Grégoire Lecalot était l'invité de Léa Salamé sur France Inter, mardi 23 janvier. Il était le compagnon de la journaliste Clémentine Vergnaud, décédée il y a un mois, à 31 ans, après s'être battue pendant plus d'un an contre un cancer.
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00:00 Le 7/10
00:03 Et Léa, ce matin vous recevez un de nos confrères de l'État juste en dessous, France Info.
00:08 Bonjour Grégoire Lockello.
00:10 Bonjour.
00:10 Merci d'être avec nous ce matin. En général je demande à chaque invité le matin si c'était un livre, un monument, un défaut, il serait quoi ?
00:16 Mais ce matin exceptionnellement, je vais vous demander si Clémentine Verniault, votre femme, était une couleur et si elle était un sentiment, elle aurait été quoi ?
00:26 Je pense que c'est assez facile, elle aurait été en couleur le bleu parce qu'elle aimait beaucoup les nuances de cette couleur.
00:34 Elle en mettait un petit peu partout, elle avait des vêtements qui lui allaient très bien, des robes d'été qu'elle aimait beaucoup.
00:41 Et puis, je vais dire une deuxième couleur parce que vous posez des questions, moi je dispose des réponses.
00:47 Ce serait bleu et doré, elle aimait beaucoup le doré et ça lui allait bien et je revois ses bijoux de mariage et ce visage de princesse.
00:59 Et si elle était un sentiment ?
01:01 Alors ce serait la passion, parce que Clémentine vivait tout avec cette passion, que ce soit la gourmandise, parce que c'était une très grande gourmande.
01:11 Et ça c'est le plaisir de vie qui lui est resté vraiment jusqu'au bout, jusqu'au dernier jour.
01:17 Elle a aimé savourer la nourriture, savourer ce qu'on mangeait.
01:21 Il y a eu ce restaurant deux étoiles, Yannick Haleno, c'était notre cadeau de mariage, il a accepté de venir à l'hôpital faire son menu.
01:30 Et Clémentine, c'était quelques jours avant sa mort, mais elle était extrêmement concentrée sur ce qu'elle mangeait, sur les goûts.
01:36 Elle écoutait toutes les explications avec beaucoup d'attention et elle a revécu derrière en plus tout ça.
01:42 Et voilà, tout était comme ça, l'amour, les amis, le travail, tout.
01:46 Clémentine était une jeune journaliste de France Info, elle avait 30 ans quand elle a appris qu'elle était atteinte d'un cancer rare et agressif des voies biliaires.
01:53 Elle a raconté son combat contre la maladie dans un podcast, vivant, précis, poignant, déchirant.
01:59 Elle était venue ici en juin dernier pour en parler à notre micro et on avait été bouleversé comme des centaines de milliers d'auditeurs avec Nicolas par son histoire.
02:10 Clémentine par son histoire et par sa grâce. Pour tout vous dire, on s'était caché après pour ne pas pleurer devant elle.
02:16 Clémentine était votre femme, vous vous êtes mariée il y a trois mois avant sa mort.
02:20 Clémentine est morte le 23 décembre dernier, la veille de Noël.
02:23 Alors que les six derniers épisodes de son podcast viennent de sortir à titre posthume, on avait encore envie de parler d'elle à travers vous.
02:31 Que restera-t-il de moi ? Quelles traces je vais laisser ?
02:34 Voilà, c'était les mots qu'elle nous avait dit à ce micro-là.
02:36 C'est ce qu'elle se demandait. La trace, la marque, c'est ce podcast auquel elle tenait tant.
02:41 Oui, c'est sa voix qui va continuer à résonner.
02:45 Moi, j'ai envie de dire que c'est ce que j'ai dit à son enterrement quelque part, c'est son Iliade.
02:54 Parce que c'est le récit d'un combat, d'une longue, difficile guerre avec des moments de bataille, des moments de pause, des moments sublimes et des moments assez lamentables.
03:07 Et puis à la fin, la jolie ville est tombée, mais ses agresseurs sont tombés avec elle.
