L'hôpital européen de Gaza sous les bombes : "La situation est chaotique"

  • il y a 6 mois

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Transcript
00:00 On va parler justement de la bande de Gaza avec notre invitée Imane Marifi, infirmière, membre de l'ONG Palmed.
00:07 Bonsoir, merci beaucoup d'être avec nous ce soir.
00:10 Vous revenez tout juste de Gaza, vous y étiez deux semaines, tout près de Khan Younes, vous me disiez, au sein d'un hôpital européen.
00:16 Donc vous faites vraiment partie des quelques personnes qui ont pu rentrer dans Gaza.
00:20 Déjà, ça n'a pas dû être simple d'y rentrer.
00:23 Non, ce n'était pas simple, puisque arrivé à Rafa, on arrivait à la fin des autorisations. En fait, on peut entrer entre 9h et 17h.
00:32 On était au Kerr, plus précisément. Donc entre le Kerr et Rafa, il y avait beaucoup de checkpoints.
00:38 Et c'était très, très long. On pouvait s'arrêter 2-3 heures par checkpoint. Donc il a été déjà très difficile d'arriver à Rafa.
00:45 C'était des contrôles qui duraient très longtemps.
00:48 Et vous êtes allée avec cet ONG, donc à cet ONG Palmed. Vous avez passé deux semaines sur place.
00:54 D'abord, quelle est la situation dans cet hôpital en particulier ? Est-ce qu'il fonctionne ?
00:59 La situation est chaotique. En fait, les mots me manquent. C'est chaotique.
01:05 Les habitants, les Gazaouis, sont venus se réfugier dans l'hôpital. Donc c'est une situation inédite.
01:13 On a plus de 30 000 personnes qui vivent dans cet hôpital. Donc c'est un lieu de vie, c'est un lieu de jeu pour des enfants.
01:19 C'est-à-dire qu'il m'est arrivé de réanimer un patient, enfin de participer à la réanimation d'un patient au sol
01:23 et d'avoir des petits-enfants qui me volent des gants dans ma poche pour en faire des ballons de baudruche.
01:27 Vous voyez, ils n'ont plus rien. Donc la situation est catastrophique.
01:31 Combien d'enfants sont sur place ?
01:34 Alors pendant que nous étions sur place, il y a un recensement qui a commencé.
01:37 Donc on a commencé à voir apparaître sur les tentes de fortune des tags, des chiffres et des lettres.
01:43 Donc ils ont commencé à recenser pour essayer d'avoir un chiffre.
01:46 Donc quand nous sommes arrivés le 22 janvier, on nous a annoncé 25 000 personnes.
01:52 Et à terme, ils nous ont dit qu'ils étaient déjà à plus de 30 000 dans l'hôpital.
01:55 Juste dans cet hôpital. Et rappelez-nous, c'est l'hôpital européen.
01:58 L'hôpital européen de Gaza.
01:59 Il se trouve où exactement ?
02:00 Il se trouve à l'est de Khan Younes, dans le quartier de Al Foukary.
02:04 On est à quelques kilomètres de Khan Younes. C'est-à-dire que j'ai passé 15 jours
02:09 avec le bruit des drones et surtout des bombardements qui,
02:12 je l'ai senti malheureusement au fil des 15 jours, se sont rapprochés.
02:16 Donc je suis très inquiète pour les 30 000 personnes dans cet hôpital.
02:21 Surtout que là, on parle peut-être d'un asoterreste à Rafah.
02:24 J'imagine que ça vous inquiète comme ça.
02:25 Je l'ai entendu comme vous en direct.
02:27 Et ce serait très compliqué parce que nous avons eu l'occasion d'aller à Rafah,
02:30 à Palmède, à des centres médicaux pour des soins de suite.
02:37 Et donc il y a 1,4 million de personnes actuellement à Rafah, dans des tentes de fortune.
02:43 Ils ont construit avec du carton, du bois, des vêtements aussi.
02:47 Ils ont cousu des vêtements.
02:48 C'est des tentes de fortune.
02:52 Ce serait catastrophique.
02:53 Ce serait une catastrophe humaine que Rafah soit touchée.
02:58 L'hôpital fonctionne-t-il ?
02:59 Il y a des équipes ? Les équipes parviennent à soigner ?
03:01 J'imagine qu'il y a de nombreux blessés.
03:04 Comment ça se passe ?
03:05 Il faudrait différencier les besoins matériels et humains.
03:11 Sur le plan humain, ils sont en nombre.
03:13 C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de volontaires qui font le travail des aides-soignants ou des infirmières.
03:18 Beaucoup d'infirmières qui font le travail des médecins.
03:20 Et des médecins, des chirurgiens, mais ils manquent de moyens.
