notre République.
00:16:31 C'est comme ça que la France est belle.
00:16:33 C'est comme ça qu'il l'a aimée.
00:16:35 C'est comme ça qu'on l'aime.
00:16:36 C'est comme ça que je l'aime.
00:16:38 C'est cette France qui a donné la possibilité à un enfant de réfugiés
00:16:42 de devenir garde des Sommes ou président du Conseil constitutionnel
00:16:46 et d'être aujourd'hui pleuré par tous les Français.
00:16:50 Voilà, c'est aussi un hymne et un hommage à la France.
00:16:54 - Alain Jakubowicz, avocat lui-même.
00:16:57 Vous êtes sur Europe 1, il est 11h54.
00:17:01 La dernière chose, Alain Jakubowicz, que je voulais vous demander,
00:17:05 c'est l'homme privé, Robert Badater.
00:17:07 C'était un homme d'une, j'allais dire, d'une certaine austérité également.
00:17:13 D'une grande rigueur morale, mais d'une certaine austérité.
00:17:15 C'est quelqu'un qui effectivement se tenait, toujours et tout le temps.
00:17:21 - Bien sûr, mais bon, c'est une autre génération.
00:17:25 C'est vrai que lorsqu'il me recevait chez lui,
00:17:29 alors de temps en temps, il me disait, il s'excusait de ne pas avoir revêtu son geston,
00:17:35 comme nous disions, mais bien sûr que c'est une tenue, c'est un respect des autres.
00:17:43 Je ne dirais pas de l'austérité, beaucoup de gravité, c'est vrai,
00:17:49 mais ces moments passés avec lui étaient toujours des moments d'une richesse intense.
00:17:55 Et jusqu'au dernier moment, voilà, c'est un homme d'un autre siècle.
00:18:04 C'est vrai que par moments, on se vit qu'il est peut-être pas plus mal d'en avoir un peu de la nostalgie.
00:18:11 - Il était né en 1928, il est mort aujourd'hui à 95 ans,
00:18:17 et il aura eu 96 ans ces prochaines semaines.
00:18:20 Je vous remercie grandement et chacun aura compris votre émotion,
00:18:24 Maître Jakubowicz.
00:18:26 Il est 11h55, Robert Badinter est mort, si vous nous rejoignez à l'instant sur Europe 1.
00:18:34 Nous allons peut-être marquer une pause dans quelques secondes.
00:18:39 Je demande à Fabrice...
00:18:42 - Oui, on a encore quelques secondes avant la pub.
00:18:44 - Encore quelques secondes, me dit Fabrice Laffitte, ce qui nous permet avec Louis de Ragnel
00:18:49 d'évoquer cette mémoire, l'avocat qu'il fut, l'homme politique qu'il fut,
00:18:54 la proximité évidemment avec François Mitterrand qu'il fut.
00:18:57 Ce qui restera bien sûr, c'est ce vote d'abolition de la peine de mort en...
00:19:04 - Le 9 octobre 1981, absolument.
00:19:07 Et puis c'est quelqu'un de viscéralement français,
00:19:09 qui pouvait être, vous parliez tout à l'heure d'une forme de rectitude chez lui.
00:19:14 C'était aussi quelqu'un qui pouvait avoir une forme de dureté, d'intransigeance.
00:19:19 Et c'est cette intransigeance qui l'apportait à défendre des causes,
00:19:22 qui aujourd'hui, certaines d'entre elles, pourraient paraître étonnantes,
00:19:26 compte tenu de son... Il est évidemment classé à gauche, face à son parcours,
00:19:30 il était ministre de François Mitterrand,
00:19:32 mais c'est aussi quelqu'un qui avait des idées très puissantes,
00:19:35 notamment sur l'Union européenne.
00:19:36 Il était opposé à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.
00:19:39 C'est quelqu'un qui s'est toujours dit aussi opposé à la légalisation de l'euthanasie.
00:19:44 Et puis c'est aussi une figure qui s'indignait, dénonçait,
00:19:50 je ne sais pas si mon mot est exact,
00:19:51 mais d'une certaine dérive parfois de la justice.
00:19:54 Et il souhaitait réellement que la justice exerce son rôle d'autorité judiciaire
00:19:59 et ne parte pas dans une dérive politique.
00:20:02 - Il est 11h57, la pause, le flash d'Emilie Dez,
00:20:06 qui sera consacré bien sûr à la mort de Robert Badinter.
00:20:09 Et nous allons poursuivre avec beaucoup de témoignages, je l'imagine, avant 13h.
00:20:15 A tout de suite.
00:20:16 - Vous écoutez Pascal Proévou de 11h à 13h sur Europe 1.
00:20:18 - Il est 12h, le flash avec Emilie Dez.
00:20:25 - Bonjour à tous, Robert Badinter est mort à l'âge de 95 ans,
00:20:30 ancien ministre de la justice de François Mitterrand.
00:20:32 Robert Badinter avait fait abolir la peine de mort en 2000
00:20:36 au micro Europe 1 de Jean-Pierre Elkabach.
00:20:39 Il rappelait les réticences de l'opinion à l'époque.
00:20:42 - Il faut avoir mesuré ce qu'étaient les visages des gens qui entouraient le palais de justice
00:20:47 lorsqu'on arrivait pour ces procès, qu'on collaborait,
00:20:50 on traversait comme ça, mais presque, je dirais, un mur invisible, celui-là,
00:20:57 mais de haine, les yeux, les regards que les gens jetaient sur les avocats
00:21:01 qui venaient là assumer la défense.
00:21:03 - On leur reprochait d'oublier peut-être les victimes et ceux qui y survivaient, aux victimes.
00:21:09 - Non, ce n'était pas ça, c'était cette espèce de volonté de mort
00:21:14 qui se transférait, que l'on sentait à cet instant-là.
00:21:17 Moi, je n'ai jamais ayant mesuré tel dans une vie qui pourtant a connu des épreuves.
00:21:21 - Robert Badinter au micro Europe 1 de Jean-Pierre Elkabach.
00:21:25 La peine de mort a été aboli le 9 octobre 1981.
00:21:30 Robert Badinter, avocat renommé, était aussi connu pour avoir évité la peine de mort à Patrick Henry,
00:21:36 assassin d'un enfant de 7 ans.
00:21:38 Patrick Henry sera finalement condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
00:21:43 Robert Badinter mort à l'âge de 95 ans.