03:16 Et maintenant, cet Iliade, c'est son chant qui court sur les ondes. C'est comme ça que moi je l'imagine.
03:23 Vous dites qu'elle vous fait penser à Marguerite Gauthier, la dame aux camélias, à toutes ces femmes si jeunes, 30 ans, tuberculeuses, elle, Marguerite, qui vont mourir.
03:33 Voilà, effectivement, c'était la tuberculose dans le rôle du cancer.
03:37 Mais ce récit, pour moi, c'est toute la question de la réalisation de ses rêves et à quel prix.
03:44 Parce qu'effectivement, Clémentine, elle voulait laisser cette trace. Dans son esprit, cette trace, c'était son enfant, ses enfants.
03:50 C'était ça qu'elle voulait. C'était cette postérité-là.
03:54 La vie l'en a empêchée et elle a produit ce podcast qui, toute proportion gardée avec beaucoup de guillemets, est un petit peu ce qui lui a tenu lieu d'enfant, d'avenir, de futur.
04:09 Et ça, au prix de sa vie. Elle réalise ce rêve au prix de sa vie, comme Marguerite Gauthier.
04:16 Et c'est pour ça que cette histoire de Clémentine m'a toujours fait penser à ce roman d'Alexandre Dumas.
04:22 Le podcast a reçu un succès phénoménal. C'est hallucinant le nombre de gens qui ont écouté son podcast.
04:28 Moi, je connais des tonnes de gens autour de moi. Je vais même vous dire, même Pascal Praud m'a dit qu'il avait fait écouter le podcast de Clémentine à ses quatre filles.
04:37 Pour vous dire jusqu'où c'est allé, elle était fière de recevoir tous ces messages, toutes ces lettres de gens qu'elle aidait aussi.
04:46 Parce qu'on a tous autour de nous des gens malades et qu'elle donnait des pistes pour savoir comment on doit se comporter avec quelqu'un de malade.
04:53 Oui, alors moi, j'étais là quand elle a reçu les premières, quand elle est sortie. Elle était à l'hôpital à Nantes à l'époque.
04:59 Et elle a vu arriver ça, cette espèce de vague de tsunami avec un étonnement de ses grands yeux.
05:06 Elle voyait le nombre de messages et l'ampleur que ça prenait. Elle n'avait pas du tout anticipé ça au départ.
05:12 Au départ, elle se disait que ça n'allait concerner que quelques personnes, qu'il allait falloir être courageux pour écouter un podcast sur le cancer.
05:21 Et en fait, elle-même, avec sa sincérité, c'était quelqu'un de très simple. Clémentine, elle n'avait pas la conscience ou l'envie de réaliser une œuvre ou quelque chose d'important.
05:33 C'était simplement son histoire.
05:35 Elle raconte combien cette maladie l'a changé.
05:38 La maladie m'a forcément changée. Je ne suis plus la même personne.
05:43 Je dirais que je suis à la fois plus enjouée, plus reconnaissante des petits moments, ces petits moments dorés dont on parlait,
05:55 qu'on peut peut-être laisser filer quand on n'est pas malade et qu'on n'a pas confiance finalement de la ténacité de ce fil de la vie.
06:03 Je pense que j'ai savouré beaucoup plus de choses depuis un an et demi que j'aurais pu en savourer.
06:10 Et en même temps, il y a toujours eu cette espèce d'ombre qui plane au-dessus et qui m'a enlevé toute mon insouciance.
06:25 Elle raconte l'annonce de la maladie le jour où le bateau coule.
06:29 C'est le premier épisode, quand après plusieurs mois d'une douleur aux côtes, un scanner révèle qu'elle a ce cancer très agressif
06:34 qui ne touche que les personnes âgées en surpoids, qui fument ou qui boivent beaucoup.
06:38 C'est-à-dire tout le contraire d'elle qui était jeune, gracile et qui ne fumait pas.
06:42 Elle raconte l'injustice, pourquoi c'est tombé sur moi.
06:45 Elle raconte comment elle a appelé sa mère et qu'elle a dit deux choses à sa mère.