03:23 C'est-à-dire que les médecins qui exercez à l'hôpital indonésien, à Al-Shifa ou Al-Nasr,
03:28 sont venus prêter main-forte à l'Européen, qui est le dernier centre hospitalier qui fonctionne.
03:33 Enfin, moi je ne dis pas qu'il fonctionne, mais qui est encore ouvert, qui peut accueillir.
03:37 Donc en termes de moyens humains, ça peut aller.
03:42 D'autant plus que normalement ils travaillent un jour sur trois chacun.
03:45 Ils font des équipes pour travailler 24 heures sur 72.
03:48 Mais en fait, ils viennent quand même sur leurs jours de repos pour passer le temps,
03:52 surtout pour avoir un repas, parce que l'hôpital offre un repas par service à ceux qui sont là.
03:58 Donc c'est souvent du riz ou des pois chiches.
04:00 Donc ça leur permet de pouvoir manger et puis d'être là avec leurs collègues, parce qu'ils sont tous en deuil.
04:05 Moi, je n'ai rencontré aucun collègue qui n'était pas en deuil.
04:09 Donc ça leur permet aussi d'échanger un peu dans leur peine.
04:14 Donc en termes de moyens humains, ils les ont à peu près.
04:18 Mais en termes de moyens matériels, c'est impossible.
04:20 C'est impossible de travailler. On n'a pas pu travailler.
04:25 – Qu'est-ce que vous faisiez concrètement ?
04:26 – C'était compliqué, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de draps, il n'y a pas de champs stériles,
04:31 il n'y a pas de compresse.
04:33 Donc c'est-à-dire qu'en France, je vais désinfecter avec 4 compresses
04:38 juste pour une pré-désinfection.
04:39 Là, je vais en avoir une pour toute la procédure.
04:43 On a très, très peu de morphiniques.
04:46 Donc je sélectionne, je dois sélectionner, réfléchir à qui je peux donner un peu de morphine.
04:50 C'est-à-dire qu'un enfant, là, un enfant qui est venu avec des plaies par balle,
04:55 la balle n'était pas traversante.
04:58 Comme on attendait de savoir s'il passait au bloc ou pas,
05:01 en attendant, il n'a pas eu de morphine parce qu'il fallait être dans l'économie
05:04 pour savoir si on allait l'utiliser pour le bloc.
05:07 Donc on est dans l'économie de tout, on réfléchit à tout.
05:09 Et malheureusement, les cas se suivent et puis on se blinde, on se dit,
05:13 alors l'enfant de 8 ans qui a un éclat d'obus à la radio qui semble faire 5 cm,
05:17 oui, mais l'autre a eu sa jambe arrachée, donc l'enfant, on va lui enlever à vif
05:21 et puis on donnera ce qu'il nous reste de morphine à l'autre.
05:24 On faisait des choix qui étaient aussi déchirants que ça.
05:27 - Et quand vous dites, vous vous blindiez...
05:31 - On doit se blinder.
05:32 Moi, en partant, je m'étais préparée à avoir l'horreur,
05:35 c'est-à-dire j'ai perdu entre les mains des enfants.
05:39 Mon dernier patient, et là, j'ai dit stop, c'est un bébé de 48 heures
05:43 qui est mort d'hypothermie.
05:44 Donc on parle beaucoup, on a beaucoup vu des patients arriver
05:47 avec des bras arrachés, la moitié du visage arraché, arraché vraiment.
05:52 Et il y a aussi les victimes collatérales, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de traitement
05:56 pour les maladies chroniques.
05:57 Donc on a perdu en réanimation une maman enceinte de son bébé.
06:01 Donc le bébé est décédé dans son ventre du fait du diabète.
06:05 Donc elle n'avait pas de traitement.
06:06 Elle a fait ce qu'on appelle un coma acidosytoxique.
06:09 Elle n'avait plus de traitement.
06:11 Elle ne mangeait pas à sa faim.
06:13 Donc le bébé est décédé.
06:14 On a extrait le bébé et elle est décédée le lendemain matin
06:16 parce qu'on n'avait pas les moyens pour surveiller.
06:19 On avait, on essayait d'apporter des traitements,
06:21 mais on n'avait pas les moyens pour surveiller.
06:22 C'est-à-dire qu'on avait besoin d'une surveillance biologique horaire
06:25 et on n'a pu obtenir qu'une surveillance biologique à peu près toutes les 6 heures.
06:28 Ce qui était impossible, on l'a perdu.
06:30 Donc il y a les dommages directs et puis il y a les indirects qui ne sont pas comptabilisés.
06:34 Comme un bébé qui meurt d'hypothermie, comme cette maman qui meurt du diabète.
06:38 Les maladies chroniques, ils ne sont plus dialysés.