00:21:46 Jean-Luc Mélenchon salue une force de conviction sans pareil, un être lumineux.
00:21:51 Gabriel Attal réunira son gouvernement demain pour un séminaire de travail à Matignon.
00:21:56 Gouvernement désormais au complet, Amélie Oudéa-Casterat laisse sa place à Nicole Belloubet.
00:22:01 La passation de pouvoir a eu lieu ce matin à 10h.
00:22:05 Nicole Belloubet dit vouloir renouer très rapidement le dialogue avec les enseignants,
00:22:10 engluée dans des polémiques liées à la scolarisation de ses enfants.
00:22:13 Amélie Oudéa-Casterat dit quitter la rue de Grenelle plus aguerrie que jamais.
00:22:17 Et la tête haute, elle reste ministre des Sports.
00:22:21 À 9 mois de la présidentielle américaine, la santé de Joe Biden inquiète.
00:22:25 Un rapport officiel pointe du doigt ses fréquentes pertes de mémoire.
00:22:29 Le candidat démocrate s'est défendu avant de confondre les présidents égyptiens et mexicains.
00:22:33 Pendant ce temps, Donald Trump a facilement remporté le caucus du Nevada.
00:22:38 L'ancien président américain confirme son statut d'ultra-favori dans la course à l'investiture républicaine.
00:22:44 Les frappes israéliennes s'intensifient à Rafa au sud de Gaza,
00:22:47 une ville où s'entassent plus d'un million de palestiniens déplacés par la guerre.
00:22:51 Washington juge excessive la riposte d'Israël contre le Hamas.
00:22:55 À quelques mois des JO de Paris, la fleurettiste française Issa Oratibus a été contrôlée positive et suspendue immédiatement.
00:23:02 Issa Oratibus championne du monde individuel en 2022 et grand espoir de médaille au prochain jeu.
00:23:08 Et puis c'est le début des vacances de février.
00:23:10 Ce soir pour les élèves de la zone C, il va y avoir du monde sur les routes.
00:23:13 La journée est classée orange dans le sens des départs en Ile-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes.
00:23:18 Merci beaucoup Émilie, il est 12h03.
00:23:20 Je vous propose peut-être d'écouter Alexandre Chauveau et le portrait qu'il a adressé de Robert Badinter qui nous a quittés.
00:23:43 Cette justice d'angoisse et de mort, nous la refusons parce qu'elle est la passion et la peur, triomphant de la raison et de l'humanité.
00:23:57 17 septembre 1981, Robert Badinter, l'ex-avocat devenu garde des Sceaux, plaide l'abolition de la peine de mort devant les députés.
00:24:06 La loi est votée, l'apogée d'un combat commençait lorsqu'il portait la robe noire dans les prétoires.
00:24:11 Dix ans plus tôt, Robert Badinter assiste à l'exécution de Roger Bontemps, son client, coupable de complicité de meurtre. Il est bouleversé.
00:24:18 Je n'oublierai en tout cas pas que j'ai vu exécuter en France un homme dont la cour d'assises avait reconnu qu'il n'a jamais tué personne.
00:24:33 Un tournant dans sa vie qu'il évoquera toujours avec autant d'amertume, même des décennies plus tard.
00:24:38 Je suis devenu un militant, un croisé de l'abolition, c'est vrai.
00:24:46 Et de ce jour-là, je me suis juré que quel que soit l'accusé qui me demanderait de le défendre s'il encourait la peine de mort, je le défendrai.
00:24:54 Et c'est ce qu'il fait, il évite la peine capitale à cinq hommes, dont Patrick Henry, tueur d'enfants, alors que les Français sont majoritairement pour la peine de mort.
00:25:01 L'avocat résiste, son combat devient politique. Ministre de la Justice, il fait bannir la peine capitale, qu'il estime non-dissuasive, inutile, inhumaine.
00:25:10 La France est le dernier pays d'Europe occidentale à le faire. En 2007, l'abolition est inscrite dans la Constitution. Elle devient quasiment irréversible.
00:25:19 Si la France sombrait dans les mains d'un politicien fasciste, mais cette hypothèse-là, je la refuse.
00:25:26 Personne ne peut penser que l'Europe va devenir un continent fasciste. Elle est purgée de la peine de mort.
00:25:32 Mais l'abolition n'est pas encore universelle, et c'est pour cela que Robert Bannenter s'est battu jusqu'à la fin de sa vie.
00:25:38 Une cinquantaine de pays dans le monde pratiquent toujours la peine capitale.
00:25:42 Emmanuel Macron salue une figure du siècle, une conscience républicaine, l'esprit français.
00:25:48 Et puis on rappelle ce que disait Alain Jakubowicz, qui est absolument sidérant, puisqu'on est le 9 février, et que le 9 février 1943, une rafle à Lyon
00:25:58 enlevait le père de Robert Bannenter, et il allait partir pour les camps d'extermination.
00:26:07 Et Robert Bannenter, ce 9 février 2024, est décédé le jour même, le jour même, où son père avait été raflé quasiment un siècle avant.
00:26:25 Je pense que nous pouvons écouter quelques moments forts de ce qu'aura été la vie de Robert Bannenter,
00:26:33 notamment lorsqu'il s'est exprimé le 17 septembre 1981 au moment du vote de l'abolition de la peine de mort.
00:26:42 Le choix qui s'offre à vous, en cet instant, à vos consciences, car vous allez vous prononcer,
00:26:50 ce choix est clair, où notre société refuse une justice qui tue, et elle accepte d'assumer, au nom de ses valeurs fondamentales,
00:27:06 celle qui l'ont faite grande et respectée entre toutes, la vie de celui qui fait horreur, dément ou criminel, ou les deux à la fois.
00:27:22 Et c'est le choix de l'abolition. Où est le droit à cette société ? Faire disparaître, en dépit de l'expérience des siècles, le crime avec le criminel.
00:27:35 Et c'est l'élimination. Cette justice d'élimination, cette justice d'angoisse et de mort, décidée avec sa marge de hasard,
00:27:50 nous la refusons. Nous la refusons parce qu'elle est pour nous l'antijustice, parce qu'elle est la passion et la peur, triomphant de la raison et de l'humanité.
00:28:07 Au-delà du fond, ce qui est frappant en écoutant ce discours, d'abord c'est la qualité de français, c'est aussi l'efficacité d'un avocat.