06:50 "Maman, je ne veux pas perdre mes cheveux" et "Maman, je ne veux pas mourir".
06:53 Mais vous, quand elle vous a dit ça, quelle a été votre réaction, vous, son compagnon ?
06:58 Elle m'a appelé ici, il était 18h, j'étais donc à l'étage du dessous, comme vous disiez Nicolas.
07:04 Et elle me dit "J'ai peut-être un cancer".
07:09 Et moi je lui dis "Mais qu'est-ce que tu racontes ?"
07:12 Elle est revenue chez moi le soir et là, elle m'a dit "Je ne veux pas mourir".
07:20 Je lui ai dit "Mais non, mais tu ne vas pas mourir !"
07:23 Et j'ai compris en quelques secondes ce qu'il allait falloir faire.
07:30 Enfin, je n'évaluais pas ce qu'il fallait faire.
07:33 Mais que Clémentine avait besoin que je sois à ses côtés et que personne d'autre que moi ne pourrait tenir ce rôle.
07:39 Clémentine raconte la constance admirable avec laquelle vous avez été à ses côtés, comme vous dites.
07:43 Je la cite "Mon mari a vraiment été quelqu'un qui a toujours été là.
07:46 Au moment où ça nous est tombé dessus, il aurait pu, comme certains le font, me dire
07:49 "Je t'aime bien, mais je ne me vois pas traverser cette bataille, je m'en veille".
07:52 Il aurait pu s'engager, puis renoncer.
07:54 Non, il est avec moi jusqu'au bout et ça c'est énorme pour moi.
07:57 Je trouve que c'est le plus beau cadeau qu'on puisse me faire.
08:01 Vous n'avez jamais vacillé, vous n'avez jamais eu peur.
08:04 C'est aussi pour ça que j'avais envie de vous entendre et de vous inviter.
08:08 Qu'est-ce qui traverse celui qui est à côté ?
08:12 Je ne juge pas les gens qui s'en vont parce que c'est extrêmement difficile.
08:17 C'est légitime de ne pas vouloir aussi traverser ça.
08:22 Pour moi, c'est inconcevable.
08:27 Ça aurait été comme abandonner quelqu'un qui fait naufrage et lui tourner le dos.
08:32 Mais parce que j'aimais Clémentine, ça n'a pas été une décision facile.
08:38 Pour autant, il y avait beaucoup de choses qui rentraient en ligne de compte.
08:41 Dans ces quelques secondes, il y a eu beaucoup de choses, de questions et d'autres personnes.
08:46 C'était vraiment une décision très compliquée.
08:49 Mais pour moi, c'était clair qu'il n'y avait pas d'autre choix.
08:52 C'était comme ça.
08:54 Dans le mot de "aidant", il n'y a qu'une seule lettre de différence avec le mot de "aimant".
09:01 C'est comme ça que j'ai voulu accompagner Clémentine.
09:06 Mais pour moi, ce n'était pas l'accompagner, c'était l'accompagner vers autre chose.
09:11 Le "autre chose", c'est que vous avez accéléré les choses.
09:15 Comme vous saviez qu'il restait très peu de temps.
09:17 D'abord, vous avez décidé d'emménager ensemble en septembre.
09:20 Vous dites le choix de la déco, la sortie de la maladie.
09:23 Et puis, vous avez décidé de vous marier en octobre.
09:26 Vous n'aviez pas le choix parce qu'elle vous a demandé en mariage.
09:29 Racontez-nous ce moment qui est merveilleux.
09:31 Je me permets de corriger un peu. Ce n'est pas moi qui ai décidé.
09:34 C'est elle qui a décidé.
09:36 De tout.
09:38 Clémentine avait toujours raison, c'est ce qu'elle me disait.
09:40 Il fallait que je lui démonte par A+B quand ce n'était pas vrai, c'était compliqué.
09:44 Ça ne s'est pas fait tout de suite.
09:48 Ça a pris beaucoup de temps tout ça.
09:50 Au départ, vivre avec elle, c'était très difficile pour moi.
09:55 Je lui ai promis quand elle m'a annoncé ça.