06:40 Il n'y a plus de chimio.
06:41 Tous les patients qui avaient un cycle de chimio ne le reçoivent plus.
06:44 Les rayons, tous ces patients-là vont mourir ou meurent,
06:48 mais ils ne sont pas comptabilisés comme étant martyr ou mort de la guerre
06:52 ou ils ne sont pas comptabilisés.
06:53 Ce sont des dommages collatéraux.
06:55 Vous n'êtes restée que deux semaines là-bas.
06:56 Que deux semaines.
06:57 Qu'est-ce qui fait tenir tout le monde ?
06:58 C'est effectivement, il y a quand même des enfants qui sont sauvés.
07:02 C'est ça qui fait tenir ?
07:03 En premier lieu, c'est leur dignité.
07:04 La situation est tellement terrible, ce que vous racontez.
07:06 Et encore, les situations se bousculent dans ma tête
07:09 parce que j'ai encore du mal à réaliser ce que je viens de vivre.
07:12 Je ne suis arrivée qu'hier.
07:14 J'ai d'abord retrouvé ma famille et mes enfants.
07:15 Vous êtes choquée ?
07:16 Moi, je suis choquée.
07:17 Je suis choquée.
07:18 Je suis très choquée de ce que j'ai pu vivre, de ce que j'ai pu...
07:21 J'ai l'impression d'avoir apporté une goutte d'eau.
07:24 C'est-à-dire qu'ils m'ont dit "mais non, Imane, tu as été une bouffée d'oxygène".
07:27 Moi, je suis arrivée avec beaucoup de bonnes ondes.
07:28 J'ai essayé de leur dire "allez, on y va, on se motive".
07:30 Mais c'était très difficile.
07:31 Moi, ce qui m'a choquée, c'est leur dignité.
07:34 C'est leurs bonnes ondes.
07:34 Ils sont dignes.
07:36 C'est-à-dire qu'ils n'avaient plus de stylo et j'avais apporté des stylos.
07:39 Donc, je leur donne.
07:40 Je sais qu'ils étaient heureux.
07:43 Quand vous avez un chef de service de réanimation
07:46 qui vous montre des photos de lui diplômé ou considéré
07:52 et qui vous dit "Imane, est-ce qu'en partant, tu pourras me laisser ton shampoing ou ton déodorant ?"
07:56 Moi, ça me fend le cœur.
07:57 C'est-à-dire que même les produits de première nécessité, ils ne les ont pas.
08:00 Ou alors, c'est extrêmement cher.
08:02 Et puis, ils ne sont pas payés aussi.
08:03 Il n'y a pas de salaire.
08:04 Donc, c'est pour ça qu'ils viennent pour essayer d'avoir le repas que l'hôpital fournit.
08:07 Il n'y a pas de salaire.
08:09 C'est leur dignité.
08:10 Leur dignité m'a beaucoup marquée.
08:11 Elle est communicative.
08:13 Ils sont dans l'action et ils soignent avec le cœur.
08:15 C'est-à-dire que c'est peut-être un petit peu démagogique,
08:18 mais beaucoup de patients venaient pour du social.
08:21 C'est-à-dire que j'étais aux urgences et puis, moi, j'étais du côté du déchoquage.
08:25 Donc, ce sont vraiment les soins critiques.
08:28 Et quand j'allais du côté médical,
08:31 "Imane, est-ce que je peux avoir ton avis sur un petit bouton ?
08:34 C'est ce qui me vient, un petit bouton à la cheville."
08:36 Je dis "Mais le patient est venu dans ce contexte pour ça."
08:38 Il me dit "Imane, il me supplie de le garder cette nuit parce qu'il pleut
08:41 et il est dans une tente."
08:42 Donc, en fait, il vient dans l'espoir qu'on puisse le garder aux urgences.
08:46 Au moins, comme il pleut,
08:48 dès qu'il pleuvait, on avait tout le monde à l'intérieur.
08:50 On ne pouvait plus travailler. C'était compliqué.
08:52 La situation comme ça se bouscule dans ma tête.
08:54 Je viens d'arriver, mais c'est très difficile pour moi d'en parler.
08:59 Merci en tout cas pour votre témoignage qui est essentiel.
09:01 Vous venez d'arriver. Vous êtes encore sous le choc.
09:03 Merci, Imane Marifi.
09:05 C'était important de vous avoir, infirmière, un membre de l'ONG PalmED.
09:09 Merci encore. C'est rare, effectivement, d'avoir votre témoignage.
09:13 Il compte parce qu'on a peu, personne,
09:15 les journalistes ne peuvent pas accéder à Gaza.
09:17 On n'a pas d'informations.
09:18 Merci encore pour votre témoignage.
09:20 Avec plaisir.

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