00:28:17 C'est absolument pas un discours de techno, comme on dirait aujourd'hui. Et il ajoute évidemment aux phrases qu'il a écrites,
00:28:27 le charisme personnel, le pouvoir de conviction de l'avocat et cette voix, cette voix qui retentit dans le Palais Bourbon, c'était en 1981.
00:28:39 Donc vous avez vraiment quelqu'un qui est extrêmement talentueux, qui sait écrire, qui sait penser, qui sait dire.
00:28:46 Et ça fait un personnage exceptionnel, un personnage du siècle, a dit Emmanuel Macron. J'ai sous les yeux ce qu'a tweeté Emmanuel Macron,
00:28:55 c'est une photo de Robert Badinter, manifestement prise alors qu'il est venu un jour à l'Elysée.
00:29:01 On voit en premier plan le dos d'Emmanuel Macron et on voit Robert Badinter en train d'échanger avec le président de la République.
00:29:12 On devine qu'ils ont déjeuné ensemble et qu'ils sont au moment du café. C'est une photo qui est sur le compte Twitter du président de la République.
00:29:19 Et Emmanuel Macron a écrit "avocat, garde des Sceaux, homme de l'abolition de la peine de mort, Robert Badinter ne cessa jamais de plaider pour les Lumières.
00:29:28 Il était une figure du siècle, une conscience républicaine, il était l'esprit français".
00:29:32 Je vous propose de marquer une pause et puis nous allons écouter évidemment beaucoup de réactions, de témoignages sur cette mort d'un homme qui aura marqué évidemment toute une époque.
00:29:42 - Pascal Prohevo est avec vous de 11h à 13h sur Europe 1. - Appelez Pascal Pro au 01 80 20 39 20.
00:29:50 - Europe 1. - Pascal Prohevo. - De 11h à 13h sur Europe 1, émission consacrée Pascal à Robert Badinter qui a disparu.
00:29:56 - Je vous propose d'écouter ce que disait François Mitterrand. On est au printemps 1981, la campagne électorale pour la présidentielle bat son plein.
00:30:07 Et la question lui est posée par Jean-Pierre Elkabbach et par Alain Duhamel de se positionner sur la peine de mort.
00:30:14 Écoutez ce que dit ce jour-là celui qui sera quelques semaines plus tard le président de tous les français.
00:30:21 - Monsieur Mitterrand, ça fait 1h20 que nous sommes ensemble, nous avons donc chacun une dernière question à vous poser.
00:30:26 La mienne c'est celle-ci. Il y a actuellement 5 condamnés à mort dans des cellules. Je voudrais savoir si vous étiez élu président de la République, si vous les gracieriez.
00:30:35 - Pas plus sur cette question que sur les autres, je ne cacherai ma pensée. Et je n'ai pas du tout l'intention de mener ce combat à la face du pays en faisant semblant d'être ce que je ne suis pas.
00:30:49 Dans ma conscience profonde qui rejoint celle des églises, l'église catholique, les églises réformées, la religion juive, la totalité des grandes associations humanitaires.
00:31:04 Internationales et nationales. Dans ma conscience, dans le fort de ma conscience, je suis contre la peine de mort.
00:31:13 Et je n'ai pas besoin de lire les sondages qui disent le contraire. Une opinion majoritaire est pour la peine de mort.
00:31:22 Eh bien moi je suis candidat à la présidence de la République et je demande une majorité de suffrage aux français. Mais je ne la demande pas dans le secret de ma pensée.
00:31:33 Je dis ce que je pense, ce à quoi j'adhère, ce à quoi je crois, ce à quoi se rattachent mes adhésions spirituelles, ma croyance, mon souci de la civilisation.
00:31:45 Je ne suis pas favorable à la peine de mort. Je ferai ce que j'aurai à faire dans le cadre d'une loi que j'estime excessive, c'est-à-dire régalienne.
00:31:55 Un pouvoir excessif donné à un seul homme, disposé de la vie d'un autre. Mais ma disposition est celle d'un homme qui ne ferait pas procéder à des exécutions capitales.
00:32:06 - François Mitterrand, en 1981, quelques semaines avant l'élection présidentielle qui allait le faire président de tous les français. On est avec Georges Fenech, ancien magistrat. Bonjour M. Fenech.
00:32:18 - Bonjour M. Prot. - Et merci d'être avec nous. Chacun s'accorde à saluer la mémoire d'une grande figure à la fois du monde judiciaire, du monde de la justice, mais aussi de la politique.
00:32:30 - Oui, bien sûr. Je suis parmi ceux-là. Je salue effectivement le combattant contre la peine de mort, contre ces procédures d'exception.
00:32:41 Mais je dois vous dire autre chose quand même, M. Robert Bonnard, pour lequel j'avais une très grande considération.
00:32:48 C'est qu'il a, dès son arrivée au ministère de la Justice, abrogé d'un trait de plume, par un simple décret, la loi sécurité-liberté qui était en application, qui avait été adoptée sous le ministère de la Perfite.
00:33:04 Et en supprimant la peine de mort, il n'avait pas prévu derrière un substitut. Il a fallu attendre plusieurs années pour que la droite, revenue au pouvoir, établisse notamment la peine à perpétuité incompressible,
00:33:21 qui manquait dans notre arsenal pénal depuis l'abolition de la peine de mort. De même, il était aussi à l'origine de la suppression de la Cour de sûreté de l'Etat,
00:33:30 qui, à l'époque, jugeait effectivement les crimes terroristes, notamment, mais il ne l'avait remplacée par rien.
00:33:38 Ce qui fait que l'action antiterroriste était très largement démunie, à l'époque.
00:33:43 Et il a fallu aussi le retour de la droite en 1986 pour créer les juridictions que nous avons encore aujourd'hui, antiterroristes avec des magistrats spécialisés, voyez-vous.
00:33:54 Donc moi-même, j'ai combattu à la tête de l'Association professionnelle des magistrats, dont j'étais le président, cette politique en matière judiciaire qui était pointée du seau de la têture d'excuses,
00:34:06 qui était laxiste, dans laquelle vont s'inscrire ensuite toute une filiation de garde des sceaux, que ce soit Mme Guigou, que ce soit Mme Belloubet, que ce soit M. Le Comorité.
00:34:16 - Je vais vous permettre de vous interrompre, parce que vous allez évidemment rester avec nous, mais Jack Lang est en ligne avec nous. Bonjour M. Lang.