09:58 Parce que j'ai été submergé par ce cancer.
10:01 Parce que moi j'en avais lu, qu'elle n'avait pas encore lu.
10:04 Vous êtes allé sur internet avant.
10:06 De gravité extrême que ça avait.
10:08 Mais après, c'est là où j'ai pris peur.
10:12 Je n'ai jamais osé lui dire que j'avais peur de rester tout seul.
10:19 Dans un appartement que je ne pourrais pas payer.
10:21 D'être obligé de déménager en plus de subir sa perte.
10:25 Clémentine, je vous rassure, a tout organisé pour que ça ne se passe pas comme ça.
10:30 Et le mariage, parlez-nous du mariage.
10:33 Le mariage, c'est dû à un épisode inattendu.
10:39 Qui nous est tombé dessus et qui n'était pas du tout prévu au programme.
10:42 Même au programme du cancer.
10:44 Je crois que même le cancer n'avait pas prévu ça.
10:46 C'était cet accident cardiaque qu'elle a fait.
10:48 Qu'on appelle un "tako-tsubo".
10:50 En français, c'est un syndrome des cœurs brisés.
10:52 C'est en gros des hormones de stress qui vont...
10:55 Je simplifie beaucoup, j'espère que les médecins ne m'en voudront pas.
10:58 Qui vont empêcher votre cœur de fonctionner correctement.
11:01 Et d'expulser correctement le sang pour le distribuer dans les organes.
11:05 Ça s'appelle un "tako-tsubo".
11:07 C'est un nom japonais.
11:08 Et elle fait ça.
11:11 C'est très grave.
11:13 Elle est transportée, comme elle le raconte dans son podcast,
11:15 toute sirène hurlante à l'usique de Kretay, l'unité de soins d'urgence cardiaque.
11:21 Moi, je la rejoins, je la vois à travers le hublot.
11:25 On voyait juste sa tête avec ses médecins penchés sur elle.
11:29 Et après, les médecins lui disent "Voilà, la réanimation, pour nous, ça ne va pas être possible.
11:36 Ça vous tuera."
11:37 Clémentine n'était pas en mesure de donner ses directives.
11:40 Donc elle a dit "C'est mes proches qui vont décider."
11:42 Donc les médecins sont réunis avec nous deux, sa mère et moi.
11:46 On a tous discuté, ils ont tous donné leur avis.
11:49 Ils nous ont considérés comme des égaux.
11:51 Ils nous ont dit franchement ce qu'ils en pensaient.
11:54 Et à la fin, moi, je me suis tourné vers sa psychologue.
11:57 Et je lui ai dit "Et vous, qu'est-ce que vous en pensez ?"
12:00 Et là, elle m'a dit "Il va de toute façon falloir qu'elle soit très entourée."
12:03 Et elle a hoché la tête comme ça, pour appuyer son propos final.
12:09 Et elle m'a dit "Surtout vous."
12:11 Et ça, c'est quelque chose qui m'est resté.
12:13 Quand je suis allé après dans la chambre de Clémentine, j'ai compris ce qu'elle voulait dire, sa psychologue.
12:19 Et Clémentine, je me suis penché vers elle parce qu'elle chuchotait en fait.
12:24 Parce qu'on ne se rend pas compte, mais le cœur, c'est ce qui nous permet de parler comme ça, fort au micro de cette radio.
12:29 Et quand on n'a plus de cœur, on chuchote comme ça.
12:32 Et comme on a toujours tendance à se pencher vers les gens qui chuchotent alors même qu'ils entendent très bien,
12:37 je me suis penché vers elle et je lui ai dit "Qu'est-ce que je dois dire à ton petit cœur pour qu'il reparte ?"
12:42 Et là, elle a eu un grand sourire radieux comme elle avait, et elle a dit "Que tu veux m'épouser ?"
12:48 Moi, j'ai dit oui tout de suite, évidemment.
12:52 Alors qu'avant, j'ai fait mon chat de gouttière, et le mariage pour moi, c'était une institution rétrograde.
12:59 - Et vous avez dit oui tout de suite ?