00:34:25 Jack Lang est avec nous, ministre historique de la culture de François Mitterrand. M. Lang, bonjour. Est-ce que vous êtes avec nous ?
00:34:34 - Bonjour. - Merci d'être avec nous. Je disais qu'il y a beaucoup de tristesse ce matin, parce que c'est une grande figure de nos vies qui s'envave,
00:34:43 une autorité, une conscience qui aura tellement marqué une génération, qui aura marqué évidemment les années Mitterrand, et c'est un homme avec lequel vous avez travaillé, Jack Lang.
00:34:55 - Oui, en effet, je partage ce sentiment que vous exprimez à l'instant. C'est vrai que la nonde à mort de Robin Valentin nous a tous accablés.
00:35:09 Il a été tellement, dans nos vies respectives, lié aux convictions profondes des néanmoins, et il savait mieux que d'autres, exprimait son attachement à la liberté.
00:35:25 Je dirais que le nom même d'un Robert Valentin, dire son nom, c'est une autre manière de dire le mot "liberté", tant il était intellectuellement, physiquement, mentalement, moralement associé à ce combat pour la liberté ou pour les libertés,
00:35:47 les libertés individuelles, les libertés collectives, et tout au long de sa vie, comme professeur de droit, comme avocat, plus tard comme ministre.
00:35:56 Et naturellement, l'abolition de la peine de mort a été un moment très fort dans la vie du pays. C'est un acte emblématique, un acte fort.
00:36:07 Et de cette manière, Robert Valentin est devenu, même s'il était très proche de la réalité de la vie, il est devenu légendaire. C'est une légende.
00:36:18 Et pour tous ceux qui se réfèrent, comme vous-même à l'instant, à ces années 1981-1981, le nom de "Badinter", de Robert Valentin, est une des figures les plus éclatantes, les plus brillantes,
00:36:31 les plus puissantes et les plus fortes, et qui a parcouru le monde, pas seulement la France.
00:36:37 - Et puis il y a un peu de nostalgie, disons-le, parce qu'on a réécouté François Mitterrand parlant de la peine de mort au mois de mars avec Jean-Pierre Elkabbach à l'Indiamel,
00:36:45 on a réécouté également le discours de Robert Badinter. Pourquoi la nostalgie ? Parce qu'on a affaire à des personnalités d'une très grande culture,
00:36:53 qui s'expriment dans un français de très haute qualité, avec une hauteur de vue qui renvoie parfois à ce que nous vivons aujourd'hui dans la vie politique.
00:37:03 Donc forcément, pour des gens de ma génération, qui avaient 17 ans, 18 ans en 1981, forcément ça nous parle, si j'ose dire.
00:37:13 - Est-ce que vous vous souvenez de sa présence au Conseil des ministres et quels étaient les types de rapports que pouvaient entretenir François Mitterrand et Robert Badinter ?
00:37:23 - Ils étaient très amis, très liés l'un à l'autre depuis longtemps. Ils participaient à des combats politiques dès les années 70, disons.
00:37:38 Je ne vais pas citer cela exactement. Il y avait entre eux deux une sorte de vraie amitié profonde et durable et forte.
00:37:53 D'ailleurs, c'est un des points que j'aimais en lui, c'est cette fidélité, fidélité de roc, on peut dire, à l'égard de la personne même de François Mitterrand.
00:38:04 Non pas qu'il approuvait toutes les décisions que nous prenions, mais vis-à-vis de la personne, il y avait un attachement très fort.
00:38:13 Et je pense qu'on a dû le faire entendre sur la radio, ce moment très fort lorsque François Mitterrand avait été hulé lors d'une manifestation concernant la rafle des juifs.
00:38:33 - "Taisez-vous", avait-il dit avec une autorité.
00:38:35 - Il s'est levé et a directement indiqué au présent "Taisez-vous, taisez-vous, vous n'avez pas le droit quand nous sommes dans un lieu de recueillement d'oublier celle des morts", disait-il avec sa voix très profonde, très prenante.
00:38:54 Et le silence s'est fait immédiatement. Et là il fallait aussi de sa part et du courage et de la conviction et de la fidélité.
00:39:05 - C'est vrai que c'est un... on l'a dit plusieurs fois depuis tout à l'heure, c'est un homme d'un autre siècle par son parcours, par son intelligence, par sa culture, par cette hauteur de vue.
00:39:19 Et c'est vrai que vous incarnez vous-même, et cette période-là, une séquence qu'on soit d'ailleurs de droite ou de gauche, qu'on peut qualifier heureuse de la France par la qualité des hommes politiques qui étaient en place à l'époque.
00:39:35 Monsieur Langueu.
00:39:37 - Disons, je ne veux pas nous attribuer comme ça des fleurs, c'est vous qui parlez, mais c'est vrai que nous étions portés en tout cas par une philosophie, et par une philosophie collective qui nous réunissait.
00:39:54 Nous appartenions à... je ne sais pas comment on dit, parce que nous avions combattu pendant des années et des années contre toutes les formes d'oppression pour les libertés.
00:40:04 Et on se retrouvait, quelques étapes et nous étions derrière, entre des ministres, des équipes qui avaient le même idéal, le même idéal humain.
00:40:17 Et parfois il y avait des désaccords, naturellement, mais jamais les grands principes ne passaient à la trappe.
00:40:25 Toujours, ils étaient invoqués pour prendre une décision ou une autre.
00:40:30 On a évoqué la peine de mort, mais n'oublions pas que Robert Ballater a aussi, à la demande de François Mitterrand, aboli le délit de homosexualité qui figurait encore dans notre législation.
00:40:44 Et plus tard, lorsqu'il devint président du Conseil constitutionnel, il a censuré beaucoup de lois qui pouvaient porter à tête aux libertés.
00:40:55 Et c'est vrai que nous avions la fierté d'appartenir à une équipe soudée, forte, qui partageait la même utopie, on pourrait dire, ou le même idéal.
00:41:12 Non pas que nous n'étions pas parfaits, mais en même temps il y avait ça, il y avait cette philosophie commune qui nous habitue.
00:41:19 - Alors, vous le savez sans doute, on est le 9 février aujourd'hui 2024, et le 9 février 1943, la rafle de la rue Sainte-Catherine à Lyon avait raflé 86 juifs.
00:41:31 Et dans cette rafle, et c'est ça qui est absolument incroyable, vous qui êtes un homme de culture et de signes, dans cette rafle il y avait Simon Ballater, qui ne reviendra jamais des camps de Schwyz-Birkenau.
00:41:43 Et Robert Ballater est mort précisément le jour où son père a été raflé à Lyon en 1943.
00:41:50 Il y a des choses, évidemment, des signes, chacun les interprétera comme il le veut, je ne pense pas que ce soit un hasard, monsieur Lang.
00:42:00 - Je ne l'avais pas prêté attention, comme vous l'avez fait à l'instant, avec justesse à cette coïncidence.
00:42:08 - C'est Alain Jakubowicz qui nous le rappelait il y a quelques instants, c'est Alain Jakubowicz qui nous rappelait cela il y a quelques instants.
00:42:14 C'est absolument sidérant, absolument sidérant qu'il soit mort précisément le jour où son père a été raflé, quand on connaît l'engagement, le combat qu'a mené Robert Ballater,
00:42:25 évidemment pour la mémoire de son père, mais évidemment pour la communauté juive.
00:42:30 - En tout cas c'est une coïncidence, je n'ose pas dire heureuse, parce qu'il s'agissait de deux événements malheureux pour son père et pour lui-même.
00:42:40 Mais je ne suis pas croyant au point d'imaginer que je ne sais quel...
00:42:48 - Vous croyez aux forces de l'esprit en tout cas, j'imagine.
00:42:52 - Vous croyez aux forces.
00:42:55 - Ce rappel que vous faites est juste, est beau, est touchant.
00:42:59 - Je vous remercie beaucoup monsieur Lang, vraiment merci beaucoup.
00:43:02 - C'est moi qui vous remercie.
00:43:04 - Merci beaucoup, il est 12h27, on a marqué une pause.
00:43:06 Georges Fenech est resté avec nous et Georges lui demande de me pardonner de l'avoir interrompu, on va le retrouver dans une seconde.
00:43:13 - De 11h à 13h, vous écoutez Pascal Proévouz sur Europe 1.
00:43:16 - C'est 12h30 et nous sommes avec Émilie Dès pour le journal Permanent.
00:43:19 - Emmanuel Macron, salut, une figure du siècle, une conscience républicaine.
00:43:23 Robert Badinter est mort à l'âge de 95 ans, un juste entre les justes pour l'ancien Premier ministre Laurent Fabius.
00:43:30 Robert Badinter figure des années Mitterrand, brillant avocat, il a incarné jusqu'à son dernier souffle le combat pour l'abolition de la peine de mort.
00:43:38 Robert Badinter a porté la loi du 9 octobre 1981 dans une France majoritairement pour la peine capitale, avocat renommé.
00:43:47 Robert Badinter avait évité la peine de mort à Patrick Henry, meurtrier d'un enfant de 7 ans.
00:43:52 Patrick Henry sera finalement condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
00:43:57 Avec Robert Badinter, la France perd un géant, immense juriste, avocat et homme d'État, écrit l'économiste Jacques Attali, ancien conseiller de François Mitterrand à l'Élysée.
00:44:07 Robert Badinter laisse un vide à la hauteur de son héritage, incommensurable, conclut le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.
00:44:16 Amélie Oudéa-Castérat dit quitter le ministère de l'Éducation, plus aguerrie que jamais et la tête haute, elle a passé le flambeau ce matin, Alex garde des Sceaux, Nicole Belloubet,
00:44:25 qui dit vouloir renouer le dialogue avec les enseignants. Le Premier ministre réunira son gouvernement au complet demain pour un séminaire de travail à Matignon.
00:44:34 Et puis c'est un coup dur pour l'escrimeuse française Issa Horatibus, à quelques mois des JO de Paris, elle a été contrôlée positive et suspendue immédiatement.
00:44:42 Issa Horatibus, championne du monde individuel en 2022 et grand espoir de médaille au prochain jeu.
00:44:48 Et enfin, si Dieu existe, qu'aimeriez-vous après votre mort, l'entendre vous dire ? A vous Robert Badinter.
00:44:59 Tu as fait ce que tu as pu. Entre.
00:45:07 Tu as fait ce que tu as pu. Entre. Ça signifie quand même qu'il peut croire un autre monde ou qu'il croyait un autre monde.
00:45:16 Et c'est le célèbre questionnaire de Bernard Pivot qu'il posait à la fin de ses émissions.
00:45:23 Et c'était toujours la dernière question que Bernard Pivot posait, en l'occurrence à Robert Badinter.
00:45:28 On était avec Georges Fenech. Vous êtes une voix un peu discordante d'ailleurs, puisque depuis 11 heures, chacun rend hommage à Robert Badinter, à l'homme qu'il était, à la hauteur de vue, disons-le.
00:45:40 Et vous, vous avez mis en place des arguments pour contester quand même une politique pénale que vous trouvez sans doute trop laxiste ou trop progressiste.
00:45:50 Et pourquoi pas ? On a le droit bien sûr de contester les mesures qui ont été celles de Robert Badinter qu'il a prises en tant que garde des Sceaux.
00:46:01 Oui, moi je salue également évidemment la personnalité historique de Robert Badinter, cet homme de combat.
00:46:11 Incontestablement, je l'ai connu personnellement. J'ai moi-même créé d'ailleurs un groupe d'études sur l'abolition universelle de la peine de mort à l'Assemblée nationale.
00:46:19 Il m'avait fait l'honneur de sa présence. Donc je veux dire, de ce point de vue-là, je rallie totalement les positions unanimes à l'égard de ce grand homme d'État et grand avocat.
00:46:29 Mais je suis aussi obligé de dire une certaine autre vérité, celle qu'à son arrivée en 1981, il avait, je me rappelle très bien, vraiment rayé d'un trait de plume,
00:46:42 sans débat parlementaire, la loi Sécurité-Liberté d'Alain Perfit, et engagé une politique pénale qui malheureusement a fait beaucoup de dégâts et dont on paye aujourd'hui encore les conséquences.
00:46:55 Je suis obligé de le dire, puisque à l'époque, j'étais moi-même opposant et un des premiers opposants à cette politique pénale.
00:47:02 Et je me souviens très bien des conflits internes au gouvernement entre Robert Badinter et sa politique pénale molle, et par exemple Gaston Deferre, qui était ministre de l'Intérieur, où ils étaient en totale opposition.