13:00 - Oui, j'ai dit oui tout de suite, elle a changé mon regard sur le mariage.
13:02 - Et son cœur est reparti.
13:05 Et vous vous êtes marié le 4 octobre dernier, moi je pense que c'est pour ça,
13:09 avec quelques-uns de vos proches, des ballons, des chouquettes, une haie d'honneur, Clémentine dans sa robe de mariée,
13:14 son sourire aux lèvres, et à l'hôpital, elle a chanté cette chanson de Céline Dion.
13:19 * Extrait de Céline Dion *
13:48 - Elle s'est battue comme une lionne, pendant un an et demi, elle a essayé tout un tas de protocoles,
13:53 elle a tenté des traitements novateurs, son médecin, l'oncologue, le professeur Hamel,
13:56 dit qu'elle a fait avancer la médecine, qu'elle a pu vivre un an et demi alors qu'elle n'avait que 3 mois d'espérance de vie,
14:01 et puis à un moment, le cancer gagne du terrain, et là son médecin lui dit "On va arrêter les traitements".
14:05 Comment elle a réagi, comment vous avez réagi ?
14:08 - C'était le 28 novembre, c'est l'ancien jour de mon anniversaire, parce que je vous annonce que je vais en changer.
14:15 - C'est le jour de votre anniversaire qu'il décide d'arrêter les traitements.
14:18 - Oui, mais Clémentine s'en doutait, elle était très lucide par rapport à tout ce qui lui arrivait.
14:23 Donc elle sentait bien que la maladie, elle avait trop d'avance, elle disait "La rampe elle est trop loin, je ne peux plus la rattraper".
14:30 Mais elle avait quand même cette pression de devoir se soigner.
14:34 Et quand le professeur Hamel lui a dit, avec toute la finesse qui est la sienne,
14:40 c'est-à-dire qu'il ne lui a pas dit, il l'a laissé venir, il lui a confirmé les choses,
14:45 lui a fait comprendre qu'il n'y aurait pas d'autres chimios, que les traitements s'étaient terminés,
14:49 qu'il n'y aurait plus que des traitements palliatifs, il y en avait un des traitements.
14:53 Elle a ressenti un grand soulagement.
14:56 Et pour moi, voir une jeune femme de 31 ans ressentir un immense soulagement parce qu'on lui dit qu'elle va mourir,
15:06 c'est pas possible !
15:08 Donc c'est pour ça qu'on va se mobiliser aussi derrière.
15:12 Mais Clémentine, à ce moment-là, elle se disait "Enfin, j'ai le droit de lâcher cette rampe,
15:18 j'ai le droit de ne plus avoir ce visage de courage".
15:23 - Vous m'avez raconté les dernières heures, quand vous étiez là auprès d'elle,
15:26 et il y a quelque chose d'étonnamment doux, d'étonnamment serein dans ces derniers moments,
15:31 dans ces derniers jours, la veille de Noël, le 23.
15:34 - Elle était, depuis la veille, elle était paralysée, on peut dire.
15:39 En tout cas, elle n'avait plus vraiment de réaction, sauf quelques très rares réactions.
15:43 Et juste le matin, quelques dizaines de minutes avant sa mort,
15:47 mes enfants qui voulaient la revoir sont venus dans sa chambre,
15:49 et là, elle a eu son dernier sourire.
15:52 Elle a poussé un petit cri, et j'ai vu la commissure de sa lèvre,
15:56 et ce qu'il s'est, ce tout petit sourire, elle n'a pas pu faire plus, mais ça a été son dernier sourire.
16:01 Et moi, je les ai raccompagnés à la voiture, on m'a dit "Reviens vite",
16:05 et ça n'a duré que quelques minutes, il y avait un silence dans la chambre,
16:09 on lui tenait tous les bras, les mains, ses parents, une de ses sœurs.
16:14 On lui a dit "Maintenant, on est tous là, tu peux y aller si tu veux".
16:19 Et on a vu son... elle avait la respiration difficile, elle avait les yeux mis clos,
16:25 on a vu, on voyait son cœur, elle était tellement mince qu'on voyait son cœur battre à travers son t-shirt.