00:47:16 Je me souviens également des grandes manifestations de policiers, de syndicats de policiers Place Vendôme, aux cris de Badinter assassin depuis la mort de certains policiers qui avaient été tués en service.
00:47:27 Je me souviens de tout cela. Et puis, je vous le disais il y a un instant, il n'y a pas eu que l'abolition de la peine de mort.
00:47:33 Il y a eu aussi la brugation de la Cour de sûreté de l'État, ce qui était une bonne chose, d'ailleurs, c'était une juridiction d'exception.
00:47:39 Mais ça n'a pas été remplacé. Et donc les affaires de terrorisme venaient dans des juridictions de droit commun.
00:47:45 Il a fallu l'arrivée, le retour de la droite au pouvoir en 1986 pour établir des juridictions spécialisées en matière de terrorisme.
00:47:54 Il a fallu effectivement le retour de la droite aussi pour instaurer la peine incompressible, perpétuelle pour les crimes les plus graves, la peine de 30 ans incompressible, car l'abolition de la peine de mort, c'était une chose, il fallait le faire, mais on n'avait pas prévu, si vous voulez, une sanction plus haute.
00:48:13 - Vous dites "il fallait le faire" et vous étiez non pas à l'époque, vous n'étiez pas député, bien sûr, en 1980.
00:48:18 - A l'époque j'étais magistrat.
00:48:20 - Mais vous étiez un homme de droite et à droite tout le monde n'avait pas voté pour l'abolition de la peine de mort.
00:48:25 Cette abolition d'ailleurs n'avait pas été, ne s'était pas faite sous Valéry Giscard d'Estaing, elle se fera sous François Mitterrand.
00:48:31 Louis de Ragnel veut prendre la parole.
00:48:33 - Sur la peine de mort, vous évoquiez ce sujet, il y a eu à l'Assemblée Nationale 369 voix contre la peine de mort, 113 voix pour le maintien de la peine de mort, et au Sénat 161 voix contre la peine de mort et 126 pour.
00:48:48 On voit bien que ce n'était pas un match.
00:48:50 - Alors je n'ai pas le décompte, parce que j'ai vu comme vous tout à l'heure ce chiffre m'intéressait.
00:48:54 Il faut se souvenir que les élections législatives de 1981 sont un ras de marée rose.
00:49:00 - Absolument.
00:49:01 - Et c'est une chambre rose, donc vous dites qu'il y avait 113 voix qui ont voté contre l'abolition de la peine de mort, mais sur ces 113 voix, est-ce qu'il y avait 113 députés de droite ?
00:49:14 - C'était essentiellement des députés issus de la droite.
00:49:16 - Bien sûr, mais est-ce que des députés de la droite avaient voté pour l'abolition ?
00:49:20 Ça je ne le sais pas, je n'ai pas trouvé l'information.
00:49:24 Mais c'est vrai, alors je crois que Jacques Chirac à l'époque s'était prononcé je crois pour l'abolition.
00:49:29 Il était député sans doute en 1981, Jacques Chirac.
00:49:32 Bon, en tout cas vous remettez en cause sa politique pénale et pourquoi pas.
00:49:36 Alors c'est vrai qu'on est dans un temps dommage, Georges Fenech.
00:49:39 - Pourquoi pas ?
00:49:40 - Non, non mais on est dans un temps dommage.
00:49:42 - Pourquoi pas ? Nous sommes dans un système démocratique.
00:49:44 - Oui, vous avez raison.
00:49:45 - Dans une opposition frontale à la politique pénale de Robert Bannater, je ne peux pas dire autre chose que ce que nous avons vécu pendant toutes ces années
00:49:55 et qui aujourd'hui encore laisse des traces, qu'on le veuille ou non, ce qui n'enlève en rien si vous voulez à la personnalité de Robert Bannater
00:50:04 qui est tout à fait hors normes et son combat contre la peine de mort.
00:50:08 Mais pour le reste, c'est ces années que nous avons passé à combattre cette politique pénale
00:50:14 parce que encore une fois elle était sous le saut de cette fameuse culture de l'excuse
00:50:19 qui s'est instaurée à partir d'arriver Bannater dans tout le pays.
00:50:23 - Merci beaucoup Georges Fenech.
00:50:26 Louis de Raguenel souhaite apporter une précision.
00:50:30 - C'est important et je trouve ça très respectueux de la part de Georges Fenech de dire ce qu'il dit
00:50:34 parce que honorer un mort, respecter un mort, c'est aussi être capable de tout dire.
00:50:39 Et je trouve que la manière avec laquelle Georges Fenech vient de le faire est une manière assez élégante
00:50:43 parce que vous savez souvent quand une grande figure meurt, on n'entend que le positif
00:50:48 et je trouve que là ça permet de rentrer aussi dans une partie de l'histoire politique
00:50:54 où sa politique, celle de M. Bannater, a été aussi très fortement contestée à une certaine époque
00:51:00 et la droite contestait vigoureusement la politique de Robert Bannater.
00:51:06 - Merci beaucoup. On va marquer une pause et nous revenons dans une seconde.
00:51:10 11h13h, c'est Pascal Proévost sur Europe 1.
00:51:12 - Europe 1.
00:51:13 - Pascal Proévost.
00:51:14 - 11h à 13h sur Europe 1, émission consacrée, Pascal, ce matin à Robert Bannater.
00:51:19 - Notre confrère Darius Rochebin a créé un lien particulier avec Robert Bannater.
00:51:23 Il l'a interrogé régulièrement et je vous propose, puisqu'il a mis tout à l'heure sur son compte Twitter
00:51:29 ses paroles qui datent du 19 décembre dernier, l'un des derniers, sinon le dernier entretien qu'il a eu avec Robert Bannater.
00:51:37 - Je cherchais le verre admirable, au mort, vieux capitaine, il est temps, le vent lancre.
00:51:45 - Vous croyez qu'il y a un moment où il est temps ?
00:51:48 - Où il est temps ? C'est celui fixé par, selon ce qu'on croit ou ne croit pas, Dieu ou le destin.
00:51:58 Mais en tout cas, il faut se répéter ce verre sublime, au mort, vieux capitaine, il est temps, le vent lancre.
00:52:08 Moi, j'ai rencontré la mort dès l'adolescence et pendant la guerre, l'occupation, j'ai beaucoup lutté contre la mort donnée.
00:52:26 Je pourrais presque dire de sang froid, selon le rite judiciaire.
00:52:33 - Il y a quelque chose évidemment de très émouvant à écouter, ces paroles d'un homme qui avait 95 ans,
00:52:40 qui est évidemment fatigué, et ça s'entend, et ça se devine, et ça se comprend,
00:52:47 mais en même temps, les facultés intellectuelles sont intactes, et ces paroles que vous venez d'entendre,
00:52:56 je pense, sont les dernières enregistrées de Robert Badinter, qui n'était plus apparu en public depuis de nombreuses semaines.
00:53:07 Nous sommes avec Sabine, je pense, et Sabine, vous êtes avocate. Bonjour Sabine.
00:53:11 - Bonjour, bonjour Pascal.
00:53:12 - Il se trouve que vous avez été, je pense, une élève de Robert Badinter ?
00:53:16 - Oui, c'était mon professeur de droit international privé, et on avait lui et son confrère, Jean-Denis Bredin aussi,
00:53:29 qui était aussi l'un de mes professeurs à la Sorbonne à l'époque.
00:53:32 - Et ça c'était en quelle année ?
00:53:34 - Dans 93-94.
00:53:37 - Donc c'était après qu'il a passé au ministère de la justice.
00:53:42 - Oui, oui, bien sûr.
00:53:43 - Donc j'imagine que tous les étudiants, quand on a la chance d'avoir Jean-Denis Bredin, figurent également des avocats qui sont morts également.
00:53:51 - Bien sûr.
00:53:52 - Et qu'il y a Robert Badinter, j'imagine que dans l'amphi, tout le monde écoute avec intérêt, religieusement.
00:53:59 - Mais en même temps, ils étaient, comme tous les grands hommes, beaucoup de bienveillance.
00:54:04 Alors pour Robert Badinter, un amour profond de la France, c'était évident, de la justice, et il nous disait toujours,
00:54:12 puisque c'était le droit international privé qui nous enseignait, que quand on devait visiter un pays étranger,
00:54:19 la façon de savoir comment le pays se comportait, l'État se comportait, c'était d'aller visiter les palais de justice.
00:54:25 Et il nous engageait toujours à aller visiter les palais de justice pour savoir comment était la justice du pays qu'on visitait,
00:54:30 et comment était donc l'État du pays.
00:54:33 Et il avait une grande humanité aussi, parce que, comme il nous avait raconté plein d'anecdotes,
00:54:40 une fois il avait perdu les sceaux de la République quand il était garde des sceaux,
00:54:43 en fait il nous avait raconté ça, qu'il les avait retrouvés un peu après parce qu'ils avaient été emmenés à être nettoyés,
00:54:52 mais il nous racontait plein plein d'anecdotes, et c'était toujours, alors c'était des matières d'oral,
00:55:01 et à l'époque, les matières d'oral, aucun étudiant n'y allait,
00:55:05 sauf ceux de Jean-Denis Bredin et de Robert Bavinter, qui étaient tout le temps pleins au point de s'asseoir par terre.
00:55:11 Et c'était assez... il était très humain. Je me souviens qu'il y avait la pause, parce qu'on l'avait deux heures,
00:55:18 et il y avait un SDF qui venait, qui pendant la pause dans l'amphi, vous savez, il grattait un peu de la guitare,
00:55:24 il prenait toujours un franc à l'époque, et il lui disait "ça c'est pour vous,
00:55:28 et le deuxième c'est pour que vous alliez me chercher un café à la machine",
00:55:32 parce qu'il avait ce goût de l'effort, il fallait toujours qu'on soit dans l'effort, qu'on ne s'faise jamais aller.
00:55:38 Et il nous expliquait ça, il nous transmettait ça aussi.
00:55:41 Voilà, c'était un beau moment.
00:55:44 - J'imagine que c'est des souvenirs extraordinaires pour la jeune ou la future avocate que vous étiez.
00:55:50 Est-ce que vous avez eu des échanges peut-être plus personnels avec lui à la sortie des cours ?
00:55:54 - Très accessibles, il y avait toujours plein d'étudiants qui se bousculaient à la fin pour lui parler,
00:55:59 il était toujours très disponible, et quand on passait les examens,
00:56:03 il faisait parfois passer les examens, il était toujours très bienveillant.
00:56:07 Un peu avec cette figure un peu très solennelle.
00:56:11 - J'ai dit tout à l'heure le mot "austère", et Jacqueline m'a dit, je crois que c'est Jacqueline avec qui j'ai dit "austérité".
00:56:16 - Non, il n'était pas austère.
00:56:17 - Voilà, et il m'a repris, c'était Anna Jakubowicz qui m'a dit "non, il n'était pas", le mot "austère".
00:56:22 - Il avait de l'humour.
00:56:24 - Il avait de l'humour, mais ce sont des êtres, lorsqu'on les croise, on est en surveillance de ce que nous disons.
00:56:31 On a le sentiment d'être avec des personnalités qui ne sont pas forcément du même bois que les autres, et elles imposent immédiatement.
00:56:39 - On a l'impression d'être avec de l'histoire, des personnages historiques qui rentrent dans l'histoire.
00:56:45 Donc on avait cette conscience de haut de nos 18 ou 20 ans, et il inspirait le respect de toutes les manières.
00:56:50 Je vous dis, lui et Jean-Denis Bredin, il y avait un respect qu'il imposait à des adolescents, 18, 20 ans, des jeunes adultes
00:57:02 qui n'avaient pas autant de respect pour tous les cours et tous les professeurs qu'ils présentaient devant eux.
00:57:07 Donc il avait cette figure étatique. On ne peut pas dire autre chose, il l'imposait.
00:57:14 - Il y avait une gravité. Vous-même, vous êtes pénaliste ?
00:57:17 - Pas du tout. Il ne nous enseignait pas le droit pénal. Il nous enseignait le droit international privé, c'est-à-dire qu'il n'est pas pénal.
00:57:28 Et Jean-Denis Bredin, lui, la procédure civile.
00:57:33 - Jean-Denis Bredin qui était de 1929 et qui est mort en 2021.
00:57:39 - Un personnage extraordinaire, beaucoup plus tendre. Il y avait une espèce de tendresse avec lui.
00:57:45 On avait une tendresse que M. Badinter ne... On pouvait l'approcher, mais il y avait quand même cette distance.
00:57:56 Il y avait moi avec Jean-Denis Bredin qui était un peu plus... qui montrait plus sa bienveillance.