16:30 On a vu son cœur qui ralentissait, puis qui s'est arrêté une première fois,
16:34 et puis qui est reparti, il y a eu trois petits battements, puis il s'est réarrêté.
16:40 Et il y a eu un dernier petit battement, comme ça.
16:44 Et ensuite, elle a eu deux petits mouvements de gorge, des mouvements réflexes,
16:48 et puis plus rien, dans un très grand silence.
16:51 Pas un cri, pas une grimace de douleur, rien.
16:55 Et oui, je me suis dit que décidément, même la mort devait aimer Clémentine,
17:02 parce que pour lui accorder, après ses 18 mois de bataille,
17:07 et de souffrance, qui a été dure au mal Clémentine, et pourtant des fois, elle en a presque hurlé.
17:16 C'était comme si, vous voyez, j'ai eu cette image-là, de penser comme si des anges étaient venus la soulever.
17:22 - Vous avez d'ailleurs demandé son doudou d'enfance à la fin,
17:25 elle vous a demandé d'aller chercher son doudou, et elle est morte avec son doudou.
17:28 - Oui, elle l'avait gardé, et ça, moi c'est un regret, je ne l'ai pas compris,
17:32 mais c'était ces terreurs d'enfance, c'était les terreurs de nos enfants.
17:35 Et ce jour-là, j'aurais dû la prendre dans mes bras, et je n'ai pas eu ce réflexe-là.
17:39 - Selon le souhait de Clémentine, Clémentine disait "je ne veux pas de fleurs à mon enterrement,
17:43 je veux des dons, donner des dons pour la recherche, vous avez souhaité aider la recherche,
17:47 vous avez créé un fonds, une dotation, vous avez ouvert une cagnotte Litchi,
17:51 elle espérait ramener 2-3 000 euros, bon vous en êtes à...
17:54 - On est presque à 40 000, je n'ai pas regardé ce matin, mais...
17:57 - Et on peut continuer à donner sur la cagnotte, qui s'appelle comment ?
17:59 - Alors, qui s'appelle "Fonds Clémentine Verniau contre le cholangiocarcinome",
18:03 c'est le nom de sa maladie, c'est ce nom de créature monstre mitopique.
18:06 - Et vous espérez avoir 100 000 euros pour aider la recherche ?
18:09 - Oui, mais un petit peu plus, parce qu'il faut à peu près 130 000 euros pour financer une thèse,
18:14 et donc c'est notre objectif.
18:16 - Grégoire, comment vous allez aujourd'hui, ça fait un mois.
18:20 - Bah, c'était un mois de chemin, c'est le chemin du deuil que connaissent tous les gens qui perdent les gens qu'ils aiment,
18:27 c'est d'abord, moi je l'ai pris en pleine figure parce que je n'étais pas prêt,
18:31 pour moi, jusqu'au bout j'ai espéré même un miracle quand ce n'était plus possible,
18:36 et donc il a fallu d'abord accepter que ce soit réel.
18:39 - Merci à vous Grégoire Le Calot, on peut toujours écouter le podcast merveilleux de Clémentine Verniau,
18:45 les six derniers épisodes sont en ligne aujourd'hui,
18:48 et pour finir, je ne sais pas si vous connaissez cette chanson, mais je voulais finir avec ça,
18:51 la chanson d'Alex Bopin qui écrit à son amoureuse, elle aussi morte, trop jeune,
18:55 la chanson s'appelle "Je te supplie". Merci Grégoire.
18:58 Je te supplie de m'adresser d'après la vie, un signe que je te manque aussi, je te supplie de me répondre même si,
19:18 personne ne répond ici, personne ne répond ici.
19:29 La pluie tombe tout l'automne, le soleil brille l'été, ces banalités m'étonnent que tout puisse continuer,
19:38 et que le temps se déroule, long ruban de jours et d'heures,
19:42 fleuves indifférents qui coulent dans le lit de nos douleurs.
19:49 Je te supplie de m'adresser d'après la vie.