00:58:04 - Écoutez, merci beaucoup Sabine, merci beaucoup de ce témoignage. Et puis il y a peut-être quelque chose aussi qui a disparu chez les avocats.
00:58:12 C'était l'art de la rhétorique. Je pense qu'il avait lui-même commencé avec les plus grands avocats.
00:58:18 Je crois que c'est Thorrez avec lequel il avait commencé, les grands avocats français, qui sont entrés parfois dans l'histoire.
00:58:26 A l'époque, on plaidait beaucoup. Aujourd'hui, peut-être...
00:58:29 - Mais ça c'est la procédure, c'est la loi qui nous empêche.
00:58:32 - Oui, bien sûr, mais c'est vrai qu'il y a même des avocats qui ne plaident jamais maintenant, paraît-il, qui n'ouvrent pas la bouche.
00:58:38 - Et puis quand on est en audience, maintenant, on nous invite à déposer les dossiers plutôt qu'à les plaider.
00:58:43 - Donc c'est quand même assez étrange, évidemment, et c'est là aussi un temps qui a changé.
00:58:51 On pourrait peut-être d'ailleurs essayer d'appeler, pourquoi pas, en tout cas on va tenter d'appeler des avocats, des grands avocats,
00:59:03 qui vont pouvoir donner leur sentiment parce que ce que vous dites, Sabine, nous a beaucoup intéressé.
00:59:09 Il est 12h50 ?
00:59:10 - C'est très gentil, merci beaucoup Pascal, au revoir.
00:59:12 - Je vous en prie, Louis de Ragnel, c'est une pluie d'hommages qui accompagne évidemment le décès de Maître Badinter.
00:59:22 - Oui, des hommages de toute la classe politique, le monde aussi du droit, on voit des magistrats, on voit des avocats,
00:59:30 pour qui c'était quand même une grande figure, et c'est vrai qu'il a été un peu tout, il a été avocat, il a été garde des sceaux,
00:59:38 il a porté des lois aujourd'hui qui sont pratiquées, dont l'esprit en tout cas rejaillit dans tous les tribunaux,
00:59:45 et donc effectivement, pluie d'hommages.
00:59:48 Je peux vous lire par exemple l'hommage qu'a rendu aussi Gabriel Attal qui dit "toute sa vie il a fait tonner la voix de la justice,
00:59:56 homme de droit et de valeur, avocat, ministre, homme d'Etat, Robert Badinter nous a quittés,
01:00:02 depuis les prétoires jusqu'aux tribunes de l'Assemblée nationale et du Sénat et au Conseil constitutionnel,
01:00:07 il aura consacré chaque seconde de sa vie à se battre pour ce qui était juste, à se battre pour les libertés fondamentales."
01:00:13 - Philippe Bilger est avec nous, vous le connaissez, il intervient régulièrement sur CNews, dans nos émissions,
01:00:19 notamment l'heure des pros, et puis vous pouvez l'entendre sur Europe 1 également, désormais entre 9h et 9h30.
01:00:23 Bonjour Philippe Bilger, qui a été le grand magistrat. - Bonjour, bonjour.
01:00:28 - Votre sentiment sur à la fois l'homme, et puis peut-être le magistrat qu'il était, ou plus exactement le ministre de la justice
01:00:36 qu'il a été, et je ne suis pas sûr que vous soyez complètement d'accord avec la politique pénale qu'il avait mise en place à l'époque.
01:00:45 - Oui, mais vous me permettrez, Pascal, de retenir un petit peu les quelques réserves et critiques que je pourrais formuler
01:00:56 une fois que le temps de la décence sera écoulé. Je voudrais surtout dire qu'il y a des morts qui bien sûr bouleversent
01:01:05 les proches et les chers, mais profondément aussi la conscience publique, et Robert Badinter était de ces personnalités
01:01:15 dont la disparition évidemment va bouleverser. Pour ma part, quelle que soit l'opinion que j'ai pu porter sur lui dans diverses
01:01:27 de ses activités, il y avait quelque chose tout de même d'indépassable chez cette personnalité qui a eu un parcours de vie
01:01:37 intellectuelle, politique, judiciaire, juridique infiniment riche, c'est que dans chacune des fonctions qu'il a exercées,
01:01:47 et j'y inclue bien sûr le ministre de la Justice sous l'honneur duquel j'ai eu l'honneur d'agir, j'ai agi, au fond,
01:01:57 jamais il n'a démérité. On pouvait discuter son action, mettre en cause ses comportements, avoir le goût de la controverse
01:02:08 avec lui, mais jamais c'est un homme qu'on n'a pas respecté parce que de toute manière, il y avait dans son être une intelligence,
01:02:17 une profondeur, une richesse de vie, une sincérité, voire parfois une brutalité qui suscitait le respect. Et donc, pour moi,
01:02:30 c'est une personne qui m'offre le grand bonheur dans le déchirement d'aujourd'hui de n'avoir jamais été contraint à mépriser
01:02:41 un être qui, dans toutes ses facettes, encore une fois a été légitime, admirable, discutable, mais véritablement un homme exemplaire.
01:02:55 - On a parlé de gravité également parfois chez Robert Badinter, mais vous avez effectivement eu raison de rappeler cette hauteur de vue,
01:03:04 cette conscience républicaine, à un certain niveau où on exerce le débat politique, que ce soit comme avocat, mais aussi comme
01:03:12 ministre de la Justice. Je vous remercie beaucoup, Philippe Béleger. Merci beaucoup de ce témoignage et de l'élégance de vos paroles
01:03:21 et de ce que vous avez pu dire à l'instant. Je voulais vous remercier vraiment pour une émission qui a été particulière, puisque
01:03:29 nous avons appris la mort de Robert Badinter peu avant 12h et il a fallu organiser cette émission que vous venez d'entendre.
01:03:39 Donc je voudrais remercier Florian Carasso-Mayan, Olivier Guenec, Fabrice Laffitte, Naïma Benchemane et Théo Grévin
01:03:48 pour la construction de cette émission, parce qu'en régie dans ces cas-là, il faut réagir le plus rapidement et puis pouvoir
01:03:56 appeler tous ceux qui sont intervenus, Anna Jakubowicz, Jean-Louis Debré, Franz Olivier Gisbert, Philippe Béleger et d'autres bien sûr.
01:04:05 Merci beaucoup à Géraldine, bien sûr, qui était avec nous également.

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